En moyenne, cinq travailleurs sont décédés chaque jour de
travail l’an passé au Canada suite à un accident au travail ou à une maladie
causée par le travail, établit une étude dont les résultats ont été publiés au
début du mois de décembre. Ces chiffres représentent une augmentation de 18
pour cent par rapport à 2004 et de 45 pour cent par rapport à 1993.
Avec 1097 travailleurs tués dans une activité reliée au
travail, ce carnage est une condamnation des conditions de sécurité au travail
au Canada. Cette condamnation est aggravée par le fait que le taux de décès au
travail est parmi les plus élevés du monde industrialisé.
Le rapport de 119 pages, intitulé « 5 morts par jour :
décès au travail au Canada, 1993-2005 » a été préparé par le Centre
d’étude de niveaux de vie (CENV), un organisme financé par le gouvernement, qui
s’est basé sur des données de l’Association des commissions des accidents du
travail au Canada pour réaliser son étude.
L’étude du CENV montre que les décès résultant d’accidents
et de maladies ont augmenté sur la période étudiée à un taux beaucoup plus
élevé que dans tout autre pays comparable. Toutefois, la plus grande
augmentation est due aux décès résultant de maladies.
En cherchant à expliquer les conclusions troublantes, les
auteurs ont examiné les changements ayant eu lieu au Canada, plus
particulièrement en comparaison avec les Etats-Unis. Si l’on fait exception des
différences dues à la façon dont les statistiques sont compilées dans chacun
des pays, le rapport identifie plusieurs facteurs ayant contribué à cette
augmentation, mais passe toutefois à côté de plusieurs questions importantes.
Derrière les chiffres
Le rapport montre qu’il y a eu une augmentation de 25 pour
cent du nombre des décès attribuables aux accidents entre 1996 et 2005, mais le
nombre de décès en conséquence de maladies a augmenté d’un immense 174 pour
cent au cours de la même période.
Le plus important facteur identifié par l’étude pour
expliquer la croissance du nombre des décès a été « l’exposition à des
substances ou des environnements dangereux », plus particulièrement à
l’amiante. En termes absolus, ces décès comptent pour 41 pour cent de tous les
décès du travail, mais pour 80 pour cent de leur augmentation depuis 1993.
L’étude souligne la croissance du nombre des morts reliés à
la production et l’usage de l’amiante. Alors que l’utilisation de l’amiante au
Canada a diminué de plus de 75 pour cent entre 1998 et 2003, le pays demeure
l’un des plus grands producteurs de cette substance dangereuse. L’usage de
l’amiante se traduit en plus de 100 000 décès par année à travers le monde
et on croit que ce nombre continuera de croître au cours des prochaines années.
Les auteurs suggèrent qu’une main-d'oeuvre vieillissante,
parmi laquelle la mort résultant de la maladie devient plus répandue, pourrait
expliquer en partie l’augmentation des décès par maladie professionnelle. De
plus, ils mentionnent la possibilité que des changements dans l’admissibilité
aux primes d’indemnisation pour cause de maladie et qu’une plus grande
connaissance de ces programmes pourrait expliquer en partie la hausse de décès
liés aux maladies professionnelles.
L’augmentation significative des décès liés à des accidents
en milieu de travail est en grande partie attribuée à la croissance de l’emploi
dans les industries du secteur primaire comme les pêches, les mines et la
foresterie, qui possèdent parmi les plus hauts taux de mortalité, toutes
industries confondues.
En plus d’une étude par industrie, le rapport du CENV
fournit des statistiques sur les emplois les plus dangereux. Ces dernières
montrent que les métiers, le secteur du transport et la machinerie ont les taux
de mortalité les plus élevés, avec en moyenne 408,6 morts par année entre 1996
et 2004.
Le rapport montre qu’entre 1976 et 1995, il y a eu une
diminution de la proportion d’emplois plus dangereux au profit d’emplois plus
sécuritaires, avec la croissance du secteur des services — une tendance qui s’est
renversée, entraînant une augmentation des décès liés au travail.
Des 29 pays de l’OCDE, le Canada se classait cinquième en
2003 pour le nombre de décès en milieu de travail pour 100 000
travailleurs, derrière seulement le Portugal, le Mexique, la Turquie et la
Corée. De ces quatre pays, seuls le Portugal et la Corée, qui ont un PIB par
habitant qui n’est pas même la moitié de celui du Canada, sont considérés comme
des pays « développés » par l’OCDE.
Le Canada fait partie des huit pays seulement qui incluent
les décès reliés à des maladies professionnelles dans leurs statistiques de
décès en milieu de travail. Cela n’est qu’une des nombreuses anomalies dans la
façon dont les Etats évaluent les décès en milieu de travail. Néanmoins, le
rapport montre que même en tenant compte de tels éléments, le Canada a vu une
hausse des décès en milieu de travail alors que des pays comparables ont
enregistré une baisse.
Des
questions négligées
Toutefois, le rapport demeure silencieux sur les plus
importantes tendances qui se trouvent derrière l’augmentation des décès en
milieu de travail au Canada.
Bien que ne pouvant être quantifiée facilement, la poussée
pour une productivité accrue qui a mené agressivement par l’industrie
canadienne a sans aucun doute joué un rôle crucial dans la hausse des décès en
milieu de travail. Evoquant la menace de la concurrence étrangère, l’entreprise
canadienne, et celle à travers le monde capitaliste, a cherché à éliminer
plusieurs règles en milieu de travail.
Autre question qui n’est pas abordée dans le rapport :
l’augmentation générale des heures de travail et la fatigue et le stress
supplémentaires qui accompagnent l’allongement de la journée de travail et de
la semaine de travail. Un rapport de 2003 de l’Agence de santé publique du
Canada dévoilait que le pays se classait quatrième au monde en terme du nombre
d’heures travaillées par habitant, par année. En 2001, un Canadien sur quatre
rapportait travailler plus de 50 heures par semaine, alors qu’en 1991 seulement
un sur dix travaillait plus de 50 heures par semaine.
Les données utilisées dans le sondage du CENV sont basées sur
les demandes d'indemnisation qui ont été « acceptées », ce qui veut
dire qu'elles sous-estiment probablement de manière importante les décès liés à
des accidents et à la maladie. Même les auteurs du rapport admettent que
« des blessures ou des maladies qui entraînent la mort plusieurs années
après l'incident ou l'exposition sont probablement très peu rapportées ».
Le rapport souligne aussi au passage que ses données
n'incluent pas les blessures ou les maladies professionnelles des travailleurs
qui ne sont pas couverts par les régimes d'indemnisation provinciaux, une
proportion qui pourrait atteindre jusqu'à 20 pour cent de tous les
travailleurs. Chaque comité provincial d'indemnisation des travailleurs
détermine différemment sa couverture, mais, en général, parmi ceux qui ne sont
pas couverts se trouvent le groupe croissant des travailleurs
« autonomes », le personnel militaire, et la plupart des travailleurs
agricoles.
Le rapport du CENV traite en détail les différences de
comptabilisation des décès entre les provinces, la responsabilité de la gestion
de l'indemnisation, et les anomalies qui surgissent d'une multiplicité d'accès
aux services de santé et sécurité au travail à travers le Canada. Le mouvement
ouvrier a identifié depuis longtemps que l'absence de normes nationales ou
d'organisme administratif pour l'indemnisation des travailleurs était un
problème, mais le rapport ne l'aborde pas.
Plus tôt cette année, une conférence a été organisée par les Canadian
Compensation Unions, une organisation qui représente 10 000 travailleurs
qui, en tant qu'employés de comités d'indemnisation provinciaux, offrent des
services aux travailleurs accidentés. La conférence a demandé que de profondes
réformes soient apportées aux divers programmes canadiens d'indemnisation des
travailleurs qui « ne répondraient pas adéquatement aux besoins des
travailleurs canadiens accidentés ».
En plus d’une augmentation du nombre des décès au travail, le
rapport du CENV note une diminution du nombre des blessures en se référant au
nombre des réclamations aux organismes de dédommagements des travailleurs — un
phénomène pour lequel aucune explication n’est donnée si ce n’est une
spéculation sur des « changements définitifs ».
Les critiques du système actuel font grand cas d’une tendance
récente chez les employeurs qui ne sont plus forcés par la loi d’offrir une
couverture de compensation aux travailleurs, de se retirer des programmes
gouvernementaux pour opter plutôt pour une assurance privée. Les assureurs
privés sont typiquement beaucoup plus réticents à accepter des réclamations.
Les auteurs concluent leur rapport en écrivant que
« Le Canada peut faire beaucoup mieux », ce qui est vrai, mais qui soulève
la question : pourquoi ne le fait-il pas ?
Qu’une telle situation puisse continuer dans une des économies
les plus développées dans le monde est une condamnation de l’ordre social
actuel. Les morts quotidiennes de travailleurs ne sont pratiquement jamais
rapportées si ce n’est dans des publications spécialisées comme le rapport dans
il est question dans cet article. Qu’ils continuent à être considérés comme une
routine par les plus hauts échelons du gouvernement et de l’industrie démontre
une attitude envers la classe ouvrière qui n’est rien de moins que criminelle.
(Article original anglais publié le 29 décembre 2006)