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WSWS : Nouvelles et analyses : Canada

Le NPD à la défense de l’impérialisme canadien

Par David Adelaide
6 janvier 2007

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Dans les derniers mois, le parti social-démocrate en nom au Canada, le Nouveau Parti démocratique (NPD), a tenté de se faire l’image d’un opposant à la mission des Forces armées canadiennes en Afghanistan, espérant qu’il pourra canalisé à son bénéfice le sentiment anti-guerre — et l’opposition à l’intervention canadienne en Afghanistan en particulier — de larges sections de la population canadienne.

Au même moment, en contradiction avec ce qu’il avance lui-même, le NPD fait des pieds et des mains pour que sa position sur l’intervention en Afghanistan ne soit pas interprétée par l’élite comme une opposition générale au militarisme et à l’impérialisme canadien. Cet état de fait a trouvé son expression la plus claire dans une série de motions du NPD au Parlement, qui s’adaptaient toutes d’une façon ou d’une autre à l’armée et à la campagne de droite, dirigée par le gouvernement minoritaire conservateur de Stephen Harper, pour réorienter la politique étrangère canadienne vers un cours agressivement militariste.

Plus récemment, lorsque le Bloc québécois a menacé pendant quelques jours de faire tomber le gouvernement Harper avec une motion de défiance sur la mission afghane, le NPD a attaqué la manœuvre du Bloc de la droite. Le dirigeant du NPD Jack Layton a déclaré que la menace du BQ n’était que « jeux politiques » et a dit qu’il était plus important « d’obtenir des résultats de ce Parlement » ou, en d’autres termes, de continuer à soutenir le gouvernement conservateur de Harper.

Soyons clairs : la position du NPD sur la guerre en Afghanistan est un piège politique, visant à contenir l’opposition populaire à l’impérialisme canadien dans des limites acceptables pour l’establishment politique canadien. Tous les partis actuellement représentés à la Chambre des communes appuient l’usage de la force militaire canadienne pour la défense des intérêts géopolitiques et économiques du Canada, même s’il y a parfois de très grandes différences sur les détails.

Lorsque l’ancien gouvernement libéral de Paul Martin a déplacé les soldats canadiens vers la région plus explosive du sud de l’Afghanistan, il avait le soutien entier du NPD. Lorsque les conservateurs de Harper nouvellement élus ont forcé la prolongation de deux ans et l’élargissement de cette même mission, le NPD s’est opposé à cette manœuvre, mais du point de vue que si le Canada s’impliquait plus en Afghanistan, alors cela pourrait l’empêcher de participer à d’autres missions (comme au Darfour, au Liban et en Haïti).

En août 2006, comme l’augmentation du nombre des victimes jetait la lumière sur la nature brutale et colonialiste de la mission canadienne en Afghanistan, le NPD a lancé un appel pour que les Forces canadiennes se retirent avant février 2007. Pour rassurer la classe dirigeante, le dirigeant du NPD, Jack Layton, n’a pas mis longtemps à expliquer que l’appel pour le retrait n’était fait que parce que l’intervention n’était pas « la bonne mission pour le Canada », n’était « pas clairement définie » et qu’il n’y avait de « stratégie de sortie ».

Invoquant explicitement la tradition de « gardiens de la paix » qui sert depuis longtemps de couverture pour les forces militaires canadiennes dans les opérations pour renforcer l’influence géopolitique canadienne dans le monde, Layton a continué en critiquant la mission en Afghanistan pour être « déséquilibrée parce qu’elle se concentre sur la contre-insurrection et pas sur le maintien de la paix ».

Le NPD a été prudent d’éviter de préciser ce qui devait être retiré, laissant ainsi la porte ouverte pour un changement mineur du déploiement de l’armée canadienne. Layton a insisté sur le fait que « nous devons continuer à travailler de façon multilatérale pour être dur envers le terrorisme » et que « des questions comme la lutte à la pauvreté mondiale, l’aide internationale au développement, la réforme des institutions internationales, la construction de la paix et le renforcement des droits de l’homme font partie de la solution ».

Malgré la nature limitée de la proposition du NPD, elle a néanmoins été accueillie par une tempête de commentaires négatifs de l’establishment politique et médiatique extrêmement sensible à la moindre critique. Cette sensibilité est exacerbée précisément parce les élites savent combien faible est l’appui populaire pour le virage rapide vers la droite de la politique canadienne de la dernière année. La réponse du NPD a été de tenter de se distancer de la controverse en présentant une série de motions devant le Parlement en « appui » à l’armée canadienne et à ses actions.

La première de ces propositions était la « Motion des anciens combattants d’abord » introduite par le NPD et adoptée au début novembre, qui apporte de petits ajustements aux règles concernant les pensions des conjoints des soldats des FAC ainsi que des changements aux pensions des membres de l’armée libérés plus tôt pour cause de blessures en poste. Plus tard durant le même mois, le NPD a profité de l’initiative lancée par l’Institut Dominion, un groupe de réflexion de droite qui se consacre à la promotion du nationalisme canadien.

L’Institut a réussi à amasser quelque 90 000 signatures pour une pétition exigeant que le dernier vétéran canadien de la Première Guerre mondiale (ou plutôt, le dernier vétéran à résider au Canada, car deux autres vivent à l’étranger) se voit offrir des funérailles d’Etat. L’espoir évident de ceux qui ont appuyé la pétition était de voir un spectacle national qui serait utilisé pour raviver l’appui du public pour le nationalisme canadien et les « traditions militaires » du Canada.

Selon l’éditorial du Globe & Mail qui appuyait la pétition, « Il n’y a qu’une seule façon de bien faire comprendre à chaque Canadien, jeune et moins jeune, l’ampleur de ce qui a été accompli par les soldats canadiens durant la Première Guerre mondiale. Il n’y a qu’une seule façon d’assurer que le concept de souvenir soit plus qu’un devoir généralisé envers un fier héritage militaire et soit reconnu pour ce qu’il est : une façon de remercier le don de la liberté fait à un de nombreuses personnes et l’accession, pour nous, au statut de nation. »

Le NPD a sauté sur cette occasion de démontrer son appui au militarisme canadien et a introduit une motion pour un tel spectacle national, se méritant l’appui unanime des autres partis de la Chambre des communes. Selon Layton, la motion du NPD et les funérailles d’Etat à venir donneraient la chance aux Canadiens de « célébrer collectivement le sacrifice de tous les vétérans de la Première Guerre mondiale ».

Il vaut la peine de s’arrêter pour comprendre précisément ce que cela veut dire. Selon le chef du NPD, la Première Guerre mondiale est quelque chose à « célébrer collectivement ». Le NPD joue ici un rôle important dans la campagne de duperie dans laquelle la guerre, comme dans l’éditorial du Globe & Mail ci-dessus, est supposée avoir apporté le « don de la liberté » et « l’accession au statut de nation ». 

D’aucune façon la Première Guerre mondiale, le long et barbare massacre de millions d’individus dans une brutale compétition pour des marchés et des territoires, n’était une guerre pour la « liberté ». Au contraire, les fondements de la guerre provenaient du fait que le développement économique mondial avait dépassé les limites du système d’Etats-nations. Chacune des grandes puissances capitalistes combattait alors pour s’assurer que cette contradiction serait résolue aux dépens de toutes les autres.

Comme Trotsky l’a expliqué dans son ouvrage majeur « La guerre et l’Internationale », écrit immédiatement après le déclenchement de la guerre et dirigé avant tout contre les parlementaires « socialistes » de la Deuxième Internationale (de laquelle descend politiquement Layton et le NPD) qui s’étaient ralliés derrière les efforts de guerre de leurs propres pays : « Tous les discours, parlant de l'effusion de sang actuelle comme une question de défense nationale, ne sont qu'aveuglement ou hypocrisie. Au contraire, le sens objectif de la guerre consiste en la destruction des propriétés au nom de la propriété mondiale. L'Impérialisme ne s'efforce pas de résoudre ce problème par une coopération organisée selon la justice. Les capitalistes de la nation victorieuse exploiteront cette propriété mondiale. Le pays victorieux deviendra une puissance à l'échelle du globe » (La guerre et l’Internationale, 1914).

Pour la classe dirigeante canadienne, la guerre était d’abord l’occasion de s’afficher en tant que grande puissance indépendante de la Grande-Bretagne. Ayant fait pression durant la guerre pour que l’on accorde au Canada un rôle équivalent à celui de la Grande-Bretagne dans la gestion de l’empire britannique, le premier ministre canadien Robert Borden a réussi à obtenir pour le Canada, à la fin de la guerre, un siège indépendant à la conférence de paix de Paris et à la Ligue des nations. Voilà ce qu’acclame maintenant le Globe & Mail en tant qu’« accession au statut de nation ». Pour y arriver, 60 000 Canadiens ont été sacrifiés sur les champs de bataille européens, alors que 172 000 autres y ont été blessés.

De plus, l’effort de guerre avait été accompagné d’une large attaque sur les droits démocratiques. Au début de la guerre, le gouvernement avait imposé la Loi sur les mesures de guerre, ce qui a mené à la séquestration de milliers de personnes dans des camps d’internements, et il a truqué l’élection de 1917 afin d’imposer la conscription. Les soldats actifs à l’étranger pouvaient choisir toute circonscription électorale canadienne qu’ils souhaitaient pour voter, plutôt que leur propre circonscription, et le droit de vote a été soudainement accordé aux femmes, mais seulement à celles dont de proches parents étaient en service militaire à l’étranger.

Le piège du maintien de la paix

On trouve une question politique fondamentale derrière le louvoiement continuel du NPD sur l’Afghanistan. Quand le NPD exige que la puissance militaire du Canada soit utilisée modérément, cela ne prend pas la forme d’une opposition de principe à l’impérialisme canadien, mais plutôt d’un appel à une certaine conception de « l’intérêt national » du Canada.

Dans une époque caractérisée par le militarisme américain débridé et l’augmentation des tensions entre les puissances impérialistes, des sections de l’élite canadienne en sont venues à considérer la tradition « de maintien de la paix » comme un boulet. Pour ces couches, qui considèrent les conservateurs de Harper (ou une section des libéraux) comme leurs représentants politiques, la participation directe dans les guerres que mènent les Etats-Unis est perçue comme étant l’unique façon de conserver de l’influence internationale et lui donne un peu d’espoir qu’elles pourront avoir leur part du butin.

Cependant, le NPD (avec une autre section du Parti libéral) défend l’idée que la tradition de « maintien de la paix » — un élément clé de l’idéologie nationale et de la posture de la classe dirigeante canadienne en politique étrangère dans la période précédente — n’a pas encore perdu toute son utilité. Il y a un lien organique entre cette position et le nationalisme canadien qui est depuis longtemps la perspective essentielle du NPD : la « politique étrangère indépendante » dont Layton et le NPD se font les champions n’est rien d’autre que la précédente stratégie impérialiste de la classe dirigeante canadienne.

Loin d’être une opposition à la guerre et à l’impérialisme, le « maintien de la paix » canadien a représenté une contribution majeure au maintien de l’ordre impérialiste mondial tout au long de la Guerre froide. Membre entier de l’OTAN et de NORAD, le Canada a envoyé ses troupes pour faire régner l’ordre lors de conflit entre alliés de l’OTAN ou entre les Etats-Unis et l’Union soviétique, pour empêcher que ces conflits ne prennent des proportions qui pourraient nuire aux relations multilatérales dans lesquelles la bourgeoisie avait tellement investi. Pour la classe dirigeante canadienne, l’arrangement du « maintien de la paix » était au même moment une façon d’augmenter son influence internationale, de contrebalancer l’influence plus importante des Etats-Unis et de garder ses capacités militaires.

La lutte contre la guerre n’avancera pas d’un iota en appelant pour que l’élite canadienne revienne à sa stratégie d’antan. Pour réussir, la lutte contre un impérialisme canadien plus agressif doit être menée sur une base plus élevée et plus solide : la collaboration directe avec les travailleurs des Etats-Unis et à travers le monde dans un mouvement socialiste international qui mettra fin à la guerre, qui s’opposera aux attaques sur les droits démocratiques et qui placera le développement économique sous le contrôle de la classe ouvrière.

(Article original anglais publié le 5 janvier 2007)

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