Un reportage paru dans le dernier Sunday
Times, un journal de Londres, a révélé que l’armée israélienne s’entraînait
pour faire usage d’armes nucléaires tactiques sur les usines d’enrichissement d’uranium
iraniennes, celle de Natanz entre autres. Se basant sur plusieurs sources
militaires israéliennes, l’article écrit que deux escadrilles de l’armée de l’air
seraient impliquées et la préparation de l’attaque serait supervisée par le
commandant de l’armée de l’air, le major général Eliezer Shkedi.
Les hauts responsables israéliens ont
rapidement nié le reportage. Le porte-parole du ministre de l’Intérieur, Mark
Regev, a « officiellement nié » les affirmations du Sunday Times
et réitéré la position officielle qu’Israël voulait une solution diplomatique
et qu’il soutenait la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU du mois passé
imposant des sanctions à l’Iran. Des personnalités en vue du gouvernement et de
l’armée ont averti à plusieurs reprises, toutefois, qu’Israël ne permettrait
pas que Téhéran développe l’arme nucléaire.
Le mois dernier, le premier ministre Ehoud
Olmert a ostensiblement inclus Israël dans la liste des puissances nucléaires
responsables, et en a nommément exclu l’Iran. Jusqu’à ce jour, Israël avait
toujours refusé de reconnaître qu’elle possédait un arsenal nucléaire, que
différents experts évaluent être composée de 80 à 200 ogives. Le commentaire d’Olmert
n’était pas tant une erreur qu’un avertissement calculé et destiné à l’Iran qu’Israël
possédait l’arme nucléaire et qu’il se préparait à l’utiliser pour conserver
son avantage militaire au Moyen-Orient.
Le reportage du Sunday Times indique
que les préparations militaires sont très avancées. « Selon ce qui est
planifié, des bombes conventionnelles guidées par laser ouvriraient des “tunnels”
dans les cibles. Ensuite, des “mini-bombes nucléaires” seraient immédiatement
lancées dans l’usine à Natanz, explosant profondément sous la surface, ce qui
réduirait le risque de retombées radioactives », a déclaré le journal. Plusieurs
parcours sont envisagés et au cours des dernières semaines, des pilotes se sont
entraînés à réaliser une distance de 3200 kilomètres en se rendant jusqu’à
Gibraltar.
« Aussitôt que nous aurons le feu
vert, ce sera une mission, une frappe et le projet nucléaire iranien sera
démoli », a déclaré une source au Sunday Times. Selon le journal,
les cibles comprennent l’usine iranienne de conversion de minerai d’uranium
près d’Ispahan et le réacteur à eau lourde à Arak, qui seraient frappés avec
des armes conventionnelles. « Il ne peut y avoir un succès à 99 pour cent
pour cette mission. Il faut qu’elle soit réussie à 100 pour cent ou aussi bien
ne pas l’entreprendre », a expliqué un des pilotes.
Avec cette fuite, qui est presque certainement délibérée, le
régime israélien cherche à réaliser un certain nombre d’objectifs. Après le
retrait humiliant de l’armée israélienne du Liban l’an dernier, le gouvernement
Olmert est déterminé à adopter une ligne plus dure. L’article du Sunday
Times vise en partie à envoyer un message au Moyen-Orient et au monde qu’Israël
veut utiliser tous les moyens à sa disposition pour écraser tout rival
potentiel dans la région.
Selon le Sunday Times, Israël
justifie l’emploi d’armes nucléaires tactiques par le fait que l’usine
d’enrichissement d’uranium iranienne à Natanz serait protégée par environ 20
mètres de béton et de roc. Toutefois, toute utilisation de bombes atomiques — pour
la première fois depuis l’incinération de Hiroshima et Nagasaki par les Etats-Unis
en 1945 — constituerait avant tout une décision politique, plutôt que
militaire, ayant pour but de réaffirmer la supériorité stratégique d’Israël en
tant que seule puissance nucléaire au Moyen-Orient.
Quiconque jugerait impossible une attaque
nucléaire israélienne sur l’Iran devrait reconsidérer tout ce qu’Israël a fait
et qui était impensable. Durant la dernière année, cet Etat a mené une guerre
d’attrition contre la population des territoires palestiniens. En juillet
dernier, sous le prétexte de libérer deux soldats capturés, Israël a déclenché
une guerre totale contre le Liban, tuant des centaines de civils et
transformant une bonne partie du pays en ruines ; ceci devait être la première
étape d’une opération dirigée d’abord contre l’Iran et la Syrie. Rappelons-nous
aussi que des avions de guerre israéliens avaient attaqué, sans qu’Israël n’eut
été provoqué, un petit réacteur irakien consacré à la recherche à Osirak en
1981.
Ni le gouvernement Olmert, ni
l’administration Bush n’ont fourni de preuve concluante que Téhéran possédait
un programme d’armes nucléaires. Le régime iranien a toujours soutenu qu’il
avait le droit, sous le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), de procéder
à l’enrichissement d’uranium et que son usine de Natanz servirait à fournir le
combustible pour ses réacteurs nucléaires, dont le premier serait bientôt
complété à Bushehr. Israël a ouvertement fait fi des efforts internationaux de non-prolifération,
refusant de signer le TNP ou de permettre l’inspection de ses installations
nucléaires.
Dans ce contexte, les déclarations
ouvertement antisémites du président iranien Mahmoud Ahmadinejad, qui a appuyé,
le mois dernier à Téhéran, une conférence internationale pour ceux qui nient la
Shoah nazie, ont joué directement en faveur des sections les plus à droite et
militaristes de l’élite dirigeante israélienne. Les dirigeants israéliens ont
exploité les appels d’Ahmadinejad à la destruction d’Israël afin d’attiser les
craintes « d’une deuxième Shoah ».
En novembre dernier, afin de consolider son
gouvernement, a intégré Avigdor Lieberman, le chef du parti d’extrême droite Yisrael
Beitenu (Israël est notre maison), à son conseil de ministres en tant que
vice-premier ministre. On lui a accordé le poste tout spécialement créé de
ministre aux Affaires stratégiques, qui consiste à s’occuper des menaces envers
Israël, et particulièrement celles venant de l’Iran. Lieberman, un raciste et
nationaliste de droite, est reconnu pour ses appels à une épuration ethnique
des Arabes israéliens, au bombardement de civils palestiniens et à l’attaque du
haut barrage d’Assouan en Egypte. En 2001, il a ouvertement défendu
l’utilisation d’armes nucléaires contre l’Iran.
La semaine dernière, Lieberman a demandé à
l’ONU d’expulser l’Iran et aux grandes puissances d’agir contre Téhéran. « L’Etat
d’Israël peut se tenir seul devant l’Iran, et il le fera, mais on ne devrait
pas nous le demander », a-t-il affirmé. « Si on permet à l’Iran de
construire des armes nucléaires, le monde libre au complet le paiera très cher.
Israël sera le premier et paiera le plus chèrement, mais l’agressivité
iranienne ne s’arrêtera pas là. »
Lieberman n’est pas le seul à se plaindre que
les sanctions de l’ONU contre l’Iran sont inadéquates. Dans son rapport annuel
publié la semaine dernière, l’Institute for National Security Studies (INSS),
un groupe de réflexion israélien, a affirmé d’un ton sinistre :
« Malgré les inquiétudes croissantes dans la communauté internationale, l’INSS
se demande si des sanctions efficaces seront imposées. Le temps est du côté de
l’Iran et, sans action militaire, la possession d’armes nucléaires par l’Iran
n’est qu’une question de temps. »
Ces commentaires suggèrent une autre raison pour la fuite
au Sunday Times : mettre de la pression sur l’administration Bush
afin qu’elle prenne action contre l’Iran, ou, au moins, qu’elle donne son appui
à Israël pour le faire. Le journal citait les propos du ministre adjoint israélien
à la Défense, Ephraim Sneh le mois passé, disant : « Le moment
approche pour Israël et la communauté internationale de décider si elle va
s’engager dans une action militaire contre l’Iran. » Le Sunday Times
notait également qu’Israël et les Etats-Unis s’étaient réunis à plusieurs
reprises afin de considérer l’option militaire.
Dans un article du New Yorker d’avril dernier, le
journaliste vétéran américain Seymour Hersh a donné les détails d’une
planification de haut niveau à la Maison-Blanche et le Pentagone pour une
attaque aérienne massive contre l’Iran, incluant, mais non limitée, ses
installations nucléaires. L’aspect le plus terrifiant des révélations est le
débat féroce sur l’utilisation d’armes nucléaires tactiques contre des cibles
tel que l’usine d’enrichissement de Natanz.
L’article de Hersh cite un ancien officiel de la défense
qui a révélé que les avions de guerre américains, opérant à partir de
porte-avions naviguant dans la Mer d’Arabie ont fait des vols « de
simulation de mission de bombardement nucléaire – des ascensions rapides
désignées sous le nom « bombardement sur l’épaule » — depuis l’été
dernier… à portée des radars côtiers iraniens ».
L’administration Bush n’a jamais écarté la possibilité
d’attaques militaires contre l’Iran et elle a rejeté la proposition faite par
les membres de haut niveau du Groupe d’étude sur l’Irak de négocier directement
avec l’Iran et la Syrie afin de stabiliser l’Irak. La section la plus
militariste de l’élite dirigeante américaine défend ouvertement la guerre
contre l’Iran. Dans un article paru à la fin de l’an passé étayant la stratégie
néoconservatrice, Joshua Muravchik, de l’Institut pour l’entreprise américaine,
déclarait candidement : « Ne vous y trompez pas, le président Bush va
devoir bombarder les installations nucléaires de l’Iran avant de quitter son
poste. »
Il existe déjà des indications que le Pentagone se prépare pour
une telle éventualité. Au cours des derniers mois, des officiels seniors
américains ont voyagé vers l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe afin de
voir à renforcer leurs liens en matière de défense et de capacité militaires. Une
des raisons évidentes pour de telles discussions est la nécessité de défendre
les bases militaires américaines au Koweït, Qatar et Bahrayn des possibles
attaques de représailles iraniennes dans l’éventualité d’une attaque
américaine.
Les Etats-Unis et l’Angleterre renforcent leur force navale
dans la région. Un second porte-avion américain (le USS John C. Stennis) et des
navires d’escortes doivent entrer dans le golfe Persique plus tard ce mois-ci.
Le président Bush a également pris l’initiative inhabituelle de nommer un
amiral – William Fallon – pour la première fois comme dirigeant du commandement
central qui est chargé de diriger les opérations au Moyen-Orient
incluant l’Iran et l’Irak.
Le colonel à la retraite, Sam Gardiner, a dit au Sunday
Times qu’il croyait qu’une attaque américaine contre l’Iran demeurait une
possibilité. Il a décrit le déploiement d’un second porte-avion et des
démineurs britanniques, « d’énorme affaire ». « Il est
nécessaire de faire une telle action seulement si on planifie de mener une
attaque contre l’Iran et ensuite parer aux éventualités », a-t-il dit, ce
qui inclut la possibilité que l’Iran ferme le détroit d’Hormuz, la voie
maritime qu’emprunte une bonne partie du pétrole mondial.
Quels que soient les motifs précis derrière toutes ces
menaces inquiétantes, les Etats-Unis et Israël plongent dangereusement vers de
nouvelles conflagrations qui incluent la possible utilisation d’armes
nucléaires.
(Article original anglais publié le 8
janvier 2007)