La réponse
officielle du Parti démocrate au discours sur l’état de l’Union prononcé par le
président Bush mardi soir dernier a été donnée par James Webb, le sénateur de
Virginie nouvellement élu, qui était républicain et secrétaire de la marine de
l’administration Reagan.
Le discours
de Webb, d’une durée de huit minutes, a abordé deux questions : la guerre
en Irak et la croissance de l’inégalité économique aux Etats-Unis. Les
critiques par Webb sur la façon dont l’administration Bush mène la guerre en
Irak étaient typiques des démocrates du Congrès. Il a critiqué l’incompétence
de Bush et a présenté la guerre en Irak comme une diversion qui a affaibli la
position des Etats-Unis dans la « guerre au terrorisme » globale,
même s’il était plus outré que la plus grande partie de ses collègues du coût
de la guerre pour les Etats-Unis, tant en terme humain que militaire.
La
discussion du sénateur sur les conditions économiques aux Etats-Unis,
toutefois, est allée beaucoup plus loin que la rhétorique quasi-populiste
qu’utilisent habituellement plusieurs démocrates. Il a clairement parlé de la
division croissante entre les riches et les pauvres et le vaste gouffre qui
sépare les P.D.G. des grandes entreprises des travailleurs ordinaires.
Au début de
ses remarques, Webb a dit qu’il y avait d’autres questions urgentes qui
dépassaient le cadre de son bref discours, y compris « des priorités de la
politique intérieure comme restaurer la vitalité de la Nouvelle-Orléans ».
C’était une attaque sur Bush qui n’a pas dit un mot sur la plus grande
catastrophe naturelle de l’histoire américaine, une omission qui a exposé
l’indifférence complète de la Maison-Blanche face aux besoins de la vaste
majorité de la population américaine.
Webb a
continué : « Lorsqu’on s’attarde à la santé économique du notre
économie, c’est presque comme si nous vivions dans deux pays différents.
Certaines personnes disent que ça n’est jamais allé mieux. La bourse atteint
des niveaux records, ainsi que les profits de la grande entreprise. Mais ces
avantages ne sont pas partagés également. Lorsque j’ai terminé l’université, le
P.D.G. moyen gagnait 20 fois le salaire de l’ouvrier moyen ; aujourd’hui,
c’est presque 400 fois. En d’autres mots, il faut au travailleur moyen plus
d’une année pour gagner autant que son patron fait en une journée. Les salaires
de nos travailleurs n’ont jamais atteint un niveau si bas en terme de la part
de la richesse nationale, même si la productivité des travailleurs américains
est la plus élevée au monde. »
Après avoir
louangé le vote par la Chambre des représentants d’une augmentation du salaire
minimum — une goutte d’eau dans l’océan des besoins sociaux actuels — Webb est
revenu à la question de la guerre en Irak. Il est ensuite revenu sur le thème
de l’inégalité sociale vers la fin de son discours :
« Quant
au déséquilibre économique de notre pays, elle me rappelle la situation qu’a dû
affronter le président Theodore Roosevelt au début du 20e siècle. Les
Etats-Unis étaient à cette époque polarisés selon les classes. Les soi-disant robber
barons ne se gênaient pas pour engranger une très grande partie du
pourcentage de la richesse nationale. Les travailleurs dépossédés en bas
menaçaient de se révolter. »
Dans sa
description des divisions sociales grandissantes aux États-Unis, Webb
présentait des faits qui sont bien connus des médias et de l’élite politique,
mais qui ne sont jamais mentionnées publiquement ou sérieusement analysés à
l’extérieur du World Socialist Web Site.
Il a
utilisé un langage, dont l’expression « divisions de classe », qui a
été pratiquement banni de la politique bourgeoise officielle depuis des
décennies. Des experts et des politiciens de la droite dénoncent fréquemment
l’emploi de la formulation « guerre de classe » pour décrire la
polarisation socioéconomique de la société américaine, déclarant ainsi que les
contradictions de classe aux États-Unis sont si aiguës que le seul fait des les
reconnaître n’est pas permis.
Un homme de
l’armée et de l’appareil d’État, Webb est lui-même un ardent anticommuniste.
L’ancien officier de la marine et vétéran de la guerre du Viêt-Nam a occupé un
poste important au sein de l’administration Reagan. Il est l’un des plus
sérieux représentants de l’élite dirigeante américaine et, en tant qu’auteur de
romans de guerre, est en mesure d’exprimer ses préoccupations.
Ce qu’il a
dit est donc significatif, mais ce qu’il n’a pas dit l’est aussi. Webb a tiré
toutes les conclusions politiques insipides découlant des faits sociaux qu’il a
cités. Il a louangé l’exemple d’un président républicain, Theodore Roosevelt,
qui s’était affiché publiquement contre les excès des riches afin de protéger
le système de profit contre les attaques, décrites par Webb, de
« la démagogie et de la loi de la populace » — c’est-à-dire du
socialisme.
En exposant
la division croissante de classe aux États-Unis, le sénateur démocrate
s’adressait à deux publics. D’un côté, il tentait de ranimer le mythe en
lambeaux du Parti démocrate comme parti du travailleur, tout en canalisant le
mécontentement économique vers le nationalisme et le protectionnisme. Au même
moment, il mettait en garde l’élite dirigeante contre les dangers qu’elle court
par sa rapacité sans bornes.
Les
remarques de Webb de mardi soir ressemblaient beaucoup au commentaire qu’il
avait écrit plus de deux mois auparavant, juste après sa victoire électorale
contre le sénateur républicain sortant George Allen. Encore une fois, le sujet
portait sur la division de classe aux États-Unis et il a choisi la page des opinions
du Wall Street Journal, où son commentaire serait lu par très peu de
travailleurs, mais par beaucoup de membres de l’élite riche.
Dans ce
commentaire, Webb a cité les mêmes statistiques à propos des salaires des
directeurs généraux et des travailleurs comme dans sa réplique au discours sur
l’état de l’Union, faisant remarquer que l’écart continuait de s’aggraver.
« Les élites des États-Unis doivent comprendre cette réalité pour leurs
propres intérêts », a-t-il prévenu.
« Ce
qui va suivre est encore plus inquiétant : Si rien n’est fait, ce partage des
privilèges et des avantages selon la classe a le potentiel de mener à une
période d’agitation politique. Jusqu’à maintenant, la plupart des travailleurs
américains ont été préoccupés par leur perspective d’emploi. Lorsqu’ils
comprendront qu’il y a (et qu’il y avait) des alternatives claires aux
politiques qui ont menées à la dislocation des carrières et de leur avenir, ils
vont exiger des comptes des dirigeants qui n’ont pas été capables de défendre
leurs intérêts. »
Il y a peu
de place à l’imagination dans ce passage : Webb présentait à son auditoire
bien à l’aise, ce qui, pour emprunter le langage utilisé par Bush lors de son
discours sur l’état de l’Union, est le véritable « scénario de
cauchemar » de l’élite dirigeante américaine : le développement d’un
mouvement de masse de la base, provoqué par le fossé toujours plus large entre
l’élite riche et tous les autres, qui pourrait se transformer en un défi
politique à l’ordre social existant.
Les médias
officiels et les cercles politiques ont répondu à ces commentaires en les
ignorant en pratique. Dans son compte rendu de la réplique de Webb pour le
compte du Parti démocrate, le Washington Post n’a publié qu’un paragraphe
de ses commentaires, ne citant qu’une phrase concernant « la classe
moyenne de ce pays… qui perd sa place à la table ». Le New York Times a
publié deux paragraphes, citant la même phrase, comme CNN sur leur site Web.
Le Chicago
Tribune n’a fait aucun commentaire des critiques de Webb sur la
polarisation sociale, ne citant que les passages de Webb sur la guerre en Irak.
L’Associated Press a fait la même chose. Le Los Angeles Times a
rapporté la référence de Webb sur la Nouvelle-Orléans et sa comparaison entre
« le déclin économique des fortunes de la classe moyenne avec la montée en
flèche des salaires des dirigeants d’entreprise. »
Aucune de
ces agences de nouvelles, pas plus que les réseaux télévisés – qui ont diffusé
le discours de Webb dans son entier – n’a fait de commentaire sur la
signification de la comparaison de Webb entre l’Amérique contemporaine et
l’Amérique des Barons du caoutchouc « lorsque l’Amérique, comme
maintenant, se divisait de plus en plus le long de lignes de classe.»
Ce n’est
pas que les présentateurs et les faiseurs d’opinions des médias — dont les
salaires pour la plupart sont plus près de ceux des dirigeants d’entreprises
que de ceux des travailleurs cols-bleus ou cols blancs — soient indifférents
aux implications politiques de ces divisions sociales. Il ne fait pas de doute
qu’il y a eu de nombreuses discussions derrière les caméras, et peut être une
certaine entente avec le fait que l’administration Bush a piétiné trop
cavalièrement les besoins sociaux des travailleurs pour enrichir le déjà très
riche un pour cent. Mais il a des sujets, cependant, qu’il vaut mieux
discuter derrière la scène, plutôt que discutés ouvertement devant l’auditoire
de masse d’un réseau télévisé.
(Article
original anglais paru le 25 janvier 2007)