wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

WSWS : Nouvelles et analyses : Canada

La Cour suprême du Canada renforce la bureaucratie syndicale

Par Keith Jones
2 juillet 2007

Imprimez cet article | Ecrivez à l'auteur

Une décision qu’a rendue le plus haut tribunal canadien plus tôt ce mois est louangée par la bureaucratie syndicale comme étant une « victoire historique » pour les travailleurs. Il n’en est rien.

Par une majorité de six contre un, la Cour suprême a partiellement soutenu une contestation d’une loi anti-ouvrière de Colombie-Britannique comme étant anticonstitutionnelle, invalidant trois sections de la loi sur la base qu’elles violaient le droit à l’association garanti par la Charte canadienne des droits et libertés.

Adoptée par le gouvernement libéral de Colombie-Britannique (CB) en 2002, la Loi sur la provision des services de santé et sociaux a annulé le contrat qui avait été conclu entre l’Association des employeurs de la santé de CB et le Syndicat des employés d’hôpitaux (HEU, Hospital Employees Union) et devait prendre fin en 2004. La loi le remplaçait par un nouveau contrat imposé par décret. Ce nouveau contrat éliminait les contraintes à la sous-traitance et élargissait le pouvoir des gestionnaires de déterminer les conditions de travail. Dans les mois qui ont suivi l’adoption de la loi, environ huit mille emplois dans les secteurs de l’entretien ménager, de la cuisine et de la buanderie dans les hôpitaux ont été donnés en sous-traitance à des compagnies privées.

En jugeant que la loi de CB violait la constitution, la cour a stipulé qu’il n’y avait rien qui empêchait le gouvernement de CB de tenter de réduire les coûts des soins de santé ou de mener une dure négociation.

La cour a aussi confirmé la prérogative des gouvernements fédéral et provinciaux à imposer des conventions collectives au moyen de lois dans des « circonstances exceptionnelles » et à abroger le droit de grève des travailleurs.

Écrivant au nom de la majorité de la cour, le juge en chef Beverley McLachlin et le juge Louis Lebel ont affirmé que la constitution du Canada permet « une interférence dans le processus de négociation collective, par exemple dans des situations mettant en cause des services essentiels ou des aspects vitaux de l’administration des affaires de l’État, ou dans le cas d’une impasse manifeste ou d’une crise nationale ».

Mais le gouvernement libéral de CB, ont stipulé les juges, a dans les faits violé la liberté d’association garantie par la Charte canadienne parce qu’il a déposé une loi sans d’abord tenter de négocier une entente avec le HEU et en adoptant ensuite cette loi en trois jours seulement, rejetant en même temps les appels à négocier de la direction syndicale.

Le gouvernement, a dit la majorité de la cour, n’a pas considéré qu’il ait pu arriver à son but avoué « d’améliorer la prestation des services de santé » en prenant des « mesures moins attentatoires ».

« [U]ne gamme de solutions ont été présentées, [mais le] gouvernement n’a offert aucune preuve expliquant pourquoi il a retenu la solution particulière en discussion dans ce dossier ni pourquoi il n’a pas consulté les syndicats au sujet de la gamme de solutions qui s’offraient à lui. »

En d’autres mots, au lieu de franchement déchirer le contrat existant et d’en imposer un nouveau par dictat législatif, le gouvernement, dit la plus haute cour au Canada, aurait auparavant dû explorer la possibilité que ses objectifs de compressions budgétaires soient atteints avec l’aide de la bureaucratie du HEU.

L’objection de la cour porte sur la façon dont le gouvernement libéral de CB a procédé — déchirant un contrat et outrepassant complètement les représentants reconnus par la loi pour négocier au nom des travailleurs de l’hôpital — et non sur les objectifs réactionnaires du gouvernement. Cela est souligné par son affirmation que le droit de négocier collectivement est un « droit procédural ». Ce droit « ne garantit pas l’atteinte de résultats quant au fond de la négociation ou à ses effets économiques ni l’accès à un régime légal précis ».

Le jugement de la Cour suprême était inattendu, puisqu’il vient explicitement renverser les arguments que la Cour suprême elle-même avait donnés dans trois jugements rendus en 1987, cinq années après que la Charte eut été incluse dans la Constitution.

Dans ses jugements de 1987, la cour avait déclaré que le droit d’association protégé par la Charte ne signifiait pas qu’il existait un droit constitutionnel de négocier collectivement ou un droit constitutionnel de faire la grève.

Après l’imposition par le gouvernement libéral fédéral d’un programme de contrôle des salaires de trois ans en 1975, les gouvernements partout au Canada, tant libéraux que conservateurs, péquistes, néo-démocrates ou créditistes, ont adopté une batterie de lois anti-syndicales qui rendaient les grèves illégales, coupaient les salaires et imposaient des concessions. Les jugements de 1987 de la Cour suprême donnaient le feu vert à une intensification de l’offensive de l’Etat employeur contre la classe ouvrière.

Il est très rare que la Cour suprême renverse un de ses jugements passés, craignant de miner ainsi sa légitimité et son autorité. Mais les juges actuels ont conclu que leurs prédécesseurs s’étaient trompés en jugeant que le droit à l’association n’impliquait pas le droit, protégé par la loi, pour les syndicats de négocier collectivement.

En 1987, alors que la majorité des juges de la Cour suprême avaient jugé que la constitution canadienne ne donnait pas le droit de négocier collectivement, ils ne s’étaient pas entendus sur les arguments justifiant leur position. Parmi les arguments avancés, le plus important était celui statuant que la reconnaissance légale des syndicats était récente et que le droit d’association ne protégeait pas les activités ou les objectifs du groupe, seulement le droit de former une association, d’en être membre et de la soutenir.

En invalidant des parties de la loi de 2002 du gouvernement de CB, la majorité de la cour a longuement réfuté ces arguments, particulièrement la décision de 1987 des juges Le Dain, Beetz et La Forest qui statuaient que le droit de négocier collectivement des syndicats était un « droit moderne » et pas une « liberté fondamentale ».

Le jugement de la majorité présente une version écourtée de l’histoire des relations entre les syndicats, les employeurs et l’Etat au Canada, ainsi qu’aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, les deux collectivités publiques dont les jurisprudences ont le plus influencé celle du Canada. Il soutient que la loi sur les relations en milieu de travail a traversé trois périodes principales : la répression, la tolérance et la reconnaissance des syndicats, affirmant que lorsque la « charte fut promulguée… la négociation collective faisait partie d’une longue tradition au Canada et était reconnue comme partie intégrante de la liberté d’association en milieu de travail ».

Sans être énoncé aussi clairement, le principal argument du jugement de la majorité est que les syndicats et la négociation collective ont joué un rôle important dans la réconciliation de la classe ouvrière avec l’ordre socioéconomique existant. « L’une des réalisations les plus fondamentales de la négociation collective, déclare le tribunal, est de pallier aux inégalités historiques entre employeurs et employés. »

Au cours de la dernière décennie, le National Post, des politiciens conservateurs en vue et d’autres droitistes ont à maintes reprises dénoncé la Cour suprême en soutenant qu’elle avait été assiégée par des « activistes libéraux » ayant pour but de détruire la famille (à cause de divers jugements en faveur des droits homosexuels) ou de renverser les « valeurs canadiennes » traditionnelles.

En réalité, la Cour suprême a joué un rôle crucial dans l’attaque de plus en plus importante de la classe dirigeante contre les travailleurs et les droits démocratiques. Et en ce sens, la décision de la Cour suprême dans l’affaire Chaoulli en juin 2005 est particulièrement significative. Dans un contexte où la population avait repoussé plusieurs fois les tentatives du gouvernement visant à privatiser les services de soins de santé, la cour, par son jugement, offrit à la bourgeoisie canadienne un mécanisme lui permettant de démanteler le système de santé public.

La Cour suprême, dans son rôle de défenseur et de pilier idéologique de l’ordre capitaliste, a fait preuve d’un grand jugement et d’une grande sophistication dans ses jugements les plus litigieux. Ainsi, dans sa décision sur la légalité de la sécession d’une province de l’Etat canadien, elle considéra qu’empêcher directement la sécession se heurterait directement aux traditions démocratiques du Canada. Elle imagina alors un mécanisme de sécession augmentant considérablement les coûts et les obstacles

Dans une récente décision sur les « certificats de sécurité » (qui permettent à l’Etat de détenir indéfiniment tout non-citoyen, sans accusation, et de la qualifier de risque à la sécurité publique sans qu’il ait connaissance des preuves contre lui), la Cour a émis un jugement qui exprimait une profonde inquiétude face à l’affront aux libertés civiles que constituaient les procès secrets et a proposé ensuite une procédure pour les rendre véritablement constitutionnels. (Voir : La Cour suprême du Canada autorise la procédure secrète et la détention arbitraire)

En affirmant qu’il y a un droit constitutionnel à la négociation collective, la cour envoie une mise en garde aux gouvernements : ne vous passez pas inutilement du régime de relations de travail que l’Etat canadien a mis sur pied durant le 20me siècle et qui a servi à contenir et à restreindre la lutte des classes aux étroites limites des négociations contractuelles basées sur l’acceptation de la relation entre salariat et capital; et surtout, ne minez pas inutilement la légitimité des syndicats, qui ont joué et jouent encore un rôle fondamental dans le maintien de l’ordre existant.

Bien sûr, dans des circonstances « exceptionnelles », les gouvernements conservent le droit d’imposer légalement des contrats. Mais ils devraient d’abord utiliser les syndicats pour présenter des « options » aux travailleurs, comme d’innombrables employeurs ont fait

Le jugement de la cour est la reconnaissance que, vingt ans après que ses prédécesseurs eurent jugé qu’il n’existait aucun droit constitutionnel à la négociation, les syndicats ont depuis réagi à la grande offensive sur la position sociale de la classe ouvrière en s’orientant de manière décisive et irrévocable vers la droite. Au Canada, comme à travers le monde, la bureaucratie syndicale s’est intégrée de plus en plus à la partie patronale et est devenue encore plus directement un outil servant à imposer l’élimination des emplois, les diminutions de salaires et le démantèlement des services publics et sociaux. Lorsque malgré tout les travailleurs réussirent à offrir une opposition à l’attaque de la grande entreprise, comme en Ontario en 1997 ou au Québec en 2003, les syndicats étouffèrent leurs luttes.

Dans le cas du Syndicat des employés d’hôpitaux, il se plia d’abord devant la loi de 2002 qui supprimait des emplois et, en 2004, il court-circuita une grève de 400.000 travailleurs des hôpitaux qui menaçait de devenir le fer de lance d’une opposition de la classe ouvrière au gouvernement libéral de Gordon Campbell profondément détesté.

La Cour suprême a laissé un an au gouvernement de la Colombie-Britannique pour se conformer à sa décision du 9 juin. Les libéraux de Campbell n’ont pas encore annoncé comment ils prévoyaient procéder. Ils pourraient simplement rejeter la décision de la cour en invoquant la « clause nonobstant » — une clause de la constitution canadienne qui permet à un gouvernement de passer une motion parlementaire déclarant une action légale même si celle-ci viole la Charte. Ils pourraient aussi entreprendre des négociations avec la bureaucratie du HEU pour en arriver à une entente qui reconnaîtrait la légalité des suppressions massives d’emplois de 2002.

(Article original anglais paru le 27 juin 2007)


Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés