Six soldats canadiens et un interprète ont été tués en
Afghanistan mercredi passé lorsque leur véhicule blindé a été la cible
d’une bombe incendiaire artisanale à quelque vingt kilomètres au
sud-ouest de Kandahar. Ces morts amènent à 66 le nombre des soldats des Forces
armées canadiennes (FAC) tués en Afghanistan, dépassé en cela seulement par les
Etats-Unis parmi les 37 pays qui ont participé à l’occupation de
l’Afghanistan sous direction américaine et soutenue par l’OTAN.
Tous les morts des FAC sauf sept ont eu lieu depuis
l’été 2005, lorsque les troupes canadiennes ont été déployées à Kandahar
et qu’elles ont pris un rôle dirigeant dans la campagne de contre-insurrection
pour soutenir le gouvernement d’Hamid Karzaï mis en place par les
Américains. Il y a eu 31 soldats canadiens tués en 2006 et, à ce jour, 22 en
2007, dont 19 par des bombes artisanales.
Un porte-parole des FAC a déclaré que le nombre croissant
des morts causées par des bombes artisanales est la preuve que les soldats
canadiens ont mis les talibans dans les câbles. « Ils ne peuvent pas avoir
de succès, ils ne peuvent pas gagner » a déclaré le lieutenant-colonel
Jean Trudel, le chef d’état-major des FAC à Kandahar. « Le fait que
nous perdions beaucoup de soldats suite à des attaques par des bombes
artisanales est une indication de succès, dans le sens où les opérations
conventionnelles ont été un succès contre les talibans. »
Les événements de mercredi se sont produits dans le
district de Panjwai, une région dans laquelle les FAC affirment avoir en grande
partie expulsé l’insurrection anti-gouvernementale. Malgré les vantardises
de Trudel, les FAC sont troublées que les talibans aient réussi contre le Nyala
RG-31, un véhicule qui a été développé pour résister aux mines et qui est
considéré par l’armée canadienne comme étant son meilleur véhicule blindé
servant au transport des troupes.
Les élites canadiennes craignent de plus en plus que les
victimes des FAC et le grand nombre des victimes civiles causées par les
bombardements sans discernement de l’OTAN, sans parler de la corruption
et du très mauvais dossier du gouvernement afghan en matière de droits de
l’homme, ne minent l’appui de la population pour
l’intervention militaire canadienne en Afghanistan.
Un sondage de Strategic Counsel ayant eu lieu en mai
avait indiqué que 57 pour cent des Canadiens s’opposaient à la mission
des FAC, alors que seulement 36 pour cent la soutenaient. De plus, il y avait trois
fois plus de Canadiens à s’opposer fermement à la mission (28 pour cent) qu’à
l’appuyer fermement (10 pour cent).
Le journal néoconservateur National Post et le
journal libéral Toronto Star ont tous deux répondu à l’annonce de
nouvelles victimes canadiennes avec des éditoriaux soutenant clairement
l’intervention canadienne en Afghanistan. Les deux éditoriaux
commençaient en dénonçant le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jack
Layton, pour avoir réitéré l’appel de son parti au retrait des FAC de
l’opération de contre-insurrection au sud de l’Afghanistan.
Reprenant des commentaires du premier ministre conservateur
canadien, Stephen Harper, le National Post a accusé Layton
d’« offrir aux talibans la victoire de la propagande ». Le Toronto
Star a répondu aux affirmations de Layton que le déploiement des FAC au sud
de l’Afghanistan est la « mauvaise mission » pour le Canada en
déclarant : « Non. Le Canada a la bonne mission, aussi coûteuse
soit-elle… »
Le Star et le National Post, sans doute les
journaux les plus étroitement associés aux partis libéral et conservateur
respectivement, ont présenté des arguments semblables afin de trouver un appui
pour la guerre : le front de la guerre internationale contre le terrorisme
est en Afghanistan; mettre un terme à la présente mission des FAC avant février
2009 déshonorerait les soldats canadiens qui ont perdu la vie et trahirait les
alliés du Canada ; l’intervention militaire canadienne est une
mission humanitaire ayant pour but d’apporter la démocratie et
d’améliorer la vie du peuple afghan.
Ce n’est pas un hasard si ces arguments rejoignent
ceux que l’administration Bush a donnés pour ses guerres de conquête en
Afghanistan et en Irak, car les buts de l’intervention des FAC ne sont
pas moins prédateurs, même si les ambitions de l’élite patronale et
politique du Canada sont nécessairement plus modestes.
Le développement de l’intervention militaire
canadienne en Afghanistan a deux principaux objectifs : premièrement,
s’attirer les bonnes grâces de l’administration Bush et de
l’élite dirigeante américaine en permettant aux Etats-Unis de concentrer
davantage ses ressources militaires sur les combats contre l’insurrection
en Irak ; en second lieu, et non moins important, défendre les intérêts de
la bourgeoisie canadienne dans le monde, y compris dans la région riche en
pétrole de l’Asie centrale.
Après avoir activement exigé et obtenu un rôle important
dans la guerre en Afghanistan, les FAC jouent maintenant un important rôle dans
le gouvernement afghan alors que des représentants de l’armée et du
gouvernement canadiens collaborent étroitement avec d’importants membres
du personnel et ministres d’Hamid Karzaï (Voir : Les
« ministres canadiens » du gouvernement afghan d’Hamid Karzaï).
Les interventions militaires canadiennes à l’étranger, a déclaré le chef
d’état-major des FAC, le général Rick Hillier, lors d’une entrevue
en 2006, doivent offrir « suffisamment de crédibilité
pour nous donner l’occasion d’avoir des postes de commandement et
d’influencer et de modeler des régions et des populations en accord avec
nos intérêts et en accord avec nos valeurs ».
Ce furent les gouvernements libéraux de Jean Chrétien et
Paul Martin qui lancèrent l’intervention militaire canadienne en
Afghanistan et qui chargèrent plus tard les FAC d’un rôle majeur dans la
guerre néocoloniale de contre-insurrection au sud de l’Afghanistan. Mais
c’est l’actuel gouvernement conservateur minoritaire qui a énoncé
le plus clairement la détermination de l’élite canadienne à devenir une
force géopolitique mondiale et à développer et déployer les FAC dans cette
optique. Au cours de la campagne électorale fédérale de 2006, le premier ministre
Stephen Harper avait affirmé qu’il souhaitait développer l’armée
canadienne jusqu’au point où les grandes puissances du monde devraient en
tenir compte. Il a qualifié les pertes subies par les FAC en
Afghanistan de prix que le Canada doit payer pour devenir un joueur
mondial.
Harper et ses ministres ont signalé à maintes reprises
qu’ils prévoyaient que les troupes canadiennes demeurent en Afghanistan
pour une durée allant bien au-delà de février 2009, l’échéance de
l’actuelle mission des FAC, et de nombreuses fois ils ont soutenu que
l’armée canadienne mènerait fort probablement des guerres à
l’étranger, en Afghanistan et ailleurs, pour plusieurs années à venir.
Lors d’un discours jeudi à Halifax qui présentait les
grandes lignes d’un projet de 3,1 milliards $ visant à remettre à
neuf une douzaine de frégates, Harper a insisté que cela permettra au Canada de
projeter sa puissance à l’étranger et de prendre un rôle de direction
dans l’OTAN ou dans d’autres opérations militaires impliquant
plusieurs nations. « Plus que jamais, a déclaré le premier ministre, nos frégates de la classe Halifax seront d’immenses postes de
commandement capables de défendre le Canada ici et à l’étranger. [...]
L'une des plus importantes mesures de modernisation de nos frégates consistera
à renforcer les centres de commandement et de contrôle, ce qui leur permettra
de diriger les opérations plutôt que de simplement y participer. »
Harper avait déclaré que les pertes
croissantes des FAC en Afghanistan « pèsent lourdement sur ma conscience »,
mais a tout de même réaffirmé l’engagement de son gouvernement dans la
guerre. « Le gouvernement, a affirmé Harper, a été très clair sur la durée
de la mission. »
Le cours militariste de Harper reçoit un fort appui de
l’élite corporative canadienne. Mais l’opposition populaire à
l’intervention des FAC en Afghanistan et à l’administration Bush
sont des facteurs clés de l’échec des conservateurs à obtenir un appui
suffisant pour prendre le risque de précipiter des élections et obtenir une
majorité parlementaire, malgré la couverture médiatique favorable et un budget
fédéral conçu pour s’attirer la faveur de l’électorat.
Certains experts de la presse, prétendent, sur la base
d’une récente déclaration de Harper selon laquelle l’intervention
des FAC en Afghanistan allait se prolonger au-delà de février 2009 seulement
s’il y a un consensus parlementaire fort pour l’appuyer, que le premier
ministre est forcé de se plier à la volonté populaire et qu’il est
maintenant presque certain que les troupes canadiennes vont se retirer en
2009.
En réalité, la déclaration de Harper est un écran de fumée
visant à désorienter l’opposition populaire à la guerre et à donner aux
conservateurs la possibilité de pouvoir dire lors d’une campagne électorale
qu’ils vont prolonger la mission seulement avec l’approbation du
Parlement ou de l’opposition, et ensuite, une fois assurés d’une
majorité parlementaire, déclarer que cela constitue un mandat populaire pour
prolonger le rôle des FAC dans la guerre en Afghanistan. Ou sinon, peut-être
que Harper calcule être en mesure de gagner l’appui des libéraux ou
d’une de ses sections, malgré leurs prétentions actuelles. En mai 2006,
les libéraux se sont divisés sur une motion parlementaire endossant une extension
de deux ans de la mission des FAC, Ignatieff, l’actuel chef de
l’aile parlementaire, prenant la tête d’un quart des libéraux du
caucus à voter pour la motion. Même ceux qui votèrent contre la motion,
incluant Dion, ont dit avoir voté ainsi pour des raisons procédurales.
Les parties de l’opposition, pendant ce temps,
continuent de faire des déclarations mi-figue mi-raisin sur l’Afghanistan
pour en appeler tant à l’élite corporative, dont ils défendent les
intérêts et qui est très favorable à l’intervention des FAC, qu’à
la population, qui y est de plus en plus hostile.
Tant l’opposition officielle libérale que le Bloc
québécois, favorable à l’indépendance du Québec, ont condamné le NPD pour
avoir demandé le retrait immédiat des troupes canadiennes, comme étant
« irresponsable », tout en disant être opposé à la prolongation de la
mission dans le sud de l’Afghanistan au-delà de février 2009. Mercredi,
le chef libéral, Stéphane Dion demandait au Parlement d’aviser
officiellement l’OTAN que la mission des FAC allait se terminer dans 19
mois à compter de ce jour puisque les partis d’oppositions
n’allaient pas appuyer une prolongation. « C’est maintenant
que nous devrions envoyer ce message, a dit Dion. Tant que nous ne serons pas
clairs, ils [les Etats membres de l’OTAN] vont penser que nous allons y
rester. »
Des partisans en vue de la mission des FAC en Afghanistan
ont critiqué la position de Dion, disant que la plupart des Etats membres de
l’OTAN ont régulièrement refusé de déployer des troupes dans le sud de
l’Afghanistan et qu’un retrait des Canadiens en 2009 aurait des
conséquences désastreuses pour la campagne contre-insurrectionnelle et pourrait
augmenter les tensions au sein de l’OTAN à un point de rupture.
Le parti social-démocrate du Canada, le NPD, a appuyé
l’intervention des FAC en Afghanistan, incluant son déploiement à
Kandahar, durant presque 5 ans. Vers la fin août 2006, voulant refaire leur
image ternie de « gauche » et s’attirer des votes, le NPD a cherché
à se repositionner comme un parti anti-guerre, en appelant à un retrait des FAC
de sa mission contre-insurrectionnelle actuelle. Par la suite, le chef du
parti Jack Layton a clairement laissé savoir que le NPD n’était pas prêt
à faire tomber le gouvernement conservateur sur la question de la guerre en
Afghanistan – malgré les tentatives du gouvernement minoritaire
conservateur et de l’élite canadienne d’utiliser l’intervention
afghane pour jeter les bases politiques et militaires pour la participation des
FAC à d’autres guerres dans le futur.