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Allemagne: quel but « La Gauche » cherche-t-elle à atteindre ?

Par Peter Schwarz
20 juin 2007

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La fondation d’un nouveau parti n’est pas chose banale et mérite une attention toute particulière. Ceci vaut également pour le parti « La Gauche » (Die Linke) qui a été fondé samedi 16 juin à Berlin par l’union du Parti de la Gauche.PDS (Parti du socialisme démocratique) et de l’Alternative électorale Travail et Justice sociale (Wahlalternative Arbeit und Soziale Gerechtigkeit - WASG).

Lors de la création de ce parti, les facteurs objectifs ont joué un rôle au même titre que les intentions politiques et personnelles de ceux qui l’ont fondé. Un nouveau parti peut-être capable d’appréhender des changements sociaux survenant sous la surface, de les articuler et de préparer l’avenir. Ou bien il peut être une réaction du passé et devenir un obstacle politique pour le développement des masses. Dans le premier cas, le parti sera efficace, décisif et audacieux ; dans le second cas, conservateur et se traduire par des demi-mesures et des ambiguïtés.

Le parti « La Gauche » entre indubitablement dans la seconde catégorie. Dès sa naissance, il possède les caractéristiques de la vieillesse.

Ceci se trahit à première vue par son aspect extérieur. La moyenne d’âge de ses 72 000 membres est de 65 ans alors que celle des 60 000 membres du Parti de la Gauche.PDS est de 70 ans. La direction du parti se compose de Lothar Bisky (65), Oskar Lafontaine (63), Gregor Gysi (60) et du trésorier Karl Holluba (62), qui tous ont atteint l’âge de la retraite et ont occupé des années durant de hautes fonctions en Allemagne de l’Est et de l’Ouest.

Le terme « nouveau » qui est employé pour décrire La Gauche est trompeur. Sur le plan de l’organisation et de par son héritage, le parti se rattache tout à fait au Parti du socialisme démocratique (PDS) et de son prédécesseur le SED (Parti socialiste unifié d’Allemagne), l’ancien parti d’Etat stalinien de la République démocratique allemande dont il a repris à son compte les appareils et le patrimoine. S’y sont ajoutés une flopée d’anciens membres du SPD (Parti social-démocrate), en grande partie des permanents syndicaux dirigés par l’ancien ministre fédéral des Finances, ministre président du Land de Sarre et maire de Sarrebruck, Oskar Lafontaine.

Sur le plan interne, le nouveau parti présente aussi tous les signes de sénilité et de déclin. Même avant la fondation officielle du parti, une forte aile droite s’était constituée sous le nom de « Forum du socialisme démocratique ».

Le forum prétend parler au nom de fonctionnaires et d’élus du Parti du socialisme démocratique, en l’occurrence de « plusieurs milliers de socialistes démocratiques » qui ont « remporté des mandats parlementaires ou qui occupent des fonctions politiques. » Le forum est dirigé par Stefan Liebich, l’ancien président du siège berlinois du PDS et fervent défenseur de la participation du parti au sénat (législature de Berlin.)

Le document de fondement comporte à présent 449 signatures, y compris celles des trois sénateurs de Berlin, de la majorité du comité directeur du vieux parti PDS, de dix députés du Bundestag (parlement fédéral), des présidents des parlements des Länder de Saxe Anhalt, Berlin, Saxe et Brandebourg ainsi que des présidents des Länder, d’anciens ministres, des préfets de régions et de maires. En déclarant qu’il est indispensable d’établir « un équilibre productif entre la protestation, la prétention de façonner la société et des alternatives démocratiques socialistes allant au-delà des conditions actuelles », le document défend la participation gouvernementale sur le plan régional et communal dans les nouveaux Länder en Allemagne de l’Est.

Le but de cette participation gouvernementale est mis en question, notamment par la WASG. Vu que le parti cherche à se présenter en Allemagne de l’Ouest comme une alternative de « gauche » au SPD pour remporter des mandats, des fonctions et gagner de l’influence, il est plutôt embarrassant pour ce parti s’il collabore étroitement avec le SPD et même avec l’Union chrétienne-démocrate à l’Est où il s’est incrusté depuis longtemps dans les ministères et les gouvernements locaux.

Cette contradiction n’a pas un caractère fondamental. En Allemagne de l’Est, La Gauche se trouve déjà là où elle veut en arriver à l’ouest. C’est pourquoi, elle ne tient pas à ce que soit mise en danger sa « prétention de façonner la société », son « expérience gouvernementale », un euphémisme pour dire en jargon politique, le règlement des affaires du gouvernement bourgeois, par le populisme de gauche tapageur de certains éléphants du WASG. Autrement, comme le forum le précise dans sa déclaration, le parti La Gauche « serait décroché par les exigences de la vraie vie ».

Deux ans de luttes factionnelles internes, d’intrigues et de manœuvres ont précédé la fondation du parti et ont failli à plusieurs reprises pousser l’ensemble du projet au bord de la faillite. Le fait qu’il ait finalement été réalisé est dû à de profonds changements sociaux. Le virage à droite du SPD, la participation à la guerre et les coupes massives dans les acquis sociaux entrepris par le gouvernement Schröder, mais avant tout l’adoption des lois Hartz IV « réformant » les allocations familiales et l’assurance-chômage a alimenté la fuite des adhérents du SPD et aliéné le parti des masses de travailleurs, en laissant un vide politique dans lequel La Gauche s’est engouffrée.

Souvent le parti avait été surpris par son propre succès électoral, comme ce fut le cas dernièrement lors des élections du parlement de la ville-Etat de Brême où pour la première fois il est élu au parlement d’un Etat en Allemagne de l’Ouest avec 8,4 pour cent des voix. Et ceci en dépit du fait (ou plutôt parce que) le candidat tête de liste à Brême n’avait été pas été accepté par la direction nationale du parti et n’avait joui d’aucun soutien de Berlin.

Un sondage d’opinion révèle que 47 pour cent des électeurs d’Allemagne de l’Est accueillent favorablement la fondation du parti La Gauche ; et qu’avec un pourcentage de 27 pour cent le parti se situerait entre le SPD (29 pour cent) et la CDU (25 pour cent) si des élections législatives avaient lieu aujourd’hui.

Les vagues espoirs qui sont liés à la fondation de La Gauche sont toutefois bâtis sur du sable. Le parti est fermement décidé à entraver l’évolution vers la gauche dont il a profité lors des élections pour la faire passer dans le giron du SPD. Sa perspective n’est pas de façonner un nouvel avenir, mais de faire revivre le passé.

Il exploite inlassablement l’illusion que la politique sociale réformiste des années 1970 peut être réanimée à l’époque de la mondialisation. Il ignore ainsi intentionnellement le fait que cette politique a échoué dans le monde entier et que les partis sociaux réformistes sans exception, y compris ses propres organisations régionales qui assument des responsabilités gouvernementales, ont opéré un fort virage à droite.

Chaque fois que les dirigeants du parti s’expriment, le désir de coopérer avec le SPD se fait sentir dès que ce dernier fait un geste de gauche. C’est ainsi que le fondateur de WASG, Klaus Ernst, a annoncé au journal Tagesspiegel de Berlin, « nous poussons le SPD vers la gauche. »

« La Gauche veut reprendre à son compte certaines positions sociales-démocrates que le SPD d’aujourd’hui a abandonnées au grand dam de ses électeurs et de ses adhérents », a poursuivi Klaus Ernst. « Et il y aura des intersections où le SPD se dirigera encore à gauche. De ce fait, il y aura aussi des possibilités pour une politique commune, des coalitions, cela ne fait pas de doute. Les conditions préalables sont toutefois que la social-démocratie subisse un processus de purification interne. »

Il y a autant de chances à ce que le SPD opère « à nouveau un virage à gauche » qu’il y a de chances que le soleil se couche à l’est et se lève l’ouest. Le virage à droite qu’il a opéré sous Gerhard Schröder n’est pas le résultat d’une « trahison » de la part de certains individus, mais de l’impossibilité de réconcilier les antagonismes de classe à l’époque des marchés financiers mondiaux et de production mondiale, tout comme c’est le cas d’ailleurs pour le virage à droite du Parti travailliste britannique opéré sous Tony Blair, celui des socialistes français sous Ségolène Royal ou des démocrates de gauche italiens sous Massimo D’Alema. Ce n’est pas seulement le SPD en tant qu’organisation qui a fait naufrage, mais le programme du réformisme social que le parti La Gauche cherche à présent désespérément à réanimer.

Les paroles de Ernst, un fonctionnaire royalement rémunéré du syndicat IG Metall, trahissent la crainte de la bureaucratie syndicale que le gouffre qui ne cesse de se creuser entre le SPD et la classe ouvrière puisse avoir des conséquences révolutionnaires. Ce n’est pas par hasard que la WASG s’est formée en réaction aux « réformes » des prestations sociales lorsque de nombreux électeurs et adhérents se sont détournés du SPD et que les manifestations du lundi (qui avaient précédé l’effondrement du Mur de Berlin en 1989) ont repris spontanément.

Personne d’autre qu’Oskar Lafontaine, le futur président de La Gauche et qui durant 40 ans avait occupé des postes de responsabilité au sein du SPD, ne comprend mieux cela. Lafontaine sait comment provoquer et faire du bruit pour accroître la crédibilité du parti. Mais derrière ceci se cache un programme social-démocrate de droite. Lui aussi espère entrer au gouvernement aux côtés du SPD. Lors d’une conférence de presse, la semaine dernière, il a déjà posé ses conditions : l’annulation des lois Hartz IV, l’introduction d’un salaire minimum, le retrait des troupes allemandes d’Afghanistan et le rétablissement de l’assiette de calcul des pensions, alors « La Gauche formerait tout de suite un gouvernement », déclara Lafontaine.

La Gauche veut à tout prix éviter que les travailleurs et les jeunes ne tirent des conclusions révolutionnaires de la crise de la société capitaliste et ne se tournent vers une perspective socialiste. C’est pourquoi il encourage l’illusion que le capitalisme peut être réformé. Une telle politique est dangereuse. La frustration qui résulte inévitablement d’illusions déçues et de promesses électorales non respectées forme le terreau qui nourrit les forces de l’extrême droite. Au Mecklembourg-Poméranie et en Saxe Anhalt la participation gouvernementale du PDS avait occasionné un accroissement substantiel des votes pour l’extrême droite du DVU (Union du peuple allemand) et du NPD (Parti national démocrate).

La Gauche dispose d’une fondation qui porte le nom de Rosa Luxembourg. Tout comme les staliniens avaient jadis fait embaumer Lénine en l’exposant publiquement afin d’en chasser l’esprit révolutionnaire, La Gauche honore la mémoire de la grande marxiste Rosa Luxembourg afin d’enterrer son caractère révolutionnaire incisif.

Cela vaudrait la peine de relire ce que Luxembourg écrivait il y a quelque 90 ans au sujet de la fondation du Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne (USPD), l’ancêtre idéologique de La Gauche. « Le Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne était de naissance un enfant faible et le compromis faisait partie de sa nature même, » écrivait-elle. « Il était toujours à la traîne des événements et des développements, ne marchant jamais en tête… Chaque ambiguïté fulgurante semant la confusion dans l’esprit des masses … récoltait son ardent soutien… Un parti de cette nature, qui serait subitement confronté aux décisions historiques de la révolution devait par la force des choses échouer lamentablement… sa politique, ses tactiques, ses principes s’effritant comme du sable. »

Ces mots auraient pu être écrits à l’occasion de la fondation du parti La Gauche. Cette escouade de vieillards n’est pas un trait de lumière sur l’avenir, mais un regard vers le passé, un obstacle politique que la classe ouvrière devra franchir le plus rapidement possible.

(Article original paru le 18 juin 2007)

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