Les Forces armées
canadiennes ont déployé un groupe d’une quinzaine de personnes,
l’Equipe consultative stratégique (SAT, Strategic Advisory Team),
qui travaille « directement avec le gouvernement afghan » pour
imposer les termes dictés par les puissances occidentales.
Le Canada est un
participant clé de l’occupation militaire de l’Afghanistan menée
sous l’égide des États-Unis et de l’OTAN et depuis l’été 2005
est au front de la lutte contre les insurgés. Il soutient pleinement le
gouvernement fantoche d’Hamid Karzaï installé par Washington. C’est un gouvernement composé de seigneurs de guerre coupables
d’exactions contre la population et qui est détesté pour être corrompu et
à la solde des grandes puissances.
La SAT, désignée sous le
nom d’opération Angus par l’armée canadienne, joue un rôle
complémentaire au soutien militaire accordé au gouvernement Karzaï. Bien que
d’origine militaire, la SAT joue un rôle surtout politique. Ses équipes
sont, dans les termes du ministère canadien de la Défense, « intégrées
dans les ministères et les organismes du gouvernement afghan ». Selon le lieutenant-commandant Rob Ferguson, un
des membres de la SAT, « aucun pays n’est placé de façon aussi
stratégique que le Canada pour influencer le développement de
l’Afghanistan ».
La SAT ne relève pas de
l’OTAN ou de la Force internationale d’assistance à la sécurité,
mais se rapporte directement au gouvernement canadien. Elle est encensée par
les chefs de file militaires, politiques et économiques du Canada en tant
qu'exemple à suivre dans la coordination des différentes sections de l’Etat
canadien lors d’interventions militaires à l’étranger visant à
faire valoir les intérêts de l’élite dirigeante.
Le lieutenant-colonel Fred
Aubin, l’adjoint au
commandant de la SAT, voit la SAT comme l’embryon d’une initiative
plus large du gouvernement canadien. « Le gouvernement afghan est très
coopératif » avec la SAT, a-t-il dit. « A un moment donné, je suis
certain qu’ils vont élargir [la SAT] et qu’il y aura une
augmentation du nombre des civils lorsque la sécurité se sera améliorée. »
Il est difficile
d’obtenir des informations exactes sur les activités de la SAT.
C’est seulement depuis fin 2006 que l’armée canadienne, face à une
opposition populaire grandissante à l’opération militaire en Afghanistan,
a entrepris de faire connaître plus largement l’existence de la SAT.
Le but avoué du plan de
communication de l’armée est de « démontrer à la population
canadienne la contribution de la SAT au développement à long terme de
l’Afghanistan, tout en protégeant la crédibilité de la SAT aux yeux du
gouvernement et de la population afghane », selon des documents internes
de l’armée canadienne aujourd’hui publics.
Ceci implique que les
informations dévoilées seront nécessairement déformées pour satisfaire aux
impératifs de la propagande pro-gouvernementale. Par exemple, les documents de
l’armée aujourd’hui publics établissent que c’est à
l’initiative du chef de l’état-major canadienne, le général Rick
Hillier, que la SAT fut formée, mais les communiqués de presse du ministère de
la Défense soulignent toujours que la SAT est en Afghanistan à la demande du
gouvernement afghan.
Malgré la nature tronquée
des informations, il est possible d’établir certains faits hors de tout
doute, le principal étant qu’une équipe canadienne travaille aux plus
hauts niveaux du gouvernement afghan, en contact étroit avec le bureau du
président afghan Karzaï.
Selon le livre Canada
in Afghanistan, écrit par Peter Pigott, un fonctionnaire du
ministère des Affaires étrangères, la SAT « a reçu le mandat du président
Karzaï personnellement pour aller partout au pays et tout enquêter…
[E]lle travaille au niveau ministériel dans tous les ministères et est en
relation presque quotidienne avec les Nations unies, la Banque mondiale, les
principaux pays donateurs [entre autres, les Etats-Unis, le Japon et
l’Inde] et l’OTAN. »
L’équipe de la SAT
est composée principalement d’officiers de l’armée canadienne
spécialisés dans la planification ainsi que de responsables de
l’ambassade canadienne. Selon des documents internes de l’armée, « Le
ministère canadien des Affaires étrangères, par son ambassade à Kaboul, est
très impliqué dans les activités de la SAT alors que l’Agence canadienne
de développement international (ACDI) a offert un expert en développement à
l’équipe. »
L’Afghanistan est
le principal bénéficiaire de l’aide étrangère canadienne et héberge
l’une des plus grandes ambassades canadiennes. En excluant les coûts de
la mission militaire canadienne qui atteignent environ quatre milliards de
dollars à ce jour, le Canada est un des principaux bailleurs de fonds pour le
gouvernement de Kaboul et a dépensé et continuera à dépenser plus de 100
millions de dollars par année de 2001 à 2011. D’autres agences
gouvernementales canadiennes, comme la Gendarmerie royale du Canada,
contribuent au développement des forces sécuritaires afghanes.
La SAT est impliquée dans
plusieurs ministères du gouvernement afghan. Elle travaille avec le ministre
afghan de la Justice à la rédaction de lois et avec le gouvernement sur son
plan de communication stratégique, tant pour l’intérieur que pour
l’étranger. La SAT a organisé et guidé Karzaï et d’autres officiels
afghans pour des visites au Canada, où l’intervention canadienne était
louangée.
Mais de façon plus
importante, la SAT a comme fonction de superviser les progrès de
l’Afghanistan selon les termes du Pacte de l’Afghanistan (Afghanistan
Compact), qu’elle a contribué à développer en collaboration avec
l’ambassadeur canadien.
Le Pacte de
l’Afghanistan est une entente intervenue à la fin de 2005 et formalisée
le 31 janvier 2006 entre les grandes puissances sur les développements attendus
en Afghanistan.
Il est clair de la
lecture de l’entente que l’Afghanistan demeurera un protectorat
pour les années si ce n’est les décennies à venir, dépendant pour sa
sécurité et pour le financement de l’Etat des puissances impérialistes.
L’objectif des mesures développées dans le Pacte de l’Afghanistan
est de créer un environnement social, gouvernemental et économique propice à
l’investissement étranger et aux intérêts géopolitiques des puissances
occupant aujourd’hui le pays.
La SAT travaille en
étroite collaboration avec Ishaq Nadiri, un économiste américain
d’origine afghane et principal conseiller économique de Karzaï, à la
réalisation des objectifs principaux du Pacte. Pour ce faire, la SAT est aussi
très impliquée avec le ministère de l’Agriculture et du Développement
rural, par qui transige une grosse part de l’aide étrangère.
La création d’une unité militaire spéciale dont le rôle
est de « diriger de l’arrière », dans les mots d’un des
membres de l’équipe, va de pair avec le transfert des troupes canadiennes
de Kaboul vers Kandahar en 2005.
Les élites canadiennes ont tiré comme leçon
de l’intervention canadienne en Bosnie à la fin des années 1990 que le
Canada n’avait pas l’influence et la reconnaissance qui lui
revenait en vertu de sa contribution militaire. « Nous n’avions pas
d’influence décisive ou d’effet décisif qui aurait donné une bonne
influence au Canada dans les Balkans », a dit Hillier, le chef
d’état-major canadien, dans une entrevue qu’il accordait à Jane’s
Defence Weekly en 2006. Il a continué en disant chercher à obtenir pour les
missions canadiennes à l’étranger « suffisamment de crédibilité pour
nous donner l’occasion d’avoir des postes de commandement et
d’influencer et de modeler des régions et des populations en accord avec
nos intérêts et en accord avec nos valeurs ».
L’opération militaire à Kandahar, un
des bastions des talibans et de l’opposition à l’occupation, est
précisément le type d’opération donnant de la « crédibilité »
au gouvernement du Canada.
Dans un témoignage qu’il a livré devant
le comité parlementaire fédéral sur la défense nationale le 31 mai 2007, le
général Hénault, aujourd’hui président du Comité militaire de
l’OTAN et précédent chef de l’état-major canadien, a indiqué que « Le
Canada est vu comme étant un pays des plus compétents pouvant faire preuve de
leadership en Afghanistan. »
L’opération militaire canadienne en Afghanistan est
considérée dans les hautes sphères canadiennes comme une mission permettant de
donner une position de force à la puissance moyenne qu’est le Canada dans
le « Grand Jeu » qui se joue en Afghanistan pour le contrôle des
ressources et l’influence géostratégique.
En particulier, le Canada qui aspire à devenir une superpuissance
énergétique est intéressé au contrôle du pétrole du bassin de la mer Caspienne.
Le potentiel minier de l’Afghanistan est aussi d’un grand intérêt
pour les compagnies canadiennes très actives dans ce secteur industriel.
D’un côté, les soldats sont utilisés comme chair à canon
pour obtenir le respect que l’on donne au « prix du sang » dans
les instances dirigeantes mondiales, avec d’immenses coûts pour la
population civile afghane, y compris la subjugation économique et politique de
leur pays. De l’autre, le Canada déploie une équipe ayant des pouvoirs
similaires à ceux de ministres auprès du gouvernement Karzaï
pour influencer et modeler la région en accord avec ses intérêts stratégiques
fondamentaux.