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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

L’« extrême gauche » française ne tire aucune leçon des élections présidentielles

Par David Walsh
9 mai 2007

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Les premières déclarations faites par la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) et Lutte ouvrière (LO), composantes de la soi-disant « extrême gauche » en France, montrent que ces organisations n’ont rien compris et n’ont pas tiré la moindre leçon des élections présidentielles.

Dimanche dernier, Nicolas Sarkozy, candidat de droite de l’UMP (Union pour un mouvement populaire) a battu Ségolène Royal du Parti socialiste par 53 pour cent contre 47. Un taux de participation record a été enregistré.

La LCR et LO ont tous deux soutenu Royal au second tour des élections présidentielles. En effet le 22 avril, à peine les résultats étaient-ils annoncés que Sarkozy (avec 31 pour cent) et Royal (26 pour cent) allaient se retrouver au second tour, qu’Olivier Besancenot de la LCR et Arlette Laguiller de LO, les candidats présidentiels de leur parti respectif, donnaient déjà des consignes de vote en faveur de la candidate du Parti socialiste.

Besancenot qui avait recueilli 4,1 pour cent du vote le 22 avril, soit quelque 1,5 million de voix, a déclaré que « le second tour sera un référendum anti-sarko ». Laguiller, qui se présentait à sa sixième et dernière élection présidentielle, a vu son score chuter de 5,7 pour cent en 2002 à 1,3 pour cent cette fois-ci (près d’un demi-million de voix.) Dès le soir du premier tour, Laguiller a appelé à voter Royal en expliquant qu’elle le faisait « sans réserve, mais sans la moindre illusion » dans ce que la candidate du Parti socialiste et ses collègues feraient s’ils étaient élus.

Ni Besancenot ni Laguiller n’ont attendu de voir sur quel programme et quelle politique Royal affronterait le second tour. Aucun des deux n’a été capable d’indiquer en quoi le programme de Royal différait substantiellement de celui de Sarkozy. Royal a mené sa campagne sur un programme des plus droitiers de l’histoire du Parti socialiste français, en se drapant dans le drapeau tricolore, en entonnant l’hymne national et en faisant sienne l’identité nationale. Elle n’a fait aucun effort significatif pour changer le terrain politique de la campagne et abandonner les thèmes de l’autorité, de la « discipline », de la loi et de l’ordre, du tout sécuritaire et du patriotisme, et elle n’a rien proposé aux jeunes, aux chômeurs, aux immigrés.

Royal a rivalisé avec Sarkozy dans son insistance sur le besoin de rendre la France et l’Europe « compétitives » ce qui veut dire supprimer les droits des travailleurs et abaisser le niveau de vie. Elle a déclaré que « l’Europe doit se battre aussi pour une politique industrielle à l’instar de ce que font les Etats-Unis et les grands continents émergents. » Elle a prôné le recours à l’armée pour éduquer les jeunes délinquants et était d’accord avec Sarkozy pour que les jeunes fassent un service civique obligatoire de six mois, qui pourrait se faire dans l’armée. Concernant la question des prestations sociales, Royal s’est fait l’écho des politiciens de droite Reagan-Thatcher en déclarant « chaque droit nouveau, entraîne un devoir nouveau. »

Elle n’a ni attaqué ni proposé d’abroger les diverses mesures antiterroristes et antidémocratiques qui ont déjà été votées ces dernières années, bon nombre d’entre elles ayant été parrainées par Sarkozy. Dans l’ensemble, les différences existant entre les programmes des deux candidats étaient minimes.

Pourquoi la classe ouvrière devrait-elle soutenir une telle candidate dont le programme s’adresse à l’élite dirigeante française et défend ses intérêts? Il n’y a rien de « socialiste » dans le Parti socialiste français, mis à part son nom, ni rien de particulièrement « à gauche » dans son programme. C’est l’un des principaux partis bourgeois du pays auquel les affaires de l’Etat français ont été confiées périodiquement et en toute confiance au cours de ces deux dernières décennies et demie.

La LCR de Besancenot s’est servie de la victoire de Sarkozy dimanche soir pour opérer un virage encore plus à droite de la politique de son parti. Au moment où Royal déclarait que sa défaite nécessitait un nouvel engagement vers le « centre », en direction de l’UDF (Union pour la démocratie française) de François Bayrou et d’autres partis bourgeois, Besancenot  affirmait que « face au programme ultra libéral sécuritaire d’un Sarkozy, un front unitaire de toutes les forces socialistes et démocratiques soit immédiatement disponible pour organiser la riposte. »

Bien que ne l’ayant pas dit ouvertement, il veut dire par là « unité » avec les staliniens du Parti communiste, les Verts et des sections mécontentes du Parti socialiste. C’est précisément cette même politique qui a laissé aujourd’hui la classe ouvrière dans cette situation difficile, sa subordination aux bureaucraties staliniennes et social-démocrates pourries, qui est censée être poursuivie comme si de rien n’était.

Besancenot a maintenu la démagogie de la LCR en appelant à battre Sarkozy « dans la rue comme dans les urnes. »

Laguiller de Lutte ouvrière a reconnu dans sa déclaration du 22 avril que Royal, tout autant que Sarkozy, appartenait au « camp du capital », « au camp des spéculateurs, des exploiteurs et des licencieurs et en sont de bons et loyaux serviteurs. » Ni Royal, ni Sarkozy ne feront rien d’autre que « favoriser la grande bourgeoisie. » Alors pourquoi donc faudrait-il voter pour l’un ou l’autre de ces individus ?

Dimanche, sitôt après les résultats, Laguiller reconnaissait que « le programme de Ségolène Royal n’aurait rien changé aux problèmes fondamentaux qui accablent aujourd’hui les classes populaires » en ajoutant que « le bulletin de vote n’est qu’un chiffon de papier. » De la part de quelqu’un qui a recueilli des centaines de milliers, voire des millions de tels « chiffons de papier », il y a là un certain cynisme. Lorsque Laguiller se met ensuite à parler des « luttes » à venir, c’est totalement vide de contenu politique.

Après le premier tour des élections, Laguiller avait annoncé qu’elle voterait pour Royal par solidarité « aux souhaits qui sont sans doute ceux de la majorité du monde du travail, » à savoir les électeurs de la classe ouvrière qui votent pour le Parti socialiste.

Toutefois, contrairement à Laguiller, peu de travailleurs semblent avoir vu une grande différence entre Royal et Sarkozy. Environ 46 pour cent des cols bleus ont voté pour Sarkozy, et en général 44 pour cent de gens d’origines plus modestes. Ceci représente-t-il un tournant spectaculaire vers la droite ? Non. La population française était confrontée à deux candidats de droite, deux représentants du patronat, déterminés à poursuivre une guerre contre le niveau de vie, les droits démocratiques des travailleurs et les programmes sociaux.

Il aurait été tout à fait justifié que l’« extrême gauche » appelle la classe ouvrière à boycotter le second tour des élections en expliquant la nécessité d’un parti socialiste authentique. Au lieu de cela, Laguiller et Besancenot ont rejoint les rangs de l’une des ailes de l’establishment politique français.

Ce n’est pas nouveau. En 2002, après que Jacques Chirac et le néo-fasciste, Jean-Marie Le Pen, se soient trouvés en première et en seconde position au premier tour des élections présidentielles, la gauche française dans sa grande majorité avait voté pour Chirac au second tour. Le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts et la LCR avaient ouvertement appelé à voter Chirac, le représentant corrompu invétéré de la bourgeoisie française. Laguiller et Lutte ouvrière s’étaient abstenus et, politiquement parlant, avaient couru se cacher.

Lutte ouvrière, la LCR et le Parti des travailleurs (anciennement l’OCI de Pierre Lambert) avaient recueilli ensemble près de 3 millions de voix au premier tour de 2002. Leurs partisans qui avaient cru voter pour un véritable changement social, furent alors canalisés dans le mouvement pro-Chirac au second tour. Cette fois, bon nombre d’entre eux ont pris la décision logique de voter pour « le moindre mal » dès le premier tour.

En 2007, l’« extrême gauche » française a, en grande partie, eu ce qu’elle méritait. Finalement, les organisations qui ne se prennent pas elles-mêmes au sérieux, ne sont pas prises au sérieux par la population. Au total, l’ensemble des voix exprimées pour LO, la LCR et le PT, a chuté de près d’un tiers (de 2,97 millions à 2,11 millions) et leur pourcentage est tombé de près d’un demi-million de voix (de 10,44 pour cent à 5,7 pour cent).

(Article original anglais paru le 8 mai 2007)

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