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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

Une trahison historique envers les travailleurs de l’automobile

Le syndicat des Travailleurs unis de l’automobile capitule devant le démantèlement de Chrysler

Par Jerry White
18 mai 2007

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Le constructeur automobile allemand DaimlerChrysler a annoncé lundi qu’il acceptait de vendre une part majoritaire de la compagnie nord-américaine Chrysler Group à la firme d’investissement privée Cerberus Capital Management pour 7,4 milliards $. La vente ouvre la voie au découpage du constructeur automobile de 80 ans et à une attaque massive sur les emplois, les salaires, les régimes de soins de santé et de retraite des 80 000 employés de Chrysler aux Etats-Unis et au Canada.

Avant même que DaimlerChrylser n’annonce officiellement la transaction lors d’une conférence de presse en Allemagne, le syndicat des Travailleurs unis de l’automobile (TUA/UAW) a émis une déclaration approuvant la vente de la compagnie à des spéculateurs de Wall Street, affirmant que c’était « dans le meilleur intérêt de nos membres de les UAW, de Chrysler Group et Daimler ».

Le chef de la direction de DaimlerChrysler, Dieter Zetsche, a fait, dès ses premiers commentaires à la presse, l’éloge des TUA pour leur appui. La capitulation du syndicat a été si rapide et si servile qu’elle a clairement pris par surprise certains analystes financiers et de l’industrie.

Chrysler est vendu à un groupe de spéculateurs financiers qui n’ont aucune expérience et, en fait, très peu d’intérêt dans la production automobile. La firme d’investissement de 24 milliards $ se spécialise dans l’acquisition à rabais de compagnies déficitaires, leur imposant un « plan de redressement », c’est-à-dire qu’elle sabre dans les emplois et les avantages sociaux et cannibalise les compagnies, afin de les revendre avec un énorme bénéfice sur le coût d’achat. Elle a une longue histoire remplie de telles opérations, allant des compagnies aériennes aux fournisseurs automobiles et aux entreprises de détail aux Etats-Unis.

Menant essentiellement ses opérations sans qu’elles ne soient contrôlées par des régulateurs, Cerberus est une entreprise hautement secrète dirigée par l’ancien soldat américain et financier de fonds spéculatifs, Stephan Feinberg. Cerberus parcourt le globe à la recherche de compagnies qu’elle peut acheter à bas prix pour ensuite les dégraisser impitoyablement ou les vendre par morceaux afin de maintenir un retour sur l’investissement de 22 pour cent. Elle possède des parts minoritaires ou majoritaires dans de nombreuses compagnies, incluant les supermarchés Albertson’s, le fournisseur automobile ADX et Air Canada, pour n’en nommer que quelques-unes. Dans chaque cas, Cerberus a mis en place des directeurs qui ont attaqué les salaires et les régimes de retraite de leurs employés.   

La firme d’investissement privée a de très bons contacts politiques, comptant parmi ses plus importants représentants des membres haut placés du Parti républicain tels que l’ancien secrétaire au Trésor de l’administration Bush, John Snow, et l’ancien vice-président Dan Quayle. L’une des compagnies de Cerberus, l’entrepreneur militaire IAP Worldwide Services, a été impliquée dans le scandale entourant les conditions insalubres à l’hôpital Walter Reed de Washington DC. Deux membres de la direction chez IAP sont d’anciens hauts représentants de Halliburton, le géant de l’énergie qui était dirigé par Dick Cheney avant que celui-ci ne devienne vice-président des Etats-Unis.

Bien que de tels prédateurs et pilleurs d’entreprise existent depuis des décennies dans les industries de l’acier, de l’aéronautique et des mines, l’acquisition de Chrysler par Cerberus est la première fois que l’un des plus grands constructeurs automobile mondiaux est acheté par une entreprise de capital d’investissement. L’acquisition d’un constructeur automobile du « Big Three » américain par une telle organisation ouvre la voie à une destruction sans précédent des acquis des travailleurs dans toute l’industrie de l’automobile américaine.

Les constructeurs américains de l’automobile ont supprimé près de 700 000 emplois au cours des trois dernières décennies, mais les investisseurs de Wall Street, qui ont réussi à obtenir d’énormes retours sur le capital grâce à diverses formes de manipulations financières, réclament la suppression d’encore plus d’emplois, des coupures dans les salaires encore relativement élevés dans l’industrie, et demandent qu’on laisse tomber les milliards de dollars en régime de soins de santé et de retraite qui sont dus aux travailleurs et à leurs familles.

L’acquisition de Chrysler par Cerberus sera officialisée plus tard dans l’année, pendant que l’on discute d’un nouveau contrat de travail avec les Travailleurs unis de l’automobile. Bien que les détails n’aient pas encore été rapportés, il est presque certain que, avant que Chrysler ne soit vendu, les TUA avaient promis d’offrir d’importantes concessions à la nouvelle compagnie. Du même coup, General Motors et Ford vont se servir du démantèlement de Chrysler comme d’une matraque pour imposer leurs propres concessions sur les travailleurs. De manière significative, la famille Ford a soulevé la possibilité de faire comme DaimlerChrysler et vendre une partie des parts qu’elle détient dans ce constructeur automobile déficitaire.

Durant plusieurs années, Cerberus – bien nommé d’après un monstre mythologique à trois têtes qui garde les portes de l’enfer – a fait discrètement l’acquisition de capitaux du secteur de l’automobile jusqu’à devenir un acteur important, capable d’utiliser son pouvoir pour refaçonner l’industrie. L’année dernière, la compagnie a déboursé 7,4 milliards $ pour s’assurer une participation majoritaire dans GMAC, la division financière de General Motors, qui devrait fusionner avec la compagnie de financement de Chrysler.

Cerberus a récemment retiré une offre d’acquisition de Delphi, le deuxième constructeur mondial de pièces automobiles, présentement sous le chapitre 11 de la loi sur la faillite, après ne pas avoir obtenu des coupes assez brutales de la part des TUA. Son premier projet dans l’industrie automobile, l’achat du fournisseur GDX, a été suivi par ce que la compagnie qualifie de « plan de redressement agressif des opérations en Amérique du Nord et en Europe ». Des coupes draconiennes imposées l’année dernière à une usine du Québec au Canada avaient provoqué des manifestations de la part des membres du Syndicat des métallurgistes unis.

En février dernier, afin essentiellement de faire augmenter le prix de vente de ses installations nord-américaines, DaimlerChrysler a annoncé la suppression de 13 000 emplois et la fermeture d’au moins une de ses usines.

La nouvelle compagnie, renommée Chrysler Holding, gardera dans ses rangs le directeur général de Chrysler, Tom Lasorda, qui supervise les présentes opérations de dégraissage, et aurait engagé Wolfgang Bernhard qui, en tant que directeur de l’exploitation chez Chrysler entre 2000 et 2004, a joué un rôle-clé lorsque la compagnie a supprimé 26 000 emplois et fermé six usines. Le plus haut cadre de Cerberus dans le secteur de l’automobile, David Thursfield, ancien responsable des achats au niveau international chez Ford, dirige le plan de redressement d’ADX.

 « Ce qui les intéresse ce n’est pas la santé, c’est l’argent », a déclaré au journal  Detroit Free Press Gerald Meyers, ancien directeur général d’American Motors Corp. et présentement professeur en gestion d’entreprise à l’Université du Michigan. Il y a au programme d’importantes coupures et des mises à pied massives, a-t-il affirmé, ajoutant que « Ça va faire mal au sud-est du Michigan et en Indiana » et dans les autres communautés où Chrysler possède des usines.

De plus, a déclaré Meyers, les retraités devraient s’attendre à ce que les nouveaux propriétaires tentent de couper dans les régimes de santé et de retraite. « Il va y avoir un massacre », anticipe Meyers. « Plus ils pourront en imposer aux salariés des TUA, plus ils feront deS profits. »

Face à ces attaques, le syndicat des Travailleurs unis de l’automobile a une fois de plus démontré sa totale inutilité pour la défense des emplois, des salaires, des conditions de travail et du niveau de vie des travailleurs de l’automobile. Comme le prouve leur complicité dans cette attaque historique sur les travailleurs de l’automobile, les TUA servent d’adjoint aux patrons de l’industrie et à Wall Street, afin de protéger les gros salaires et comptes de dépenses des bureaucrates qui contrôlent l’organisation.

Il y a un mois seulement, le président des TUA, Ron Gettelfinger, indiquait que le syndicat s’opposait à la vente de Chrysler à une société d’investissement privée, disant que de telles compagnies ne visaient qu’à « accroître leur richesse en dépouillant les compagnies ».

A la conférence de presse de lundi après-midi, Gettelfinger a plusieurs fois défendu la capitulation de son syndicat en disant qu’il devait se contenter des « cartes qu’on lui avait distribuées ». Il a admis, toutefois, qu’il a endossé l’entente sans jamais avoir rencontré les dirigeants de Cerberus.

Plutôt, le président des TUA a dit qu’il avait rencontré des représentants de DaimlerChrysler dimanche soir, qui l’ont informé de la vente imminente. Gettelfinger a dit qu’il endossé l’entente parce que les dirigeants de DaimlerChrysler lui ont donné l’assurance que Cerberus ne démantèlerait pas la compagnie.

Le président des TUA a dit que lorsque les représentants du syndicat rencontreront les dirigeants de Cerberus mardi, « Nous nous attendons à entendre les engagements qui nous ont été transmis par DaimlerChrysler. » Saluant l’accord encore une fois, il a ajouté : « Il y aura injection de capital dans la compagnie et beaucoup de choses vont se produire qui vont permettre d’aller de l’avant. Nous devons croire qu’ils sont très préoccupés par l’avenir de l’industrie automobile américaine. »

La prostration et la couardise de la direction des TUA sont symbolisées par Robert Denison, l’ancien représentant international des TUA pour Chrysler, qui a dit à  Detroit Free Press : « La grande entreprise nous contrôle. Nous ne les contrôlons pas. »

Prenant la parole lors d’une conférence de presse du syndicat, le vice-président responsable de Chrysler, General Holiefield, a déclaré que les membres des TUA étaient « enthousiastes » à l’égard de l’entente intervenue avec Cerberus. « Le sentiment général chez les membres, a-t-il dit, est qu’ils accueillent cette occasion ». Comme tout ce qui a été dit par les responsables des TUA à la conférence de presse, c’était là un mensonge.

Les ouvriers de Chrysler sont très conscients que ces aventuriers financiers prenant le contrôle de leur compagnie le font pour engranger les profits réalisés en condamnant au dénuement des dizaines de milliers de travailleurs et leur famille. Un ouvrier de l’usine de Chrysler à Warren dans l’état du Michigan, où plus de mille emplois sont éliminés, a dit au World Socialist Web Site : « Les travailleurs savent que cette nouvelle compagnie veut notre malheur. Les commentaires de Gettelfinger m’ont surpris. Il ne parle pas dans notre intérêt. Le syndicat nous a complètement vendu et on ne peut pas compter dessus pour quoi que ce soit. Mais il faut faire quelque chose pour lutter pour nos emplois et nos vies. »

Le soutien instantané de Gettelfinger semble avoir été motivé par un désir de calmer les investisseurs et de faire augmenter la valeur des actions de la compagnie.

S’inquiéter des propriétaires patronaux et non des emplois et du niveau de vie des membres du syndicat est depuis longtemps un trait caractéristique de la bureaucratie des TUA, qui a collaboré avec les patrons de l’industrie automobile dans la destruction de centaines de milliers d’emplois depuis le sauvetage de Chrysler et les concessions salariales imposées aux travailleurs en 1979. On ne peut que présumer que les TUA se sont fait donner l’assurance par la direction de DaimlerChrysler que les privilèges et les avantages de la bureaucratie ouvrière seraient protégés dans la nouvelle compagnie.

Un scénario possible qui a été discuté ces derniers mois dans des publications comme le Wall Street Journal est que les compagnies automobiles vont céder aux TUA le contrôle des fonds d’assurance-maladie valant plusieurs milliards de dollars. Cela offrira un flot d’argent à la bureaucratie syndicale, tout en donnant aux fabricants automobiles la chance de se débarrasser de leurs engagements et de transférer au syndicat la tâche consistant à couper les prestations d’assurance-maladie des syndiqués retraités et de leurs familles.

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