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Allemagne : Il faut soutenir les grévistes de Deutsche Telekom ! Il faut construire un mouvement de masse contre la grande coalition allemande

Déclaration du comité de rédaction
25 mai 2007

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La grève des travailleurs de Deutsche Telekom qui a débuté cette semaine et qui a été précédée par un vote soutenu à 96,5 pour cent par les salariés syndiqués soulève des questions cruciales.

La direction de l’entreprise a décidé d’externaliser 50.000 emplois vers une filiale à bas salaire mise en place par la compagnie dans le but avéré d’imposer une réduction des salaires de l’ordre de 40 pour cent et d’allonger le temps de travail. Cette décision annonce une offensive d’un nouvel ordre à l’encontre des salaires et des conditions de travail de l’ensemble des travailleurs de l’industrie et des services.

La décision prise par la direction jouit du soutien de l’organisation patronale allemande qui espère que la direction de Telekom pourra écraser la grève et permettre ainsi à d’autres entreprises d’imposer des mesures identiques préparées de longue date.

En d’autres termes : les grévistes de Telekom représentent le fer de lance d’une lutte contre des attaques visant à imposer le genre de salaire et de conditions de vie qui prévalaient du temps de nos aïeux.

Dans le même temps, la grève ne vise pas seulement la gestion agressive de Telekom, mais également le gouvernement de grande coalition en Allemagne (Parti social-démocrate, SPD, Union chrétienne-démocrate, CDU et Union chrétienne-sociale, CSU) qui soutient la position de Telekom. Bien que l’entreprise ait été récemment privatisée, le gouvernement détient encore 32 pour cent des actions disposant ainsi d’une minorité de blocage.Des représentants du gouvernement siègent au conseil d’administration de Telekom et usent de leur influence pour multiplier des attaques sans précédent contre les salaires et les conditions de travail.

Nous appelons tous les travailleurs à soutenir cette grève comme point de départ d’une vaste mobilisation politique contre le gouvernement de grande coalition.

Le syndicat des travailleurs de Telekom, Verdi, n’est pas prêt à mener une telle lutte politique. Au lieu de cela, les bureaucrates syndicaux essaient de contenir la grève et de l’isoler pour que le mouvement s’épuise. Dès le départ, la grève n’était organisée que pour les 50.000 employés qui sont directement menacés de transfert vers la nouvelle filiale du groupe, ce qui se traduirait par une réduction massive des salaires. Ce chiffre ne représente que le cinquième de l’effectif de la plus grosse entreprise de télécommunication d’Europe.

En effet, Verdi a déjà clairement fait comprendre qu’il était disposé à accepter des compromis. Le syndicat n’est pas opposé à la création d’une filiale à bas salaire et ne réclame que des « mesures de transition » et une forme limitée de « protection » visant à adoucir les pires mesures. Le syndicat n’a aucun intérêt à organiser une lutte de principe pour s’opposer aux conséquences sociales de l’offensive menée par la direction de Telekom. Au contraire, l’objectif des bureaucrates de Verdi est d’assurer que les propositions de Telekom passent sans heurts et que la résistance des travailleurs soit brisée.

Quelques jours seulement après le début de la grève, on peut déjà dire clairement : si cette grève reste sous le contrôle des fonctionnaires de Verdi, elle est vouée à l’échec.

Soutenir cette grève devra donc aller de pair avec une lutte contre la politique opportuniste du syndicat. L’offensive menée par la direction de l’entreprise et soutenue par le gouvernement, requiert une stratégie politique tout à fait nouvelle. La production doit être retirée des mains de l’élite financière et placée au service de la société en général.

La grève doit devenir le point de départ d’une lutte visant à rompre avec les anciennes organisations à orientation nationaliste, les syndicats et le SPD, et pour unir les travailleurs de tous les secteurs industriels de par l’Europe et le monde entier dans une lutte pour la réorganisation socialiste de la société.

Ceci signifie avant tout regarder la réalité en face et s’opposer à la logique du système capitaliste.

La majorité social-démocrate au conseil de surveillance de Telekom

Les syndicalistes de Verdi qui sont à la tête de la grève se plaignent en ce moment à cors et à cris de l’agressivité et de l’irresponsabilité affichées par la direction de Telekom. Le président du conseil d’administration, René Obermann, surnommé « Doberman » est vu d’un très mauvais oeil et est la cible de leurs railleries. Il ne fait aucun doute qu’Obermann présente toutes les caractéristiques de la nouvelle génération de jeunes patrons dont l’arrogance et la rigidité va de pair avec une fascination pour le système américain du « profit sans bornes ».

Cependant, un autre facteur a encouragé ce jeune patron d’une quarantaine d’années et relativement inexpérimenté à entreprendre un tel programme de coupes drastiques qui condamnent à la ruine financière des travailleurs qui ont travaillé durant des décennies chez Telekom. Obermann sait qu’il n’a rien à craindre des bureaucrates du syndicat Verdi et des conseils d’entreprise. Il connaît parfaitement le double jeu du syndicat dont les représentants au conseil de surveillance n’ont voté le plan de restructuration  que parce qu’ils savaient pertinemment que la résolution serait appliquée même s’ils votaient contre.

Obermann sait parfaitement que l’actuel négociateur du syndicat, Lothar Schröder, membre de la direction de Verdi, est également vice-président du conseil de surveillance de Telekom. Il sait également que Schröder est royalement rémunéré pour ce poste et aborde les problèmes de l’entreprise sous le même angle capitaliste que les membres de la direction qui ne sont pas syndiqués.

En fait, Obermann est un instrument entre les mains du gouvernement allemand. Toutes les décisions stratégiques importantes concernant Telekom ont été prises par le gouvernement après que des consultations, en tête à tête entre le ministre des Finances, Peer Steinbrück (SPD) et le ministre du Travail, Franz Müntefering (SPD), aient eu lieu.

Siégeant également au conseil de surveillance de Telekom, en plus des six syndicalistes et des représentants du conseil d’entreprise, on trouve deux représentants du SPD. Ingrid Matthäus Maier qui est l’ancienne vice-présidente du groupe parlementaire du SPD au Bundestag et qui représente la banque publique de crédit pour la reconstruction (KfW). L’autre représentant en vue du SPD est Thomas Mirow, sous-secrétaire d’Etat au ministère des Finances et main droite de Steinbrück. Mirow a joué un rôle clé dans l’élaboration et l’application de la stratégie de Lisbonne dont l’objectif est d’intensifier la concurrence économique au sein de l’Union européenne. De nombreuses initiatives prévoyant des réductions de coûts de main-d’œuvre et la restructuration de Telekom émanent de son bureau.

La présence de Matthäus Maier et de Mirow signifie que les syndicats et les sociaux-démocrates disposent en commun de la majorité dans les 15 sièges du conseil de surveillance et pourraient même, s’ils le voulaient, voter contre la direction.

Cet état de fait révèle l’hypocrisie totale de l’attitude adoptée face à la grève par les bureaucrates de Verdi. Leurs discours va-t-en-guerre prononcés lors des assemblées générales ne visent qu’à dissimuler les traces de leur politique opportuniste.

Chantage et menace de « rachat étranger »

Depuis le début de la grève, Obermann n’a pas manqué une occasion d’avertir qu’en cas de refus par les travailleurs de la « réforme prévue » et des réductions de salaire qu’elles entraînent, « un rachat hostile par un pays étranger » pourrait en résulter.

Cette menace vise avant tout à permettre aux syndicats d’étouffer la grève le plus rapidement possible. Jusqu'à ce jour, les bureaucrates syndicaux ont toujours accepté les réductions de salaire et la détérioration des conditions de travail comme étant le prix à payer pour la sauvegarde du site national.

C’est exactement l’opposé qui est le cas. Le démantèlement du niveau social et des salaires fait partie intégrante des futures attaques visant à restructurer l’entreprise dans l’intérêt d’une maximation des profits. La menace exprimée par Obermann, et transmise au personnel par les syndicats, ressemble à un appel au suicide dans le but de prévenir une mort subite. Un bref résumé de l’histoire de Telekom montre clairement l’absurdité de cet argument.

Jusqu’en 1989, le service des télécommunications se trouvait en grande partie sous le contrôle d’une autorité garantissant une mission d’intérêt public nommée Poste fédérale allemande (Deutsche Bundespost, DBP). Un an plus tard commençait le démantèlement de la DBP en trois nouvelles entreprises, poste, Telekom et banque postale. C’est ainsi que la voie fut ouverte à la privatisation des trois nouvelles entreprises. En 1995, la Deutsche Telekom AG fut créée et en automne 1996 la première introduction en bourse de l’entreprise eu lieu. Une vaste et pompeuse campagne publicitaire annonça l’introduction de l’action-T en bourse devenant ainsi le symbole d’une nouvelle « culture d’actions » en Allemagne.

En 1998, le service téléphonique fut entièrement ouvert à la concurrence. Dans des conditions de privatisation et de compétition féroce de la part d’autres entreprises, les services de télécommunication qui étaient un service public devinrent simple marchandise et les entreprises TK façonnées afin de maximiser les profits. De nouveaux fournisseurs en téléphonie apparurent sur le marché qui mirent en place leur propre réseau ou qui utilisèrent celui de Telekom pour offrir des appels téléphoniques bon marché effectués selon le processus appelé « call by call ». Cela redoubla la pression sur Telekom. Pour compenser les pertes croissantes, l’entreprise essaya d’amplifier ses opérations à l’étranger en reprenant à son compte de nombreuses anciennes entreprises de télécommunication publiques aussi bien en Europe de l’Est qu’en Europe de l’Ouest.

Le plus important rachat fut probablement celui des opérateurs américains de téléphonie mobile VoiceStream et Powertel, permettant ainsi à Telekom de devenir une entreprise internationale. Le monde des affaires a présenté Telekom comme l’entreprise vedette, modèle de la productivité allemande dans un univers mondialisé. En fait, les frais occasionnés par le rachat des entreprises liées à l’expansion internationale entraînèrent un accroissement rapide des dettes qui totalisèrent 67 milliards d’euros en 2001.

Face à cela, la direction de Telekom réagit par la mise en oeuvre de mesures draconiennes de restructuration dans le but de réduire l’effectif. Entre 1995 et 2005, l’entreprise supprima plus de 100.000 emplois. En automne 2003, Telekom fonda sa propre agence de placement de personnel, Vivendo, pour réembaucher à plus bas salaires ceux de ses employés qui, en raison de leur ancienneté dans l’entreprise et du fait des contraintes légales, ne pouvaient pas être licenciés. Il y a deux ans, la direction décidait de supprimer 25.000 emplois supplémentaires d’ici 2008.

Parallèlement, la direction annonçait que le groupe avait réalisé un bénéfice de 5,6 milliards en 2005, une manne financière record dans l’histoire de l’entreprise. Kai-Uwe Ricke, le PDG de l’époque promettait une augmentation de 9 pour cent des bénéfices d’ici 2007.

Un dépeceur d’entreprise du nom de « Blackstone »

Afin de s’assurer une « augmentation des marges de profit » Telekom fit appel, au printemps dernier, au service de Blackstone Group, société privée d’investissement et de conseil implantée à Londres. Au moment où le ministre du Travail, Franz Müntefering, mettait en garde contre le danger des fonds spéculatifs internationaux et des « sauterelles » — qui s’abattent sur les entreprises, pour les dépecer et en tirer un maximum de profit tout en rejetant les restes (y compris les travailleurs) — le ministre des Finances, Steinbrück, en personne intervenait pour encourager la collaboration entre Blackstone et Telekom.

Le gouvernement vendit une part de ses actions Telekom permettant ainsi à Blackstone d’acquérir 4,5 pour cent du capital de l’entreprise. Etant donné que le capital de l’entreprise est éparpillé parmi une multitude de petits actionnaires, Blackstone apparaît à présent comme le deuxième plus gros actionnaire après le gouvernement.

Le Fonds Blackstone détient des actions dans des entreprises de par le monde, allant de groupes d’entreprises industrielles, à des services de santé, des services énergétiques et d’élimination des déchets, des groupes de médias, du divertissement et du spectacle à la gastronomie. En Allemagne, Blackstone a racheté de vastes parcs immobiliers à Kiel, Wuppertal et Mönchengladbach. Blackstone est représenté en Allemagne par Roland Berger (cabinet de conseil en stratégie) et Ron Sommer, qui avait en fait été le PDG de Telekom de 1995 à 2002.

Depuis qu’ils détiennent une part des actions de l’entreprise, Blackstone fait tout pour mettre en place la restructuration de Telekom et a soutenu le recrutement de René Obermann comme nouveau président du conseil de surveillance. Le but de Blackstone est de se défaire de tous les secteurs non rentables de l’ancienne entreprise d’Etat et de ne retenir que ceux qui sont hautement rentables. Les projets en cours ne sont que le début d’un tel projet.

Une perspective socialiste est nécessaire

Verdi porte une grande part de responsabilité quant à la situation désastreuse dans laquelle se trouvent les employés de Telekom. Le syndicat a accepté toutes les mesures antérieures de réduction de salaire et de restructuration. En 2001, Verdi a accepté l’introduction d’un nouveau système salarial rompant avec l’ancien système applicable aux salariés de la fonction publique et qui prévoyait des augmentations de salaires par année d’ancienneté et des prestations familiales majorées par enfant à charge.

Verdi ne s’est pas opposé au démantèlement en filiales de l’entreprise d’Etat, au contraire, il a accepté des salaires tirés vers le bas et qui depuis ont servi à baisser les salaires dans l’ensemble du groupe. Verdi a accepté la mise en place de l’agence de placement de personnel Vivendo, tout en sachant parfaitement que le rôle de l’agence consistait à faciliter la réduction des salaires et des droits des salariés.

Une rupture avec les syndicats et les conseils d’entreprise est la première condition requise pour contrer les attaques que la direction organise de concert avec le gouvernement de grande coalition. Les travailleurs de Telekom doivent mettre en place leur propre comité de grève indépendant de Verdi. Toutes les négociations menées avec la direction doivent être supervisées par des représentants du comité de grève indépendant. Les accords et les conventions acceptés derrière le dos des travailleurs par Verdi ou par les conseils d’entreprise et non sanctionnés par le comité de grève ou lors d’une réunion du personnel doivent être considérés comme nuls et non avenus.

Dans le même temps, pour étendre la grève le comité de grève indépendant doit établir des liens avec les travailleurs d’autres secteurs de Telekom qui sont tenus à l’écart du conflit par la direction de Verdi. Des liens doivent également être établis avec les travailleurs d’autres entreprises de télécommunications en Europe et de par le monde.

Nous appelons à la mise en place de comités de défense contre les licenciements de masse et les coupes des acquis sociaux dans un maximum d’entreprises afin de transformer la grève des travailleurs de Telekom en un vaste mouvement politique contre la grande coalition. La construction de tels comités de défense et de solidarité doit aller de pair avec des discussions sur une perspective socialiste internationaliste ayant pour point de départ le caractère international de la production moderne et les intérêts communs des travailleurs de par le monde. Une telle perspective exige une transformation socialiste de la société dans laquelle les intérêts de la société prévalent sur la course aux profits des grands groupes et des banques.

Nous lançons un appel à tous les employés de Telekom et à tous ceux qui soutiennent cette grève à lutter pour la construction de comités de défense parmi les travailleurs d’autres entreprises. Contactez le comité de rédaction du World Socialist Web Site (WSWS) et discutez de ces questions avec vos collègues.

(Article original paru le 17 mai 2007)

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