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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Une réponse aux attaques d’Airbus

Déclaration du comité de rédaction
12 mars 2007

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La décision de la compagnie Airbus de supprimer 10 000 emplois est le point culminant d’une large offensive visant à ramener le niveau de vie de tous les travailleurs européens à celui de leurs grands-parents et arrière-grands-parents. Les événements actuels chez Airbus ne sont pas un sujet de préoccupation uniquement pour les travailleurs et les employés de l’entreprise, mais pour tous les travailleurs et les jeunes en Europe, qui ne sont pas prêts à accepter un retour aux conditions sociales prévalant dans les années 1930.

Les événements chez Airbus soulignent les problèmes fondamentaux auxquels sont confrontés les travailleurs de par le monde : la subordination de tout développement économique à long terme aux intérêts à court terme d’une aristocratie financière visant à maximiser le taux de profit ; les attaques permanentes sur le niveau de vie et les emplois ; la faillite des syndicats, qui n’ont aucun moyen de s’opposer à ces développements et qui font office de co-gestionnaires dans les grandes entreprises ; et le rôle pernicieux joué par les gouvernements, qui divisent les travailleurs selon les nationalités — montant les travailleurs de chaque pays les uns contre les autres.

La défense des emplois et des acquis sociaux, la possibilité même du progrès technologique et culturel, requiert une stratégie politique fondamentalement nouvelle. La contestation syndicale et les pressions sur les élites dirigeantes ne suffiront pas. Il faut retirer la production du contrôle de l’aristocratie financière et la mettre au service de la société tout entière. La classe ouvrière doit rompre avec ses anciennes organisations nationales et s’unifier sur une base européenne et mondiale pour mener la lutte en faveur d’une réorganisation socialiste de la société.

Telles sont les leçons qui émergent de la crise actuelle chez Airbus.

Production de haute technologie et carnets de commandes pleins

Airbus est un des leaders de l’industrie technologique. Fondé en décembre 1970, il produit à présent une gamme complète d’avions ultramodernes et se partage avec Boeing le marché des grands avions du transport civil. Son carnet de commandes est plein. Environ 7 000 avions sont commandés à l’avance — plus que la compagnie ne peut en produire. Selon le président du comité d’entreprise d’Airbus Allemagne, Rüdiger Lütjen : « Nous avons une quantité de travail infinie. »

Malgré cet état de fait, un emploi sur neuf de la compagnie Airbus et de ses sous-traitants doit être supprimé ou extériorisé. Ce n’est pas le manque de commandes qui explique cette décision, mais plutôt les efforts pour maximiser les profits. D’ici à 2010, la compagnie prévoit d’économiser 6,6 milliards d’euros et, par la suite, 2 milliards d’euros par an.

Ces économies sont réalisées entièrement aux dépens du personnel. La vente d’usines entières ainsi que l’extériorisation de la production ont pour objectif de diminuer les salaires et d’augmenter à grande échelle la productivité au sein de la compagnie.

Le plan de restructuration, nommé Power 8, prévoit que 30 pour cent de la production du modèle A350, qui est encore à l’étape de la planification, seront réalisés par des fournisseurs étrangers, en Europe et dans des pays comme la Chine où la main-d’œuvre est bon marché. En même temps, Airbus concentrera ses achats faisant ainsi passer le nombre de ses fournisseurs de 10 000 à 7 000. Cela mettra énormément de pression sur les fournisseurs pour qu’ils diminuent leurs prix, ce qui conduira inévitablement à davantage de suppressions d’emplois.

Au sein d’Airbus, la productivité dans le domaine de la construction sera augmentée de 15 pour cent d’ici quatre ans, alors que, dans le même temps, les coûts administratifs devront être réduits de 30 pour cent.

Le démantèlement d’usines entières ayant un personnel formé hautement qualifié et les pressions accrues pour augmenter la productivité vont inévitablement se répercuter sur la qualité et, à plus long terme, sur la sécurité des passagers.

Lorsque la compagnie avait été fondée il y a plus de 35 ans, il était clair qu’un projet aussi complexe et ambitieux que celui de la construction d’avions modernes pour le transport civil nécessitait la convergence de ressources financières et techniques de toute l’Europe. Après des années de préparation et une participation importante des gouvernements, Airbus est né en tant qu’entreprise conjointe franco-allemande. En 1971, l’Espagne s’est jointe au projet Airbus, suivie par la Grande-Bretagne en 1979. Les coûts de développement des nouveaux avions, qui s’élèvent à des milliards, ont été assumés presque entièrement par l’impôt sur le revenu.

Les gouvernements ne se sont pas impliqués dans ce projet sur la base de considérations altruistes. Le développement d’une industrie aéronautique européenne visait à défier la domination américaine du marché. Dans les années 1960, les Etats-Unis produisaient presque 85 pour cent de tous les avions commerciaux, alors que l’Europe en produisait tout juste 10 pour cent. Plusieurs personnalités politiques, tel le dirigeant de l’Union chrétienne-sociale d’Allemagne et premier président directeur général d’Airbus, Franz Joseph Strauss, considéraient le développement d’une industrie aéronautique européenne efficace comme une étape importante du développement de l’industrie européenne de l’armement, cette dernière partageant de nombreuses technologies avec l’aéronautique.

En combinant les ressources sur une large base européenne, Airbus a pu arriver à des résultats techniques remarquables. Après des problèmes et un très faible volume de vente au début, Airbus avait réalisé une percée à la fin des années 1970. Dans les années 1990, il s’est hissé au niveau de son compétiteur, le grand constructeur américain Boeing.

Le plus ambitieux projet d’Airbus d’un point de vue technologique est l’A380 qui est presque prêt à être livré. Le plus grand avion pour passagers produit en masse dans le monde peut transporter jusqu’à 850 passagers sur une distance de 16 000 kilomètres et dépasse le jumbo jet 747 de Boeing quant à ses performances. Les coûts de développement de ce modèle ont atteint la somme approximative de 12 milliards d’euros.

Les conditions américaines

Les retards dans la livraison de l’A380 et les coûts de développement élevés de l’A350 (un avion long-courrier plus petit basé sur une technologie complètement nouvelle), ainsi que la faiblesse du dollar américain, sont présentés comme les principales raisons des difficultés actuelles d’Airbus justifiant le plan de restructuration Power 8. Mais il est clair que des problèmes financiers passagers, qui se sont déjà produits dans l’histoire d’Airbus, sont utilisés comme prétexte pour lancer une offensive de grande envergure contre le personnel.

Cela a été exprimé clairement par le magazine d’affaires britannique Economist, qui déplore un « code du travail strict et des sensibilités politiques en Europe » qui font obstruction à des suppressions d’emplois encore plus draconiennes. Par opposition, le « code du travail américain plus souple » a facilité le dégraissage chez Boeing. Le magazine termine : « Quel que soit le résultat obtenu par Airbus en réduisant ses coûts ou en extériorisant, la compagnie américaine aura plus de facilité à extérioriser sa production là où les coûts sont les plus bas. »

La plupart des commentaires du monde des affaires attribuent les problèmes financiers d’Airbus à l’ingérence politique dans les affaires de la compagnie. Andreas Nölting, rédacteur en chef de Manager Magazine, exprime typiquement ce point de vue : « Airbus ne sera libre de ses mouvements que quand l’entreprise sera complètement émancipée de la politique ; c’est la théorie pure de l’économie libérale. »

Tout cela n’est qu’absurdités. Des compagnies privées telles que Siemens, Volkswagen et Bayer-Schering ont aussi procédé récemment à des restructurations draconiennes aux dépens du personnel. Deutsch Telekom vient d’annoncer l’extériorisation d’environ 50 000 emplois ainsi que des diminutions de salaires allant jusqu’à 30 pour cent.

Le principal rival d’Airbus, Boeing, a réalisé sa propre restructuration six ans plus tôt, transférant à Chicago sa maison mère de Seattle installée près du principal site de production. Au cours des trois années précédentes, Boeing a fermé plusieurs usines, supprimant 25 000 emplois dans la production d’avions et 49 000 dans l’ensemble de la compagnie.  

Le but de cette opération était de transformer Boeing en une compagnie mondiale, se consacrant exclusivement aux profits de ses actionnaires. Le président directeur général de la compagnie avait déclaré que cette démarche était nécessaire « pour cesser d’être dépendant de Seattle et ouvrir boutique dans un important marché financier pro-entreprise et centralisé. »

Boeing souhaitait réaliser des réductions de coûts de production pouvant atteindre 50 pour cent, par le transfert de la production vers d’autres compagnies et d’autres sites et pays. Cela afin de permettre à la compagnie de réduire les salaires et de réduire, ou augmenter, le personnel au pied levé selon ses commandes. De plus, le temps entre la commande et la livraison devait être diminué de moitié selon un système appelé « fabrication dégraissée. »

Ce programme a tout de suite obtenu des résultats. En 2001, Boeing enregistrait des revenus record de 57 milliards de dollars américains et rapportait des marges de profit de 10 pour cent pour la première fois en dix ans. Le plan Power 8 d’Airbus est la réponse au programme de restructuration de Boeing.

L’appel à un Etat fort

Les comités d’entreprise et les syndicats ont réagi au plan de redressement d’Airbus en appelant à une intervention de l’Etat.

Sans l’initiative de l’Etat, Airbus n’aurait jamais existé. Mais cette époque, où la politique économique nationale créait et assurait des emplois et le progrès technologique, est bien révolue. Depuis des années, en Allemagne comme en France, les gouvernements tant sociaux-démocrates que conservateurs réduisent systématiquement les droits des travailleurs et déréglementent le marché de l’emploi, afin de donner libre cours au capital financier.

Le plan de redressement d’Airbus a créé des tensions considérables entre la France et l’Allemagne. Finalement, le président Jacques Chirac et la chancelière Angela Merkel se sont personnellement attaqués au problème. Toutefois, ni l’un ni l’autre n’a remis en question les objectifs du programme Power 8. Leur principale préoccupation était la « juste » répartition du fardeau — c’est-à-dire, faire en sorte que les travailleurs français et allemands en souffrent équitablement.

Le rachat d’actions d’Airbus par des gouvernements d’Etat ou de région n’est guère mieux. Les länder allemands et les régions françaises, qui sont particulièrement touchés par le plan de restructuration, ont fait de telles propositions. Ils ont le soutien des syndicats et de la candidate à la présidentielle du Parti socialiste français, Ségolène Royal.

Selon son président, Martin Malvy, la région de Midi-Pyrénées au sud de la France serait prête à racheter entre 5 à 10 pour cent des actions d’Airbus. Il craint la perte de 60 000 emplois répartis entre 480 moyennes entreprises de la région, suite à la crise chez Airbus. Des propositions semblables ont été exprimées par le Land de Basse-Saxe au nord de l’Allemagne, qui est aussi durement touché.

Ces gouvernements régionaux n’apportent pas de réponse à la situation critique des travailleurs. Selon eux, leur tâche est de défendre les intérêts de la région aux dépens de toutes les autres. Leur travail se base sur le principe de Saint-Florian : « Oh Saint-Florian, épargne ma demeure, brûle celle de mon voisin ! »

Cela fait un certain temps que l’Union européenne appelle à une telle « concurrence entre les régions ». C’est un mécanisme pour diminuer les salaires, les impôts et les dépenses sociales. Pour « attirer les investisseurs, » les régions doivent se faire une concurrence féroce, cherchant chacune à offrir mieux que l’autre. Il en résulte une balkanisation de l’Europe, la lutte de chacun contre tous, permettant ainsi aux grandes entreprises de réduire encore plus les salaires et le niveau de vie tout en récoltant des profits énormes et quasiment sans devoir payer d’impôt.

Les syndicats divisent les travailleurs

Les syndicats jouent un rôle criminel dans cette tentative de monter les travailleurs français et allemands les uns contre les autres.

Ni le syndicat industriel IG Metall, ni les confédérations syndicales françaises n’ont remis en question la réorganisation d’Airbus, par principe. Au lieu de cela, ils ont fiévreusement travaillé au sein de comités d’entreprise et de conseils de direction pour préparer et mettre en œuvre le plan, recevant ce faisant de généreux salaires et compensations financières. Lorsqu’ils organisent une manifestation, c’est pour mieux canaliser la colère générale envers les travailleurs des autres pays.

Un mois avant la publication de Power 8, le syndicat français présentait sa propre étude, qui prétendait que les usines françaises étaient plus productives que celles en Allemagne. Selon Jean François Knepper, coprésident du comité d’entreprise européen et délégué central du syndicat Force ouvrière (FO) : « Lorsqu’on cherche à réorganiser sur une base égale et équitable, il faudrait tenir compte de qui a déjà le plus contribué à la performance. » (retraduit de l’anglais)

Le président du comité d’entreprise allemand, Rüdiger Lütjen (IG Metall), a répondu de la même manière. Il a qualifié la déclaration de Knepper « d’insolente » et a ajouté : « Les travailleurs allemands d’Airbus sont au moins aussi productifs que les travailleurs français, et même, en partie plus productifs. »

Il ne pouvait y avoir meilleur incitatif au plan de la direction que cette rivalité pour prouver qui a été « plus productif » et au moindre coût. Cela bafoue les principes les plus élémentaires de solidarité internationale.  Et ce, dans une entreprise où des travailleurs français, anglais, allemands et bien d’autres encore travaillent en étroite collaboration, et dans bien des cas ont même déménagé dans le pays voisin pour leur travail.

Ni les syndicats allemands, ni les syndicats français n’ont soulevé la revendication d’une défense inconditionnelle de tous les emplois — l’unique revendication qui pourrait souder au-delà des frontières les travailleurs touchés. Ils ont pris grand soin de faire le nécessaire pour que les grèves et les manifestations organisées sur les différents sites demeurent séparées les unes des autres, et ils ont cherché à empêcher toute action qui affecterait directement les opérations de la compagnie dans sa lutte avec Boeing. Ils ont maintenant organisé une demi-journée de grève dans toutes les usines d’Airbus et une manifestation européenne conjointe à Bruxelles le 16 mars, mais ces appels ont un caractère largement symbolique et visent à dissimuler leur véritable rôle.

Engagés à défendre les entreprises qu’ils servent et totalement hostiles à une perspective socialiste, les syndicats ont depuis longtemps achevé leur transformation et sont devenus cogestionnaires au sein des grandes entreprises. Sous la pression de la concurrence internationale et la menace constante de la délocalisation vers les pays à bas salaire, ils considèrent que leur rôle consiste à défendre leur propre « site » en assurant la croissance des profits de l’entreprise pour laquelle ils travaillent.

Cette évolution peut être observée chez les syndicats du monde entier. Récemment, le comité d’entreprise de la compagnie allemande Volkswagen a accepté un allongement des heures de travail sans compensation salariale équivalente afin d’assurer le transfert de la production du modèle Golf de la compagnie de Bruxelles vers celle de Wolfsburg en Allemagne.  L’usine VW de Bruxelles est maintenant petit à petit en train de fermer.

Rompre avec les syndicats et les comités d’entreprise est la condition de base pour la défense des emplois à Airbus.  Les travailleurs doivent mettre sur pied des comités de défense indépendants qui établissent des contacts entre eux et se tournent vers l’ensemble de la classe ouvrière européenne. Ces comités doivent également établir des contacts avec les travailleurs de Boeing.  Les travailleurs de l’aéronautique en Europe et en Amérique doivent s’assurer de ne pas être divisés et montés les uns contre les autres. Une lutte unifiée des travailleurs des deux côtés de l’Atlantique est l’unique base pour conduire une lutte efficace contre le plan Power 8.

La construction des comités de défense contre les licenciements de masse et les réductions de salaire et d’allocations, doit être combinée à l’élaboration d’une perspective socialiste internationaliste qui prend pour point de départ le caractère international de la production moderne et l’intérêt commun de tous les travailleurs à échelle mondiale. Une telle perspective vise à la transformation socialiste de la société, subordonnant les profits des grandes entreprises aux intérêts et besoins sociaux de la classe ouvrière, la vaste majorité de la population.  

Nous lançons un appel à tous les travailleurs d’Airbus et à tous ceux qui soutiennent leur lutte et veulent construire des comités de défense sur leur propre lieu de travail. Contactez le comité de rédaction du World Socialist Web Site (WSWS) et discutez de ces questions avec vos collègues.

(Article original paru le 8 mars 2007)

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