Le samedi 3 mars, la Fédération des
travailleurs du Québec (FTQ), la plus importante organisation syndicale au
Québec, comptant plus de 500 000 membres et organisant la plupart des
travailleurs du secteur industriel, a donné son appui au parti indépendantiste
provincial, le Parti québécois (PQ), dans les élections québécoises qui auront
lieu le 26 mars 2007.
D’autres centrales, telles que la
Confédération des syndicats nationaux (CSN), vont appuyer le PQ en demandant,
soi-disant pour garder leur indépendance, de ne pas réélire les libéraux. L’appui
de la FTQ et des autres centrales syndicales offre une autre démonstration que
la bureaucratie syndicale constitue depuis plus de trente ans l’un des
principaux piliers du PQ.
Henri Massé, le président de la FTQ, a dit
que « le bilan catastrophique du Parti libéral à
l'endroit du mouvement syndical » motivait la décision de la centrale
syndicale d’appuyer le PQ, citant notamment des changements au Code du travail favorisant
la désyndicalisation par la sous-traitance et le décret imposant les
conventions collectives à près de 500 000 travailleurs du secteur public,
incluant presque quatre années de gel salarial et de très sévères dispositions anti-grève.
Toutefois, les raisons avancées par Massé pour
s’opposer au Parti libéral s’appliquent tout aussi bien au PQ. André Boisclair,
le chef du PQ, a annoncé qu’un gouvernement péquiste n’annulerait pas les
changements au Code du Travail, pas plus qu’il ne renégocierait les contrats
des travailleurs du secteur public.
Lors des dernières élections en avril 2003,
le PQ a obtenu les pires résultats depuis 1973, époque où il venait d’être créé
et n’avait jamais formé le gouvernement. Les sondages indiquent que sa fortune
électorale pourrait être encore pire ces élections-ci, malgré le fait que le
gouvernement Charest a connu un taux d’insatisfaction d’environ 70 pour cent
pour toute la durée de son mandat et qu’il frise actuellement les 60 pour cent.
En 2003, la FTQ avait contribué à l’élection
du Parti libéral en concentrant sa campagne sur le parti d’ultra-droite de
l'Action démocratique du Québec (ADQ) dirigé par Mario Dumont. Massé avait
alors déclaré qu’il fallait faire barrage à l’ADQ et qu’il pouvait travailler
avec les libéraux. Après les élections de 2003, inquiets de l’effondrement de
l’appui envers le PQ, les bureaucrates syndicaux ont formé un club politique au
sein du PQ, Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ libre),
pour obtenir plus en échange du soutien de la bureaucratie au PQ, mais surtout
pour tenter de présenter ce parti comme étant plus à gauche que le Parti
libéral du Québec.
Si le PQ demeure si impopulaire dans les
sondages jusqu’à aujourd’hui, c’est en grande partie à cause de son bilan lorsqu’il a formé le gouvernement provincial québécois de 1995 à 2003.
Le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard et de Bernard
Landry avait alors mis en œuvre un programme de
compressions sauvages des dépenses sociales, nommé le « déficit
zéro », avec l’appui entier des syndicats.
Les dépenses annuelles avaient été réduites de
2,3 milliards $ dans le domaine de la santé, de 1,9 milliards $ dans
l'éducation, et les transferts aux municipalités ont été réduits de 350
millions $ par année. Les dirigeants syndicaux ont exigé que le surplus de
la caisse de retraite de 4 milliards $ soit utilisé pour mettre sur pied un programme
de retraites anticipées, menant au départ de dizaines de milliers de
travailleurs du secteur public. L’élimination permanente des emplois dans le
secteur public et la saignée du personnel qualifié a porté un coup dur aux
services sociaux publics.
Le PQ a aussi mené un assaut frontal sur les
plus démunis. Il a imposé un programme de travail forcé pour les jeunes
assistés sociaux. Il a aussi diminué les prestations d’aide sociale et retiré
la gratuité des médicaments pour tous les assistés sociaux et les personnes âgées.
Une dizaine d’hôpitaux ont été fermés et des milliers de personnes souffrant de
troubles mentaux se sont retrouvées sans soutien médical ou autre et sont venus
gonfler les rangs des sans-abri. En 1999, le PQ réprimait durement une grève
des infirmières en défense de leurs conditions de travail et du système de
santé.
Six mois après l’arrivée au pouvoir du
gouvernement Charest, les travailleurs, opposés à sa « réingénierie de l’Etat »,
ont surpris les dirigeants syndicaux en prenant la rue en masse et en forçant
un vote pour la grève générale contre le gouvernement. Ce mouvement
d’opposition s’est, un an plus tard, manifesté en un mouvement d’opposition
étudiante de masse aux coupes dans le programme des prêts et bourses. Ce n’est
qu’avec le sabotage actif de la bureaucratie syndicale opposée à une
mobilisation indépendante des travailleurs en défense de leurs intérêts
fondamentaux que le gouvernement Charest a pu survivre à cette vague puissante
d’opposition.
Le PQ et le PLQ sont deux partis
profondément impopulaires auprès de la population québécoise à cause de leurs
politiques de droite. Le PQ, parce qu’il défend les mêmes
intérêts que ceux du Parti libéral, est incapable de faire appel au profond
sentiment de haine envers ce dernier. Boisclair,
répondant aux pressions du patronat, a annoncé qu’il allait positionner son
parti encore plus à droite. Il a déclaré que l’époque où les syndicats et le PQ
étaient « copains-copains » était terminée et qu’« il faut soulager
le capital, il faut que le Québec devienne l'endroit au monde où le capital est
le mieux accueilli possible ». Boisclair critique le PLQ de la droite, le
dénonçant pour ne pas avoir pu diminuer autant les impôts des riches qu’il
l’avait promis, principalement à cause de la grande mobilisation des
travailleurs contre sa politique.
Si la bureaucratie syndicale a une politique
de soutien au PQ et s’oppose à la mobilisation politique indépendante des
travailleurs, c’est en vertu de la position sociale des appareils syndicaux.
Après avoir résisté pendant des décennies à la formation des syndicats, l’Etat
a favorisé après la Deuxième Guerre mondiale le développement des appareils
syndicaux par une série de lois et de politiques parce qu’il considérait qu’ils
pouvaient jouer un rôle de policier de la classe ouvrière. Mais depuis vingt
ans, le policier s’est transformé en un participant direct à l’exploitation
capitaliste, la FTQ en tête.
Au début des années 80, les bureaucrates de la
FTQ lançaient, avec un important soutien financier des gouvernements, le Fonds
de Solidarité, qui utilise les épargnes des travailleurs pour aider des
sociétés en difficulté. C’était là la réponse de la bureaucratie syndicale à la
récession de 1981-82. Lors de la création du Fonds de Solidarité, le président
de la FTQ à l'époque, Louis Laberge, a déclaré que c'était une mesure plus
« révolutionnaire » que la création d'un parti ouvrier. En d'autres
mots, la bureaucratie syndicale avait déjà pris clairement conscience qu'elle
représentait une couche sociale distincte, privilégiée, dont les intérêts
étaient opposés à ceux des membres de la base et coïncidaient plutôt avec ceux
de la classe capitaliste.
Aujourd’hui, alors qu’ils appuient le déficit
zéro et demandent un vote pour le PQ, les directions syndicales indiquent
qu’ils ne sont pas opposés aux demandes de sacrifices de la grande entreprise,
mais qu’ils sont opposés à la diminution de l’importance des bureaucraties
syndicales dans la politique québécoise.
Orateur invité d’un déjeuner-causerie organisé
par les Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ) au début de février,
Massé a déclaré : « On est capable de travailler ensemble », ce
à quoi le président du MEQ, Jean-Luc Trahan, lui a répondu « Nous sommes
prêts à travailler avec vous. »
Il faut dire que Massé a su toucher son
auditoire. Il a déclaré qu’il accepterait les suppressions de poste, si
négociées, une plus grande flexibilité du travail, si le processus n’est pas
trop « débridé », des baisses de salaires, si l’on n’exagère pas.
Pour faire bonne mesure, il a aussi demandé que les gouvernements financent les
entreprises au moyen de « programmes costaux » et de généreux
incitatifs fiscaux.
Il a aussi proposé la tenue d’un autre sommet
économique tripartite qui réunirait les syndicats, le gouvernement et le
patronat, rappelant ce qu’il a appelé le succès du sommet de 1996 sur le déficit
zéro. Le succès dont aiment se vanter les dirigeants syndicaux avait servi de
caution à l’assaut du gouvernement péquiste sur les services publics.
Dans cette conférence devant les
manufacturiers, Massé indique au patronat qu’il acceptera les attaques sur les
acquis de la classe ouvrière, « si » la bureaucratie syndicale n’est
pas marginalisée dans le processus. En fait, il défend l’idée que la
bureaucratie syndicale non seulement ne doit pas être marginalisée, mais
qu’elle pourra garantir le succès des reculs imposés à la classe ouvrière. Les
travailleurs doivent considérer comme un avertissement très sérieux les
propositions de Massé de rééditer ce qu’il appelle le succès du sommet
économique du déficit zéro.
La collaboration avec les dirigeants de l’entreprise
est la solution de Massé à la crise du secteur manufacturier qui a perdu plus
de 100 000 emplois depuis cinq ans. Le soutien de la FTQ au PQ n’est que
le pendant politique de la stratégie syndicale où le patronat, leur
gouvernement et les syndicats s’unissent pour organiser l’attaque sur le niveau
de vie, les conditions de travail, les programmes sociaux et les services
publics.
La signification de « l’union sacrée de
tous les Québécois » prônée par les dirigeants syndicaux et le PQ au nom de
la défense de la nation apparaît sans fard : les travailleurs doivent se
liguer derrière leur patronat, accepter les sacrifices nécessaires pour
défendre ses profits, qui seront ensuite utilisés pour enlever les acquis des
travailleurs ailleurs au Canada, aux Etats-Unis et dans le monde.
En se liguant ouvertement avec le PQ, un parti
profondément détesté qui veut aller encore plus à droite, les bureaucraties
syndicales font la démonstration de quel côté de la barricade ils se trouvent.
Il devient urgent pour les travailleurs de rompre avec la perspective
syndicaliste et nationaliste des dirigeants syndicaux pour former leur propre
organisation, internationaliste et socialiste.