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Elections françaises – Olivier Besancenot : « Je n’ai jamais été trotskyste »

Par Peter Schwarz
19 mars 2007

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Mardi soir, 13 mars, Olivier Besancenot, le candidat présidentiel de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) s’est adressé à quelques 200 de ses partisans à Amiens.

Besancenot parle extrêmement vite, à un rythme saccadé, précipité et sans notes. Il adopte un ton familier, parsème ses remarques de toutes sortes de banalités et de questions rhétoriques, le tout accompagné de gestes exagérés des mains et du corps, une agitation incessante pendant plus d’une heure sans reprendre son souffle ni prendre le temps de réfléchir.

Et la réflexion, c’est précisément ce qu’il veut empêcher. Besancenot n’est pas venu pour penser et analyser, il est venu pour agiter. Son but n’est pas d’informer et d’éduquer, mais bien plutôt de créer une certaine ambiance. Il n’a rien à dire sur les expériences amères que la classe ouvrière française a vécues ces dernières années, et garde le silence sur les évolutions et les expériences au niveau international. Pour Besancenot, le monde se limite à la France, à l’exception de vagues références et éloges faits à l’adresse d’une poignée de politiciens tels Hugo Chavez et Evo Morales et autres politiciens bourgeois qui sont en vogue en ce moment dans les milieux petits-bourgeois radicaux.

Un autre sujet tabou est la politique de sa propre organisation. Besancenot a adopté le principe du chancelier conservateur allemand Konrad Adenauer, qui a dit un jour : « Je me fiche pas mal de ce que j’ai dit hier. »

Besancenot a commencé son discours en consacrant quelques pensées au président Jacques Chirac qui avait confirmé la veille qu’il ne sera pas candidat à la prochaine élection présidentielle. La droite a été en mesure de dominer la politique française ces cinq dernières années et elle cherche à continuer à le faire, s’est plaint Besancenot.

Il s’est bien gardé de mentionner qu’il avait lui-même appelé à voter Chirac il y a cinq ans lors des élections présidentielles et qu’il porte donc une part de responsabilité pour la politique appliquée par ce gouvernement. En 2002, lorsque Chirac fut opposé au second tour au candidat d’extrême droite du Front national, Jean-Marie Le Pen, la LCR exagéra le danger de l’arrivée au pouvoir de Le Pen pour faire l’éloge de Chirac comme garant des valeurs républicaines et défenseur de la démocratie.

Mais Besancenot n’a pas parlé de cela, il n’a pas dit un mot de l’expérience des élections de 2002.

Il s’est aussi abstenu de mentionner le Parti communiste français (PCF) que la LCR s’évertue à courtiser depuis des années, mais en vain. Après le rejet de la constitution européenne par les électeurs français au printemps 2005, la LCR a s’était donné pour objectif de mettre sur pied « une nouvelle force anti-capitaliste » à partir des partisans du « non », une gauche « cent pour cent à gauche ». Le PCF et la LCR devaient constituer le noyau dur de cette nouvelle formation.

Comme il fallait s’y attendre, le PCF est déterminé à jouer son rôle de soutien fiable à l’ordre bourgeois en restant fidèle à son alliance avec le « Parti socialiste ». A la fin de l’année dernière, le projet pour une « gauche anti-capitaliste » a lamentablement implosé.

Une fois de plus, Besancenot est passé à autre chose. Il n’a pas fait la moindre critique du PCF. Après tout, l’on n’empoisonne pas l’eau que l’on boit et l’on ne mine pas le terrain sur lequel se construisent les futures alliances opportunistes entre les deux organisations.

Besancenot n’a pas non plus soulevé de manière sérieuse les questions politiques immédiates tels la guerre en Iraq ou les préparatifs américains d’une guerre contre l’Iran. Visiblement, il est d’avis que la politique étrangère française est entre de bonnes mains.

Au lieu de cela, Besancenot s’est limité à condamner les maux de la société capitaliste et divers politiciens bourgeois, y compris Chirac, le candidat de centre-droit François Bayrou et la candidate du Parti socialiste, Ségolène Royal.

Il a dénoncé les spéculateurs et les privatisations d’entreprises publiques. D’un trait, il a évoqué des figures du mouvement pour les droits civiques, le militant Malcolm X, et le pape Bénédicte XVI qui avait jadis comparé les capitalistes à des vampires. Il a accusé le gouvernement de diviser la population. Il a condamné le système de partenariat social de la France et dénoncé la mondialisation comme origine de tous les maux. Il a glorifié les manifestations de masse de l’année dernière et exposé sa vision d’une société meilleure.

Son discours a trouvé une résonance auprès de son auditoire, en grande partie des jeunes, qui se trouvent pour la plupart au commencement de leur développement politique et qui sont indignés et préoccupés par l’état de la société.

La lutte pour une société socialiste requiert, cependant, plus que de la rage et de l’indignation. Elle présuppose une compréhension des forces sociales et politiques. Elle requiert la connaissance des expériences historiques du mouvement ouvrier et d’en tirer les leçons nécessaires. Bref, elle requiert une perspective reposant sur des fondements scientifiques permettant à la classe ouvrière d’intervenir dans les développements politiques indépendamment de la classe dirigeante et de ses partisans.

C’est ce qui constitue la signification du marxisme et du mouvement trotskyste qui défendit le marxisme contre les attaques des réformistes, des staliniens et du radicalisme petit-bourgeois dans le but de tirer les leçons des principales expériences du vingtième siècle.

Besancenot et la LCR rejettent une telle approche. Ils cherchent délibérément à isoler la classe ouvrière du marxisme et de sa propre histoire. Ils n’attirent les jeunes radicalisés que pour les mener dans une impasse qui n’aboutira qu’à des défaites, des déceptions et de la frustration.

Si l’agitation de Besancenot peut sembler nouvelle et bienvenue au début, au bout d’une petite demi-heure cela rebute. Ce père de famille de 33 ans, titulaire d’une licence d’histoire, doit se donner beaucoup de mal pour conserver son image de facteur jeune et inexpérimenté. Dénoncer et critiquer ne remplacent pas l’analyse sérieuse. Il a tout simplement décidé de fermer les yeux sur les problèmes pressants auxquels est confrontée la classe ouvrière en France et de par le monde.

Les élections présidentielles à venir sont liées à un évident virage politique à droite. Les principaux candidats sont, une soi-disant socialiste pour qui Tony Blair, le premier ministre britannique, est une référence et l’autre un gaulliste qui affiche ouvertement ses sympathies pour le Front national. La population penche vers la gauche, mais ne trouve pas d’expression politique car les organisations ouvrières traditionnelles, y compris les syndicats, ont fait leur propre virage prononcé à droite.

Besancenot ferme les yeux sur toutes ces questions et essaie de mobiliser et d’agiter ses partisans en évoquant les grandes manifestations de ces dernières années, le référendum contre la constitution européenne ou les manifestations de masse contre le Contrat première embauche (CPE).

Mais ces mouvements étaient en premier lieu des expériences politiques. Ils n’ont pas réussi à empêcher le virage droitier de la politique officielle mais ils ont révélé la faillite des vieilles organisations ouvrières, y compris des syndicats qui ont sabordé les mouvements populaires.

Mais Besancenot garde le silence sur toutes ces questions. Sa présentation de la situation politique est un mélange de désinvolture politique et de duperie délibérée. Il représente l’aile gauche de la politique bourgeoise et lui sert de couverture de gauche. Sa prestation exagérée ne sert qu’à cacher son propre virage à droite. En Italie et au Brésil, les organisations soeurs de la LCR ont déjà franchi un pas supplémentaire en occupant des postes dans des gouvernements de coalition bourgeois.

La LCR toutefois, est arrivée à un stade où elle commence à perdre de l’influence. En 2002, à sa propre surprise, Besancenot avait remporté 1,2 million de voix, soit 4,25 pour cent lors du premier tour des élections présidentielles. A présent, les sondages lui créditent tout au plus 3 pour cent.

Les autres partis de la soi-disant gauche et extrême gauche ont également fortement baissé dans les sondages. Tous ensemble, ces partis sont à leur niveau le plus bas dans les sondages depuis bien années. Les analystes des instituts de sondage pensent que l’élection pourra vraisemblablement être gagnée ou perdue sur la base du vote au sein du camp conservateur, à savoir entre les partisans du candidat gaulliste Nicolas Sarkozy et du candidat de centre-droit François Bayrou. C’est le résultat de la désillusion largement répandue en ce qui concerne la politique « de gauche » qui n’a rien d’autre à proposer que des clichés.

Besancenot est très conscient de sa dénégation du marxisme. Ceci est apparu clairement lorsqu’il a dû répondre à une question émanant de l’auditoire, à savoir pourquoi il s’était publiquement dissocié du trotskysme. Il n’a donné sa réponse à cette question qu’à la fin de la réunion et y a répondu avec beaucoup de véhémence.

« Je ne me suis jamais défini comme militant trotskyste », a-t-il répondu. Il est membre d’une organisation trotskyste et a beaucoup de respect pour Trotsky, a-t-il affirmé, mais il a également beaucoup de respect « pour d’autres courants, tels le courant libertaire et le syndicalisme. » Il critique la Révolution russe parce qu’elle n’était pas démocratique. Il se fonde aussi sur d’autres révolutions telles la révolution espagnole et la révolution cubaine.

Il a déclaré que se concentrer sur le trotskysme équivalait au « sectarisme. » Il est et reste un « révolutionnaire, » a déclaré Besancenot, mais son but est d’unir toutes les organisations qui se trouvent à gauche de la « gauche plurielle », à savoir celles qui ne sont pas directement associées au Parti socialiste.

Ce n’est pas seulement une question d’étiquettes politiques. Le trotskysme, rejeté et dénoncé par Besancenot comme étant du sectarisme, est en fait l’insistance du marxisme à tirer les leçons des expériences historiques de la classe ouvrière. Trotsky était intransigeant là-dessus. Si la classe ouvrière est incapable de tirer les leçons de ses victoires et de ses défaites passées, alors elle sera condamnée à endurer les mêmes expériences amères encore et toujours.

Trotsky tira tout spécialement une leçon décisive de la Révolution espagnole où une organisation, le POUM, tout comme la LCR aujourd’hui, avait élevé l’objectif de l’unité de la gauche au-dessus de la lutte pour les principes marxistes. Au plus fort de la révolution, le POUM trahissait la classe ouvrière en rejoignant le gouvernement de front populaire et en scellant la défaite du soulèvement ouvrier. Aujourd’hui, cependant, la LCR se trouve bien plus à droite que ne l’était le POUM dans les années 1930 et n’est qu’une ombre pâle de la politique française officielle.

(Article original paru le 16 mars 2007)

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