Lorsque Jean Charest, premier ministre
québécois et chef du Parti libéral (PLQ), a déclenché les élections le 21
février, le taux d’insatisfaction envers son gouvernement dépassait les 50 pour
cent. Sans doute considérait-il cela comme un contexte favorable, le taux
d’insatisfaction envers son gouvernement ayant oscillé entre 60 et 70 pour cent
pour la majeure partie de son mandat. Depuis le début des élections, il a
remonté à près de 60 pour cent.
Il y a quelques années encore, cette profonde
insatisfaction envers les libéraux aurait eu pour effet de se transformer en appui
électoral au Parti québécois, le parti indépendantiste aujourd’hui dirigé par
André Boisclair, qui a formé le gouvernement en alternance avec le PLQ depuis
1970.
Toutefois, le PQ est au moins aussi
impopulaire que les libéraux. Selon les sondages, le PQ pourrait faire encore
pire qu’en 2003, alors qu’il avait récolté 33 pour cent des voix, son pire
score depuis 1973, une époque où il n’avait jamais formé le gouvernement
provincial. Alors qu’entre 40 et 45 pour cent de la population déclare appuyer
l’indépendance du Québec, l’option constitutionnelle que défend le PQ, ce
dernier peine à dépasser la barre des 30 pour cent d’appui.
Cette désaffection envers le PQ est encore
plus significative que ses alliés traditionnels, les bureaucraties syndicales,
lui donnent un appui ouvert, ce qu’elles n’avaient pu faire en 2003 après neuf
années que le PQ était au pouvoir.
Pourquoi Boisclair ne peut-il pas faire
appel au sentiment d’opposition à Charest ? Parce que lui et son parti partagent
la même position que le PLQ sur les questions essentielles : attaquer les
acquis des travailleurs pour défendre les retours sur les investissements; mieux
positionner les élites québécoises internationalement dans la concurrence pour
les sources de main d’œuvre, de matières premières et autres ressources à bon
marché; et utiliser l’armée pour défendre les intérêts des élites patronales à l’étranger.
L’autre aspect important de la dégringolade
de l’appui au PQ est que les travailleurs sont de plus en plus tièdes à l’idée
de l’indépendance du Québec. Les attaques brutales du PQ contre la classe
ouvrière lorsqu’il était au pouvoir ont beaucoup contribué à briser l’illusion
qu’un Québec souverain signifiera une société plus juste, plus égalitaire et
plus libre.
Le PQ lui-même cache de moins en moins la
signification de la création d’un Québec indépendant. Lors du deuxième
référendum de 1995, que les souverainistes ont perdu de peu, le chef du PQ,
Jacques Parizeau, avait élaboré un programme pro-patronal pour un Québec
souverain. Il a fait valoir qu’en formant un pays, le Québec serait mieux placé
pour soutenir les compagnies québécoises sur les marchés mondiaux. De plus, la
réorganisation de l'appareil d'État qui serait nécessaire en cas de sécession
servirait de mécanisme pour réduire les dépenses de l'État de façon draconienne.
Le
PQ en campagne électorale
Dans la campagne électorale en cours, le PQ
a mené une campagne de droite, attaquant le gouvernement Charest pour ne pas
avoir tenu sa promesse de réduire les impôts d’un milliard à chacune de ses
années au pouvoir.
Comme le PLQ et le parti populiste de
droite, l’Action démocratique du Québec (ADQ), Boisclair défend la
privatisation des soins de santé et la nécessité de réduire la taille de
l’Etat.
Boisclair a réitéré qu’il ne modifiera au
plus que quelques détails du décret des conventions collectives dans le secteur
public. Les travailleurs du secteur public, qui comptent pour près d’un demi-million
de personnes et sont en très grande partie syndiqués, ont vu leurs conditions
de travails et augmentations de salaire imposées pour une durée de sept années
par une loi spéciale du gouvernement libéral.
Non seulement les salaires ont-ils été
gelés pendant 3 ans et demi et ensuite augmentés sous le taux d’inflation, mais
les droits syndicaux ont été sévèrement limités pour permettre l’élimination
des emplois et le transfert d’activités à des sous-traitants privés.
Depuis le début de l’année, Boisclair a
déclaré que son parti se consacrerait à « soulager le
capital ». « Il faut, a déclaré Boisclair, que le Québec devienne
l'endroit au monde où le capital est le mieux accueilli possible ». Quelques semaines plus tard, il déclarait que l’époque où les
syndicats et le PQ étaient « copains-copains » était terminée, pour tenter de se démarquer aux yeux du patronat
des bureaucraties syndicales qui lui offrent leur soutien.
Plus la campagne électorale avançait et plus
le PQ s’adaptait de façon ouverte à la campagne réactionnaire de l’ADQ et des
médias sur les soi-disant accommodements raisonnables. Laissant entendre que
les immigrants bénéficient de privilèges exagérés, cette campagne vise deux
objectifs principaux. Premièrement, elle veut détourner l’attention des
travailleurs sur les véritables causes du contexte social actuel pour en faire
porter le blâme sur les immigrants. Deuxièmement, cette campagne vise à
utiliser l’anti-islamisme pour justifier la participation canadienne à
l’occupation de l’Afghanistan et aux autres guerres en préparation, notamment
celle contre l’Iran.
Au début, le PQ s’était timidement opposé
aux manifestations les plus crues de l’anti-islamisme, comme l’expulsion d’une
jeune fille de 12 ans d’un match de soccer parce qu’elle portait un foulard.
Mais à la fin de la campagne, Boiclair se
vantait de prendre la tête du mouvement de l’intolérance en concentrant sa
campagne sur la décision du directeur général des élections (DGE) de permettre
à la cinquantaine de femmes au Québec portant le voile de s’identifier le jour
de vote sans avoir à montrer leur visage.
«Pour gérer ce genre
de choses-là, ça prend du leadership. Moi, je suis capable de l'exercer, ce
leadership-là,… de dire franchement le fond de notre pensée », a déclaré
Boisclair.
Après avoir initialement refusé les demandes
de Boisclair, le DGE a finalement plié devant les nombreuses menaces de
violence contre lui et le personnel électoral et a utilisé ses pouvoirs
spéciaux pour changer la loi et interdire aux femmes voilées de voter. Les
trois principaux partis, le PQ en tête, ont applaudi à cette décision du DGE,
prise devant l’intimidation d’une campagne raciste.
Le virage des souverainistes vers la droite
trouve son expression au niveau fédéral par l’appui que le Bloc québécois, le
parti souverainiste au niveau fédéral, donne au gouvernement ultra-droite des
conservateurs de Stephen Harper. En politique canadienne, il n’existe pas deux
formations plus proches au niveau organisationnel et politique que le PQ et le
Bloc québécois (BQ) dirigé par Gilles Duceppe.
Aussitôt le budget d’Harper présenté lundi
dernier, le BQ a signalé qu’il soutiendrait le gouvernement conservateur. Ce
sera la troisième fois dans une période d’un peu plus d’un an que le
gouvernement conservateur est confronté à la possibilité de tomber. Le vote sur
le budget étant une question de confiance dans le gouvernement, une défaite du
gouvernement signifie sa dissolution. Et comme pour les deux occasions
précédentes, le BQ se précipite pour accorder au gouvernement droitier d’Harper
les voix nécessaires qui lui permettront de continuer à gouverner.
Encore plus important, le BQ, avec l’appui
du PQ, donne un appui entier à l’intervention de l’armée canadienne en
Afghanistan. Cette intervention est opposée par la majorité des travailleurs au
Québec comme au Canada, mais bénéficie de l’appui massif des élites patronales
et médiatiques. Depuis la fin de l’an dernier, les Forces armées canadiennes
sont positionnées au sud du pays dans la province de Kandahar où elles sont au
cœur des manœuvres de contre-insurrection contre les résistants à l’occupation.
Duceppe a insisté que l’appui à l’opération militaire canadienne était un
exemple de la politique étrangère qu’adopterait un Québec indépendant.
Pour dégager une marge de manœuvre envers
le Capital canadien, le mouvement souverainiste québécois courtise Wall Street
et Washington. Duceppe est un ardent partisan de l’adoption par le Canada du
dollar américain et les dirigeants souverainistes insistent que leur République
du Québec fera partie des organisations militaires multinationales, comme
l’OTAN et NORAD et sera partie prenante du pacte de libre-échange
nord-américain.
Durant la campagne électorale, le PQ n’a
pas dit grand-chose sur l’indépendance malgré le fait que son programme déclare
que le PQ organisera un troisième référendum dans les mois suivant son élection,
utilisant les ressources de l’Etat pour faire la promotion de l’indépendance du
Québec.
Cette question divise le PQ lui-même, dont
les différentes factions ne s’entendent pas sur l’objectif à atteindre. Les
sections les plus proches des milieux d’affaires veulent une décentralisation
importante des pouvoirs fédéraux, une conception que résume leur demande pour
la « souveraineté-association » avec le Canada. Les sections plus
proches de la petite-bourgeoisie, les purs et durs, exigent l’indépendance sans
entente particulière avec les élites canadiennes.
La direction du PQ est aussi très
consciente que les plus importantes sections du capital québécois et canadien
sont fermement opposées à la tenue d’un autre référendum. Depuis une dizaine
d’années, les plus importants représentants des élites canadiennes et
québécoises, en appelant à la partition du Québec advenant une séparation, font
planer la menace de guerre civile. C’est un signal qui ne trompe pas que les
tensions entre les différentes sections de la bourgeoisie prennent une forme de
plus en plus explosive, et qui n’est pas passé inaperçu au PQ.
Expérience
du PQ
La classe ouvrière doit tirer les leçons de
son expérience avec le PQ. Présenté comme un parti à gauche des libéraux par
les dirigeants syndicaux, les travailleurs ont parfois cru qu’il était possible
de se défendre contre les politiques de droite en votant pour ce parti de la
grande entreprise qui s’est déjà vanté d’avoir un « préjugé favorable aux
travailleurs ».
Fondé en 1968 d’une scission avec le PLQ,
le PQ a très tôt bénéficié de l’appui des appareils syndicaux qui voulaient
détourner le militantisme syndical des travailleurs québécois vers des formes
politiques inoffensives pour le capital et diviser les travailleurs du Québec
du reste de la classe ouvrière canadienne et internationale.
Le PQ forma le gouvernement pour la première
fois en 1976. Après la défaite au premier référendum sur la souveraineté du
Québec en 1980, le PQ a viré vers la droite. Il a répondu à la crise économique
de 1981-82 en imposant des compressions qui ont atteint 20 pour cent et
voté une batterie de loi anti-syndicales. En 1984, il s’alliait au parti de la
droite canadienne, le Parti progressiste-conservateur dirigé par Brian
Mulroney, ce qui a contribué à donner à ce dernier une des plus grandes
majorités de l’histoire au Parlement. Deux futurs premiers ministres du Québec
de droite, le péquiste Lucien Bouchard et l’actuel premier ministre Jean Charest
furent ministres sous Mulroney.
Le PQ est chassé du pouvoir en 1985 et le
reprend en 1994, faisant appel au mécontentement populaire envers le chômage
chronique et la détérioration des services publics. Une fois au pouvoir, le PQ
lance un programme de fermetures d’hôpitaux, dont sept dans la région de
Montréal.
Après que la défaite au deuxième référendum
de 1995, les péquistes ont déclaré qu’il fallait redonner son
« indépendance financière » au Québec en éliminant le déficit
budgétaire annuel en cinq années. Ce programme a reçu le sceau d’approbation
des dirigeants syndicaux, qui dans des sommets économiques tenus conjointement
avec des représentants du gouvernement et du patronat ont élaboré un plan de
compressions sauvages des dépenses sociales, le « déficit zéro ».
Les budgets du système de santé et du
système de l’éducation ont été sabrés et les plus démunis tels les assistés
sociaux et les malades demandant des soins de longue durée ont été les plus
durement touchés par l’élimination de services. Les dirigeants syndicaux ont
insisté pour que les surplus de la caisse de retraite soient utilisés pour
obtenir le départ de dizaines de milliers de travailleurs du secteur public.
Depuis le début des années 2000, le PQ
traverse une profonde crise, le patronat et des sections importantes du parti
faisant pression pour qu’il vire encore plus à droite.
C’est dans ce contexte qu’André Boisclair
fut élu comme chef du parti en 2006. Boisclair, qui avait alors 39 ans,
affichant ouvertement son homosexualité, fut élu au premier tour comme
représentant du renouvellement du parti face à Pauline Marois, considérée comme
trop proche des syndicats et associée à la vielle garde du parti, ayant été à
la tête de tous les plus importants ministères.
Boisclair est associé à la droite du parti,
faisant partie de la garde rapprochée de Lucien Bouchard. Il était ministre
lors de l’assaut péquiste contre la classe ouvrière qu’il appuyait. Il était de
ceux qui militaient au sein du PQ pour que son parti abandonne le « modèle
québécois » et adopte un programme ouvertement de droite, a appuyé le
manifeste lucide de 2006 écrit par Lucien Bouchard.
Tout ceci n’empêche pas les dirigeants
syndicaux et la gauche officielle québécoise de prétendre que le PQ est
fondamentalement différent des libéraux, parce qu’il veut la souveraineté du
Québec.
Québec solidaire, un parti récemment fondé se
disant à gauche a signalé à plusieurs reprises qu’il était prêt à collaborer
avec le PQ pour empêcher l’élection du PLQ et de l’ADQ.
Les forces qui forment Québec solidaire
s’étaient rangées aux côtés du PQ et de l’ADQ lors du référendum de 1995 pour
militer en faveur d’un oui pour le projet de droite proposé par le PQ pour la
souveraineté du Québec.
Tant le projet souverainiste que le projet
fédéraliste, malgré leurs différences et les tensions acerbes qu’elles
suscitent au sein des élites au Canada et au Québec, sont des programmes qui
ont pour objectif de défendre les mêmes intérêts : ceux de la grande
entreprise et du monde financier.
Les travailleurs n’ont rien à gagner de
l’un ou de l’autre. Contrairement aux illusions que propage la gauche
officielle, le réaménagement du système capitaliste des Etats-nations en
Amérique du Nord n’a rien de progressiste. Bien au contraire, l’un et l’autre
côté n’a à proposer que des mesures comme les coupes dans les dépenses sociales
et les diminutions les impôts pour les nantis pour mieux défendre la position
concurrentielle du capital canadien et québécois sur les marchés mondiaux.
Ce type de mesure est la manifestation que
prend au Québec et au Canada un assaut mondial du Capital sur tous les acquis
de la classe ouvrière : emplois, niveau de vie, retraites, système de
santé, éducation, sécurité économique, conditions de travail, services publics.
En ligne avec cet assaut dans chaque pays, les élites patronales et politiques
prônent le développement du militarisme pour défendre leurs intérêts à
l’étranger.
Pour s’opposer à cette attaque du Capital,
qui monte les travailleurs de chaque pays les uns contre les autres, la classe
ouvrière doit adopter une approche internationaliste. Il n’y a pas d’autres
avenues que celle de développer un mouvement socialiste et
indépendant de toutes les forces nationales, qui unira la classe ouvrière au
niveau mondial. C’est à cette lutte que se consacre le World Socialist Web Site et le Parti de
l’égalité socialiste, section canadienne de la Quatrième Internationale.