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WSWS : Nouvelles et analyses : Asie

L’émissaire américain fait l’éloge de la « vision démocratique » du dictateur pakistanais

Par Keith Jones
26 novembre 2007

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Le secrétaire d’Etat adjoint américain, John Negroponte, a terminé une visite de trois jours au Pakistan, où la loi martiale règne de fait depuis deux semaines, par une conférence de presse le 18 novembre. Il y a réitéré le soutien actif de l’administration Bush pour le général Pervez Musharraf et son régime militaire.

« Nous accordons une grande valeur à notre association avec le gouvernement pakistanais dirigé par le président  Musharraf » a déclaré Negroponte, le sous-chef du département d’Etat américain.

Dans un étalage de l’hostilité et du mépris de l’administration Bush pour les droits démocratiques les plus élémentaires du peuple pakistanais, Negroponte a fait précéder cette approbation d’un éloge vibrant de la « vision » du dictateur « d’un Pakistan modéré, prospère et démocratique ».

« Sous sa direction, a affirmé Negroponte, le Pakistan a accompli de grands progrès sur la voie de cette vision. Au cours de ces dernières années, le peuple pakistanais a vu les médias se développer et devenir plus libres, l’économie croître et se développer d’une façon jamais vue et l’effet modérateur de lois et de programmes scolaires tenant compte des genres. Le président Musharraf a été, et il continue d’être une voix forte contre l’extrémisme ».  

La semaine dernière, les médias américains et la presse occidentale dans son ensemble avaient fait grand cas de la visite prévue de Negroponte à Islamabad, affirmant qu’il allait sermonner Musharraf. Celui-ci a fait, depuis qu’il a déclaré l’état d’urgence le 3 novembre, emprisonner des milliers de personnes, purgé l’appareil judiciaire, suspendu la liberté d’expression, la liberté d’assemblée et la liberté de mouvement et a donné aux tribunaux militaires le pouvoir de juger des opposants de son gouvernement.

En réalité, et comme l’a bien illustré la conférence de presse de Negroponte, sa visite avait pour but de sauver le régime de Musharraf et avant tout de préserver l’association, vieille de plusieurs décennies, entre l’impérialisme américain et l’armée pakistanaise.

La décision d’envoyer Negroponte comme émissaire du gouvernement américain à Islamabad avait, en elle-même, une signification qui n’a pas dû échapper à Musharraf et à l’armée pakistanaise. Même mesuré à l’aune de l’administration Bush qui a à son actif deux guerres prédatrices, des attaques drastiques sur les droits démocratiques du peuple américain et la défense publique, bien que sous un autre nom, de la torture, Negroponte se distingue par ses antécédents politiques particulièrement sanglants et répugnants. En tant qu’ambassadeur des Etats-Unis au Honduras il fournit les excuses de la répression sauvage menée par le gouvernement du Honduras contre la gauche, tout en aidant à organiser la guerre des contras contre le gouvernement sandiniste au Nicaragua. Negroponte fut ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU dans la période qui a précédé l’invasion de l’Irak et il servit ensuite, de juin 2004 à avril 2005, comme ambassadeur des Etats-Unis en Irak.

Dans sa conférence de presse, Negroponte a tout juste consacré deux paragraphes à ce qu’on pourrait faussement interpréter comme une critique du gouvernement Musharraf. Issu d’un coup d’Etat militaire en 1999, ce régime a brutalement réprimé toute opposition politique durant huit ans, organisé diverses élections bidon, et poursuivi une politique néolibérale qui a augmenté de façon draconienne l’insécurité économique et l’inégalité sociale.   

Des responsables du département d’Etat ont dit que Negroponte demanderait à Musharraf de lever l’état d’urgence avant la tenue d’élections législatives et provinciales prévues pour le début du mois de janvier. Mais le général a refusé, dans de récentes interviews et, d’après ses collaborateurs, aussi lors de sa rencontre avec Negroponte, de nommer une date de levée de l’état d’urgence ou d’accepter de limiter celui-ci dans le temps. Musharraf a insisté au contraire pour dire, prétextant la menace du terrorisme, que la seule manière de garantir des « élections libres » était de maintenir un régime anticonstitutionnel où tout meeting politique et tout rassemblement est interdit et où chacun peut être arrêté et même accusé de trahison pour avoir critiqué son gouvernement.  

Negroponte a concédé bien au début de sa conférence de presse, que « l’état d’urgence est incompatible avec des élections libres, justes et crédibles ». Mais il a nuancé cette déclaration par la suite disant, en réponse à la question d’un journaliste, que si le gouvernement ne levait pas l’état d’urgence et ne libérait pas les membres des  partis d’opposition « il affaiblirait certainement [sa] capacité à mener des élections satisfaisantes ».

Negroponte tourne le dos à Bhutto

Juste avant la visite de Negroponte, le régime militaire pakistanais avait levé l’assignation à résidence frappant la présidente du PPP (Pakistan People’s Party) Benazir Bhutto, ancienne premier ministre du Pakistan et celle d'Asma Jahangir, ancien responsable de l’ONU et dirigeant de la Commission autonome des droits de l’homme du Pakistan. Le régime avait aussi permis à plusieurs chaînes de télévision privées de reprendre leurs émissions, mais seulement après qu’elles aient accepté de se conformer à un code de conduite draconien qui menace ceux jugés trop critiques envers le gouvernement d’amendes et de peines de prison.

Pour le reste, la répression a continué sans rémission pendant le weekend, la police dispersant des rassemblements de protestation, chargeant à la matraque et procédant à des arrestations en masse. Musharraf avait annoncé la couleur. « Quiconque enfreint la loi du pays retournera en prison ou bien sera arrêté » avait-t-il dit avant la visite du sous-secrétaire d’Etat. « Nous ne voulons d’agitation de la part de personne et nous le dirons à Negroponte… »

Agissant sous la pression d’Islamabad, le gouvernement de Dubaï a forcé deux chaînes de télévision privées, GEO TV et ARY, qui diffusaient par câble vers le Pakistan avant l’état d’urgence et continuaient depuis d’avoir une large audience dans la communauté pakistanaise expatriée des Etats du Golfe persique, à interrompre leurs émissions.

Negroponte a téléphoné à Bhutto au début de sa visite mais a refusé selon toute apparence de la rencontrer après qu’elle ait rejeté son appel à se rallier à Musharraf. Negroponte n’a rencontré aucun autre leader de l’opposition, une manifestation de plus du soutien de Washington au gouvernement pakistanais.  

Durant les six derniers mois, l’administration Bush avait investi beaucoup de temps et d’énergie à essayer d’obtenir un rapprochement entre Bhutto et Musharraf. On espérait que le PPP fournirait une feuille de vigne démocratique au régime militaire de plus en plus isolé et impopulaire, en échange d’une part significative de pouvoir politique.

Bhutto pour sa part a essayé de se qualifier publiquement pour ce rôle, disant clairement que, si elle était au gouvernement, elle serait plus accommodante encore que l’actuel gouvernement vis-à-vis des vœux de Washington. Elle permettrait par exemple aux troupes américaines de monter ouvertement des opérations militaires dans les zones du Pakistan qui bordent l’Afghanistan.

Après l’imposition de la loi martiale, Bhutto avait louvoyé face aux déclarations politiques de l’administration Bush et elle avait maintenu dans les coulisses des contacts avec le gouvernement. Mais la semaine dernière, après avoir été assignée à résidence à deux reprises et après que le gouvernement ait arrêté des dizaines de supporters du PPP, Bhutto a été forcée d’annoncer qu’elle ne pouvait pas faire partie d’un gouvernement dont Musharraf serait le président et elle a pressé les Etats-Unis de l’aider à faciliter la « sortie » du général.    

La veille de la visite de Negroponte, Bryan Hunt, le consul général américain à Lahore rencontrait Bhutto, alors assignée à résidence, pour essayer de la persuader de reprendre les négociations avec Musharraf et l’armée. Selon Associated Press, elle lui a dit que cela serait « très difficile ». La crédibilité de Bhutto et le soutien dont elle bénéficie ont fortement souffert parce qu’elle est prête à négocier avec Musharraf et avec les Etats-Unis qui ont favorisé plusieurs dictatures militaires successives au Pakistan et occupé l’Afghanistan et l’Irak. 

Musharraf a, de son côté, parlé de Bhutto de façon de plus en plus de méprisante. Dans une interview donnée vendredi au Washington Post il a écarté d’autres négociations avec elle et l’a justifié cela en disant qu’elle recherchait trop « la confrontation ». Il a promis de réduire à néant le défi qu’elle a porté à son gouvernement. Selon le journal Dawn il a fait entendre le même message à Negroponte lors de leur rencontre.

Lors de sa conférence de presse, Negroponte a dit qu’il avait « encouragé une réconciliation entre les modérés politiques » (parlant de Musharraf et Bhutto) « comme la voie la plus constructive ». Mais étant donné qu’il n’a pas rencontré la dirigeante du PPP et qu’il a fait l’éloge de Musharraf, son appel à « toutes les parties » de poursuivre « l’engagement et le dialogue et non pas la politique du pire et la confrontation » était principalement adressé a Bhutto et non pas au général responsable la loi martiale et de la répression.   

Depuis que Musharraf a imposé la loi martiale, les responsables de l’administration Bush ont affirmé qu’il y avait des limites sérieuses à leur influence sur Islamabad et que tout ce qu’ils pouvaient faire était de plaider avec l’armée pakistanaise pour que celle-ci aille vers la démocratie. De telles affirmations sont ridicules. Si les Etats-Unis voulaient faire pression sur Islamabad, ils auraient, ainsi que les pays occidentaux, une vaste panoplie d’instruments à leur disposition qui leur permettrait d’exercer une pression tant économique que politique sur le gouvernement pakistanais. L’armée pakistanaise entretient une association de longue date avec le Pentagone et a empoché la plus grande partie des 10 milliards de dollars d’aide que Washington a, pour ce qui est connu, donné au Pakistan durant les six dernières années. 

Lorsqu’elle considérait que les intérêts stratégiques vitaux des Etats Unis étaient en jeu, l’administration n’avait eu aucun problème à menacer Musharraf et l’armée pakistanaise. Musharraf affirme dans son autobiographie que le prédécesseur de Negroponte, l’ancien secrétaire d’Etat adjoint, Richard Armitage, avait dit en septembre 2001 que les Etats-Unis bombarderaient le Pakistan et le feraient retourner à l’âge de pierre s’il ne rompait pas ses liens avec le régime des talibans et ne fournissait pas un soutien logistique à une invasion américaine de l’Afghanistan.

La réalité est que l’administration Bush et l’establishment américain dans son ensemble sont terrifiés à l’idée qu’une lutte populaire contre le régime Musharraf puisse entraîner un soulèvement social provoquant des fissures dans l’armée pakistanaise et échappant au contrôle politique du PPP et des autres partis bourgeois traditionnels.

Une telle évolution perturberait pour le moins sérieusement la guerre des Etats-Unis en Afghanistan, près de la moitié du pétrole et la plupart des autres fournitures utilisées par les forces américaines passant par le Pakistan ; elle perturberait aussi les préparatifs de guerre de Washington contre l’Iran.

D’où le fait que l’administration Bush, tout comme les démocrates, se soient ralliés à Musharraf et à l’armée pakistanaise, les démocrates rouspétant quelque peu sur la mauvaise gestion des affaires américaines par l’administration

L’administration Bush explore toutefois momentanément d’autres options au cas où l’opposition populaire contre Musharraf augmenterait, c’est-à-dire des moyens de remplacer celui-ci par un autre général, plus acceptable. Selon certains articles de presse, Negroponte a rencontré par trois fois lors de sa visite le général Ashfaq Kiyani, l’homme désigné par Musharraf pour lui succéder comme chef des forces armées. Le Washington Post, qui a fait état de ces visites, a fait remarquer que « la rencontre de Negroponte avec Kiyani était un signe que les Etats-Unis cherchent à faire les yeux doux à d’autres leaders possibles qui soient capables de maintenir la stabilité du pays et être des associés dans sa lutte contre le terrorisme, dirent des analystes ». 

Quoiqu’il arrive, Washington est résolu à faire obstacle aux aspirations démocratiques et sociales du peuple pakistanais.

(Article anglais paru le 19 novembre 2007)

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