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La Cour suprême du Canada donne le feu vert à la déportation de soldats américains objecteurs de conscience

Par Guy Charron
24 novembre 2007

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La Cour suprême du Canada a annoncé le 15 novembre qu’elle refusait d’entendre l’appel de deux soldats de l’armée américaine à qui on avait refusé le statut de réfugié politique au Canada.

Les deux résistants à la guerre, Jeremy Hinzman et Brandon Hughey, contestaient la décision du tribunal canadien de l’immigration, confirmée plus tard par deux cours fédérales, de ne pas accepter que les deux hommes fondent leur demande d’asile politique sur l’illégalité de la guerre en Irak.

Hinzman est arrivé au Canada en 2004 après que ses demandes pour qu’il soit considéré comme objecteur de conscience aient été refusées à deux reprises par l’armée américaine et après l’annonce que son bataillon serait envoyé en Irak.

Hinzman n’a laissé aucun doute quant à la nature politique de son geste. « Ils nous ont dit qu’il y avait des armes de destruction massive. Ils n’en n’ont trouvé aucune, avait-il expliqué alors. Ils ont dit que l’Irak était lié aux organisations terroristes internationales. Ces liens n’ont jamais existés… C’est une guerre criminelle. Tout acte de violence dans un conflit non justifié est une atrocité. »

Même si les experts estiment probable que les soldats américains remis à la justice américaine soient condamnés à cinq années de prison, l’offense dont Hinzman et Hughey sont accusés – la désertion – peut les mener devant le peloton d’exécution.

C’est le gouvernement canadien précédent, dirigé par les libéraux de Paul Martin, qui avait insisté devant de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) ayant eu la première à statuer sur la cause des deux résistants que ces derniers ne pouvaient pas plaider l’illégalité de la guerre. Le prétexte invoqué par les représentants du gouvernement était que seule la Cour internationale de justice située à La Haye avait l'autorité et la compétence pour entendre des témoignages concernant la légalité de la guerre.

Le CISR s’était rendu aux arguments du gouvernement canadien. Peu de temps après, deux autres cours supérieures fédérales avaient refusé de laisser Hinzman et Hughey établir que la guerre en Irak était illégale. Elles avaient statué sur cette base que les deux hommes ne risquaient pas une « peine cruelle et inhabituelle » pour avoir quitté l’armée sans autorisation.

Avec sa décision de refuser d’entendre l’appel, la Cour suprême a scellé le sort, non seulement de Hinzman et de Hughey, mais aussi d’une quarantaine d’autres soldats américains ayant demandé d’être reconnus comme réfugiés politiques. À moins que le gouvernement canadien ne leur accorde une permission spéciale pour rester au Canada – ce qui est très improbable compte tenu de l’affinité entre le gouvernement conservateur de Harper et l’administration Bush – ils seront expulsés du Canada. Une fois remis aux autorités américaines, ils seront jugés pour désertion parce qu’ils ont refusé de participer à la guerre sanglante en Irak.

Cette guerre, il faut le rappeler, a été menée par l’administration Bush sur la base du principe illégal qu’il s’agissait d’une « guerre préventive ». Toutes les justifications officielles qui l’ont accompagnée ont été démasquées comme étant des mensonges. Selon des études menées par des organismes réputés, la guerre, et la destruction de la société irakienne qu’elle a occasionnée, ont causé la mort d’un million d’Irakiens et chassé de leurs demeures des millions d’autres.

La décision de la Cour suprême mine aussi les efforts d’au moins deux cent cinquante soldats américains qui, selon les avocats de Hinzman et Hughey, tentent de fuir les poursuites de l’armée en se réfugiant au Canada. Potentiellement, des milliers d’autres auraient pu les rejoindre.

Selon les chiffres du Pentagone lui-même, que l’on peut supposer comme représentant un plancher, la désertion est un phénomène en pleine croissance. L’armée américaine admet que 4700 soldats ont déserté l’an passé seulement, une augmentation de plus de 40 pour cent par rapport à l’année précédente où 3300 soldats avaient déserté et de 80 pour cent par rapport à 2003. Ces chiffres ne comprennent pas les soldats enrôlés dans l’armée de l’air ou dans la marine.

L’attitude actuelle des autorités canadiennes forme un contraste frappant avec l’attitude adoptée dans les années 1960 et 1970, lors de la guerre du Vietnam. Entre 50.000 et 100.000 jeunes Américains désertant l’armée ou fuyant la conscription obligatoire avaient alors trouvé refuge au Canada.

Si la décision de la Cour suprême n’a pas fait la première page des journaux, elle n’a pas passé inaperçue, ayant fait l’objet d’articles des principaux quotidiens de par le monde. Avec cette décision, la Cour suprême a inscrit l’adoption par les élites canadiennes du principe de la loi du plus fort dans la jurisprudence. En particulier, le plus haut tribunal au Canada a reconnu dans les faits la légitimité de la guerre en Irak et de façon plus générale de la guerre d’agression dite préventive.

La position de la Cour suprême souligne le fait que l’attitude du Canada envers le droit international – et cela vaut pour les autres puissances occidentales – est entièrement subordonnée à la défense de ses propres intérêts. Si le droit international entre en conflit avec ces intérêts, il est tout simplement mis au rancart sans aucune forme de procès.

Dans la période ayant suivi la Seconde Guerre mondiale, les élites canadiennes avaient jugé dans leur intérêt de signer des accords et des déclarations stipulant qu’il était du devoir d’un soldat de refuser des ordres s’ils vont à l’encontre du droit international. La Cour suprême vient d’établir que toutes ces signatures n’ont jamais valu plus que le papier sur lequel elles étaient apposées.

Aujourd’hui, toutes les sections importantes de l’élite canadienne appuient la décision des cours de ne pas accorder le statut de réfugié politique aux résistants fuyant l’armée américaine. Les éditoriaux depuis le début de cette affaire ont insisté pour décrire Hinzman et les autres soldats comme des « déserteurs, pas des réfugiés ».

D’un côté la grande bourgeoisie canadienne craint d’être perçue comme ne soutenant pas suffisamment la politique américaine de guerre de conquête et de mettre en péril l’accès au marché américain duquel dépend près de 40 pour cent de l’économie canadienne.

De l’autre, le Canada est impliqué dans ses propres aventures impérialistes, ayant déployé l’armée canadienne en Afghanistan dans sa première mission de nature offensive depuis la Guerre de Corée dans les années 1950. Cette guerre est très largement impopulaire et les élites canadiennes craignent que les résistants américains ne provoquent un phénomène semblable dans leur propre armée.

L’armée canadienne a déclaré que les conventions de Genève ne s’appliquent pas en Afghanistan et que les prisonniers capturés par l’armée canadienne en Afghanistan n’avaient pas à être amenés devant un tribunal pour déterminer s’ils étaient prisonniers de guerre ou non selon les conventions de Genève. 

Récemment, de nouveaux documents ont indiqué que le gouvernement canadien était bien au fait que les prisonniers qu’il remettait aux forces de sécurité afghanes étaient torturés. L’armée canadienne est, de plus, régulièrement impliquée dans le meurtre de civils. Les soldats canadiens paient le « prix du sang » pour que les élites canadiennes puissent être respectées dans les instances dirigeantes internationales comme l’OTAN et, de façon générale, pour qu’elles puissent « influencer et modeler des régions et des populations en accord avec nos intérêts », dans les mots du général Hillier, le chef d’état-major canadien.

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