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La grève des conducteurs de train en Allemagne: un reportage de Berlin et Francfort

Par des reporters du WSWS
19 novembre 2007

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Les conducteurs de train ont étendu leur grève du fret au trafic passager suburbain et régional et pour la première fois au trafic grandes lignes, aux premières heures du jeudi 15 novembre. La grève durera jusqu'à samedi matin et elle a un réel impact. C’est la plus grande grève des chemins de fers allemands depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. 

L’impact de la grève est particulièrement sévère à l’est de l’Allemagne, parce que beaucoup de conducteurs de cette partie du pays sont organisés dans la GDL (Gewerkschaft der Lokomotivführer). « Dans les nouveaux Länder (l’ancienne Allemagne de l’Est), seuls 15 pour cent des trains roulent » a dit un porte-parole de la Deutsche Bahn (la société des chemins de fer allemands) hier à Berlin. Il a estimé que les 50 pour cent de train régionaux roulant encore à l’Ouest montraient que le plan d’urgence mis en place par la DB était un succès.

C’est la direction de la Deutsche Bahn qui porte l’entière responsabilité de l’intensification du conflit. Elle se refuse obstinément à faire de nouvelles propositions et essaie de forcer les conducteurs de train à accepter l’accord signé par les syndicats Transnet et GDBA, qui prévoit une hausse de salaire de 4,5 pour cent et un versement unique de 600 euros. Etant donné que les salaires des conducteurs de train stagnent depuis des années et que durant les vingt dernières années ils ont baissé alors que la charge de travail a très fortement augmenté, cela reviendrait à accepter la démolition salariale et sociale. 

La revendication de la GDL d’un salaire brut de début d’activité de 2.500 euros qui atteindrait 3.000 euros sur une longue période de temps, ainsi qu’une réduction du temps de travail hebdomadaire de 41 à 40 heures sont tout à fait justifiées. L’affirmation selon laquelle la satisfaction de ces revendications n’est pas possible pour des raisons financières, est fausse. 

Selon les calculs de la DB elle-même, le coût supplémentaire de ces revendications se monterait à 250 millions d’euros par an. Cela représente exactement 10 pour cent de l’excédent de 2.5 milliards d’euros que la société a extrait du personnel l’an dernier.

Ce qui suit montre aussi que ce n’est pas l’argent qui manque : l’ensemble des traitements de la direction a augmenté de 70 pour cent l’an dernier ; les sommes prévues pour les retraites des membres du conseil d’administration en activité ou en retraite ont augmenté de 15,3 pour cent et les traitements des membres du conseil d’administration sont même montés de 269 pour cent (source : rapport annuel 2006 de la Deutsche Bahn AG). Le salaire de Mehdorn lui-même a augmenté de 100 pour cent l’an dernier pour atteindre 3,18 millions d’euros et celui de sa chef du personnel atteint, lui, 2,1 millions d’euros.

L’assertion répétée mainte fois que la grève est une tentative de faire chanter la direction de la DB présente la réalité à l’envers. C’est Harmut Mehdorn et sa direction qui essaient par tous les moyens de faire plier les conducteurs de train. Ils veulent faire un exemple et intimider quiconque oserait lutter contre les baisses de salaire et la détérioration constante des conditions de travail.

Medhorn est prêt à dépenser beaucoup plus d’argent pour la répression de la grève que ne lui coûterait la satisfaction des revendications des conducteurs de train. Hier, alors que la grève était étendue, il a fait placer des encarts publicitaires couvrant des pages entières dans plusieurs quotidiens nationaux. Sous le titre « Arrêtez cette folie monsieur Schell ! » on y reproche à la GDL qu’elle se refuse à « toute négociation depuis des mois ». L’appel démagogique de Mehdorn se termine par ces mots : « Arrêtez enfin d’imposer une grève à tout le pays ». 

Le conseil d’administration de la Bahn AG a serré les rangs autour de son président et fait la déclaration suivante: « Pour ce qui est de la grève le conseil d’administration soutient la positon de la direction de ne pas satisfaire la revendication de la GDL de dissoudre l’unité tarifaire, même si elle devait continuer à faire grève ». Un porte-parole du service de presse de la société ferroviaire, Volker Knauer, a dit au WSWS que la déclaration n’avait pas fait l’objet d’un vote mais que c’était une « prise de position consensuelle ». Les représentants des salariés siégeant au conseil d’administration auraient selon lui expressément déclaré leur soutien.

La séance extraordinaire du conseil d’administration avait été réclamée par le président du syndicat du rail Transnet, Norbert Hansen, et celui de la GDBA, Klaus-Dieter Hommel (qui siègent tous deux au conseil d’administration), parce qu’ils voulaient avoir, de la part du gouvernement, des explications sur un modèle de privatisation en débat actuellement. 

Dans une interview donnée au quotidien Süddeutschen Zeitung, le chef de Transnet a attaqué les conducteurs en grève de la pire façon. Il était « absolument inacceptable qu’à présent toute l’Allemagne doive souffrir [de la grève] », que des fonctionnaires d’un petit syndicat essaient de se mettre en avant. Pour la GDL il ne s’agit, selon lui, que d’obtenir « un avantage par rapport au statut », déclara Hansen. La grève conduisait à des « dommages permanents pour le site économique allemand » et devait se terminer le plus rapidement possible.

Le gouvernement fédéral lui aussi, a exigé une « fin rapide du conflit ». Le vice-porte-parole du gouvernement, Thomas Steg, a dit hier que la grève des trains provoquait des dégâts importants dans l’économie nationale et qu’elle représentait un fardeau pour un développement positif de la conjoncture. Elle freinait la croissance économique en Allemagne et pouvait, s’il elle se poursuivait, avoir des conséquences plus graves encore.

Les porte-parole de la politique économique des fractions parlementaires du SPD et du CDU, Rainer Wend et Laurenz Meyer, ont mis les conducteurs en garde contre une « lutte pour des intérêts sectoriels ». Au parlement, Wend a appelé les grévistes à ne pas lutter « pour des droits spéciaux au détriment de tous les salariés ». Le député du SPD a concédé indirectement qu’il s’agissait avant tout d’empêcher que la grève ait un effet de signal. Ce que les conducteurs de train faisaient aujourd’hui, les ouvriers de la maintenance ou les employés de gare pouvaient le faire demain, a souligné Wend.  

Etant donné la pression grandissante qui s’exerce de toutes parts, il est extrêmement important de soutenir les conducteurs en grève, Des membres du WSWS ont distribué des tracts où l’on peut lire : « Le PSG (Parti de l’égalité sociale) appelle l’ensemble de la population travailleuse à se solidariser avec les conducteurs de train. Ne permettez pas que les conducteurs soient isolés par les syndicats du DGB, mis en difficulté par la direction de la DB et criminalisés par la justice de classe ! Construisez des comités de solidarité et faites de la lutte des conducteurs de train le départ d’une large offensive contre la démolition salariale et sociale et contre la grande coalition de Berlin ! »

Dans la discussion avec les conducteurs de train la question d’une perspective et d’une collaboration internationale avec les cheminots français, qui se trouvent également en grève, a joué un rôle important.  

Berlin

Le trafic ferroviaire suburbain de Berlin, dont les trains circulent normalement toutes les deux ou trois minutes ne circulaient plus que toutes les 20 à 40 minutes à cause de la grève. De nombreux passagers s’étaient arrangés autrement. Les gares étaient relativement vides. Les conducteurs de train en grève de la GDL n’étaient pas présents parce que la direction de la Deutsche Bahn leur avait interdit de monter des piquets de grève.   

A la principale gare de Berlin Est, Ostbahnhof, des membres de la GDL ont été forcés de quitter le local où ils se reposent normalement ainsi que l’ensemble de la gare à 5 heures du matin. Les conducteurs s’étaient retirés dans un petit restaurant près de la gare qui avait mis une pièce à la disposition des grévistes.  

Les conducteurs se sont empressés de parler aux journalistes du World Socialist Web Site et un certain nombre de grévistes connaissaient aussi le tract du WSWS sur la grève ainsi que d’autres articles. Cependant, les conducteurs étaient très sceptiques pour ce qui était du reste des médias. Un reporter du quotidien  à sensation Bild Zeitung a été incapable de trouver qui que ce soit pour lui donner une interview et les grévistes ont expliqué qu’ils ne donnaient pas d’interview à ce « torchon à mensonges ».

Andreas von Rappard a 35 ans, il est conducteur de train et organisé à la GDL depuis mai 2006. Auparavant il avait été membre du syndicat Transnet, mais il s’est senti abandonné par cette organisation « Transnet est tout simplement un instrument de Mehdorn [le chef de la Deutsche Bahn] », a-t-il expliqué. Rappard s’est levé à 3 heures du matin  et aurait dû commencer son travail à 5 heures, pour une équipe au cours de laquelle il aurait dû parcourir tout le pays et qui aurait fini à 17h 47. « Je ne vois ma femme et mes deux enfants que rarement », dit-il.

Il a souligné le fait que le GDL ne faisait pas seulement grève pour les conducteurs de train, mais pour l’ensemble des personnels du rail : les techniciens, les chefs de train, le personnel de la restauration, jusqu'à ceux qui s’occupent du nettoyage. La GDL a donc l’intention de changer de nom et de s’appeler à l’avenir « syndicat des personnels des chemins de fer »

Il a dit que ce n’était pas le syndicat qui était responsable de la division du personnel des chemins de fer. « En réalité, on a été divisé et battu depuis longtemps. Le fret a sa propre organisation, Railion, le trafic régional aussi avec Regio, et le trafic grandes lignes avec DB grande lignes. C’est un total de 60 entreprises qui opèrent actuellement au sein de la DB. Avec notre grève nous voulons empêcher la privatisation des chemins de fer et qui frapperait les travailleurs qui travaillent dans les secteurs à profits de la société.

Quand on lui a demandé son opinion sur l’importance des grèves du rail en France pour les grévistes allemands il a expliqué qu’il saluait fortement les grèves de l’autre côté de la frontière. A l’avenir, la coopération internationale deviendra plus importante, a-t-il dit. « Ces prochaines années le système de transport européen va être ouvert à la concurrence du marché libéré. Cela signifie que les personnels des trains de tous les pays vont pouvoir circuler en Allemagne à leurs propres conditions. Il est donc encore plus important que nous réussissions maintenant. Nous avons déjà reçu des salutations solidaires de nombreux travailleurs du rail à l’étranger. »

Quand on lui a demandé ce qu’il pensait du rôle du gouvernement, Rappard a dit qu’il espérait encore que la coalition allait intervenir en faveur des conducteurs de train. L’impact économique serait considérable si la grève continuait. De ce point de vue, il croyait que les grèves pouvaient réussir si elles étaient poursuivies avec constance. « Si les collègues continuent à rester fermes, nous pouvons résister au front uni des entreprises, du gouvernement et du DGB.

Wolfgang Mielke a 50 ans et il travaille aux chemins de fer depuis 33 ans. Il voit le rôle du gouvernement de façon critique. « Ils nous ont qualifiés de maîtres chanteurs, comme si nous étions des criminels », dit-il. Il espère cependant que la coalition va s’incliner devant la pression de la grève. « La direction actuelle de la DB doit être remplacée, dit-il. Si le gouvernement se tourne contre les conducteurs de train, il va trouver devant lui une vaste résistance. Nos revendications salariales ne sont rien du tout comparées aux salaires de la direction. »

 « Nous ne nous inclinerons pas »

Francfort-sur-le-Main, 15 novembre. Une bonne partie du réseau ferré a été paralysé par la grève. En Hesse, près de la moitié du trafic suburbain et régional a été bloqué. Un plan d’urgence a été mis en place par la DB pour les grandes lignes et les trains express mais il ne fonctionnait que de façon sporadique et le fret est touché par la grève depuis mercredi.

Des reporters du WSWS ont visité les grévistes de la GDL dans leur QG en face de la gare principale de Francfort. Les bureaux, les couloirs et les escaliers du bâtiment étaient pleins de conducteurs de train combatifs et de bonne humeur qui, lorsqu’on le leur demande disent qu’ils sont aussi prêts à mener une grève illimitée.

Bernd Hauptmann, Monique P. et d’autres collègues le confirment : « Il est difficile de dire comment cela va continuer » dit Bernd « mais il n’est pas question d’abandonner ». Et son collègue d’ajouter « il est possible que cela devienne une grève illimitée ; cela dépend de la direction de la DB – s’il nous font une offre ou pas. »

Les quatre cheminots expliquent une fois encore ce qui est en jeu dans la grève : les conducteurs ne gagnent pas plus de 1500 à 1600 euros par mois, selon qu’ils travaillent les weekends ou s’ils font les équipes de nuit. « Cela peut même être moins, si l’un de nous a pris des jours de vacances et s’il ne reçoit aucun extra. » dit Monique. Bernd a réfuté des bruits selon lesquels les conducteurs recevaient des salaires plus élevés : « C’est une honte qu’on dise sans cesse au public que nous gagnons 2.200 euros nets ; ce chiffre représente tout au plus le salaire brut et encore pour les tranches les plus élevées. » 

Pour cet argent, les conducteurs font un travail pénible au cours d’équipes compliquées. Ce travail requiert une forte responsabilité, les conducteurs étant responsables de centaines de passagers dans des trains rapides qui roulent parfois à vitesse maximum dans des conditions atmosphériques difficiles.

 « Le salaire suffit juste à payer les factures » explique Bernd, « mais il ne reste rien à la fin du mois. Il dit que de nombreux conducteurs ont dû venir à Francfort depuis l’est du pays à la suite de la réunification il y a 17 ans. La plupart sont forcés de faire la navette et d’avoir un second logement – mais ils ont le problème de ne pas pouvoir payer deux loyers. » C’est déjà difficile dans des conditions ou l’achat de choses nécessaires comme une paire de lunettes ou des frais de dentiste signifie des dépenses supplémentaires. Et les caisses d’assurance maladie remboursent de moins en moins de frais. »

« Faire grève avec la France »

Quand on leur a demandé leur opinion sur les grèves menées par les cheminots français les grévistes ont répondu de façon très positive et étaient tout à fait en faveur d’une action dans l’ensemble de l’Europe. Lorsqu’un collègue a affirmé que les cheminots français avaient leurs problèmes à eux, une discussion animée s’est engagée sur la tendance grandissante à la privatisation encouragée par l’Union européenne à Bruxelles.

« En France la privatisation n’était plus à l’ordre du jour après les longues grèves des années 1990 » a fait remarquer un gréviste. « Maintenant, cependant tout est remis sur la table. On devrait vraiment organiser des grèves communes ».

« Plusieurs conducteurs ont exprimé l’opinion que la privatisation prévue comportait d’énormes dangers et était la principale raison de l’attitude inflexible et butée de la direction de la DB. « Avec la privatisation, tout ce qui compte, c’est la valeur sur le marché et les profits » dit Monique. « Pour arriver à leurs fins, ils veulent nous empêcher d’obtenir notre propre accord salarial, peu importe ce que cela en coûte. Regardez juste ce que cette grève coûte en ce moment : ça doit aller dans les millions d’euros. Ils auraient pu augmenter nos salaires depuis longtemps sans que cela leur coûte autant. »

Son collègue Bernd a confirmé que la direction de la DB avait le soutien d’un front uni comportant l’élite économique et les partis au gouvernement : « Ce n’est pas seulement la direction de la DB mais aussi les organisations patronales ; et aucun des partis politiques ne vaut mieux. Quand j’entends des leaders politiques comme Peter Struck [du Parti social-démocrate] dire "il est important que la DB reste absolument ferme" alors là, je ne comprends plus. Après tout, il devrait être de notre côté. »  

Lorsque le WSWS a répondu que c’était la principale raison pour laquelle les travailleurs avaient besoin d’un nouveau parti, Bernd a répondu : « Beaucoup de gens ont dit la même chose chez nous. Le SPD ne changera pas sa politique de droite même s’ils perdent des voix aux élections. »

Monique a souligné alors le haut niveau de soutien pour les grévistes de la part de la population en général. « C’est une honte quand les médias affirment que nous sommes une petite minorité. Cela n’est pas correct. La GDL a 35.000 membres dont 80 pour cent sont des conducteurs. On peut déjà voir maintenant que nous ne sommes pas une minorité, mais dans un avenir proche cela deviendra encore plus net. Nous n’avons pas seulement le soutien des conducteurs de train mais aussi celui de la population en général. Beaucoup de gens ont de la sympathie pour notre cause parce qu’ils savent qu’ils sont dans la même situation et ils sont contents de voir que quelqu’un prend les choses en main ».  

(Article original publié le 17 novembre 2007)

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