Les négociateurs de la WGA (Writers Guild of
America — Guilde des auteurs américains) et de l'AMPTP (Alliance of
Motion Picture and Television Producers — Alliance des producteurs de cinéma
et de télévision), ont rompu les négociations mercredi, six heures avant
l'expiration de leur contrat de trois ans. Les deux camps, malgré la présence
d'un médiateur fédéral, restent très divisés sur les questions cruciales des droits
d'auteur sur les DVD et du paiement concernant les films et les émissions de
télévision diffusées par Internet. Les scénaristes reçoivent une très maigre
portion des ventes de DVD, suivant un mode de calcul qui avait été négocié il y
a 22 ans.
L'AMPTP, représentant les majors, a refusé de
changer sa position sur ces points. Son porte-parole, Nick Counter, a déclaré
au syndicat « Nous voulons passer un contrat. Mais… il n’est
pas possible d’avancer pour combler le fossé entre nous tant que votre
proposition concernant les DVD reste sur la table. »
La WGA exige le doublement des droits
d'auteurs que les scénaristes reçoivent sur les ventes de DVD et la
rémunération des programmes qui sont soit transmis par Internet soit distribués
numériquement (particulièrement s'ils sont diffusés avec de la publicité).
Depuis juillet dernier, non seulement les producteurs ont refusé de considérer
l'idée d'augmenter les droits d'auteur sur les DVD, mais ils avaient proposé initialement
que les auteurs se soumettent à une réduction de ces revenus. Ils ont
finalement abandonné cette demande le 16 octobre.
Cependant, le 26 octobre, les producteurs sont
revenus à la charge avec une nouvelle demande : une réduction des pensions
de retraite et de l'assurance-santé, ce qui constitue aussi un point
d'accrochage important, même s'il est secondaire.
Le syndicat a répondu à la déclaration de
Counter mercredi : « Chaque question qui est importante pour les auteurs, dont
les rediffusions sur Internet, les scripts originaux pour les nouveaux médias,
les DVD et les juridictions, a été ignorée (par l'AMPTP). C'est totalement
inacceptable. »
Les auteurs se réunissent à Los Angeles jeudi
soir pour envisager leurs options. Une grève vendredi est fortement probable.
La semaine dernière les scénaristes des deux
côtes des États-Unis ont donné l'autorisation au syndicat d’appeler à la
grève par un vote à une majorité écrasante. Si les scénaristes décident de
faire grève, ce sera la première fois qu'ils se rendront au piquet de grève
depuis 1988, lorsque les studios, y compris les chaînes de télévision, avaient perdu
près de 500 millions de dollars.
Les productions télévisuelles seraient les premières
à être affectées par une grève des scénaristes. Les scripts ont été achevés
dans la précipitation avant l'expiration du contrat le 31 octobre. Ceux-là
peuvent encore être tournés. Cependant, une grève longue signifierait l'arrêt
de la plupart des émissions, en particulier des séries.
Les scénaristes de cinéma et de télévision
sont dans une lutte âpre contre des conglomérats gigantesques, qui ont des
liens bien établis avec les deux partis politiques à Washington et Sacramento
et toutes les sections de l'establishment politique et médiatique américain. Parmi
les membres dirigeants de l'AMPTP on compte Barry Meyer, Président du conseil
d'administration de Warner Brothers Entertainment, Leslie Moonves, PDG de CBS
Corp., Peter Chermin, Président de News Corp. et Robert Niger, PDG de Disney.
Combien de dizaines de millions de dollars ces individus amassent-ils chaque année ?
Quelle influence politique exercent-ils ?
Les auteurs doivent entrer dans ce conflit les
yeux grand ouverts et en considérer les implications à grande échelle.
Il est parfaitement légitime pour les auteurs
et les autres artistes du cinéma de demander une plus large part des revenus
générés par les ventes de DVD et les nouvelles formes de médias numériques. Il
n'y a en fait aucune raison de faire confiance à la direction de la WGA pour
qu'elle conduise ce combat jusqu'au bout.
La direction syndicale a déjà annoncé que sa
nouvelle proposition à l'AMPTP « inclut des changements concernant les
DVD, les nouveaux médias et les questions juridictionnelles. Nous avons
également retiré neuf propositions de la table des négociations. »
Une lutte victorieuse demandera la
mobilisation la plus large possible de la part des auteurs, des réalisateurs,
des acteurs, des techniciens et de tous les autres participants à l'industrie
du cinéma. Plus que ça, cependant, cela demandera une renaissance de la
conscience socialiste et une opposition au capitalisme dans l'industrie du
cinéma. Ceux qui travaillent dans ce secteur doivent considérer les films, la
télévision et la culture en général du point de vue le plus large possible.
L'intransigeance des studios de cinéma et de
télévision, leur refus d'abandonner chaque centime de leurs énormes profits,
indiquent un problème bien plus profond : l'incompatibilité essentielle entre
un système basé sur la propriété privée de puissants moyens de divertissement
et de communication d'une part, et, non seulement les besoins immédiats des
travailleurs du cinéma et des médias, mais aussi les aspirations démocratiques
et les besoins culturels de la population dans son ensemble.
Ce ne sont pas seulement les salaires et les
retraites des auteurs qui sont à la merci d'une poignée de géants du
divertissement et des médias, la population l'est aussi en ce qui concerne ce
qu'elle voit chaque jour à la télévision et sur les écrans de cinéma.
L'industrie du cinéma et de la télévision, dans
l’état actuel, est organisée pour satisfaire les motivations de profits
égoïstes d'une élite aisée. En fin de compte, comme l'ont montré diverses
batailles contre les censeurs et les propriétaires de studios, il n'y a pas de
place pour une critique sociale sincère dans ce cadre. Les films et les
programmes télévisés américains sont admirés partout dans le monde pour leur
avance technologique et leur vivacité, mais le niveau auquel ils sont obligés
de s'abaisser pour se conformer aux intérêts économiques, gouvernementaux et
militaires écoeure les auteurs et les artistes – et bien d'autres –
de par le monde.
La lutte des auteurs est un rappel de l'énorme
créativité et des efforts investis dans la production des films et des
émissions de télévision. Il n'y a aucun manque de talent artistique dans ces
médias, mais leur plein potentiel ne sera jamais réalisé dans le contexte
économique actuel.
La prise de position des producteurs démontre
leur véritable attitude envers la créativité, en dépit de leurs phrases
pieuses. La richesse et l’argent sont leur principal souci. Les
directeurs des conglomérats et des fonds d'investissement ne produisent rien
qui ait une valeur culturelle. Leurs activités parasitaires sont menées aux
dépens de la grande majorité de la population, comme le montre l'actuelle crise
du logement et des crédits.
Les États-Unis font face à une immense crise
sociale et politique. La situation financière est de plus en plus instable, des
millions de gens luttent pour joindre les deux bouts. L'administration Bush est
largement, et à juste titre, méprisée pour avoir déclenché une guerre illégale
et pour ses assauts systématiques contre les droits démocratiques fondamentaux.
Le gouvernement met en place la structure d'un Etat policier, tout en torturant
et en maltraitant des "terroristes présumés" et d'autres personnes
partout sur la planète.
Ceux qui consacrent leurs vies à réfléchir sur
la réalité doivent aussi être de plus en plus sensibles à la banqueroute du Parti
démocrate et des libéraux américains. Nombre de ces producteurs qui s'opposent
aujourd'hui aux scénaristes de cinéma et de télévision contribuent au
financement des démocrates. Les deux partis dominants sont complices dans les
guerres d'Afghanistan et d'Irak et menacent maintenant de mener le pays dans
une guerre désastreuse contre l'Iran. La population laborieuse doit déclarer
son indépendance politique et se libérer de ces partis du grand capital et de
l'oppression.
Les artistes de cinéma et de télévision seront
forcés de se confronter à ces réalités.
Une résurgence du mouvement socialiste est
absolument vitale. Des perspectives de gauche animaient beaucoup d'auteurs, de
réalisateurs et d'acteurs dans l'industrie cinématographique américaine des
années 1930 et 1940, une période considérée comme l'âge d'or du cinéma hollywoodien.
De nombreux auteurs inscrivaient leur œuvre dans le cadre des grandes
questions sociales : la lutte contre le fascisme et la guerre, les luttes
ouvrières, l'opposition au capitalisme lui-même. Les chasses aux sorcières
anticommunistes de McCarthy ont eu un impact dévastateur sur le cinéma et tous
les aspects de la vie aux États-Unis.
Alors qu'ils engagent une lutte contre les
producteurs du cinéma et de la télévision, les auteurs doivent prendre en
considération l'état actuel et l’avenir de l'industrie dans leur
ensemble. De plus en plus, les besoins élémentaires des artistes de cinéma et
de télévision se heurtent à la barrière du monopole sur les divertissements et
l'information, exercé par une petite clique de milliardaires.
Les énormes géants du divertissement et des
médias doivent être retirés des mains de ceux qui les dirigent actuellement
pour leurs gains personnels et devenir d'authentiques services publics, dédiés
aux intérêts de la population. C'est la seule condition dans laquelle une
créativité authentique puisse fleurir.
Les auteurs et les artistes en général, à
notre avis, doivent commencer à voir la lutte actuelle dans ce contexte social
et politique plus large.