Les nouvelles ententes contractuelles de quatre ans
intervenues entre le syndicat des ouvriers de l’automobile, les
Travailleurs unis de l’automobile (UAW) et les trois grands de
l’automobile de Détroit, General Motors, Ford et Chrysler, représentent
un énorme recul pour les travailleurs de l’auto.
Les contrats, qui impliquent 175.000 ouvriers, vont
éliminer les gains de plus de cinquante ans de lutte et transformer
l’industrie américaine de l’automobile, qui fut le secteur où
l’on trouvait les ouvriers industriels les mieux payés au monde, en un
centre de main d’œuvre à bon marché et de manufactures surexploitées.
En vertu du nouveau système de salaires et
d’avantages sociaux à deux vitesses, les nouveaux ouvriers seront payés
14,20 $ l’heure au lieu de 28,75 $. De plus, ils auront des
avantages sociaux sous la moyenne, ce qui permettra aux compagnies de réduire
les coûts horaire de main d’œuvre de 68 pour cent. Cela ouvrira la
voie au remplacement de dizaines de milliers d’ouvriers plus expérimentés
par une force de travail plus petite et plus brutalement exploitée.
Les contrats dégagent les compagnies de l’automobile
de leur obligation d’offrir une assurance-maladie aux retraités. Plutôt,
un fonds de couverture santé des retraités portant l’acronyme de VEBA sera créé. Les compagnies
contribueront pour moins de la moitié des cent milliards de dollars
d’assurance-maladie qu’elles doivent.
Les UAW contrôleront un fonds VEBA estimé à une valeur de
54,4 milliards de dollars, un des principaux fonds d’investissement
privés aux Etats-Unis. Les principaux représentants des UAW deviendront des
cadres riches alors que les retraités verront leurs avantages fondre et leurs
coûts augmenter sous l’assurance-maladie de second ordre du syndicat.
Une grande partie des VEBA est financée par des notes
convertissables en actions, ce qui fait des UAW l’un des principaux
actionnaires de GM et de Ford, ayant quatre fois plus d’action que la
famille Ford dans ce dernier cas.
Les UAW seront liés d’encore plus près aux sociétés,
avec un incitatif financier direct pour diminuer le nombre des emplois, les
salaires et les avantages sociaux. Le dernier stade de la dégénérescence des
UAW est leur transformation en une entreprise associée aux compagnies de
l’automobile pour intensifier l’exploitation des ouvriers.
La fermeture d’au moins 30 usines de GM, de Ford et
de Chrysler a aussi été acceptée ainsi qu’une autre réduction du nombre
des emplois chez les Trois Grands, ce qui, avec les coupes dans les usines de
pièces, signifie la perte de plus de 150.000 emplois au cours des trois
dernières années seulement. Le nouvel accord permet aux compagnies
d’ajuster la quantité des emplois à la demande du marché, ce qui signifie
que les ouvriers peuvent perdre leur emploi aussitôt que les ventes
déclineront.
Comment est-il possible que des contrats qui sont un recul
si flagrant ont été acceptés dans les trois compagnies ? Ce ne fut pas la
conséquence de la défaite ou de l’écrasement de grèves, mais le résultat
des efforts délibérés des UAW eux-mêmes, qui ont conspiré avec les patrons de
l’auto pour briser la résistance des membres de la base et pour imposer
les demandes de la direction.
Pour les UAW, les deux derniers mois de
« négociations » furent un exercice de cynisme le plus pur. Cela
comprend les mini-grèves contre GM et Chrysler. Le Detroit News a
rapporté qu’une entente avait déjà été conclue entre GM et les UAW
lorsque le président des UAW, Ron Gettelfinfer, a soudainement annoncé une
grève.
Les grèves n’avaient rien à voir avec la défense des
ouvriers contre les demandes draconiennes des compagnies. Plutôt, les UAW ont
conclu qu’ils ne pourraient jamais faire accepter l’entente sans
des actions qui évacueraient la pression et qui donneraient au syndicat la
possibilité de prétendre qu’il a obtenu des concessions de la direction.
Tout au long du processus de ratification des contrats, les
UAW ont menti de façon éhontée sur le contenu des ententes et ont cherché à
susciter les peurs économiques, particulièrement dans des régions dévastées
comme Détroit. Les représentants du syndicat ont fait la menace que plus
d’emplois seront éliminés si les contrats étaient rejetés, alors que
d’autres ouvriers se sont fait dire que leur usine avait été « sauvée »
et qu’on leur accorderait la production de nouvelles produits. Ce que
valaient ces déclarations a été démontré quelques jours après
l’acceptation des contrats, quand les compagnies ont annoncé leurs plans
pour éliminer des milliers d’emplois supplémentaires.
Les UAW ont été aidés par divers dissidents syndicaux, dont
le président du Local 1700 des UAW, Bill Parker, qui n’a pas présenté
d’alternative sérieuse à Gettelfinger et aux dirigeants des UAW. Au lieu d’organiser
une véritable opposition, Parker soutint que les pressions de la base allaient
contraindre la direction des UAW à lutter. À la veille de votes décisifs tenus
à quatre usines de la région de Détroit, y compris la sienne, Parker se plia
aux dirigeants des UAW et laissa tomber son appel à un « non ».
Les contrats qui ont été adoptés ne signifient pas que les
membres étaient d’accord. L’opposition était très répandue, près du
tiers des employés de GM, la moitié de ceux de Chrysler et le quart des
travailleurs chez Ford ayant voté contre l’entente. Des dizaines de
milliers d’autres se sont abstenus alors que beaucoup d’autres
encore, sachant que le syndicat n’allait pas lutter, ont voté pour à
contrecœur.
Cependant, en dernière analyse, la ratification du contrat
a reflété l’impact sur les travailleurs de l’automobile des
décennies de trahison orchestrées par la bureaucratie des UAW et l’impact
de la campagne résolue menée par celle-ci contre toute forme de conscience de
classe au nom d’une collaboration accrue entre travailleurs et employeurs
et par le biais de campagnes nationalistes de type « acheter
américain ».
Que sont les UAW ?
La ratification des contrats témoigne de
l’impossibilité pour les travailleurs de défendre leurs intérêts dans le
cadre de cette organisation.
Par le passé, et ce malgré leur allégeance au capitalisme
américain, les UAW et l’AFL-CIO ont tenté dans une certaine mesure
d’améliorer les salaires et les conditions de travail des travailleurs
dans le cadre politique et économique existant.
Cela fait maintenant près de 30 ans que les UAW ont
abandonné ce rôle modeste et accepté l’attaque contre les emplois, les
conditions de travail et le niveau de vie des travailleurs. Au cours de cette
période, une couche de la classe moyenne aisée de l’appareil des UAW s’est
protégée des conséquences désastreuses que ses politiques ont entraînées pour
les membres syndiqués en mettant sur pied divers projets
d’investissements avec les employeurs, ce qui a permis à ses revenus de s’accroître
pendant que le nombre de syndiqués était réduit des deux tiers par rapport à
1978. Les contrats de 2007 constituent le point culminant de ce processus.
Ces accords prouvent ce que le Parti de l’égalité
socialiste et son prédécesseur, la Workers League, soutiennent depuis plus de
15 ans. Pour mener à bien la moindre lutte qui vise à défendre leurs emplois et
conditions de vie, les travailleurs de l’automobile doivent d’abord
rompre avec les UAW et raviver la lutte de classe sur une toute nouvelle base
politique.
L’effondrement des UAW est le produit inévitable du
programme politique réactionnaire qu’ils ont adopté presque dès leur
naissance et qui est basé sur deux prémisses fondamentales : la défense du
système capitaliste et le nationalisme. L’état actuel de cette
organisation est la preuve qu’il est impossible de créer un véritable
mouvement ouvrier sur la base d’une opposition au socialisme et de la
subordination de la classe ouvrière aux intérêts nationaux de l’élite
dirigeante des Etats-Unis.
Cette trajectoire réactionnaire fut tracée lors des purges
anticommunistes des années 1940 et 1950, lorsque le président des UAW Walter
Reuther chassa les militants de gauche et socialistes, les dirigeants des
luttes de masse qui avaient créé le syndicat dans les années 1930. Rejetant
toute lutte visant à mettre un terme à la domination économique et politique de
la grande entreprise, Reuther allia les UAW au Parti démocrate et
s’opposa à la construction d’un parti politique indépendant de la
classe ouvrière.
Le mythe que le Parti démocrate est un parti des travailleurs
est de plus en plus démasqué à chaque jour, alors que les démocrates se
joignent au Parti républicain dans le déclenchement de guerres, la destruction
des droits démocratiques et l’augmentation des inégalités sociales.
Les travailleurs les plus sérieux ont déjà tiré des
conclusions sur les UAW et cherchent des solutions de remplacement. Dans ces
conditions, une myriade de « gauchistes » de la classe moyenne et
d’organisations libérales se sont ralliés à la défense de la bureaucratie
des UAW.
Une organisation, la Ligue spartaciste, a récemment dénoncé le
Parti de l’égalité socialiste pour leur opposition aux UAW en le
décrivant comme « des socialistes briseurs de grève ». Selon ce
groupe, les syndicats sont « les organisations de défense de base de la
classe ouvrière » et les socialistes qui cherchent à briser
l’influence de ces organisations moribondes ne sont pas différents des
« briseurs professionnels de syndicats du Comité national pour le droit au
travail ».
Cela n’est qu’une défense crasse de la
bureaucratie des UAW. Lorsque vient le temps de prendre position entre les
travailleurs et les chefs corporatistes des UAW, les spartacistes se rangent
derrière ces derniers contre les travailleurs.
Quelle « organisation de défense de la classe
ouvrière » impose à ses propres membres des conditions brutales
d’exploitation et reçoit en retour le contrôle d’un fond
d’investissement de plusieurs milliards de dollars et des centaines de
millions d’actions de compagnie ? Les UAW ne sont pas une organisation de
travailleurs. Ils ne représentent pas les intérêts de la classe ouvrière, ne
sont pas contrôlés par les travailleurs et ne leur sont pas redevables.
Le fait que les travailleurs soient pris au piège dans
cette organisation et que leurs chèques de paie soient amputés pour payer les
cotisations syndicales n’en fait pas une organisation ouvrière. Ceux qui
font la promotion des UAW et insistent pour que les travailleurs y canalisent
leur lutte désarment les travailleurs et jouent un rôle réactionnaire.
La défense de telles organisations n’est pas
seulement un signe de cécité complète et de banqueroute politique. Des groupes
tels que les spartacistes ont longtemps été opposés à la lutte contre différentes
bureaucraties — que ce soit les syndicats, les staliniens ou la
social-démocratie — qui dominaient le mouvement ouvrier, pour
s’appuyer plutôt sur eux et avancer leur propre politique petite
bourgeoise de « gauche ». Dans les dernières années, alors que ces
bureaucraties se sont effondrées, plusieurs de ces anciens radicaux ont fait
avancer leur carrière en quittant la politique de « gauche » pour
joindre une de ces bureaucraties syndicales, où ils défendent sa politique de
droite et luttent contre l’opposition venant de la base.
Donc, prétendent les spartacistes, le seul problème avec
les UAW et les autres syndicats c’est la « mauvaise
direction ». Si la « haute direction » était remplacée par une
« nouvelle direction consacrant ses énergies à la lutte de classe » —
présumément eux-mêmes ou d’autres radicaux — les UAW seraient transformés
en un puissant instrument de lutte pour les travailleurs.
Il s’agit d’une autre fraude.
La dégénérescence des UAW n’est pas seulement le
produit d’une direction lâche et corrompue. Si de tels laquais patronaux
se sont élevés au sommet c’est plutôt en raison du fait que les syndicats
ont depuis longtemps été vidés de tout contenu progressiste du point de la
classe ouvrière.
Ce serait une autre affaire si les trahisons étaient confinées
aux UAW, mais chaque syndicat est engagé dans la collaboration de la gestion
des relations de travail contre ses membres. De plus, ce n’est pas
uniquement un phénomène américain. Dans tous les pays, les syndicats font
pression sur leurs membres pour des concessions et établissent des relations
toujours plus étroites avec les employeurs et le gouvernement.
La mondialisation de la production capitaliste a fatalement
miné les syndicats, dont l’influence de jadis était liée à leur capacité
à influer le marcher national. Les travailleurs doivent opposer à la stratégie
globale des compagnies transnationales leur propre stratégie internationale
pour unifier la classe ouvrière aux États-Unis, au Canada, au Mexique en
Amérique latine, en Europe et en Asie dans une lutte commune pour la défense
des emplois et des conditions de travail.
La chute des syndicats et de toutes les organisations
ouvrières basées sur un programme nationaliste dévoile les limites inhérentes
du syndicalisme et la nécessité d’un mouvement indépendant de la classe
ouvrière basé sur une perspective internationaliste et socialiste. Aucune des
questions auxquelles est confronté la classe ouvrière aujourd’hui ne peut
être résolue sur la base de la conception syndicaliste qui consiste à appliquer
de la pression sur les employeurs et l’État-nation.
Plutôt, les ouvriers doivent entreprendre
une lutte politique pour prendre le pouvoir et réorganiser la vie économique et
politique dans l’intérêt de la grande majorité, pas dans celui de quelques
riches. Les ressources productives et technologiques de l’industrie automobile
mondiale — le produit du travail physique et intellectuel de générations de
travailleurs — ne peuvent plus demeurer la propriété privée des dirigeants des
grandes entreprises et des gestionnaires de fonds spéculatifs. Elles doivent être
mises à la disposition de la société dans son ensemble en faisant de l’industrie
automobile une propriété publique et sous le contrôle démocratique des
travailleurs.
Pour cela, les ouvriers de l’automobile
doivent rompre avec les deux partis de la grande entreprise et construire un
nouveau parti politique basé sur programme socialiste international. Ce parti
est le Parti de l’égalité sociale.
Nous appelons les travailleurs de l’automobile
à lire le World Socialist Web Site, à étudier le programme et à connaître
l’histoire du Parti de l’égalité sociale et à prendre la décision de joindre et
de construire le PES en tant que la nouvelle direction révolutionnaire de la
classe ouvrière.
(Article original anglais paru le 19
novembre 2007)