Le gouvernement conservateur minoritaire
canadien a amorcé une nouvelle session parlementaire mardi dernier avec un
discours inaugural qui trace les grandes lignes d’un programme pour amener le
pays franchement à droite.
Parmi les principales mesures, on trouve
l’élargissement de la mission de contre-insurection des Forces armées
canadiennes (FAC) en Afghanistan jusqu’en 2011, d’autres coupes dans les impôts
pour la grande entreprise et les biens nantis, une loi dont le but est
d’empêcher les prochains gouvernements fédéraux de lancer de nouveaux
programmes sociaux, une série d’amendements durcissant le code criminel et des
mesures anti-terroristes qui renversent des principes juridiques existant de
longue date.
Le parti formant le gouvernement depuis
février 2006, les conservateurs ont choisi à la fin de l’été de mettre un terme
au parlement et de présenter un nouveau discours inaugural pour tenter de
reprendre l’initiative politique et, ainsi, avoir l’option de précipiter des
élections dans le but d’obtenir une majorité.
La grande entreprise et leurs médias ont
fermement soutenu le gouvernement conservateur de Stephen Harper,
particulièrement le changement qu’il a fait sur la question de la position
géopolitique et militaire du Canada tel que démontré par l’intervention des FAC
en Afghanistan. Mais les sondages ont constamment démontré que les
conservateurs n’avaient le soutien que d’un tiers de l’électorat et qu’une
majorité de Canadiens s’opposaient à la participation du Canada à la guerre en
Afghanistan.
Le discours inaugural de mardi avait deux
buts. Il visait à renforcer le soutien de la grande entreprise envers le
gouvernement conservateur en faisant la démonstration que le gouvernement
Harper est déterminé à aller de l’avant avec le programme socioéconomique de la
grande entreprise canadienne.
Il voulait aussi préparer le terrain pour
une campagne électorale dans laquelle les conservateurs chercheront à obtenir
une pluralité des voix — quarante pour cent sont généralement suffisants pour
arracher une majorité parlementaire — en présentant des mesures populistes
réactionnaires. Ainsi, les conservateurs ont cherché dans le discours à se présenter
comme les défenseurs des « familles canadiennes » et des
« Canadiens ordinaires » en soulignant les diminutions d’impôt qui
ont mis « plus d’argent dans les poches [des Canadiens]. Ils ont aussi
promis de prendre de mesures dures contre une épidémie du crime qui n’existe pas
et ils ont fait la promotion enthousiaste d’un nationalisme canadien
militariste qui s’affirme.
Défendre
les ambitions prédatrices de l’élite canadienne dans le monde
Le discours inaugural a présenté les cinq
priorités du gouvernement conservateur.
Il est significatif que la première de
celles-ci fut de « renforcer la souveraineté du
Canada et sa place dans le monde ».
Avec cette priorité, les conservateurs de
Harper promettent d’aller de l’avant avec la modernisation de l’armée
canadienne (le gouvernement a annoncé près de vingt milliards de dollars de
nouvelles dépenses en armement) et ils louangent l’intervention de l’armée
canadienne pour soutenir le régime fantoche afghan mis en place par les
Américains comme preuve de l’engagement du gouvernement à restaurer
« l’influence [du Canada] dans les affaires du monde ».
Le discours a implicitement critiqué les
gouvernements libéraux de Jean Chrétien et de Paul Martin – qui ont amorcé une
expansion rapide de l’armée canadienne et ont ordonné aux FAC de participer
dans les guerres au Kosovo et en Afghanistan et dans le coup orchestré par les
Américains en 2004 en Haïti – pour avoir affaibli l’influence internationale du
Canada en se concentrant sur la « rhétorique et la posture ». Il a
promis que le gouvernement actuel offrira « un leadership international au
moyen d’actions concrètes dont on peut voir les résultats ».
Au cas où il y aurait un doute sur la
signification de cette phrase, il a clarifié tout de suite après. Harper a
signalé que son gouvernement préparait les FAC à entreprendre une série de
guerres dirigées par les Etats-Unis : « Un engagement à l’action
signifie que le Canada doit faire cause commune avec ceux qui luttent pour les
valeurs qui nous sont chères. »
Les conservateurs ont répété qu’ils avaient
l’intention de prolonger le déploiement des FAC en Afghanistan au-delà de
février 2009. Dans le discours du trône de mardi dernier, le gouvernement a
publiquement déclaré ses intentions, annonçant que la mission actuelle devra
être prolongée jusqu’en 2011, même s’il a repris à son compte la position de
l’administration Bush sur le déploiement des troupes en Irak en disant que le
rôle des FAC sera de plus en plus de former la police et l’armée dans ce pays.
Lors du débat parlementaire de mercredi sur le
discours inaugural, Harper est allé encore plus loin, précisant qu’après
février 2009, il désirait que les FAC continuent à être déployées à Kandahar, c.-à-d.
qu’elles continuent à former l’avant-garde de la guerre afghane.
En expliquant cette priorité, le gouvernement
a aussi tracé les grandes lignes de son plan pour renforcer les visées
canadiennes sur la richesse minérale et pétrolière de l’Arctique. Il a promis
de créer une « station de recherche arctique de calibre mondial », de
rassembler des données de nature scientifique et cartographique pour soutenir
les prétentions du Canada devant l’ONU pour une grande portion du sous-sol
marin de l’océan Arctique, et d’augmenter le nombre des rangers de l’Arctique,
un contingent à temps partiel des milices des FAC.
Le discours attira l’attention sur les opportunités
grandissantes en Arctique, faisant référence indirectement à la grande
entreprise qui espère que le réchauffement climatique facilite le développement
capitaliste de la région, mais il fit aussi mention de « nouveaux
défis » — c’est-à-dire l’intensification de la compétition géopolitique
entre le Canada, la Russie, les Etats-Unis et les autres Etats du nord.
Sous le titre « Renforcer la fédération et nos
institutions démocratiques », les conservateurs se sont engagés à
recentrer le gouvernement fédéral sur des responsabilités de base qui avaient
été négligées, « comme le commerce, la défense et la sécurité
publique ».
À cette fin, le gouvernement Harper présentera une loi
limitant le pouvoir du gouvernement fédéral de mettre sur pied de nouveaux
programmes dans les champs de compétences provinciaux — sous la constitution du
Canada, les provinces ont presque l’entière responsabilité des politiques
sociales, y compris les soins de santé, l’aide sociale et l’éducation — et il
« envisagera » d’utiliser des pouvoirs fédéraux peu utilisés dans le
domaine des échanges et du commerce afin d’établir le libre-échange entre les
provinces.
Dans cette partie du discours, les conservateurs ont aussi
fait comprendre qu’ils prévoyaient intensifier leur propagande chauvine contre
les femmes voilées musulmanes qui voteraient lors d’élections fédérales. Bien
qu’il soit question d’au plus quelques milliers d’électeurs et que des
représentants d’Elections Canada aient témoigné posséder les ressources
nécessaires pour identifier les électrices voilées (ce qui est plus facile que
dans le cas des votes soumis par la poste), le gouvernement a juré au nom de la
démocratie de présenter une loi qui forcerait les femmes musulmanes à retirer
leur voile si elles souhaitaient exercer leur droit de vote démocratique.
Un programme économique de la grande entreprise
Les initiatives des conservateurs au plan économique et
environnemental, respectivement les troisième et cinquième priorités, ont
respecté scrupuleusement les recommandations de la grande entreprise. Par le
discours du Trône, le gouvernement s’est engagé prioritairement à offrir un
allégement fiscal « général », y compris pour les entreprises, la
construction d’infrastructures pour faciliter le commerce en Amérique du Nord
et dans le Pacifique, et le développement d’un contexte favorisant
« l’entreprenariat » (autrement dit, la déréglementation). Il a aussi
renoncé à l’engagement du Canada envers le protocole de Kyoto sur les gaz à
effet de serre et a affirmé que le gouvernement collaborera avec les
Etats-Unis, l’Australie et d’autres pays qui ne respecteront pas l’accord afin
de développer un programme de réduction d’émissions aligné davantage sur les
besoins de la grande entreprise. Un de ses buts est de faire du Canada une
« grande puissance de l’énergie ».
Dans le discours du Trône, la quatrième priorité des
conservateurs était : « S’attaquer au crime et assurer la sécurité
des Canadiens ». Avec des paroles dignes d’un régime dictatorial, le
discours déclare que « de toutes les responsabilités d’un gouvernement,
aucune n’est plus grande que la protection du droit à la sécurité ».
Le discours soutient que « beaucoup se sentent
aujourd’hui moins en sécurité, et ils s’inquiètent à juste titre de la sécurité
de leur quartier et de leur pays ». Mais si cela est vrai — les
statistiques du gouvernement montrent en fait une réduction de la plupart des
types de crimes — c’est parce que les conservateurs, leurs proches alliés de
l’administration Bush et les médias ont attisé la peur du crime et du
terrorisme afin de recueillir les votes justifiant le développement des
pouvoirs répressifs de l’Etat et du militarisme.
La journée suivant le discours du Trône, les conservateurs
ont présenté le « Projet de loi C-2, Loi sur la lutte contre les crimes
violents » et ils ont promis de présenter bientôt d’autres amendements au
code criminel. Le C-2 est un projet de loi fourre-tout qui joint ensemble les
principaux éléments de cinq projets de loi « anti-crime » qui
n’avaient pas été ratifiés durant la dernière session parlementaire. Celui-ci,
entre autres, augmenterait l’âge de consentement sexuel, imposerait des peines
obligatoires plus sévères pour les crimes avec armes à feu, rendrait plus difficile
la liberté sous caution pour les accusés d’un crime avec arme à feu, et
imposerait à un criminel ayant été condamné pour trois crimes violents ou
sexuels le fardeau de prouver qu’il n’est pas un criminel violent, une
appellation les rendant susceptibles à des peines d’emprisonnement beaucoup
plus longues.
Les conservateurs ont aussi annoncé dans leur discours du
Trône qu’ils prévoyaient présenter une nouvelle loi anti-terroriste afin de
restaurer des clauses de la loi votée après le 11-Septembre qui permet la
détention préventive et l’interrogation forcée. Ces clauses sont arrivées à
échéance plus tôt cette année. Ils veulent aussi apporter de légères
modifications aux certificats de sécurité nationale — une injonction que permet
au gouvernement de détenir indéfiniment, sans procès, et sans que le détenu
n’ait accès aux preuves motivant son accusation, n’importe quel citoyen non
canadien qualifié de menace à la sécurité nationale. Plus tôt cette année, la
Cour suprême avait conclu que la présente loi sur les certificats de sécurité
nationale était inconstitutionnelle.
Le discours du Trône et la crise des libéraux
Si un gouvernement ne réussit pas à obtenir l’appui du
Parlement pour son discours du Trône, il tombe.
Comme l’ont indiqué son programme de droite et ses appels
populistes, le discours des conservateurs avait été construit en vue de
provoquer rapidement une élection.
Mais en raison d’une précédente manoeuvre des conservateurs
pour assurer la position du gouvernement au pouvoir — le vote d’une loi fixant
officiellement la date de la prochaine élection fédérale — ces derniers n’ont
pas autant de marge de manoeuvre que les gouvernements précédents pour demander
au Gouverneur général de dissoudre le Parlement.
Pour qu’une élection soit déclenchée, le gouvernement devra
être défait — sciemment ou non — par un vote de non-confiance, lors du discours
du Trône, d’un budget ou de toute autre loi définie par le gouvernement comme
étant une question de confiance.
Confiant que les Conservateurs ont maintenant l’avantage
politique, Harper a dit que l’adoption du Discours du Trône constituera
l’approbation parlementaire pour le prochain mandat du gouvernement et que,
conséquemment, les partis de l’opposition devront, s’il est adopté, renoncer à
leur pouvoir de bloquer les projets de loi conservateurs. À cette fin, a ajouté
Harper, le gouvernement déclarera les projets de loi provenant du Discours du
Trône une question de confiance.
Avant le Discours du Trône, deux des trois partis de
l’opposition, le parti social-démocrate, le Nouveau Parti démocrate (NPD), et
le parti pour la souveraineté du Québec, le Bloc québécois (BQ) ont laissé
sous-entendre qu’ils voteraient contre.
Les sociaux-démocrates du Canada ont facilité l’arrivée au
pouvoir des conservateurs lors des élections de 2006 en répétant les propos de
Harper selon lesquelles la question clé dans l’élection était la corruption des
Libéraux et ont, par la suite, offert de travailler avec le nouveau
gouvernement minoritaire.
Mais les conservateurs ont rejeté ces avances afin d’être en
position de poursuivre leur programme de droite sans être encombré,
spécialement après que le leadership du NPD, dans des conditions d’opposition
populaire croissante à la guerre en Afghanistan, a retiré son soutien à la
mission de contre-insurrection des Forces armées canadiennes dans le sud de
l’Afghanistan.
Le Bloc québécois a régulièrement voté de façon à maintenir le
gouvernement conservateur en place en s’appuyant sur l’allégation que la
volonté de Harper de restreindre le rôle du gouvernement fédéral dans les
politiques sociales favorise les intérêts du Québec. Mais, après avoir essuyé
une série de défaites électorales, le Bloc québécois a conclu que c’était mieux
de se distancer quelque peu du gouvernement.
L’opposition officielle formée par les Libéraux, a, quant à
elle, signalé qu’elle voterait contre le budget seulement s’il « contenait
une pilule toxique » parce que, selon les Libéraux, l’électorat canadien
ne veut pas une troisième élection fédérale en trois ans.
Cela était un subterfuge évident. Les libéraux sont en
déroute, l’aile du Québec étant en quasi-révolte contre son leadership national
après les résultats désastreux de quatre élections partielles en septembre, et ils
craignent manifestement une catastrophe si des élections fédérales devaient
avoir lieu avant la fin de l’année.
Le chef du Parti libéral Stéphane Dion a dénoncé le discours
du Trône conservateur mercredi, mais a, par la suite, annoncé que son parti
s’abstiendrait si jamais il y avait un vote, assurant ainsi que le gouvernement
conservateur demeurerait en fonction.
Même si les médias de la grande entreprise ont critiqué Dion
pour son appel à mettre fin à l’actuelle mission en Afghanistan en février 2009
et, pour avoir conclu un pacte électoral avec le Parti Vert, ils attribuent, de
manière générale, la crise des libéraux au manque de leadership de Dion et aux
luttes intestines dans le parti.
En réalité, la crise du Parti libéral est le produit d’un
virage à droite marqué de la bourgeoisie canadienne.
Les Libéraux reconnaissent que les sections les plus
puissantes du capital canadien appuient présentement les conservateurs parce
qu’ils trouvent que c’est le meilleur instrument pour défendre leurs intérêts
prédateurs. De plus, la majeure partie de l’establishment du Parti libéral est
d’accord avec les grandes orientations du gouvernement Harper.
Cela est mis en évidence par la montée de Michael Ignatieff,
un important défenseur libéral de la guerre en Irak et de l’utilisation de la
torture dans la « guerre contre le terrorisme », en tant que
vice-chef du Parti libéral.
En mai 2006, Ignatieff a mené plus du quart du caucus libéral
à voter pour prolonger de deux ans la mission de contre-insurrection des Forces
armées canadiennes en Afghanistan. (La majorité des députés libéraux ont voté
contre la motion conservatrice sur une base procédurale, pas nécessairement
parce qu’il s’opposait à la mission des FAC.)
La semaine dernière, John Manley, qui a été pendant plusieurs
années le ministre des Finances et le vice-premier ministre, a accepté d’être
le président d’un « comité indépendant d’experts » que Harper a mis
sur pied pour donner une sanction « non partisane » à sa décision
selon laquelle les FAC doivent demeurer déployées en Afghanistan après février
2009.
Dion, tout en faisant un appel mesuré à l’opposition populaire
à l’étroite alliance entre Harper et le président américain George Bush et à la
politique environnementale des conservateurs favorisant les géants du pétrole,
a lui-même attaqué les conservateurs pour ne pas répondre suffisamment aux
demandes de la grande entreprise. Dans un discours devant le Club Économique de
Toronto, Dion a affirmé qu’un gouvernement libéral agirait agressivement pour
couper les taxes sur les entreprises.
Exploitant la crise dans les rangs libéraux, Harper a lancé
une offensive politique, se moquant de Dion pour s’être abstenu sur le budget
et demandant que les Libéraux donnent carte blanche aux conservateurs afin
qu’ils puissent mettre de l’avant leur programme réactionnaire.
Mais, la réalité est que le gouvernement conservateur repose
sur une faible base, socialement et même régionalement. Il n’y a pas un seul
député conservateur à Montréal ou à Toronto et même si le gouvernement vante la
force de l’économie canadienne, il craint que la crise du marché immobilier aux
Etats-Unis aura de fortes répercussions sur l’économie nord-américaine.
La force des conservateurs provient d’un virage marqué de la
bourgeoisie vers la réaction sociale et la guerre et du fait que la classe
ouvrière soit sans direction politique. Pendant le dernier quart de siècle, les
organisations qui ont historiquement prétendu parler au nom de la classe
ouvrière, comme les syndicats et le NPD, ont renoncé à leurs programmes
réformistes traditionnelles et sont devenus des complices ouverts du capital
dans l’assaut sur la classe ouvrière.