Suivant de près la mise en garde du président George W. Bush
que les pays « intéressés à éviter une troisième guerre mondiale »
devraient s’aligner sur Washington et sa campagne croissante de menaces
contre l’Iran, la suite d’événements qui est en train de se dérouler
est le signe qu’une grande partie du Moyen-Orient et de l’Asie
centrale risque d’être plongée dans la guerre et elle contient effectivement
le danger d’une nouvelle guerre mondiale.
Six ans après l’invasion de l’Afghanistan et quatre
ans et demi après celle de l’Irak, la poursuite et
l’intensification des conflits dans ces deux pays ont mis en branle une réaction
en chaîne politique aux conséquences incalculables.
Cette situation est en train de déclencher des conflits
militaires dans une région qui s’étend des frontières de l’Europe à
celles de l’Inde, et qui inclut des pays comme la Turquie, l’Irak,
l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan. Elle menace aussi d’impliquer
d’autres grandes puissances ayant des intérêts stratégiques dans cette
vaste région.
Les conditions sont données pour des confrontations armées qui
menacent d’entraîner la mort de centaines de millions de gens et de fait,
la destruction de toute la planète.
Il existe tout d’abord le danger d’une extension
de la guerre à l’Iran. Pendant le weekend, le vice-président Richard
Cheney a poursuivi l’escalade des discours agressifs à l’égard de
l’Iran tout en vilipendant et en menaçant aussi la Syrie.
« Le régime iranien a besoin qu’on lui dise que
s’il maintient son cours actuel, la communauté internationale est prête à
imposer des conséquences sérieuses », a dit Cheney dans un discours
prononcé dimanche. « En envoyant ce message clair : nous ne
permettrons pas à l’Iran de posséder une arme atomique, les Etats-Unis se
joignent à d’autres nations. » Cheney a prononcé ces paroles devant
un meeting du Washington Institute for Near East Policy, un « laboratoire
d’idées » en vue, dont font partie quelques-uns des principaux architectes
de la guerre d’agression contre l’Irak.
Cheney a accusé l’Iran d’être « le sponsor étatique
du terrorisme le plus actif dans le monde » ajoutant « notre pays et
la communauté internationale dans son ensemble ne peuvent pas rester à ne rien
faire alors qu’un Etat soutenant le terrorisme réalise ses plans les plus
agressifs. »
Le discours de Cheney, qui rappelle la rhétorique des
« armes de destruction massives » qu’il avait employée à
l’automne de 2002, dans la période précédent l’invasion de
l’Irak, contenait l’implication évidente que Washington se prépare
à attaquer l’Iran sous prétexte d’empêcher le gouvernement de Téhéran
de poursuivre son programme nucléaire.
Ces menaces ne sont pas proférées dans une situation où
Washington aurait réussi, soit en Afghanistan soit en Irak, à réprimer la résistance
populaire et à installer des régimes fantoches viables. Bush a été obligé lundi
de demander 46 milliards de dollars supplémentaires pour financer des opérations
militaires dans ces deux pays où les combats continuent à s’intensifier.
Sa demande de fonds porte le total des moyens financiers alloués, pour l’année
financière commençant le 1er octobre, à 196 milliards de dollars.
Tant le gouvernement Bush que l’élite dirigeante américaine
dans son ensemble ont tiré la conclusion qu’il n’y avait pas
d’issue hors des guerres néocoloniales incontrôlables où l’armée américaine
s’est empêtrée. L’impact de ces conflits malsains prend sa propre
dynamique dans toute cette région. Alors qu’il semble que la politique
d’escalade poursuivie à présent par Washington soit pour une certaine
part de la folie, ce qui la sous-tend c’est la logique de la crise combinée
du capitalisme américain et du capitalisme mondial.
La perspective d’une extension des guerres actuelles
cause une profonde inquiétude dans la direction militaire elle-même, comme cela
s’est reflété dans les remarques du nouveau chef d’état-major des
armées dans une interview publiée lundi dans le New York Times.
Tout en soulignant le fait qu’il avait l’intention
d’insister pour que se poursuive l’augmentation du budget de
l’armée, le nouveau chef d’état-major, l’amiral Mike Mullen a
averti que : « Au moment où je vous parle, nous nous trouvons dans un
conflit dans ces deux pays. Il faut que nous fassions incroyablement attention
quant au potentiel qui existe de nous trouver entraînés dans un conflit avec un
troisième pays dans cette partie du globe ».
Attaques armées sur le territoire iranien
Pour ce qui est de l’Iran cependant, les indices
s’accumulent montrant que des opérations armées ont déjà commencé. Citant
des sources provenant du ministère de la Défense, le Times de Londres a
rapporté dimanche que les « forces spéciales britanniques ont passé la
frontière iranienne plusieurs fois ces derniers mois, ce qui fait partie
d’une guerre de frontière secrète contre les forces spéciales Al-Quds de
la garde révolutionnaire iranienne. »
Selon ce journal, les commandos du SAS britannique, opérant de
concert avec les unités spéciales américaines et australiennes ont participé a
au moins « une dizaine de combats armés » avec les forces iraniennes
dans la région de la frontière. Le Times cite des « nouvelles
persistantes de missions d’opérations spéciales américaines à l’intérieur
de l’Iran en préparation d’une attaque possible ».
On peut facilement imaginer ce qui arriverait si une de ces unités
spéciales était décimée sur le territoire iranien. On affirmerait sans aucun
doute qu’elle a été attaquée du côté irakien de la frontière, fournissant
ainsi un casus belli pour une attaque américaine.
Ce même journal rapportait aussi le déploiement de sept avions-espions
U2 sur des bases aériennes à Chypre et Abou Dhabi, destinés à la reconnaissance
de cibles pour un assaut aérien américain de l’Iran.
Dans l’intervalle, la guerre d’Irak menace elle
aussi de s’étendre au-delà de la frontière turco-irakienne ; on
rapporte qu’un convoi militaire turc de quelque cinquante véhicules
transportant des troupes et des armes a été envoyé dans la région frontière après
que des unités de l’armée de guérilla séparatiste kurde du PKK aient mené
une de leurs attaques les plus meurtrières depuis dix ans. L’opération de
dimanche a entraîné la mort d’au moins dix-sept soldats turcs ainsi que
la capture par le PKK de huit autres.
La semaine dernière, avant cette dernière attaque, le
parlement turc avait voté à une écrasante majorité une résolution autorisant le
gouvernement turc à envoyer l’armée au-delà de la frontière irakienne
pour y attaquer les bases du PKK.
A Londres pour une visite de deux jours, le premier ministre
turc, Tayyip Erdogan, a déclaré : « Si un pays voisin fournit un
havre au terrorisme… nous avons des droits en vertu du droit
international et nous ferons usage de ces droits et nous n’avons pas à
demander la permission de qui que ce soit ».
Erdogan a poursuivi en rendant l’invasion et l’occupation
américaines de l’Irak responsables de la détérioration de la situation
sur la frontière irako-turque et de la menace accrue d’une guerre plus étendue.
« Je ne peux voir aucun succès, a-t-il dit. Il n’y
a que la mort de dizaines de milliers de gens. Il n’y a qu’un Irak
dont l’infrastructure et la superstructure toute entière s’est effondrée. »
La Turquie est bien consciente du fait que les Etats-Unis ont
fermé les yeux sur les opérations du PKK, tout en aidant activement son
organisation sœur à mener des attaques terroristes contre l’Iran au
nom du séparatisme kurde.
L’attaque la plus récente du PKK a provoqué en Turquie des
manifestations de la part des partis d’opposition qui ont exigé des
actions militaires. A Ankara, des milliers de gens ont manifesté aux cris de
« A bas le PKK et les USA ! »
La décision de la Turquie de riposter menace de plonger dans
le chaos la région de l’Irak à laquelle a été épargnée la violence meurtrière
qu’on a vue dans le reste du pays.
Si l’intervention néocolonialiste de Washington en Irak déborde
au-delà des frontières avec la Turquie et l’Iran, la guerre permanente menée
en Afghanistan menace elle, d’allumer un baril de poudre politique au
Pakistan voisin.
L’attaque massive à la bombe contre le convoi de Benazir
Bhutto jeudi dernier à Karachi et qui a tué 136 personnes et en a blessé des
centaines d’autres pourrait bien être le premier coup de feu dans un conflit
sanglant et une guerre civile beaucoup plus étendus au Pakistan.
On a fait revenir Bhutto qui avait été déposée comme premier
ministre il y a presque une décennie sur des accusations de corruption. Cela
fait partie d’un marché arrangé par Washington avec le chef du gouvernement
pakistanais, le général Pervez Musharraf ; le but étant de parvenir à un
accord de partage du pouvoir capable de sauver le régime pro-américain devant
l’agitation populaire croissante, tout en préparant le terrain pour une incursion
des forces américaines dans les régions tribales bordant l’Afghanistan,
où les talibans se réfugient et où ils jouissent d’un soutien dans la
population.
Les implications de l’échec de la tentative des Etats-Unis
et de leurs alliés à réprimer la résistance en Afghanistan et de la crise
montante au Pakistan ont été exprimées en termes clairs par l’ancien envoyé
des Nations unies, Paddy Ashdown, dans une interview donnée à l’agence de
presse Reuters.
« Je crois que perdre la guerre en Afghanistan est pire
que perdre la guerre en Irak, a-t-il dit. Ce que je veux dire, c’est que
le Pakistan tombera et que cela aura des implications sérieuses sur le plan
interne pour la sécurité de nos propres pays et cela déclenchera une guerre régionale
étendue entre chiites et sunnites à une grande échelle. »
Il a ajouté : « Certains voient dans la Première et dans
la Seconde Guerre mondiale des guerres civiles européennes et je pense
qu’une guerre régionale semblable pourrait être déclenchée par cela…
et atteindre cette ampleur. »
Tensions grandissantes avec Moscou
Une telle évolution risque d’entraîner l’armée américaine
dans des pays couvrant un territoire de plus de 2500 miles et allant de la Mer
noire à la Mer d’Arabie. Cette région constitue aussi le flanc sud de
l’ancienne Union soviétique, représentant une menace de plus en plus
apparente pour Moscou qui était le principal destinataire des remarques de Bush
sur une troisième guerre mondiale.
Les tensions russo-américaines se sont manifesté jeudi dernier
dans une allocution télévisée nationale du président russe Vladimir Poutine
dans laquelle celui-ci a qualifié l’intervention américaine en Irak de tentative
de saisir la richesse pétrolière de ce pays. Il a fait aussi cette mise en
garde que la Russie avait la capacité militaire de prévenir toute tentative américaine
de faire la même chose sur son territoire.
« Dieu merci la Russie n’est pas l’Irak, a-t-il
dit. Elle est assez forte pour protéger ses intérêts sur son propre territoire,
et dans d’autres régions du monde aussi d’ailleurs ».
L’allocution était accompagnée d’images du
lancement par la Russie d’un nouveau missile balistique Topol-M dont on
dit qu’il a atteint une cible à des milliers de miles dans l’océan
Pacifique.
Poutine a promis d’investir massivement dans la
reconstruction de l’armée russe. « Nous ferons attention non
seulement à développer la triade nucléaire, mais aussi les autres armes. »
Il a averti aussi que si Washington poursuivait son plan de déploiement
d’un système de défense missile en Pologne et dans la République tchèque,
« nous prendrons certainement des mesures pour réagir et pour assurer la
sécurité des citoyens russes ».
Lorsqu’on a interrogé la porte-parole de la Maison-Blanche,
Dana Perino, à propos des remarques de Bush sur une troisième guerre mondiale, celle-ci
a insisté pour dire que le président « s’en était uniquement servi
comme d’un point de rhétorique ».
Un examen de l’instabilité et des conflits que les
interventions de l’armée américaine ont causés dans cette région du monde
qui, ce n’est pas un accident, contient la plus grande part des réserves
d’énergie restantes dans le monde, montre très clairement que la menace
d’un embrasement de bien plus grande ampleur est tout, sauf de la rhétorique.
Sous-tendant cette menace, il y a les intérêts conflictuels
des nations capitalistes rivales et, avant tout, les efforts de l’impérialisme
américain pour compenser le déclin économique vis-à-vis de ses rivaux européens
et asiatiques en se servant de sa supériorité militaire afin de se saisir de ressources
naturelles et de marchés vitaux.
C’est la logique inévitable de la doctrine de la « guerre
préventive » développée par Bush et épousée par les sections dominantes de
l’élite dirigeante américaine.
Dans ces conditions, le danger que le militarisme américain
plonge l’humanité dans une nouvelle guerre mondiale n’est que trop réel,
vu que les interventions de plus en plus irresponsables de Washington interfèrent
avec les intérêts vitaux des autres puissances importantes.
Il n’y a aucune opposition véritable à un tournant vers
une guerre au niveau mondial au sein de l’élite dirigeante américaine. Les
démocrates, le soi-disant parti d’opposition, a continué à accorder les
fonds pour la guerre en Afghanistan et en Irak et au Sénat, ils se sont alliés
aux républicains pour passer une résolution stigmatisant le principal corps
d’armée de l’Iran, le qualifiant d’« organisation
terroriste » et fournissant par là-même le prétexte politique à une
attaque non provoquée d’une nation de plus.
On ne peut répondre au danger réel et croissant d’une
guerre plus étendue, plus désastreuse et menaçant la vie de centaines de millions
de personnes, qu’au moyen d’une mobilisation indépendante de la
classe ouvrière aux Etats-Unis et internationalement, sur la base d’un
programme socialiste qui mette fin à la guerre et au système capitaliste qui
l’engendre.