Le « numéro special de la convention » du magazine Nation
comporte un long article intitulé « Progressistes lors du moment Obama »,
qui cherche à convaincre ceux qui sont opposés à la guerre et aux politiques
réactionnaires de l’administration Bush de se rallier derrière la
campagne du candidat présidentiel démocrate Barack Obama.
Les auteurs de l’article se lancent dans des contorsions verbales dans
le but d’élaborer la notion qu’Obama représente une impulsion
progressiste et anti-guerre aux dimensions d’une portée considérable
(« La nomination d’Obama met la table pour une élection avec de
profonds changements ») avec le fait évident que ses présentes politiques
sont d’un caractère tout à fait conventionnel et s’intègrent très
bien dans les cadres d’un consensus de droite des politiques américaines
bourgeoises.
Le résultat est un article chargé de contradictions internes et de phrases
déconnectées. Il montre la combinaison d’aveuglement, de cynisme et de
tromperie qui est caractéristique du Nation et du milieu de libéraux de
gauche et d’ex-radicaux qui s’accrochent au parti Démocrate et
concentrent leurs efforts à garder le mécontentement social dans les voies
politiques sûres du système à deux partis.
L’article, par Robert L. Borosage et Katrina vanden Heuvel, a deux
objectifs essentiels. Le premier est d’étouffer le désillusionnement
croissant envers Obama parmi les partisans du tout début de sa campagne,
incluant les lecteurs du Nation, et de garantir sa victoire en novembre.
Le deuxième est de définir à l’avance les paramètres légitimes de
l’opposition sociale et des protestations qui émergeront sous une
administration Obama.
Les auteurs font tout sauf reconnaître que dans sa campagne, Obama n’a
pas mis de l’avant un agenda qui se démarque significativement des
administrations précédentes—républicaines et démocrates—qui,
disent-ils, étaient guidées par « des idées conservatrices qui ont dominé
nos politiques pendant trois décennies. »
Ils tentent d’argumenter que, malgré cela, une administration Obama
sera beaucoup plus exposée aux pressions des supposés progressistes, comme le Nation,
pour rejeter les politiques de droite et adhérer à un agenda progressiste et
anti-militariste.
Obama, disent-ils, sera « limité par le consensus étroit d’un
establishment qui n’est pas encore capable de contempler les changements
nécessaires pour mettre ce pays à nouveau sur la bonne voie. Pour avoir du
succès, sa présidence devra être plus audacieuse et radicale qu’elle ne
l’imagine présentement.
« Avec un candidat historique, il est vital, en raison des conditions difficiles
et d’un consensus limité, que les progressistes pensent clairement et
agissent de manière indépendante en forgeant une stratégie au cours des
prochains mois. »
Ils n’expliquent pas pourquoi Obama est un « candidat
historique », autrement qu’en insinuant—par une brève
référence à Martin Luther King Junior—que c’est parce qu’il
est afro-américain.
Ils reconnaissent rapidement que « plusieurs personnes à gauche »
ont été « consternées » par les « compromis et les
récidives » d’Obama. Mais, ils ajoutent : « La majeure
partie du supposé recul a été exagérée » attribuant cette « exagération »
à l’influence des stratèges républicains sur les médias.
Une exagération ? Vraiment ?
Les archives montrent que quelques jours après s’être assuré de la
nomination, la campagne d’Obama a commencé sa marche vers la droite.
*Le premier geste majeur d’Obama fut la nomination de Jason Furman, un
habitué de Wall Street connu pour ses positions patronales, comme directeur de
politique économique.
*Par la suite vint sa dénonciation de la décision de la Cour suprême qui
rendait illégale l’exécution des gens reconnus coupable de viol sur des
enfants et de son signal au lobby des armes à concernant la décision de la Cour
d’invalider la loi sur le contrôle des armes à feu de Washington DC.
*En juin et en juillet dernier, il a procédé à une « Tournée
patriotique » afin d’associer sa campagne au militarisme américain,
tout en s’éloignant de sa promesse de retirer les forces de combat de
l’Irak avant une date butoir, promesse qu’il avait faite lors de la
campagne des primaires.
*Cela a été suivi d’une promesse d’élargir de façon
substantielle le programme de l’administration Bush qui fournit du financement
fédéral aux organisations communautaires religieuses.
*Le 10 juillet, Obama a voté au Sénat pour étendre le programme de mise sur
écoute sans mandat et fournir l’immunité aux compagnies de
télécommunications qui avaient facilité l’opération d’espionnage
illégale à l’intérieur des Etats-Unis par la Maison-Blanche.
*Pendant sa tournée en Irak, en Afghanistan et en Europe, Obama a montré
clairement que son appel pour les retrait des troupes de combats étaient lié à
sa proposition de déployer jusqu’à 10 000 soldats en Afghanistan pour
intensifier la guerre et même l’étendre jusqu’au Pakistan. Au même
moment, il a louangé les résultats de « l’escalade » de Bush et
a montré de façon évidente qu’il laisserait un nombre suffisant de soldats
américains en Irak pour maintenir une occupation à long terme du pays.
*Plus récemment, Obama s’est joint à Bush et au candidat républicain
présidentiel John McCain en menaçant la Russie et en appelant à des
représailles pour son intervention contre le régime fantoche américain en
Géorgie. Il a soutenu les provocations militaires de Bush, incluant
l’établissement d’une présence militaire américaine permanente en
Pologne.
*Finalement, dans une action réalisée après la publication de
l’article du Nation, Obama a choisi Joseph Biden, une présence de
longue date dans le Sénat américain et un partisan depuis le début de la guerre
en Irak, comme candidat à la vice-présidence.
Malgré ces faits, le Nation soutient que « Ces
questions ne devraient pas nous détourner de la principal réalité : cette
élection présente un total contraste idéologique. »
Mis à part leur assertion, qui est fausse, qu’Obama
va mettre un terme à l’occupation de l’Irak, les auteurs
n’essaient même pas de démontrer leur affirmation selon laquelle Obama
représente un « total contraste idéologique » face à McCain.
En réalité, ils admettent essentiellement tout le
contraire.
« Concernant la sécurité nationale, les deux
candidats se sont engagés à augmenter la force militaire, ajoutant plusieurs
milliards à un budget gonflé qui correspond à près de la moitié des dépenses
militaires mondiales. Les deux acceptent pleinement le rôle de policier mondial
des Etats-Unis; aucun ne propose de démanteler l’empire américain de
bases militaires. Les deux semblent avoir comme objectif d’intensifier
l’occupation de l’Afghanistan. Aucun n’a osé accepter la
conclusion de la conservatrice RAND Corporation selon laquelle le concept même
de “guerre contre le terrorisme” est contreproductif et que des
services de renseignement agressifs et une coopération policière devraient être
au coeur de notre stratégie », écrivent-ils.
Voilà pour le « total contraste idéologique » sur
la politique étrangère.
Qu’en est-il des questions internes ?
« Obama, poursuivent-ils, appelle à un second plan
économique basé sur les énergies nouvelles et la reconstruction des Etats-Unis,
mais il ne propose rien du domaine des grands projets publics — un
mélange d’investissements publics, de stratégie économique mondiale
améliorée, de politiques industrielles et de réglementation financière —
qui seraient essentiels pour redonner un souffle à la véritable économie tout
en réagissant à la menace des changements climatiques catastrophiques.
« Obama propose des soins de santé abordables pour
tous comme un pan majeur de son programme, mais il n’a pas parlé de l’effritement
du contrat social privé auquel participent les corporations et les syndicats...
Il a présenté des principes encourageants de réforme financière dans son
discours de Cooper Union en mars, mais il ne s’est pas opposé au
sauvetage de Wall Street, et il n’a pas mobilisé d’appui dans le
but de surveiller le mystérieux système bancaire qui s’est avéré si
destructeur par son avidité.
« Obama défend les réformes sociales libérales, mais
une véritable guerre à la pauvreté, ou des plans pour transformer notre violent
système criminel d’injustice qui détruit les vies de jeunes hommes des
minorités, n’apparaissent pas encore à son programme. »
On peut difficilement qualifier ce programme tout à fait
conventionnel et conservateur de « total contraste idéologique » par
rapport aux politiques sociales de droite de son opposant.
Les auteurs ne font pas mieux pour la question des droits
démocratiques. « Et bien qu’Obama soit un ancien professeur de droit
constitutionnel, il n’a pas exigé le démantèlement de la présidence
impériale », écrivent-ils.
Le candidat démocrate « n’est peut-être pas un
progressiste de notre mouvement », admettent Borosage et vanden Heuvel,
« et il peut avoir désappointé les activistes avec ses récents
compromis », mais ils insistent : « N’ayez crainte, son
élection entamera une nouvelle ère de réformes dont l’ampleur dépendra,
comme le dit souvent Obama, de la mobilisation indépendante progressiste pour
maintenir la pression et supplanter les intérêts bien établis. »
Malgré tout cela, ils insistent qu’Obama est au fond
soit un véritable progressiste ou un politicien qui peut, sous la pression
populaire, être transformé en progressiste. Ceux qui s’opposent à la
guerre et à la réaction sociale doivent gagner son âme et contrer
l’influence du « solide pouvoir de l’ordre établi » qui
est formé de lobbies agressifs : le complexe militaro-industriel,
Wall-Street et les intérêts corporatistes. »
Incidemment, Obama — un multimillionnaires et vétéran
de la machine politique du parti démocrate à Chicago — est d’une
certaine façon, mystérieusement séparé de ce « solide pouvoir ».
Rejetant toute analyse de classe du candidat démocrate et de
son parti, le Nation le présente comme une sorte de force désincarnée,
flottant au dessus des intérêts de classe et, au moins potentiellement, libre
des enchevêtrements politiques et économiques. Il s’entoure peut être
effectivement de conseillers de Wall Street et d’initiés de Washington et
compte sur les millions de dollars corporatifs pour financer sa campagne, mais
d’une façon ou d’une autre, sous la pression populaire, il peut
être forcé de mener des luttes contre cet ordre établi.
Un exemple particulièrement évident de ce double langage
qui pénètre cet article est la contradiction suivante : À un certain point,
lorsqu’ils cherchent à gagner les indécis à lutter pour une victoire
d’Obama, les auteurs affirment que l’élection pourrait produire
« une majorité réformiste croissante dans les deux chambres du
Congrès. » Mais plus tard, lorsqu’ils établissent les paramètres
d’actions politiques « progressistes » légitimes sous une
présidence Obama, ils écrivent : « Bien que les démocrates vont jouir
d’une plus grande majorité dans les deux chambres, il est plus probable
que leurs caucus soient moins progressif puisqu’ils gagnent des sièges
dans des districts très conservateur, anciennement républicains. »
Le dernier point — une aveu fait avec honte, de la
trajectoire droitiste du parti démocrate dans son ensemble — est fait
dans l’intention de mousser leur appel pour le développement d’un
mouvement « indépendant de l’administration ou de la direction
démocrate au Congrès » pour surmonter les contraintes de
l’establishment, qui va tenter d’empêcher Obama de mettre en œuvre
son « agenda réformiste ».
« Les progressistes seront les plus
forts, ont-ils continué, en se mobilisant de façon indépendante pour soutenir
les promesses d’Obama. Nous pouvons organiser une pression de
l’électorat sur les politiciens qui barrent le chemin, ce que même un
président avec un réseau d’activistes comme Obama peut avoir de la
difficulté à faire. Nous pouvons mettre à nu les lobbys, les intérêts et les
manœuvres secrètes ayant pour but de limiter les réformes. »
Sans même considérer le fait qu’ils
ont pratiquement admis le vide des promesses d’Obama, la façon dont ils
considèrent la lutte « progressiste » mérite que l’on s’y
attarde un peu.
La coalition qu’ils espèrent
construire comprendra les « progressistes du Sénat et de la Chambre des
représentants, dont plusieurs sont regroupés autour du Caucus
progressiste ». On trouve aussi dans la liste les fédérations syndicales
AFL-CIO et Change to Win (Changer pour gagner) et une pléthore de groupes de
pressions et de think tanks associés au Parti démocrate.
En d’autres mots, le mouvement
soi-disant indépendant comprendra de grandes sections du Parti démocrate et
demeurera entièrement dans l’orbite politique de ce parti.
Le Nation ne peut pas plus expliquer
comment un tel mouvement représente une alternative à « l’ordre
établi » et qu’il ne peut établir les crédits d’Obama en tant
que réformiste. Tant par son soutien à Obama que dans son insistance que toute
opposition sociale après l’élection doit être dirigée sur le Parti
démocrate, le Nation se révèle précisément être un appui essentiel pour
l’ordre réactionnaire auquel il déclare s’opposer. Il n’est
est en fait que le flanc « gauche ».
Naturellement, le milieu politique duquel
le Nation est le porte-parole a un intérêt direct dans l’issue de
l’élection. Il espère que l’arrivée au pouvoir d’une
administration démocrate sera une occasion pour plusieurs dans ses rangs
d’obtenir des postes de choix et d’améliorer leur statut au sein de
l’appareil du pouvoir à Washington DC en tant qu’adjoints de
membres du Congrès, de fonctionnaires syndicaux ou de recherchistes pour les
think tanks de la capitale liés au Parti démocrate.
Finalement, lorsque l’on réduit leurs
contorsions verbales et galimatias à l’essentiel, leur argument est
essentiellement qu’Obama est le fer de lance d’un programme de
réformes progressistes parce qu’il est du Parti démocrate, et de plus, un
noir.
Quel est essentiellement le but politique du Nation
? Empêcher à tout prix le développement d’un mouvement de masse
d’opposition sociale qui rompra avec le Parti démocrate et le système des
deux partis. Il voit son rôle comme consistant à bloquer et à retirer
d’avance toute légitimité à un développement d’un mouvement de la
classe ouvrière contre le système capitaliste réellement indépendant politiquement.