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Les ouvriers de l’automobile roumains en grève contre des salaires de misère

Par Markus Salzmann
14 avril 2008

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Environ 10 000 ouvriers de l’usine Dacia à Pitesti en Roumanie sont en grève depuis deux semaines. Les employés de la filiale du constructeur automobile français Renault revendiquent une augmentation de salaire de 42 pour cent, une majoration de la prime de Noël et une participation aux bénéfices de l’entreprise.

Cette grève a paralysé la production de l’usine, située à 120 km de Bucarest, depuis fin mars, entraînant pour Dacia un retard de la production et des pertes. Ces pertes sont estimées à plusieurs millions d’euros par jour.

La direction roumaine essaie actuellement d’obtenir une injonction pour interdire la grève au motif que moins de la moitié du personnel a voté en sa faveur. Selon la loi roumaine, une majorité absolue est requise pour déclencher une grève. En réalité, seule une minorité de l’ensemble de l’effectif des 13 000 salariés ne s’est pas jointe au mouvement de grève. La décision du tribunal a été reportée par deux fois, il se prononcera à nouveau mercredi prochain.

La direction a tout essayé pour inciter les travailleurs à reprendre le travail. Après l’échec de plusieurs séances de négociation, la direction a refusé de poursuivre toute négociation tant que les grévistes ne retournent pas au travail. De plus, Dacia a annoncé qu’elle confisquerait les salaires des grévistes. Un porte-parole de l’entreprise a cyniquement déclaré que les employés devraient décider « pour eux-mêmes et pour leurs familles » s’ils voulaient poursuivre la grève.

Pour la plupart des travailleurs, la perte d’une semaine de salaire et du repas chaud gratuit qui, pour nombre d’entre eux, est le seul repas convenable par jour, signifie qu’ils sont réduits à vivre au bord du minimum vital. Néanmoins, en dépit des pressions intenses exercées par la direction, les grévistes ont jusque-là refusé de céder.

La dernière offre en date de Dacia s’élevait à environ 12 pour cent, rien moins qu’une provocation pour les travailleurs. Le salaire moyen à l’usine est d’environ 280 euros par mois et 3000 salariés gagnent le salaire minimum légal de 160 euros. Ces dernières années du personnel supplémentaire a été recruté en raison d’un accroissement du niveau de production. La plupart des nouvelles recrues reçoivent un salaire mensuel de tout juste 230 euros.

Même avec une hausse de salaire de 50 pour cent, un travailleur roumain ne devrait gagner chez Dacia qu’un sixième de ce que gagne un travailleur chez Renault en Fance. Par ailleurs, le coût de la vie est presque le même en Roumanie que dans les pays d’Europe de l’Ouest. Un tiers du salaire minimum légal ne permet de payer que la facture du chauffage et le prix des aliments et des services a explosé depuis l’adhésion à l’Union européenne l’année dernière. Le taux d’inflation actuel se situe à 7,3 pour cent.

Les conditions à Pitesti sont typiques de celles existant dans des entreprises européennes installées en Europe de l’Est et qui ont pu engranger des bénéfices exorbitants aux dépens des travailleurs. Dacia produisait sur le site de Pitesti un type de « Volkswagen » roumaine sous licence française depuis 1969. Renault avait racheté l’usine en 1999. De nombreux autres grandes entreprises industrielles ont subi le même sort en Roumanie et en Europe de l’Est. Ils furent vendus à des prix défiant toute concurrence à des entreprises occidentales qui ont imposé des licenciements de masse pour ensuite mettre en place des usines hautement rentables grâce à la main-d’œuvre bon marché. 

En 2007, Dacia a encaissé 150 millions d’euros de bénéfices. Le chiffre d’affaires a augmenté de 68 pour cent alors que Renault, la maison mère, a vu ses ventes chuter de 1,8 pour cent et de 3,4 pour cent pour Renault Samsung. Et Dacia continue de s’agrandir. En 2006, l’entreprise a produit 121 000 voitures, 215 000 en 2007 et cette année ce chiffre doit dépasser les 300 000.

Alors qu’en France Renault a en grande partie modernisé ses usines pour recourir à des méthodes de production nécessitant moins de main-d’œuvre, l’entreprise roumaine emploie à nouveau les méthodes traditionnelle, renonçant à l’automatisation et aux robots et utilisant au lieu de cela de la main-d’œuvre. Le président de Dacia, Christian Estève, avait dernièrement encore chanté les louanges de la main-d’œuvre bon marché des Etats balkaniques : « La Roumanie est à présent le pays le plus compétitif en matière de coûts de fabrication, même si nous utilisons des chaînes de montage au lieu de robots industriels. »

En plus d’une demande traditionnellement forte pour les voitures Dacia en Europe de l’Est, l’entreprise a également accru ses ventes en Europe de l’Ouest. Rien qu’en Allemagne les ventes ont doublé en janvier 2008 par rapport à l’année précédente. Le succès des voitures bas de gamme en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe occidentale est dû en particulier à la baisse de revenu de vastes sections de la population.

Le brillant bilan de Dacia a sans aucun doute joué un rôle dans la décision du producteur de téléphones mobiles Nokia de transférer sa production de l’usine de Bochum en Allemagne à la Roumanie. Entre-temps, d’autres groupes automobiles projettent de suivre l’exemple de Renault. Selon le Financial Times, fin janvier, le groupe automobile Daimler envisage d’établir une usine soit en Pologne soit en Roumanie et qui produira une « nouvelle génération de voitures de gabarit compact ».

Depuis le début de la grève, la crainte est de plus en plus répandue dans les médias que la revendication pour une hausse de salaire puisse faire tache d’huile dans d’autres usines d’Europe de l’Est. Les économistes ont exprimé le souci qu’ils éprouvent à savoir que la grève pourrait dissuader les investisseurs.

Fin mars, le journal Süddeutsche Zeitung remarquait dans un article titré « Les Européens de l’Est se rebellent » en commentant que « cette grève illimitée par des milliers de travailleurs correspondait à un réveil dans le pays postcommuniste à bas salaires de Roumanie… où jusque-là les gens ont travaillé sans broncher pour des entreprises multinationales comme couturières pour 100 euros ou comme travailleurs automobiles pour 400 euros ».

Le magazine financier roumain Ziarul Financiar a soulevé la question : « Comment la grève chez Dacia affectera-t-elle l’attrait de la Roumanie pour les investisseurs automobiles ? » Ford a récemment racheté une usine à Craiova, située 200 km plus à l’Ouest, et qui, durant les années 1990, avait été la propriété de la compagnie coréenne Daewoo. Après des difficultés survenues chez General Motors, la maison mère, Daewoo s’était retiré et l’Etat avait racheté les parts de la compagnie. Maintenant, l’Etat a réussi à revendre l’usine à Ford, le seul offrant. Et l’on dit que des protestations circulent déjà à Craiova à l’encontre des projets de la direction de ne payer les ouvriers de production que 200 euros.

Les représentants de l’association roumaine des investisseurs étrangers ARIS ont également exprimé leur crainte dans le magazine Ziarul Financiar à savoir que la grève chez Dacia pourrait dissuader d’éventuels investisseurs étrangers. Le volume des investissements étrangers projetés cette année en Roumanie totalise 7 milliards d’euros.

De telles craintes ne sont nullement injustifiées. Depuis un certain temps déjà Renault produit des véhicules sur d’autres sites « attrayants » tels la Russie, le Maroc, le Brésil et l’Inde. En février, le président de Renault, Carlos Ghosn, a signé un contrat de coopération avec AvtoVAZ, un producteur automobile russe.

La direction de Renault a d’ores et déjà averti qu’elle pourrait facilement transférer la production de Roumanie ailleurs. Dans une interview accordée au Figaro, le directeur général de Dacia, François Fourmont, a déclaré que les revendications salariales des syndicats « pourraient mettre en péril l’avenir de l’usine ».

Les entreprises internationales prennent acte avec préoccupation du nombre croissant de conflits sociaux en Europe de l’Est. Cette année déjà, les ouvriers de l’énergie et des transports, les enseignants et autres personnels de l’éduction ont débrayé en Roumanie. Ils sont tous touchés par des salaires extrêmement bas et des prix en hausse. Dans le même temps, les derniers vestiges du système social sont en train d’être démantelés systématiquement.

L’on peut observer le même processus dans d’autres Etats membres de l’Union européenne. Au cours de ces derniers mois, des protestations et des grèves ont été organisées par les médecins et les infirmières en Pologne, les instituteurs en Bulgarie et les cheminots en Hongrie contre des conditions sociales déplorables pour la population.

Au cours de ces luttes, les limites de la perspective syndicale, qui est incapable de représenter les intérêts des travailleurs, est apparue très clairement. Les syndicats ont invariablement étouffé les grèves en échange de gains minimaux pour les travailleurs concernés. A Pitesti aussi, les syndicats dépendent totalement de la volonté de négociation de la direction de Dacia.

Jusqu’à présent, le gouvernement roumain est resté dans l’ombre sans s’immiscer ouvertement dans le conflit à Pitesti. Mais, si la grève devait durer, la situation changera radicalement. La grève organisée par les mineurs roumains à la fin des années 1990 devrait servir d’avertissement. A l’époque, l’Etat avait recouru à des mesures de contrainte extrêmement dures pour briser les manifestations des mineurs contre les fermetures des mines et les bas salaires.

(Article original paru le 7 avril 2008)

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