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WSWS : Nouvelles et analyses : Canada

La coalition libérale-NPD au Canada : un outil de la grande entreprise

Par Richard Dufour
11 décembre 2008

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En donnant sa démission lundi en tant que chef du Parti libéral du Canada, Stéphane Dion a passé sous silence l’assaut frontal sur les droits démocratiques qui a pris place la semaine dernière lorsque la gouverneure générale a acquiescé à la demande du premier ministre conservateur Stephen Harper de fermer le parlement jusqu’au 26 janvier pour éviter un vote de confiance qu’il était certain de perdre.

Ce n’est pas surprenant. Réagissant jeudi dernier à cette violation flagrante de la démocratie parlementaire, Dion s’était contenté de critiquer Harper pour « son manque total de leadership dans ce gouvernement minoritaire », ajoutant que « nous respectons la décision » de la gouverneure générale.

Dans sa lettre de démission, Dion fait un pas de plus et accueille la fermeture du parlement comme une bonne occasion pour le parti libéral de faire face à sa crise de direction, une crise exacerbée par le score historiquement bas obtenu par les libéraux à l’élection générale d’octobre dernier. En fait, les libéraux n’avaient obtenu que 26,2 pour cent du vote populaire, le plus faible score de leur histoire à une élection fédérale.

« La gouverneure générale a donné son accord à la prorogation du Parlement », écrit Dion. « Ceci nous donne l’occasion, à nous libéraux, de réfléchir sur la meilleure façon de préparer notre parti à mieux réussir pour les Canadiens. »

Dion dénonce ensuite Harper pour avoir « refusé de proposer un plan pour stimuler l’économie » et pour avoir engendré « une crise parlementaire qu’il a ensuite tenté de transformer en crise d’unité nationale ». Et il termine sa lettre en disant que sa démission, qui ouvre la voie à l’élection d’un nouveau chef libéral, « augmentera la capacité du Parlement d’agir efficacement pour le bien des Canadiens en cette crise économique ».

Il est difficile de prédire ce qui va se passer avec l’accord conclu entre les partis d’opposition pour renverser le gouvernement minoritaire conservateur et le remplacer par un gouvernement de coalition libérale-NPD dirigé par les libéraux et soutenu par le Bloc québécois.

Des libéraux influents, dont Michael Ignatieff, le favori du caucus libéral pour remplacer Dion à la tête du parti, ont commencé à prendre leurs distances de cet accord. Dans une entrevue à la radio de CBC dimanche dernier, Ignatieff a présenté la coalition comme un « moyen » de faire pression sur les conservateurs plutôt qu’une « fin » en soi et, paraphrasant la position du premier ministre Mackenzie King sur la conscription, il a employé la formule « la coalition si nécessaire, mais pas nécessairement la coalition ».

La coalition est aussi sévèrement critiquée par la presse patronale à cause du poids jugé excessif qu’elle accorde aux « socialistes » du NPD et aux « séparatistes » du Bloc québécois.

Peu importe ce qui advient de ce projet de coalition d’ici la rentrée parlementaire de fin janvier, une chose est certaine: si un gouvernement libéral-NPD devait voir le jour, ce serait un gouvernement de droite qui, sous sa rhétorique « progressiste », poursuivrait les mesures anti-ouvrières et anti-démocratiques appliquées par le gouvernement conservateur de Harper, et par le gouvernement libéral de Chrétien et Martin qui l’a précédé.

La campagne menée par les sociaux-démocrates du NPD et leurs partisans de la bureaucratie syndicale pour présenter leur alliance avec les libéraux comme une « coalition pour le changement » est une supercherie. Le chef du NPD Jack Layton a salué le chef libéral sortant et « tous les membres du caucus libéral » pour s’être « engagés envers la coalition afin de relancer l’économie pour les familles canadiennes » et de « créer des emplois ». Mais une analyse de l’entente de principe ayant scellé la coalition libérale-NPD montre que celle-ci n’a rien à voir avec la défense des travailleurs canadiens.

Le point de départ de l’entente est l’engagement de toutes les parties prenantes envers la « responsabilité fiscale », un euphémisme pour affirmer leur soumission à la grande entreprise et à sa règle de la « compétitivité internationale » ainsi que leur opposition à toute redistribution importante de richesse vers les travailleurs. Le deuxième paragraphe de l’entente débute par : « Cet accord politique est basé sur la responsabilité budgétaire. »

 Les mesures de stimulation de l’économie, comme les dépenses proposées en infrastructure,  restent vagues et dépendantes de la capacité financière du gouvernement : que le document suppose d’ailleurs très restreinte en accusant le gouvernement conservateur d’avoir replongé le pays en déficit.

Le document parle d’investir dans les secteurs stratégiques comme les industries forestière et automobile pour « créer et sauvegarder des emplois », mais insiste dans la même phrase pour que toute aide soit conditionnelle à un « plan visant à transformer ces industries pour les ramener sur le chemin de la rentabilité ». En d’autres termes l’aide sera conditionnelle, comme dans le cas du sauvetage de l’industrie automobile par le gouvernement américain, à des fermetures d’usines supplémentaires, à des suppressions d’emplois et à des concessions des travailleurs, y compris des baisses de salaire.

L’entente accorde beaucoup d’importance à l’utilisation de tous les revenus de l’assurance-emploi pour soutenir les chômeurs. Il s’agit vraiment d’une situation où les précautions sont prises après coup. Ce fut le gouvernement libéral de Chrétien et Martin qui soutira illégalement des dizaines de milliards de dollars du programme d’assurance-emploi dans sa campagne destructrice pour éliminer le déficit budgétaire annuel fédéral.

Finalement, les partis d’opposition s’engagent dans leur entente de principe à bonifier les allocations familiales et à mettre sur pied un programme de garderies, « si les finances le permettent ».

Il y a aussi ce que le document passe sous silence. Le NPD a laissé tomber deux des principales revendications qu’il mettait de l’avant pour se donner un air progressiste, à savoir : l’élimination des baisses massives d’impôt accordées aux grandes sociétés et le retrait des troupes canadiennes engagées dans l’occupation néocoloniale de l’Afghanistan.

« Le NPD met de côté les divergences qui ont historiquement existé avec les libéraux sur des questions comme l’Afghanistan », a déclaré le député en vue du NPD Thomas Mulcair pour justifier ce recul, d’ailleurs tout à fait prévisible compte tenu de la longue histoire de collaboration du NPD avec les libéraux. « Parce que nous comprenons que dans l’intérêt de la population canadienne, notre préoccupation essentielle est d’agir sur l’économie et dans l’intérêt des familles canadiennes. » 

Mulcair n’a pas expliqué comment le fait d’envoyer des jeunes Canadiens à des milliers de kilomètres, pour tuer et se faire tuer afin de préserver les intérêts géopolitiques du Canada, était « dans l’intérêt des familles canadiennes ». Ni pourquoi le maintien de mesures fiscales favorisant les riches était une façon appropriée « d’agir sur l’économie ».

À l’entente de principe sur l’orientation d’un gouvernement de coalition s’ajoutait un accord sur la division du pouvoir entre les libéraux et le NPD. On ne peut douter que le Parti libéral, le parti de gouvernance traditionnel de la bourgeoisie canadienne, sera le parti largement dominant de la coalition. Le premier ministre serait le chef du parti libéral et l’accord stipule que le ministre des Finances serait aussi un libéral. Des 25 membres du cabinet (le premier ministre et 24 autres ministres) 19 proviendraient du Parti libéral et 6 du NPD.

 Il est hautement significatif que les deux plus récents premiers ministres libéraux, Jean Chrétien et Paul Martin, aient été très impliqués dans le projet de coalition. C’est Chrétien qui aurait entrepris les premières négociations avec l’éminence grise du NPD, Ed Broadbent. Et Martin a été pressenti pour faire partie d’un « comité de sages » qui aurait conseillé le nouveau gouvernement en matière de politique économique.

La « coalition pour le changement » comprend donc les deux principaux architectes du démantèlement sans précédent de l’Etat-providence canadien opéré par les gouvernements libéraux du début des années 90 au milieu des années 2000. Les gouvernements libéraux de 1993 à 2006 ont imposé les plus importantes coupes dans les dépenses sociales de l’histoire canadienne, y compris le resserrement du programme d’assurance-emploi, et ont ensuite implémenté de massives baisses d’impôts pour les entreprises, les particuliers et sur les gains en capital afin de procéder à une redistribution du revenu national vers les sections les mieux nanties de la société. Les gouvernements de Chrétien et Martin ont aussi initié le rétablissement des Forces armées canadiennes (FAC) en tant qu’outil de guerre, déployant les FAC contre la Yougoslavie et au sud de l’Afghanistan et déclenchant une campagne massive de développement et de réarmement de l’armée canadienne.

Quant au conflit sur le plan de relance, il porte avant tout sur la meilleure manière pour la classe dirigeante de faire payer les travailleurs pour la crise économique, dans un processus de dévastation sociale qui risque d’emporter des pans entiers de l’industrie canadienne, ruinant du même coup des sections de la classe dirigeante. C’est l’intensité de cette crise objective qui ravive les tensions régionales et fait craquer de toutes parts les formes traditionnelles de gouvernement parlementaire.

Ces questions de principe ont été balayées sous le tapis par les promoteurs de la coalition chez le NPD et à sa périphérie : de la bureaucratie syndicale aux groupes communautaires, en passant par le mouvement antimondialisation. Ils font la promotion des illusions les plus grossières et les plus dangereuses en ce qui concerne les soi-disant intérêts communs entre les travailleurs et la grande entreprise.

Citons par exemple cette lettre ouverte où les dirigeants de quatre gros syndicats (de l’automobile, de la fonction publique, des postes, et des pâtes et papiers) s’adressent à Dion et Layton comme suit : « Vous avez une occasion sans précédent de donner aux citoyens une coalition capable de mettre de côté la partisanerie et de travailler ensemble et rapidement dans l’intérêt de tous. »

Une autre réaction digne d’intérêt est celle de Naomi Klein, une adepte de la réglementation qui se livre parfois à des critiques acerbes du néolibéralisme. Dans une entrevue au site internet rabble.ca, proche du NDP, Klein rappelle que les libéraux, après avoir été portés au pouvoir en 1993 sur des promesses de création d’emplois, « ont ensuite capitulé aux pressions de Bay Street, de la presse patronale et des centres de réflexion de droite face à la crise de la dette », notamment avec « le fameux budget de Paul Martin en 1995 » qui « a fait tant de mal à l’assurance-emploi ». 

Elle balaye ensuite d’un revers de main sa propre analyse des libéraux en tant que parti de la grande entreprise. « Ce que propose cette coalition est plus proche de la démocratie représentative que ce que nous avons maintenant… Je crois qu’il est très important de parler de démocratie… Dans un sens, c’est même plus important que de parler de mesures économiques et politiques. »

Ce genre d’argument doit être fermement rejeté par les travailleurs. Comme l’a encore une fois démontré l’abjecte capitulation des libéraux et du NPD devant l’attaque contre les droits démocratiques par les conservateurs et à l’aide du rôle réactionnaire de la gouverneure générale, la défense des droits démocratiques, non moins que la défense des emplois et des conditions de vie des travailleurs, ne peut être confiée aux partis libéral et « de gauche » du capitalisme.

Il est nécessaire, alors que la crise économique s’intensifie, que les travailleurs construisent leur propre parti afin de résister à toutes les attaques de la grande entreprise et de ses mercenaires politiques contre les emplois et les conditions de vie et dans le but de mener la lutte pour réorganiser l’économie sous le contrôle de la classe ouvrière pour que les besoins humains, et non les profits d’une minorité, soient prioritaires.

(Article original anglais paru le 10 décembre 2008)


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