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Elections au Québec : Les libéraux remportent de justesse la majorité avec le plus faible taux de participation de l’histoire moderne

Par Guy Charron
12 décembre 2008

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Alors que se développe la plus importante crise économique mondiale depuis la Grande Dépression, l’élection québécoise de lundi dernier fut marquée par le plus faible taux de participation des derniers 80 ans (57 pour cent) et le quasi-anéantissement du parti populiste de droite, l’Action démocratique du Québec (ADQ).

Les libéraux, qui sont au pouvoir depuis 2003, mais réduits à un gouvernement minoritaire par l’élection tenue 20 mois auparavant, ont obtenu une majorité parlementaire, quoique très faible. Avec 42 pour cent du vote populaire, les libéraux ont remporté 66 des 125 sièges de l’Assemblée nationale alors que le Parti québécois (PQ), avec 35 pour cent du vote populaire, a retrouvé son statut d’opposition populaire.

Le premier ministre libéral Jean Charest a déclenché les élections en début novembre en affirmant que le Québec avait besoin d’un gouvernement majoritaire pour faire face à la crise financière et à la récession imminente. Sa véritable motivation était la peur : la peur que la crise économique mine rapidement le soutien populaire à son gouvernement.

En pleine campagne électorale, on prit connaissance de rapports selon lesquels la Caisse de dépôt et placement du Québec avait subi d’énormes pertes en raison de la crise financière. Charest, avec l’appui de l’ancien premier ministre péquiste Bernard Landry, a dénoncé les demandes de l’opposition visant à ce que le gouvernement dévoile l’étendue des pertes de la Caisse. Il savait trop bien que cette saignée au bilan de la Caisse allait donner crédibilité aux assertions de l’opposition que le gouvernement pourrait bientôt devoir augmenter les impôts, ou même couper dans les régimes de retraites pour équilibrer les pertes de la Caisse.

Dans leur campagne pour l’obtention d’une majorité parlementaire, les libéraux ont bénéficié du fort appui de l’élite québécoise. Cette dernière considère qu’un gouvernement assuré de sa position jusqu’en 2013 sera davantage en mesure d’imposer des coupes dans les dépenses publiques, la privatisation de la santé et d’autres mesures sociales régressives face à l’opposition de la population.

L’ampleur de l’effondrement de l’ADQ, qui était devenue l’opposition officielle et était passée près de former un gouvernement minoritaire suite à l’élection de mars 2007, a complètement pris de court les analystes politiques professionnels. Vingt mois plus tôt, ces experts avaient soutenu que l’augmentation fulgurante de l’appui à l’ADQ était une « révolte » du Québec qui serait traditionnellement conservateur.

En réalité, la performance de l’ADQ lors des élections de 2007 était le résultat d’un vote de protestation exprimant la frustration et la colère des travailleurs, particulièrement du Québec rural et des banlieues de Montréal, devant la stagnation des conditions de vie et la détérioration des services publics.

Le fondateur et chef de l’ADQ Mario Dumont a dirigé en 2007, tout comme en 2008, une campagne populiste de droite; cette campagne dans l’élection de 2007 était largement dirigée contre les immigrants et les minorités religieuses. Les succès de Dumont à ce moment étaient dus en grande partie à l’appui de sections de l’establishment, surtout dans la presse populaire. La grande entreprise utilise depuis longtemps l’ADQ, qui a émergé d’une séparation nationaliste des libéraux, comme un moyen pour pousser encore plus les libéraux et le PQ à droite.

Dans la présente campagne, Dumont a tenté de reprendre sa campagne chauvine sur la question des soi-disant « accommodements raisonnables », mais n’a pas trouvé d’appui dans la population ni dans la presse.

Lundi, l’ADQ n’a recueilli que 16,35 pour cent du vote et obtenu que 7 sièges, comparativement à près de 31 pour cent du vote et 41 sièges en 2007. Et la chute vertigineuse du nombre de votes pour l’ADQ est encore plus révélatrice. Alors qu’en 2007 l’ADQ obtenait 1 224 000 votes, son score de lundi dernier fut bien en-deçà de la moitié de ce nombre, soit 530 000.

La performance de l’ADQ fut si terrible que Dumont annonça qu’il quittait la direction du parti lors de son discours prononcé la soirée de l’élection. Etant donné le rôle joué par Dumont dans l’ADQ depuis sa fondation en 1994 (son nom fait même partie du nom officiel du parti : Action démocratique du Québec/Équipe Mario Dumont), sa démission laisse en suspens l’existence même du parti, du moins en tant que force significative dans la politique du Québec.

Le taux de participation historiquement faible laisse croire que de nombreux électeurs qui avaient voté pour l’ADQ en 2007 ont tout simplement décidé de ne pas voter cette année. Il est à noter que l’élection fédérale du 14 octobre a aussi été marquée par son pire taux de participation en un siècle. Le manque d’intérêt dans la politique officielle est l’expression déformée et confuse de la désaffection populaire croissante envers un système politique à l’intérieur duquel les partis, indépendamment de leur rhétorique électorale, implémentent au bout du compte les mêmes politiques de droite au nom des intérêts de la grande entreprise : le démantèlement des programmes sociaux et des services publics, des attaques sur les droits démocratiques et ceux des travailleurs ainsi que des baisses d’impôt profitant surtout aux sections les plus privilégiées de la société.

Un autre facteur dans l’effondrement de l’ADQ doit être mentionné. La bourgeoisie elle-même s’est retournée contre ce parti, ayant conclu qu’il était instable et n’avait pas été suffisamment testé pour qu’on lui confie une part du pouvoir, après l’avoir observé en tant qu’opposition officielle. Les éditorialistes ont déploré que le conservatisme social de l’ADQ et ses attaques contre les immigrés nuisent à la défense d’un programme de droite de « libre marché » qui exprime directement les besoins de la grande entreprise.

Il est clair dans la couverture médiatique de l’ADQ que l’élite du Québec souhaitait voir la formation adéquiste reprendre son statut de tiers parti (bien que pas nécessairement privé de son statut officiel à l’Assemblée nationale comme c’est présentement le cas) et le PQ de retour à son rôle d’opposition officielle. Bien que les sections les plus puissantes du capital au Québec et au Canada s’opposent à l’appel du PQ pour l’indépendance du Québec, elles admettent que le PQ a « fait ses preuves » lors de ses quatre mandats gouvernementaux. Elles savent que c’est un parti qui est prêt à imposer les demandes de la grande entreprise face à l’opposition populaire et qui est tout particulièrement compétent dans ce domaine en raison des liens étroits qu’il entretient de longue date avec la bureaucratie syndicale.

Les comtés qui ont été perdus par l’ADQ lundi ont été divisés presque également entre les libéraux et le PQ. Ce dernier s’est emparé de la majorité des circonscriptions adéquistes en banlieue de Montréal et dans la région des Laurentides au nord de Montréal. Les libéraux ont pris les comtés de l’ADQ dans la région de la ville de Québec ainsi que dans les Cantons de l’Est.

Le PQ, qui alterne au gouvernement avec les libéraux depuis les années 1970, était visiblement extatique de regagner le statut d’opposition officielle et particulièrement satisfait du nombre inattendu de sièges obtenus, soit 51.

Les sondages publiés dans les semaines et les jours précédant l’élection avaient indiqué que le PQ obtiendrait une part du vote de l’ordre de 30 pour cent, et non pas 35. Sans aucun doute, l’élément clé de la performance inattendue du PQ fut la réaction populaire contre la campagne du premier ministre canadien Stephen Harper et son gouvernement conservateur minoritaire visant à stigmatiser la tentative des partis de l’opposition fédérale de former un gouvernement alternatif, la qualifiant d’illégitime et de « coalition séparatiste ». Cette campagne fit ouvertement la promotion des préjugés anti-Québec. Elle atteint son apogée dans un « coup d’Etat constitutionnel » lors duquel la gouverneure générale, non-élue et n’ayant de comptes à rendre à personne, ferma le parlement pour une durée de sept semaines afin d’empêcher l’opposition de défaire le gouvernement conservateur sur un vote de confiance.

Les résultats de l’élection de lundi ont porté un coup à Harper et aux conservateurs dans un autre sens. Les conservateurs ont développé des liens étroits avec l’ADQ et, durant la campagne électorale, Dumont est venu à la défense du gouvernement Harper, dénonçant la proposition d’une coalition libérale-NPD soutenue par le parti frère du PQ au palier fédéral, le Bloc Québécois, pour être mauvaise pour le Québec. La débâcle de l’ADQ isole encore plus les conservateurs dans la seule province canadienne à majorité francophone, la deuxième en importance par sa population.

Ceci étant dit, la remontée du PQ est beaucoup moins impressionnante lorsqu’on analyse les résultats du vote. Le PQ n’a obtenu que 14 000 voix de plus que lors des dernières élections, son plus mauvais résultat depuis sa première participation à une élection en 1970.

On peut dire la même chose des libéraux. Même s’ils ont gagné 66 sièges lundi, ils ont obtenu essentiellement le même nombre de voix (1,3 million) qu’en 2007, lorsqu’ils avaient obtenu la plus faible part du vote exprimé de leur histoire.

Il y a un autre développement important dans les élections de lundi. Québec solidaire (QS), qui se décrit comme le parti de gauche en faveur de l’indépendance du Québec, a réussi à faire élire son premier député même si sa part du vote exprimé n’a pas dépassé les 4 pour cent. Amir Khadir, un médecin d’origine iranienne et un des deux codirigeants de QS, a été élu dans la circonscription montréalaise de Mercier, défaisant un péquiste de haut rang dans ce qui fut longtemps considéré comme un bastion du PQ. Les réactions des médias à l’élection de Khadir ont été favorables, alors que des ténors de la droite comme la Montreal Gazette a déclaré que QS représentait un courant d’opinion légitime au Québec qui méritait d’être représenté à l’Assemblée nationale.

Cette réaction révèle que l’establishment a bien pris la mesure de Québec solidaire. L’axe politique de QS consiste à faire pression sur le PQ pour l’empêcher d’aller trop à droite et à promouvoir des réformes sociales timorées dans un cadre « fiscalement responsable » (voir Québec solidaire : le soi-disant parti de la gauche au Québec).

Le peu d’enthousiasme des électeurs pour la campagne est largement dû au fait que si l’on fait exception de leur position sur l’indépendance du Québec qui a joué un rôle mineur dans ces élections, il n’y a que des différences de virgule entre le programme des deux principaux partis de la bourgeoisie. Les deux ont dans le passé entrepris des mesures érodant de façon importante la qualité des services publics.

L’état lamentable du système de santé public québécois a été discuté au cours des élections, ce qui a mené les libéraux et les péquistes à échanger des accusations sur la responsabilité pour les débordements de patients à l’urgence et les attentes de plusieurs mois pour des procédures et des opérations urgentes. Le PQ a fermé des hôpitaux et imposé d’importantes coupes budgétaires et diminutions d’emplois dans ses deux derniers mandats (1994-2003). Les libéraux, quant à eux, font la promotion de la privatisation du système de santé.

La dirigeante du PQ Pauline Marois a défendu l’élimination par le gouvernement péquiste de milliers d’emplois dans le secteur de la santé dans le cadre de sa politique du « déficit zéro », insistant qu’elle ferait la même chose aujourd’hui si les circonstances étaient les mêmes. Marois a aussi déclaré qu’en période de crise il serait irresponsable de ne pas considérer des diminutions dans les dépenses publiques.

Une autre proposition de Marois montre la nature de droite de sa campagne électorale. Elle a suggéré de former une coalition avec l’ADQ, un parti qui défend la privatisation entière du système de santé et d’autres mesures néo-libérales, si Charest n’obtenait qu’une minorité.

Alors que progressait la campagne, les médias de la grande entreprise devenaient de plus en plus critiques des politiciens. Ces derniers tentaient en effet de générer un enthousiasme populaire autour de leurs campagnes en perte d’intérêt avec des promesses limitées de dépenses sociales, plutôt que de « préparer » la population à des « sacrifices » que la crise économique exigera. Un exemple typique de cette position est un éditorial signé par André Pratte, le rédacteur en chef de La Presse : « [L]es aspirants chefs parlent d'augmenter les dépenses publiques afin de rendre encore plus généreux nos programmes sociaux. Sont-ils inconscients de la gravité de la crise ? Ou bien agissent-ils ainsi parce que c'est ce que les électeurs désirent ? »

Les médias sont perplexes quant aux résultats de l’élection. Les libéraux n’ont qu’une très faible majorité parlementaire et n’ont même pas obtenu le vote d’un Québécois sur quatre. Les élections ont aussi fait ressortir clairement l’opposition populaire à la privatisation et au conservatisme social représentés par l’ADQ ainsi que l’aliénation de masse envers les partis de l’élite et le système politique officiel. Alain Dubuc, l’un des commentateurs les plus influents du Québec, a résumé certaines craintes de l’establishment dans une chronique publiée mardi dans La Presse, le plus important journal au Québec. Un gouvernement, écrit Dubuc, « qui veut proposer une vision, qui veut construire pour l’avenir, doit pouvoir être capable d’amorcer des réformes, de brasser la cage, de faire preuve d’audace, d’être un agent de changement. Et donc d’être parfois impopulaire. Et c’est là que la faible majorité dont jouit le parti libéral pourra devenir un obstacle. »  

Toutefois, les libéraux vont pouvoir compter sur l’appui du PQ, qui lui est soutenu par la bureaucratie syndicale, et de l’ADQ pour imposer le fardeau de la crise économique aux travailleurs. Marois et Dumont ont déjà promis de collaborer avec le gouvernement libéral de Charest dans cette période de crise.

(Article original anglais paru le 11 décembre 2008)


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