Alors que se développe la
plus importante crise économique mondiale depuis la Grande Dépression,
l’élection québécoise de lundi dernier fut marquée par le plus faible
taux de participation des derniers 80 ans (57 pour cent) et le
quasi-anéantissement du parti populiste de droite, l’Action démocratique
du Québec (ADQ).
Les libéraux, qui sont au
pouvoir depuis 2003, mais réduits à un gouvernement minoritaire par
l’élection tenue 20 mois auparavant, ont obtenu une majorité
parlementaire, quoique très faible. Avec 42 pour cent du vote populaire, les
libéraux ont remporté 66 des 125 sièges de l’Assemblée nationale alors
que le Parti québécois (PQ), avec 35 pour cent du vote populaire, a retrouvé
son statut d’opposition populaire.
Le premier ministre libéral
Jean Charest a déclenché les élections en début novembre en affirmant que le
Québec avait besoin d’un gouvernement majoritaire pour faire face à la
crise financière et à la récession imminente. Sa véritable motivation était la
peur : la peur que la crise économique mine rapidement le soutien
populaire à son gouvernement.
En pleine campagne
électorale, on prit connaissance de rapports selon lesquels la Caisse de dépôt
et placement du Québec avait subi d’énormes pertes en raison de la crise
financière. Charest, avec l’appui de l’ancien premier ministre
péquiste Bernard Landry, a dénoncé les demandes de l’opposition visant à
ce que le gouvernement dévoile l’étendue des pertes de la Caisse. Il
savait trop bien que cette saignée au bilan de la Caisse allait donner
crédibilité aux assertions de l’opposition que le gouvernement pourrait
bientôt devoir augmenter les impôts, ou même couper dans les régimes de
retraites pour équilibrer les pertes de la Caisse.
Dans leur campagne pour
l’obtention d’une majorité parlementaire, les libéraux ont
bénéficié du fort appui de l’élite québécoise. Cette dernière considère
qu’un gouvernement assuré de sa position jusqu’en 2013 sera
davantage en mesure d’imposer des coupes dans les dépenses publiques, la
privatisation de la santé et d’autres mesures sociales régressives face à
l’opposition de la population.
L’ampleur de
l’effondrement de l’ADQ, qui était devenue l’opposition
officielle et était passée près de former un gouvernement minoritaire suite à
l’élection de mars 2007, a complètement pris de court les analystes
politiques professionnels. Vingt mois plus tôt, ces experts avaient soutenu que
l’augmentation fulgurante de l’appui à l’ADQ était une
« révolte » du Québec qui serait traditionnellement conservateur.
En réalité, la performance
de l’ADQ lors des élections de 2007 était le résultat d’un vote de
protestation exprimant la frustration et la colère des travailleurs,
particulièrement du Québec rural et des banlieues de Montréal, devant la
stagnation des conditions de vie et la détérioration des services publics.
Le fondateur et chef de
l’ADQ Mario Dumont a dirigé en 2007, tout comme
en 2008, une campagne populiste de droite; cette campagne dans l’élection
de 2007 était largement dirigée contre les immigrants et les minorités
religieuses. Les succès de Dumont à ce moment étaient dus en grande partie à
l’appui de sections de l’establishment, surtout dans la presse
populaire. La grande entreprise utilise depuis longtemps l’ADQ, qui a
émergé d’une séparation nationaliste des libéraux, comme un moyen pour
pousser encore plus les libéraux et le PQ à droite.
Dans la présente campagne,
Dumont a tenté de reprendre sa campagne chauvine sur la question des soi-disant
« accommodements raisonnables », mais n’a pas trouvé
d’appui dans la population ni dans la presse.
Lundi, l’ADQ
n’a recueilli que 16,35 pour cent du vote et obtenu que 7 sièges,
comparativement à près de 31 pour cent du vote et 41 sièges en 2007. Et la
chute vertigineuse du nombre de votes pour l’ADQ est encore plus
révélatrice. Alors qu’en 2007 l’ADQ obtenait 1 224 000
votes, son score de lundi dernier fut bien en-deçà de la moitié de ce nombre,
soit 530 000.
La performance de
l’ADQ fut si terrible que Dumont annonça qu’il quittait la
direction du parti lors de son discours prononcé la soirée de l’élection.
Etant donné le rôle joué par Dumont dans l’ADQ depuis sa fondation en
1994 (son nom fait même partie du nom officiel du parti : Action démocratique du Québec/Équipe Mario Dumont),
sa démission laisse en suspens l’existence même du parti, du moins en
tant que force significative dans la politique du Québec.
Le taux de participation
historiquement faible laisse croire que de nombreux électeurs qui avaient voté
pour l’ADQ en 2007 ont tout simplement décidé de ne pas voter cette
année. Il est à noter que l’élection fédérale du 14 octobre a aussi été
marquée par son pire taux de participation en un siècle. Le manque
d’intérêt dans la politique officielle est l’expression déformée et
confuse de la désaffection populaire croissante envers un système politique à
l’intérieur duquel les partis, indépendamment de leur rhétorique
électorale, implémentent au bout du compte les mêmes politiques de droite au
nom des intérêts de la grande entreprise : le démantèlement des programmes
sociaux et des services publics, des attaques sur les droits démocratiques et
ceux des travailleurs ainsi que des baisses d’impôt profitant surtout aux
sections les plus privilégiées de la société.
Un autre facteur dans
l’effondrement de l’ADQ doit être mentionné. La bourgeoisie
elle-même s’est retournée contre ce parti, ayant conclu qu’il était
instable et n’avait pas été suffisamment testé pour qu’on lui
confie une part du pouvoir, après l’avoir observé en tant
qu’opposition officielle. Les éditorialistes ont déploré que le
conservatisme social de l’ADQ et ses attaques contre les immigrés nuisent
à la défense d’un programme de droite de « libre marché » qui
exprime directement les besoins de la grande entreprise.
Il est clair dans la
couverture médiatique de l’ADQ que l’élite du Québec souhaitait
voir la formation adéquiste reprendre son statut de tiers parti (bien que pas
nécessairement privé de son statut officiel à l’Assemblée nationale comme
c’est présentement le cas) et le PQ de retour à son rôle
d’opposition officielle. Bien que les sections les plus puissantes du
capital au Québec et au Canada s’opposent à l’appel du PQ pour
l’indépendance du Québec, elles admettent que le PQ a « fait ses
preuves » lors de ses quatre mandats gouvernementaux. Elles savent que
c’est un parti qui est prêt à imposer les demandes de la grande
entreprise face à l’opposition populaire et qui est tout particulièrement
compétent dans ce domaine en raison des liens étroits qu’il entretient de
longue date avec la bureaucratie syndicale.
Les comtés qui ont été
perdus par l’ADQ lundi ont été divisés presque également entre les
libéraux et le PQ. Ce dernier s’est emparé de la majorité des
circonscriptions adéquistes en banlieue de Montréal et dans la région des
Laurentides au nord de Montréal. Les libéraux ont pris les comtés de
l’ADQ dans la région de la ville de Québec ainsi que dans les Cantons de
l’Est.
Le PQ, qui alterne au
gouvernement avec les libéraux depuis les années 1970, était visiblement
extatique de regagner le statut d’opposition officielle et
particulièrement satisfait du nombre inattendu de sièges obtenus, soit 51.
Les sondages publiés dans
les semaines et les jours précédant l’élection avaient indiqué que le PQ
obtiendrait une part du vote de l’ordre de 30 pour cent, et non pas 35.
Sans aucun doute, l’élément clé de la performance inattendue du PQ fut la
réaction populaire contre la campagne du premier ministre canadien Stephen
Harper et son gouvernement conservateur minoritaire visant à stigmatiser la
tentative des partis de l’opposition fédérale de former un gouvernement
alternatif, la qualifiant d’illégitime et de « coalition
séparatiste ». Cette campagne fit ouvertement la promotion des préjugés
anti-Québec. Elle atteint son apogée dans un « coup d’Etat
constitutionnel » lors duquel la gouverneure générale, non-élue et
n’ayant de comptes à rendre à personne, ferma le parlement pour une durée
de sept semaines afin d’empêcher l’opposition de défaire le
gouvernement conservateur sur un vote de confiance.
Les résultats de l’élection de
lundi ont porté un coup à Harper et aux conservateurs dans un autre sens. Les
conservateurs ont développé des liens étroits avec l’ADQ et, durant la
campagne électorale, Dumont est venu à la défense du gouvernement Harper, dénonçant
la proposition d’une coalition libérale-NPD soutenue par le parti frère
du PQ au palier fédéral, le Bloc Québécois, pour être mauvaise pour le Québec.
La débâcle de l’ADQ isole encore plus les conservateurs dans la seule
province canadienne à majorité francophone, la deuxième en importance par sa
population.
Ceci étant dit, la remontée du PQ
est beaucoup moins impressionnante lorsqu’on analyse les résultats du
vote. Le PQ n’a obtenu que 14 000 voix de plus que lors des dernières
élections, son plus mauvais résultat depuis sa première participation à une
élection en 1970.
On peut dire la même chose des
libéraux. Même s’ils ont gagné 66 sièges lundi, ils ont obtenu
essentiellement le même nombre de voix (1,3 million) qu’en 2007,
lorsqu’ils avaient obtenu la plus faible part du vote exprimé de leur
histoire.
Il y a un autre développement
important dans les élections de lundi. Québec solidaire (QS), qui se décrit
comme le parti de gauche en faveur de l’indépendance du Québec, a réussi
à faire élire son premier député même si sa part du vote exprimé n’a pas
dépassé les 4 pour cent. Amir Khadir, un médecin d’origine iranienne et
un des deux codirigeants de QS, a été élu dans la circonscription montréalaise
de Mercier, défaisant un péquiste de haut rang dans ce qui fut longtemps
considéré comme un bastion du PQ. Les réactions des médias à l’élection
de Khadir ont été favorables, alors que des ténors de la droite comme la Montreal Gazette a déclaré que
QS représentait un courant d’opinion légitime au Québec qui méritait
d’être représenté à l’Assemblée nationale.
Cette réaction révèle que
l’establishment a bien pris la mesure de Québec solidaire. L’axe
politique de QS consiste à faire pression sur le PQ pour l’empêcher
d’aller trop à droite et à promouvoir des réformes sociales timorées dans
un cadre « fiscalement responsable » (voir Québec solidaire : le
soi-disant parti de la gauche au Québec).
Le peu d’enthousiasme des
électeurs pour la campagne est largement dû au fait que si l’on fait
exception de leur position sur l’indépendance du Québec qui a joué un
rôle mineur dans ces élections, il n’y a que des différences de virgule
entre le programme des deux principaux partis de la bourgeoisie. Les deux ont dans
le passé entrepris des mesures érodant de façon importante la qualité des
services publics.
L’état lamentable du système
de santé public québécois a été discuté au cours des élections, ce qui a mené
les libéraux et les péquistes à échanger des accusations sur la responsabilité
pour les débordements de patients à l’urgence et les attentes de
plusieurs mois pour des procédures et des opérations urgentes. Le PQ a fermé
des hôpitaux et imposé d’importantes coupes budgétaires et diminutions d’emplois
dans ses deux derniers mandats (1994-2003). Les libéraux, quant à eux, font la
promotion de la privatisation du système de santé.
La dirigeante du PQ Pauline Marois a
défendu l’élimination par le gouvernement péquiste de milliers d’emplois
dans le secteur de la santé dans le cadre de sa politique du « déficit
zéro », insistant qu’elle ferait la même chose aujourd’hui si
les circonstances étaient les mêmes. Marois a aussi déclaré qu’en période
de crise il serait irresponsable de ne pas considérer des diminutions dans les
dépenses publiques.
Une autre proposition de Marois
montre la nature de droite de sa campagne électorale. Elle a suggéré de former
une coalition avec l’ADQ, un parti qui défend la privatisation entière du
système de santé et d’autres mesures néo-libérales, si Charest
n’obtenait qu’une minorité.
Alors que progressait la
campagne, les médias de la grande entreprise devenaient de plus en plus
critiques des politiciens. Ces derniers tentaient en effet de générer un
enthousiasme populaire autour de leurs campagnes en perte d’intérêt avec
des promesses limitées de dépenses sociales, plutôt que de
« préparer » la population à des « sacrifices » que la crise économique exigera. Un exemple typique de cette
position est un éditorial signé par André Pratte, le rédacteur en chef de La
Presse : « [L]es aspirants chefs parlent d'augmenter les dépenses
publiques afin de rendre encore plus généreux nos programmes sociaux. Sont-ils
inconscients de la gravité de la crise ? Ou bien agissent-ils ainsi parce
que c'est ce que les électeurs désirent ? »
Les médias sont perplexes
quant aux résultats de l’élection. Les libéraux n’ont qu’une
très faible majorité parlementaire et n’ont même pas obtenu le vote
d’un Québécois sur quatre. Les élections ont aussi fait ressortir
clairement l’opposition populaire à la privatisation et au conservatisme
social représentés par l’ADQ ainsi que l’aliénation de masse envers
les partis de l’élite et le système politique officiel. Alain Dubuc,
l’un des commentateurs les plus influents du Québec, a résumé certaines
craintes de l’establishment dans une chronique publiée mardi dans La
Presse, le plus important journal au Québec. Un gouvernement, écrit Dubuc,
« qui veut proposer une vision, qui veut construire pour l’avenir,
doit pouvoir être capable d’amorcer des réformes, de brasser la cage, de
faire preuve d’audace, d’être un agent de changement. Et donc
d’être parfois impopulaire. Et c’est là que la faible majorité dont
jouit le parti libéral pourra devenir un obstacle. »
Toutefois, les libéraux
vont pouvoir compter sur l’appui du PQ, qui lui est soutenu par la
bureaucratie syndicale, et de l’ADQ pour imposer le fardeau de la crise
économique aux travailleurs. Marois et Dumont ont déjà promis de collaborer
avec le gouvernement libéral de Charest dans cette période de crise.
(Article
original anglais paru le 11 décembre 2008)