Québec solidaire (QS), dirigé par Françoise
David et Amir Khadir, se présente comme le parti de la gauche au Québec.
Toutefois, QS n’a rien à voir avec le socialisme ou la classe ouvrière et son
programme est une collection de propositions vaguement réformistes. Il se
décrit comme le parti des « valeurs de justice
sociale, de protection environnementale, d’égalité entre les sexes, et de
participation de tous les citoyen-ne-s aux décisions politiques » dans le
cadre politique d’un « Québec libre, souverain, juste et
égalitaire ».
Cette formation politique est relativement
jeune, ayant été fondée au début de 2006 de la fusion de l’Union des forces
progressistes (UFP), une coalition de mouvements radicaux de gauche, et
d’Option citoyenne, un mouvement issu du mouvement communautaire et féministe
qui considérait l’UFP comme trop radicale.
Dans les élections québécoises qui auront
lieu le 8 décembre, QS présente 122 candidats (pour 125 circonscriptions
électorales) et vise à obtenir 5 pour cent du vote exprimé. QS croit que ses
deux figures de proue, David et Khadir, pourraient être élues à l’Assemblée
nationale, étant arrivées en seconde place lors des dernières élections.
L'axe politique central de QS est de faire pression
sur le Parti québécois (PQ) pour l'empêcher d'aller trop à droite. Le PQ est un
parti souverainiste de la grande entreprise qui a formé le gouvernement ou
l’opposition officielle depuis 1973, hormis la dernière année et demie où il
est au troisième rang à l’Assemblée nationale.
Le QS est essentiellement formé de personnes
qui anciennement se trouvaient dans l’orbite du PQ (des travailleurs du secteur
communautaire, des environnementalistes et une poignée de petits bureaucrates
syndicaux) et qui l’ont abandonné après que ce dernier eut imposé d’importantes
compressions budgétaires à la fin des années 1990 suivies de coupes dans les
impôts.
Plusieurs candidats de QS, dont Amir Khadir, se
sont déjà présentés sous la bannière du Bloc québécois, le parti frère du PQ au
niveau fédéral, et QS s’est vanté d’avoir obtenu l’appui d’un ancien ministre
péquiste, Robert Perreault, dans cette campagne électorale.
Dans une récente entrevue radiophonique
diffusée sur Radio-Canada, David, après s’être déclaré déçue du Parti québécois
a affirmé « Je m’aperçois finalement que je les influence mieux de
l’extérieur. » Supposons, a-t-elle continué, « qu’il y a le parti
Québécois qui forme l’opposition officielle, je le souhaite… il me semble
qu’avec ma présence et celle de Khadir à l’Assemblée nationale, on va rendre le
Parti québécois plus fort parce qu’on va les obliger à aller plus loin. »
En affirmant le 3 décembre que « [N]ous appuyons donc la
formation d’un gouvernement de coalition [au palier fédéral], soutenu par le
Bloc québécois », QS a démontré sa véritable nature. Ne pouvant se
distinguer du PQ et du BQ, le soi-disant parti de la gauche au Québec s’est
rangé derrière le Parti libéral, le parti traditionnel de la grande entreprise
au Canada. La coalition dirigée par les libéraux continuera à soutenir
l’intervention canadienne en Afghanistan et a confirmé qu’elle n’annulerait pas
les diminutions d’impôts pour les compagnies même si la crise économique
privera le gouvernement de milliards en revenus.
De façon générale, la presse traite Québec
solidaire avec une certaine sympathie, le décrivant comme rêveur, mais qui
propose parfois des mesures qui devraient être reprises par le gouvernement.
David et Khadir obtiennent régulièrement plusieurs entrevues dans les grands
médias électroniques et imprimés et des personnalités du monde culturel les
appuient ouvertement. QS, comme le Parti vert, n’a pas été invité à participer
au débat télévisé des chefs qui a eu lieu la semaine passée.
Cherchant par tous les moyens à convaincre
les élites québécoises qu’il est un parti respectable et responsable, Québec
solidaire (QS) insiste qu’il n’est « pas une gauche
sectaire et dogmatique, mais une gauche humaine et rassembleuse ».
Ce qu’il signifie par là, comme l’indique une
étude de son programme, c’est que le capitalisme est fondamentalement sain et
que, finalement, seules quelques pommes pourries gâtent le panier. Nulle part
Québec solidaire ne mentionne le mot socialisme ou encore prétend représenter
la classe ouvrière. En fait pour QS, il n’existe pas de classe avec des
intérêts opposés, mais que des Québécois qui doivent s’unir pour le « bien
commun ». En pratique, cette orientation revient à attacher les
travailleurs à « leur » bourgeoisie.
QS défend la conception que le militarisme,
la polarisation sociale, le gangstérisme des dirigeants d’entreprise et leur
pillage de la société, le racisme et toutes les formes d’exclusion, la
pauvreté, les attaques tous azimuts sur les droits démocratiques, le niveau de
vie et les emplois des travailleurs sont une question de volonté, de mauvaise
direction et pas la conséquence inévitable d’un système basé sur le profit. Il
suffit de maîtriser le capitalisme, pense QS, en subordonnant
« l’économie à la justice sociale et au respect de notre
environnement », mais en respectant les marges de profit des grands
investisseurs et des spéculateurs.
Québec solidaire demeure pratiquement muet sur
la plus grande crise économique depuis la Grande Dépression, conscient que
cette question expose les contradictions de son programme. D’un côté, les
timides réformes qu’il propose dans la perspective du
nationalisme économique, de la défense de la petite production et du
développement de l’industrie environnementale sont
nettement insuffisantes pour protéger les emplois et le niveau de vie des
travailleurs. De l’autre, son insistance à présenter un budget équilibré rendra
dans les faits même ces faibles mesures entièrement irréalisables.
Comme grand axe de développement
économique, la plate-forme électorale de QS propose un timide développement du
transport en commun et la nationalisation de l’énergie éolienne et des
barrières tarifaires pour protéger les petits agriculteurs.
QS propose aussi de forcer la Caisse de dépôt et de placement du Québec, le plus grand investisseur du Canada avec les 150
milliards de dollars qu’il gère (dont le fonds de pension des employés de
l’État québécois), pour investir dans les entreprises québécoises en région
respectueuses de l’environnement. Faisant appel de façon populiste au sentiment
anti-grande entreprise répandu parmi les travailleurs et les classes moyennes,
David explique que « les investissements dans les
bourses internationales, on a aucun contrôle là-dessus ».
La principale mesure de Québec solidaire pour
lutter contre la pauvreté est une augmentation du salaire minimum à 10,20 $
l’heure d’ici quelques années, une mesure si timorée que même le Parti libéral
promet d’augmenter le salaire minimum à 9,50 $ l’heure d’ici une année. Pour
défendre les emplois, QS propose que l’État aide les travailleurs à transformer
les compagnies en faillite en coopératives.
Le caractère petit-bourgeois de Québec
solidaire est bien démontré par sa position face au militarisme. En 2001, le
Canada a envoyé des troupes en Afghanistan pour soutenir la guerre menée par
les Etats-Unis et, depuis 2005, les Forces armées canadiennes sont au front de
la lutte contre-insurrectionnelle à Kandahar, au sud de l’Afghanistan. Près de
100 soldats canadiens sont morts depuis le début de la mission canadienne et
des centaines d’autres blessés, pour une force armée d’environ 2500 soldats
seulement. L’opposition à cette guerre n’a cessé de croître dans la population
canadienne et particulièrement au Québec, où environ 70 pour cent de la
population est opposée à la guerre selon les sondages, ce qui n’empêche pas le
gouvernement conservateur de renforcer les troupes canadiennes en Afghanistan
avec plus d’hélicoptères et de troupes.
Comme pour les questions économiques, Québec
solidaire a sur le militarisme une perspective moraliste par sa forme et
localiste par son contenu. Depuis sa création, Québec solidaire a appelé à une
participation de l’ONU, une institution par et pour les puissances
impérialistes, afin de « maintenir la paix » en Afghanistan, tentant
de faire oublier que l’ONU a donné son appui à l’invasion de ce pays par l’OTAN.
Dans la présente campagne électorale, comme depuis sa fondation, Québec
solidaire ne mentionne la question de la guerre en Afghanistan du bout des
lèvres.
QS s’est contenté d’ajouter quelques lignes
sur cette question à la toute fin de sa plateforme électorale, rédigées en
termes très vagues. La principale mesure qu’il propose est un appel au dépôt
d’une motion vertueuse à l’Assemblée nationale québécoise « pour s’opposer
à toute intervention impérialiste canadienne en
Afghanistan ».
Comme pour les questions économiques, la
question de la guerre est liée à la défense des intérêts fondamentaux des
grands capitalistes. Si la bourgeoisie canadienne, y compris la bourgeoisie
québécoise, appuie la guerre en Afghanistan, c’est parce qu’elle considère
qu’elle doit participer militairement au partage du monde pour avoir droit à
une part du butin.
Devant la montée de l’impérialisme américain,
la bourgeoisie canadienne, en tant que puissance impérialiste moyenne dotée de
ressources limitées, a jugé qu’il était nécessaire de s’allier avec les
Etats-Unis dans la grande redivision du monde qui a lieu actuellement et dans
laquelle les Etats-Unis tentent impitoyablement de conserver leur suprématie.
C’est pourquoi la bourgeoisie canadienne a cherché au cours des dernières
années à développer les Forces armées canadiennes en intervenant dans la guerre
menée par l’OTAN contre la Yougoslavie en 1998 et en Afghanistan depuis 2001.
Une véritable opposition à la montée du
militarisme ne peut trouver expression dans une motion blâmant l’intervention
dans un parlement provincial. Il faut exposer la guerre en Afghanistan pour ce
qu’elle est, une guerre de pillage visant à défendre les intérêts de la grande
bourgeoisie canadienne et québécoise et lutter pour une organisation politique
des travailleurs, indépendante du nationalisme économique et politique de la
bureaucratie syndicale et des partis de la grande entreprise.
Les positions de QS sur l’économie et la
guerre vont main dans la main avec l’orientation politique de ce parti envers
le PQ. Lorsque Françoise David dit qu’elle « influence mieux [le PQ] de
l’extérieur », elle fait référence à sa longue expérience de collaboration
avec ce parti.
En 1995, quelques mois avant le référendum sur
l’indépendance du Québec, Françoise David alors à la tête de la Fédération des femmes du Québec, organisait une marche de 200 km qui s’est terminée à
Québec avec la remise de demandes réformistes timides au Parti québécois. Ce
dernier a bénéficié de l’événement en se présentant comme un parti ouvert aux
revendications populaires.
Les mouvements communautaires et les tendances
radicales de gauche qui se sont regroupées pour former Québec solidaire en 2006
faisaient tous partie de la coalition arc-en-ciel en faveur de l’indépendance
du Québec chapeautée par le PQ lors du référendum de 1995.
Lors du référendum, le PQ avait servi aux
travailleurs de la rhétorique ronflante (le pays qui sera un rempart contre le
vent de droite soufflant sur l’Amérique du Nord) et aux grandes entreprises des
mesures pour défendre leurs profits.
Une année après avoir perdu de peu le
référendum, le PQ organisait un sommet regroupant le patronat, les syndicats et
le gouvernement pour générer le soutien politique nécessaire pour aller de
l’avant avec son plan de coupes draconiennes dans les dépenses sociales.
Françoise David avait participé dans ce forum, ne le quittant qu’à la dernière
heure lorsqu’elle n’avait pu obtenir du gouvernement péquiste l’assurance que
les assistés sociaux ne seraient pas touchés par les coupes budgétaires.
Dans les années qui suivirent, le PQ mis en
œuvre son plan du « déficit zéro » en vertu duquel des dizaines de
milliers d’employés du secteur public furent mis à la retraite, des hôpitaux
furent fermés et les assistés sociaux sauvagement coupés. Une couche de
supporteurs du PQ s’en est détaché, tentant de garder en vie les illusions de
type social-démocrate dans l’indépendance du Québec.
Québec solidaire, à la façon de nombreuses
formations de la « gauche élargie » qui se forment à travers le monde,
se propose de jouer le rôle de rempart de gauche si jamais la bureaucratie
syndicale n’arrivait pas à contenir une opposition massive des travailleurs
dans le giron du PQ. QS se présenterait alors comme une alternative de gauche
au PQ, mais pour mieux attacher les travailleurs au programme du nationalisme
économique et de l’indépendance du Québec.
Québec solidaire a bénéficié du soutien enthousiaste
de plusieurs tendances se disant communistes y compris les pablistes du
Secrétariat unifié au Québec, Gauche socialiste. Ces tendances, entièrement
démoralisées de la possibilité de gagner la classe ouvrière à un programme
socialiste et internationaliste, se sont approchées encore plus de
l’impérialisme canadien et québécois en intégrant Québec solidaire pour former
un parti soi-disant respectable de la gauche entièrement consacré à faire
pression sur le PQ de la gauche.
Cette avenue est complètement l’opposée de
celle que prend le Parti de l’égalité socialiste et la Quatrième Internationale. Nous insistons qu’il ne sera pas possible de défendre les emplois,
le niveau de vie et les droits démocratiques de la classe ouvrière et des
larges couches de la population sans la construction d’un parti révolutionnaire
de masse qui unira les travailleurs québécois avec leurs frères de classe de
tout le Canada et l’Amérique du Nord, pas avec la bourgeoisie québécoise.