C’est avec grande tristesse que le World Socialist Web
Site annonce le décès soudain d’Eddie Benjamin, un membre de longue date du
Parti de l’égalité socialiste aux Etats-Unis et de son prédécesseur, la Workers
League.
Camarade Eddie est décédé à 55 ans d’une crise cardiaque
dans la soirée du mardi 5 février. Il s’est effondré alors qu’il jouait au
basket-ball dans le gymnase d’un centre universitaire dans le quartier ouest de
Détroit. Sa mort fut particulièrement inattendue, étant donné sa forme
physique, son endurance et son énergie apparemment inépuisable.
Sa femme Ruth et ses deux filles, Sade 21 ans et Larissa 19
ans, lui survivent.
Camarade Eddie faisait partie d’une génération remarquable
de la jeunesse ouvrière afro-américaine qui fut gagnée à la politique
révolutionnaire des années 1970. Sa décision de joindre la Workers League en
1973 était liée aux conditions d’oppression qu’il avait lui-même vécues dans sa
jeunesse, ainsi qu’aux bouleversements sociaux des années 1960 et 1970, aux
Etats-Unis et internationalement, qui l’attirèrent lui et beaucoup d’autres
dans la vie politique.
Cependant, dans cette génération, Eddie fit partie du
nombre relativement petit de ceux qui tirèrent les leçons politiques des
trahisons envers la classe ouvrière et qui poursuivirent la lutte pour bâtir un
leadership révolutionnaire. Durant plus de trois décennies, il se consacra
entièrement à la construction de ce leadership.
Eddie naquit le 2 janvier 1953 à Dawson, en Géorgie, une
petite ville rurale du sud-ouest de l’État où les métayers noirs vivaient dans
une pauvreté terrible et sous le joug de la ségrégation Jim Crow. Comme Eddie
le nota plus tard, l’un des principaux propriétaires de plantations de la
région était le futur président démocrate Jimmy Carter.
Son père, Anderson, travaillait dans une usine de
fertilisants et sa mère, Mae Bell, était une domestique. Eddie grandit avec ses
huit frères et sœurs dans une maison sans plomberie. Lorsque Eddie fut en âge
d’aller à l’école, il fit comme ses frères et sœurs et alla ramasser le coton
dans les champs afin de gagner de l’argent pour s’acheter des vêtements et
d’autres nécessités.
Dans le quartier commercial de Dawson, les frères et sœurs
devaient s’assurer d’utiliser les fontaines où il était inscrit « de
couleur », et non « blanc ». Les dimanches, ils allaient à leur
crèmerie favorite. Les blancs pouvaient passer leur commande à l’avant, alors
que les noirs devaient le faire dans une pièce à l’arrière.
Eddie a raconté comment de jeunes activistes pour les
droits civils étaient venus dans sa ville durant la lutte pour investir les
lieux publics et obtenir le droit de vote pour les noirs. Alors que de nombreux
travailleurs noirs plus âgés les évitaient par crainte de représailles, les
jeunes furent inspirés par leur courage et leur détermination.
Le frère d’Eddie, Robert, avait dit : « De
nombreux noirs avaient peur, car s’opposer au système voulait dire se faire
pourchasser par la police et subir la répression. Eddie était le genre de
personne qui voulait s’impliquer de toute façon. Je lui avais demandé : “Ne
sais-tu pas ce qui va arriver ? Quand ils quitteront la ville tu te
retrouveras tout seul.” Cela n’avait pas d’importance pour lui. Il
disait : “Nous devons bien commencer la lutte quelque part.” Il a toujours
eu ce désir de lutter en lui. Il se levait face à l’injustice. »
La vie fut plus difficile lorsque leur père quitta la
famille. Espérant améliorer leurs vies, la mère d’Eddie emmena la famille à Cleveland,
en Ohio, au début des années 1960. Eddie grandit dans East Cleveland, un
quartier pauvre afro-américain rongé par un taux élevé de chômage, des
logements et des écoles inadéquats. En juillet 1968, il y eut une violente
émeute contre la brutalité policière et le racisme dans la région. Carl Stokes,
un démocrate qui fut le premier maire noir d’une ville importante de la nation,
fit venir la Garde nationale pour réprimer le soulèvement, provoquant ainsi la
mort de sept personnes.
Eddie parlait souvent de son opposition à
la guerre au Viêt-Nam d’après les expériences de sa famille. Dans les années
1960, trois de ses frères — Lonnie, Robert et Walter — furent recrutés et
durent combattre au Viêt-Nam. Il parlait de jeunes hommes du quartier qui
avaient été tués ou qui revenaient psychologiquement blessés par l’expérience.
Diplômé de la East High School en 1971, Eddie, à l’aide d’une
bourse sportive, poursuivit ses études à l’Université d’Akron en art
commercial. Même s’il avait été lui-même victime de discrimination raciale,
Eddie a pu à lui seul amener les étudiants noirs et blancs à manger ensemble à
la cafétéria de l’école, là où ils prenaient auparavant leurs repas séparément.
Il déménagea à Cleveland au début des années 1970, mais fut
incapable de se trouver un emploi où il aurait pu utiliser ses talents
artistiques. Plusieurs employeurs lui refusaient un emploi dès qu’ils se
rendaient compte qu’ils parlaient à un homme noir au téléphone. Il revint avec
sa mère et gagna son pain en travaillant dans les usines et les entrepôts.
À la fin de 1973, il rencontra et joint les Jeunes Socialistes
(JS), le mouvement jeunesse de la Workers League. Il fut gagné à la
perspective de bâtir un mouvement politique de la classe ouvrière contre les
démocrates et les républicains et de lutter pour une alternative socialiste à
la guerre, la pauvreté et l’oppression.
Il se lança entièrement dans le travail des Jeunes Socialistes
et fut élu au Comité national des JS en mai 1974. Il était un orateur public
éloquent et fougueux. En 1975, il aida une délégation de jeunes de Cleveland à
assister à une conférence fondatrice du Comité international des jeunes de la
Quatrième Internationale à Londres. Même s’il avait peu d’expérience politique
avant de se joindre au mouvement, Eddie était toujours avide d’en apprendre
plus sur l’histoire du mouvement et ses principes.
Il fut aussi actif dans la campagne pour libérer Gary Tyler,
un jeune noir de la Louisiane qui avait été accusé d’un crime qu’il n’avait pas
commis. Les JS gagnèrent l’appui de centaines de milliers de syndicalistes, de
jeunes et d’autres personnes qui jouèrent un rôle clé pour empêcher son
exécution.
Parlant de son rôle durant cette période, Helen Halyard, la
secrétaire nationale adjointe du Parti de l’égalité socialiste, a dit :
« Eddie a joint le parti après la fin du mouvement de masse
anti-guerre et pendant une période où le nationalisme noir et d’autres
politiques d’identité étaient influentes. Il fut gagné à la perspective et aux
principes politiques du marxisme. Il comprenait la nécessité d’organiser
l’activité politique de la classe ouvrière de manière indépendante. Il tirait
des leçons et était particulièrement attiré par la lutte de la Workers League
pour un parti ouvrier et des politiques socialistes.
« Il était extrêmement sensible et compatissant envers
les sections opprimées de la classe ouvrière, particulièrement les conditions
de la jeune minorité. En raison de ses expériences dans le Sud, il connaissait
l’impact de l’oppression raciale. »
« Mais, Eddie comprenait que ça ne pouvait pas être
supprimé sans unir les luttes des travailleurs noirs et blancs contre la cause
centrale de cette oppression, qui se trouve dans les relations économiques du
capitalisme. »
« Un adjectif décrit Eddie : l’enthousiasme. Vous
pouvez constater en regardant les photos de cette période qu’Eddie envisageait
chaque campagne du parti avec beaucoup de détermination et de dévouement et il
se dédiait complètement à la tâche. Il voulait mettre à profit tous les talents
et le potentiel qu’il avait afin de gagner les sections les plus avancées des
travailleurs et des jeunes à une compréhension marxiste. »
En 1976-1977, Eddie arriva à New York où il fut entraîné à
être un imprimeur du parti et il travailla en étroite collaboration avec Tom Henehan,
un leader de la Workers League qui fut tué dans un meurtre politique en
1977. Même s’il n’avait aucune expérience technique, il travailla avec
assiduité pour développer ses habiletés et joua un rôle décisif dans le
maintien des publications des journaux de la Workers League : le Bulletin
et le Young Socialist.
Eddie déménagea à Detroit en 1980 et s’impliqua activement
dans plusieurs interventions de la Workers League lors des luttes de la
classe ouvrière contre les tentatives, appuyées par la grande entreprise, pour
écraser les syndicats. Des tentatives qui avaient commencé sous Reagan, qui
avait congédié 13 000 contrôleurs aériens du syndicat PATCO en août 1981.
Au début des années 1980, il faisait partie d’un groupe de
plusieurs camarades – incluant des grévistes congédiés de PATCO qui joignirent
le mouvement – à s’être rendu à la réunion du Comité exécutif de la AFL-CIO en
Floride pour présenter une pétition circulée par le parti et signé par des
milliers de travailleurs demandant qu’une action soit entreprise pour défendre
les contrôleurs aériens.
Eddie devint reporter industriel pour le Bulletin et
assura la couverture d’une série de grèves dans la région de Détroit, incluant
Barry Steel, Livernois Moving & Storage et Cunningham drug stores, qui furent
isolées et trahies par la AFL-CIO et le syndicat de la United Auto Workers.
En 1982, en tant que candidat pour le Workers League au
Michigan, Eddie fit campagne pour un poste au Congrès des États-Unis dans le 1er
district à Détroit, lieu de résidence de milliers de travailleurs de
l’industrie automobile qui étaient confronté à la perspective de perdre leur
emploi et de se voir imposer des coupures de salaire. Il était opposé au
congressiste en poste John Conyers, un démocrate de « gauche » qui
cherchait à maintenir la classe ouvrière sous la tutelle des démocrates et
empêcher toute opposition sérieuse à l’assaut conjoint du grand patronat et du
gouvernement contre leur niveau de vie.
Dans une entrevue accordée au Bulletin, Eddie
disait, « Je fais campagne pour un poste public parce que dans ma région
il n’y a pas de représentation politique pour la classe ouvrière. Tout ce qui a
eu lieu dans la situation économique dans ce pays montre que ce système est
absolument banqueroute… Il n’y a aucun moyen par lequel les propriétaires
capitalistes peuvent combiner leur course vers le profit tout en assurant le
niveau de vie des gens dans ce pays. Les deux sont en opposition directe… Soit
les usines ferment, soit les travailleurs n’auront d’autres choix que de les
nationaliser, ou les opérer sous leur propre contrôle, pour assurer les emplois
et les besoins de base de leurs familles. »
Durant la période allant de 1980 à 1990, Eddie était
impliqué dans le travail de reportage couvrant les luttes de la classe ouvrière.
Il a voyagé avec une équipe de journaliste à Hamlet, Caroline du Nord, après
l’incendie de septembre 1991 à la Imperial Foods, une usine de transformation
du poulet, qui tua 25 travailleurs. Il y passa une semaine à interviewer les
survivants, les collègues de travail et les membres des familles des défunts,
et aida à préparer une série d’articles sur la tragédie. Capable de parler
franchement et efficacement avec les travailleurs, il était outré par les
conditions de travail et de vie qui prévalaient dans la ville.
Eddie s’est consacré à la construction du mouvement trotskyste
mondiale, le Comité international de la Quatrième Internationale, et était
inspiré par la lutte politique contre la dégénérescence nationaliste du Workers
Revolutionary Party en 1985-86 et par l’intégration sans précédente du
travail du mouvement mondial qui s’en suivit.
Après la première guerre du Golfe, Eddie voyagea à Berlin
en 1991 pour participer à la conférence du CIQI contre la guerre impérialiste
et le colonialisme. En 1996, il s’était rendu en Australie pour participer à la
campagne électorale du Socialist Labour League, le prédécesseur du SEP
en Australie, travaillant à Brisbane et Sydney. Là, il avait rencontré des
camarades de partout à travers le monde et gagné leur respect et leur affection
la plus profonde.
Lors de son dernier voyage outre-mer en 2003, il s’assura
de visiter la maison d’Anne Frank à Amsterdam, où l’héroïque jeune juive
hollandaise s’était cachée avant d’être capturée et tuée par les nazis.
Camarade Eddie était un homme extraordinaire et sans pareil
avec de multiples intérêts intellectuels et culturels. Il avait une
appréciation profonde de l’art et de la musique, particulièrement le jazz et le
blues et ne manquait jamais de trouver les musiciens les plus talentueux. Bien
que la vie l’empêcha de développer pleinement son amour de l’art, sa maison
était remplie de magnifiques peintures, y compris une qu’il a réalisée du
musicien blues du delta, John Lee Hooker.
L’auteur de ces lignes a eu l’occasion de travailler
étroitement avec Eddie durant la campagne électorale de 1996 du SEP aux Etats-Unis.
Nous avons voyagé ensemble au Minnesota, New Jersey, New York et d’autres États
organisant des réunions avec des étudiants et des travailleurs. Durant les centaines
de kilomètres que nous avons parcourus ensemble, il ne se lassait jamais de
partager les souvenirs de ses premiers jours dans le mouvement et de discuter
des possibilités et du potentiel de croissance du parti. Durant ces voyages,
nous avons discuté et parfois chaudement débattu de questions politiques,
historiques, de musique, de sport et de plusieurs autres sujets.
Un homme aux multiples intérêts, camarade Eddie
s’identifiait, avant tout, à la cause du socialisme international, pour
laquelle il lutta passionnément durant 35 ans. Sa mort est une perte immense
pour notre mouvement. Il manquera cruellement à ses camarades, sa famille et
ses amis aux Etats-Unis et internationalement.
(Article original anglais paru le 11
février 2008)