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Le cas du Kosovo : l’« autodétermination » en tant qu’instrument de la politique impérialiste

Par Peter Schwarz
22 février 2008

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L’appui des Etats-Unis et des grandes puissances européennes pour la sécession unilatérale du Kosovo de la Serbie, face à une violente opposition de la Serbie et de la Russie, ainsi que de la Chine, constitue un point tournant dans la politique internationale.

Cette sécession fut menée sans l’autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies et en violation des résolutions de l’ONU établies à la suite de la guerre aérienne des Etats-Unis et de l’OTAN contre la Serbie en 1999. Elle crée un précédent que les mouvements séparatistes à travers l’Europe et l’Asie pourraient exploiter, ce qui préoccupe certains Etats membres de l’Union européenne qui ont refusé de reconnaître l’indépendance du Kosovo, y compris l’Espagne (qui craint les implications pour la région basque) et la Grèce (qui voit le risque accru d’un Etat turc indépendant au nord de Chypre).

L’administration Bush et l’Union européenne ont tenté de mettre en échec ces préoccupations en déclarant que le Kosovo constitue un cas « sui generis », c’est-à-dire une situation politiquement et historiquement unique qui ne peut être perçue comme un précédent pour d’autres. Ils sont cependant incapables de justifier cette position, qui n’est rien de plus qu’une plate assertion.

Lors d'une rencontre lundi à Bruxelles, les ministres européens des Affaires étrangères ont répété les paroles de la secrétaire d’Etat des Etats-Unis, Condoleezza Rice, déclarant que les Kosovars albanais sont uniques, car aucun autre peuple autochtone ne fut si brutalement privé de ses droits — une autre assertion qui peut être réfutée par l’exemple de nombreuses minorités ethniques, dont les Amérindiens, qui ont été réprimés encore plus brutalement.

En fait, les déclarations émises en 1999, juste avant la guerre, par les Etats-Unis et l’OTAN selon lesquelles des centaines de milliers de Kosovars avaient été tués par les troupes et la milice serbes ont été, après la guerre aérienne qui dura trois mois, démasquées en tant que grosses exagérations. Quant à eux, les dirigeants kosovars mis en place par les Etats-Unis et l’OTAN ont été non moins violents envers la minorité serbe de la province que le régime évincé de Slobodan Milosevic ne le fut envers les Albanais.

La justification offerte par les Etats-Unis et les puissances européennes telles que l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne pour appuyer l’indépendance du Kosovo est basée sur le prétexte que Belgrade et Moscou ont rejeté toute forme de compromis. Ainsi, la reconnaissance du désir du peuple kosovar pour l’indépendance nationale était, selon cette argumentation, inévitable.

En réalité, ce sont les puissances impérialistes occidentales qui ont délibérément incité les conflits ethniques dans l’ancienne Yougoslavie afin d’avancer leurs propres intérêts. La situation au Kosovo est d’abord et avant tout le résultat de leur propre politique.

En 1991, l’Allemagne a déclenché l’éclatement sanglant de l’État yougoslave en soutenant et en endossant l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie. Les Etats-Unis emboîtèrent le pas et firent appliquer l’indépendance de la Bosnie et de l’Herzégovine. Le résultat fut une guerre de quatre ans en Bosnie qui causa un grand nombre de morts et dans laquelle les grandes puissances sont finalement intervenues avec leurs propres troupes.

Finalement, l’OTAN s’est servi du mouvement d’indépendance au Kosovo, qu’elle avait contribué à fomenter, pour se retourner contre la Serbie. En 1999, lors de la conférence de « paix » de Rambouillet, la secrétaire d’État Madeleine Albright a lancé un ultimatum au gouvernement serbe impossible à respecter. Lorsque le gouvernement serbe l’a rejeté, l’OTAN a lancé une offensive militaire.

Pendant cette période, Albright et ses collègues, Joschka Fischer en Allemagne et Robin Cook en Grande-Bretagne, faisaient déjà appel aux services du chef de l’Armée de libération du Kosovo (KLA), Hashim Thaci, qui est maintenant le premier ministre du Kosovo. Ils faisaient appel à ses services malgré le fait que le KLA avait été désigné comme étant une organisation terroriste par le gouvernement américain une année plus tôt. Thaci lui-même était recherché par les autorités serbes en raison d’attaques sur les forces de sécurité et était soupçonné d’avoir exécuté les dissidents à l’intérieur de son propre mouvement et cultivé des liens avec la mafia de la drogue.

Depuis la fin de la guerre de 1999, le Kosovo a été sous l’administration de l’ONU, c'est-à-dire sous le contrôle politique et militaire des puissances qui avaient lancé la guerre. Le premier administrateur de l’ONU, de 1999 à 2001, fut Bernard Kouchner qui maintenant, en tant que ministre des Affaires étrangères de la France, fut l’un des premiers à reconnaître diplomatiquement la République du Kosovo.

L’administration de l’ONU a donné carte blanche aux ultranationalistes. Un rapport publié par Amnistie Internationale brosse un portrait dévastateur de la situation : « La mission de l’ONU n’a soit pas enquêté adéquatement ou elle a complètement échoué à investiguer des centaines de crimes tels que meurtres, viols, enlèvements et expulsions », écrit Jan Digel, l’expert d’Amnistie Internationale sur le Kosovo.

Selon le Centre européen pour les droits des Roms, basé à Budapest, plus des deux tiers des 120 000 Roms et Ashkalis qui vivent au Kosovo furent chassés de la province suite aux bombardements de l’OTAN. C’était le nettoyage ethnique des Roms le plus vaste depuis la Deuxième Guerre mondiale. Plusieurs milliers de Serbes ont aussi été forcés de quitter le Kosovo. Quant aux 120 000 qui restent, ils vivent dans des enclaves isolées de la Serbie.

Même si le gouvernement de Pristina déclare maintenant adhérer aux droits des minorités — qui comprennent des Turcs, des Bosniaques et d’autres groupes moins nombreux tels que les Serbes et les Roms — il n’y a pas eu de relâchement dans les attaques sur les minorités nationales de la province.

La déclaration d’indépendance de dimanche dernier a eu lieu en étroite collaboration avec le soi-disant groupe de contact, constitué des Etats-Unis, de la France, de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne et de l’Italie. Elle est préparée depuis longtemps.

Il y a déjà un an, l’ancien président finlandais Martti Ahtisaari avait présenté un plan pour l’indépendance auquel la Russie et la Serbie s’étaient résolument opposées. Même si la proposition d’Ahtisaari a été rejeté à cette époque, elle a servi de cadre pour l’indépendance, lui fixant un échéancier. Toutes les étapes du processus d’accession à l’indépendance, y compris sa date, ont ensuite été coordonnées par le premier ministre du Kosovo, Thaci, et le groupe de contact.

La République du Kosovo qui en a résulté n’est viable ni économiquement, ni politiquement parlant et elle n’est rien d’autre qu’un protectorat mis en place par les grandes puissances. Anticipant l’indépendance, l’Union européenne a rassemblé une force de 2000 policiers, juges, gardiens de prison et agents des douanes qui vont administrer une grande partie de la province avec l’aide de quelque mille responsables gouvernementaux locaux. La mission Eulex est sous le commandement du général quatre-étoiles français, Yves de Kermabon, qui a plusieurs années d’expérience avec le déploiement militaire en Afrique et les Balkans. Cette mission sera appuyée par 16 000 soldats de l’OTAN déjà positionnés au Kosovo.

La situation sociale au Kosovo est catastrophique. Plus de la moitié de ses deux millions d’habitants sont sans emploi et tous les ans, 30 000 nouveaux jeunes viennent grossirent les rangs de ceux qui recherchent des emplois inexistants. Plus d’un tiers de la population a moins d’un euro cinquante par jour. Le salaire moyen atteint 220 euros (l’équivalent de 320 $ américain) par mois.

Le contrôle des Balkans est d’une grande importance stratégique tant pour les Etats-Unis que pour l’Union européenne. Pour pouvoir y exercer leur contrôle, il a fallu disloquer la Yougoslavie, un processus qui trouve son terme avec la sécession du Kosovo.

Les Etats-Unis opèrent, au Kosovo, une de ses plus grandes bases militaires en sol européen: le Camp Bondsteel, près de Urosevac. Le Camp Bondsteel sert aussi de base pour les « remises extraordinaires », qui impliquent des enlèvements de prétendus terroristes et leur torture. Les bases militaires de Washington dans les Balkans et en Europe de l’Est font partie de la stratégie américaine qui vise à encercler la Russie en pénétrant dans les anciennes sphères d’influence de l’Union Soviétique. En même temps, elles servent à renforcer l’influence américaine en Europe.

Les puissances européennes, et avant tout l’Allemagne, voient elles aussi leurs interventions dans les Balkans comme étant cruciales pour augmenter leur poids en Europe. Le fait que les Etats-Unis peuvent jouer un rôle de leader dans la « cour arrière » de l’Europe est perçu dans les médias européens comme une preuve difficile à avaler de l'impuissance du continent.

Le Kosovo et les Balkans au complet constituent une voie d’accès importante à la mer Noire et aux ressources énergétiques du bassin caspien. Il y a présentement une série de plans compétitifs pour des pipelines de pétrole et de gaz naturel dans lesquels le Kosovo joue un rôle important. Le Kosovo possède aussi ses propres réserves d’or, de plomb, d’étain et de charbon.

Dans leur course effrénée pour la défense de leurs intérêts, les Etats-Unis et les puissances de l’Union européenne ont tenu pour quantité négligeable les préceptes de base de la loi internationale.

Dans une analyse des implications pour l’ordre international, le Guardian, un journal britannique, a conclu dans son numéro du 19 février que « la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo contribuera à éroder encore plus les deux piliers fondamentaux du système international : l’égalité entre pays souverains et le principe de l’inviolabilité des frontières ».

L’article réfute l’affirmation selon laquelle les abus des droits de l’Homme commis par la Serbie sous Milosevic soutiennent la cause de l’indépendance du Kosovo, parce que « premièrement, elle ignore la grande quantité de violations de droits de l’Homme contre les Serbes et les non Albanais depuis 1999, en particulier les explosions de violences de mars 2004 » et « deuxièmement, rien ne laisse croire que les violations des droits de l’Homme utilisés pour justifier l’indépendance du Kosovo pourraient se produire à nouveau si d’autres choix que l’indépendance, comme une importante autonomie, étaient proposés comme solution ».

Encore plus dangereux, selon le Guardian, est l’argument « que la perte de contrôle effectif de la Serbie sur le Kosovo, qui est sous administration internationale depuis 1999, revient à une perte de souveraineté sur la province.

« Accepter ce précédent, avertit le journal, aurait des implications dommageables pour les efforts du même type pour reconstruire la paix alors que les pays deviendront beaucoup plus réticents à autoriser des missions qui viendront leur retirer une partie effective du contrôle qu’ils exercent sur leur territoire. 

« De plus, continue le Guardian, puisque la présence de [la mission de l’ONU] vient d’un usage illégal de la force par l’OTAN, tout changement des frontières justifié par la perte de contrôle sur le territoire qui en a résulté revient à un changement de frontières par des moyens militaires, c’est-à-dire un acte explicitement interdit par la charte de l’ONU et que la communauté internationale a constamment refusé de valider dans la période de l’après-guerre. »

L’article concluait ainsi : «La mise au rancart des doctrines essentielles qui ont servi de base à l’ordre international depuis la Deuxième Guerre mondiale a mené au dangereux  précédent de la reconnaissance du Kosovo. La violation à la fois de l’égalité entre pays souverains et du principe de l’inviolabilité des frontières fait disparaître toute distinction entre le droit international et la politique, ce qui a des implications néfastes pour la paix et la sécurité mondiales. »

La Russie et la Serbie ont réagi à la déclaration d’indépendance du Kosovo en donnant de sérieux avertissements.

La Serbie a menacé d’imposer des sanctions économiques contre le Kosovo, et lors de sa conférence de presse annuelle, le président russe Vladimir Poutine s’est adressé aux Etats-Unis et à l’Union européenne pour dire : « Si on continue à adopter une politique basée sur la soi-disant opportunité politique pour servir les intérêts des Etats individuels, alors la loi internationale et l’ordre mondial seront détruits. »

Par la même occasion, il a menacé de diriger les missiles nucléaires russes vers l’Europe si les Etats-Unis devaient aller de l’avant avec leurs plans pour monter un système de défense anti-missiles en Pologne et en République tchèque ou si l’Ukraine adhérait à l’OTAN.

(Article original anglais paru le 20 février 2008)

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