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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

L’indépendance du Kosovo alimente les divisions régionalistes en Espagne

Par Paul Bond
28 février 2008

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La déclaration d’indépendance du Kosovo par rapport à la Serbie a nettement aggravé les tensions politiques internes en Espagne, alimentant une situation déjà volatile à l’approche des élections législatives qui se tiendront le mois prochain. La déclaration d’indépendance a encouragé la poussée séparatiste au sein de nombreuses régions qui constituent l’Espagne, accroissant la possibilité d’une balkanisation plus grande de parties de l’Europe.

Le gouvernement espagnol a refusé de reconnaître l’indépendance du Kosovo. Le ministre des Affaires étrangères Miguel Angel Moratinos a dit à la presse que la plupart des pays refusant de le faire étaient géographiquement proches du Kosovo et étaient ceux qui connaissaient le mieux la région. L’Espagne, a-t-il dit, « ne reconnaîtra pas cet acte unilatéral » parce qu’il « ne respecte pas le droit international. »

Alors que Moratinos prétend que la position de son gouvernement « n’a rien à voir avec l’Espagne », mais n’est motivée que par son inquiétude qu’un Kosovo indépendant « ouvre la boîte de Pandore dans les Balkans », ses remarques avaient clairement pour objectif de contrer les revendications séparatistes déjà très sonores, ou du moins pour une plus grande autonomie, au pays basque ou en Catalogne. Le Parti socialiste espagnol (PSOE) au pouvoir et le principal parti d’opposition, le Parti populaire (PP) ont la même position sur le Kosovo.

La délégation espagnole de l’Union européenne (UE) a joué un rôle clé dans l’opposition à la reconnaissance du Kosovo par les principales puissances européennes, Allemagne, Grande-Bretagne et France, lors de séances cherchant à formuler une position commune. N’étant pas en mesure d’obtenir la majorité contre la reconnaissance, l’Espagne a insisté pour que le Kosovo ne soit pas considéré comme un précédent et s’attribue le mérite d’avoir imposé qu’il soit indiqué qu’il s’agit là d’un « cas spécial ».

Du point de vue légal, Moratinos a dit que la sécession exigeait soit un accord entre les deux parties, soit une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, et a fait remarquer que la déclaration d’indépendance était en contradiction avec la Charte des Nations Unies.

Suite à l’insistance de l’Espagne, la déclaration de l’UE a inclus un engagement à « l’adhésion aux principes de souveraineté et d’intégrité territoriale » des Etats membres et retiré les références au Kosovo « en tant qu’Etat indépendant. » Une autre clause déclare que la décision de reconnaître le Kosovo devrait concorder avec le « droit international. »

El Pais, journal le plus proche du PSOE, a, dans un éditorial, fait l’éloge de la position du gouvernement sur la question de l’illégalité de la déclaration. Il dit que le gouvernement a adopté cette position parce que la viabilité du Kosovo n’était « en aucune manière claire, » et ajoute que la déclaration « établit un précédent dangereux par rapport à d’autres conflits. » 

Des commentateurs de droite ont aussi relevé cette notion de précédent. Le quotidien ABC, proche du PP, a averti, « En acceptant un Etat qui part de rien… les puissances occidentales établissent un précédent qu’aucune déclaration théorique ne peut défaire. »

Les divisions sur la question du Kosovo ont placé le PSOE dans une situation difficile. En effet, elle a besoin de maintenir des relations cordiales avec ses alliés européens tout en s’opposant au régionalisme et au séparatisme en Espagne. Mais il ne s’agit pas là d’un conflit qui peut se résoudre facilement. Finalement, Moritanos a dit que la déclaration de l’UE était acceptable pour l’Espagne, car elle était parvenue à ne pas dire que le Kosovo est un Etat.

Néanmoins, l’Espagne est en train de se laisser entraîner dans le bourbier du Kosovo. Moratinos a engagé 1200 soldats espagnols au Kosovo dans la force de maintien de la paix de l’OTAN et a aussi promis un contingent de police et quelque 20 experts pour la mission européenne de 1800 hommes envoyée au Kosovo pour y remplacer la force des Nations Unies.

Les difficultés espagnoles avaient été révélées lors d’une dispute avec la Russie peu avant la déclaration du Kosovo. S’opposant à l’indépendance du Kosovo avant cette déclaration attendue, le président russe Vladimir Poutine avait exprimé sa colère vis-à-vis de la politique européenne « du deux poids, deux mesures » quand il s’agissait de résoudre les questions régionales.

 « A quoi bon encourager le séparatisme ? » dit-il lors d’une conférence de presse à Moscou. « Les gens ne veulent pas vivre en Espagne au cœur d’un Etat unique. Eh bien, encourageons-les, alors ! »

Bien que Poutine exprimât son hostilité à encourager la sécession, comparer ouvertement le Kosovo à la Catalogne ou au Pays basque se révéla être plus que le gouvernement espagnol ne pouvait tolérer. L’ambassadeur russe fut convoqué pour expliquer ces remarques. Il publia aussitôt un démenti, déclarant que ces paroles ne constituaient pas une ingérence dans les affaires internes de l’Espagne et que la Russie « respecte entièrement le système politique et les institutions démocratiques espagnoles ».

Les séparatistes basques et catalans se sont empressés d’accueillir favorablement la déclaration unilatérale du Kosovo, la qualifiant de précédent pour leurs propres ambitions.

Malgré des déclarations de désaccord tactique quant à la forme de cette indépendance, il y avait dans ces régions l’opinion largement partagée que cette déclaration leur donnait un certain point d’appui politique en vue des élections du 9 mars. L’autonomie régionale était déjà une question politique dans ces élections, le PP accusant le premier ministre du PSOE Jose Luis Zapatero d’avoir encouragé le séparatisme basque en cherchant à négocier avec l’ETA (Pays basque et liberté.) Le PSOE a durci son langage sur le séparatisme à l’approche de la campagne, et a essayé d’interdire à deux partis basques de se présenter aux élections.

Les 17 régions autonomes d’Espagne ont toutes des pouvoirs de gouvernance non négligeables, mais les régions les plus riches, notamment le Pays basque et la Catalogne, essaient d’obtenir des mesures d’indépendance en matière de prise de décision économique. Les mouvements séparatistes se tournent, en grande partie, vers les institutions internationales comme l’UE. Ils cherchent à attirer des investissements internationaux en réduisant les impôts sur les sociétés et en ne payant pas les impôts nationaux, qui sont décrits comme une subvention inacceptable pour les régions plus pauvres d’Espagne.

Le PNV (Parti nationaliste basque) constitutionnel dirige le gouvernement régional de coalition au Pays basque. Le président du PNV, Inigo Urkullu a dit que le parti pousserait Madrid à reconnaître le Kosovo.

Miren Azkarate, porte-parole du gouvernement basque, a qualifié la déclaration du Kosovo   d’« exemple à suivre » pour la résolution de questions de « conflits d’identité. » Respecter « la volonté populaire » est « la clé pour résoudre les écueils politiques, » a-t-elle dit.

C’est loin d’être le cas au Kosovo, où la déclaration d’indépendance a été encouragée et préparée par les Etats-Unis et les puissances européennes. Le nouveau premier ministre du Kosovo, Hasim Thaci était lui-même membre de l’Armée de libération du Kosovo (KLA), milice secrètement armée et entraînée par les Etats-Unis et l’Allemagne.

Un autre parti séparatiste, Aralar, a aussi déclaré que cet acte était « une leçon de défense des droits » et en a appelé au gouvernement national pour qu’il « garantisse aux Basques le droit de décider librement et démocratiquement de leur avenir. »

Eusko Alkartasuna (EA), résultat d’une scission d’avec le PNV et qui fait partie de la coalition au pouvoir, a dit qu’il était en faveur d’un référendum sur l’indépendance plutôt que d’une déclaration unilatérale.

Le PNV a l’intention d’organiser dans huit mois un tel référendum sur l’avenir du Pays basque. Considéré comme illégal par le gouvernement national, il devrait porter sur le « droit de décision » des Basques quant aux choix futurs pour la région, dont celui de l’indépendance.

Le cerveau derrière ce projet, le premier ministre régional PNV Juan José Ibarretxe, considère que c’est un moyen de résoudre enfin le conflit de son parti avec l’ETA. Avant la déclaration, l’ETA avait annoncé qu’elle ferait dépendre ses actions futures de la situation au Kosovo.

Dans la région du nord-est, la Catalogne, la Gauche républicaine catalane (ERC) a aussi décrit la déclaration du Kosovo comme « un précédent important ». Josep Lluis Carod-Rovira, dirigeant de l’ERC et vice premier régional, a fortement encouragé à reconnaître le Kosovo. Il a préalablement appelé à un référendum catalan sur l’indépendance d’ici 2014.

Artus Mas, dirigeant de Convergencia i Una (CiU), parti nationaliste, a insisté sur le fait que l’Espagne doit reconnaître le Kosovo. Si le PSOE « refuse de reconnaître ce que la majorité de l’UE reconnaît, cela montre qu’elle a peur ou alors que ce n’est pas la démocratie qu’elle a en tête », a dit Mas.

Contrairement au Pays basque, la Catalogne n’a pas de mouvement séparatiste armé et les politiciens régionaux voulaient absolument insister, comme l’a dit Mas, sur le fait que « la Catalogne, ce n’est pas le Kosovo ». Pere Macias de CiU a dit que le Kosovo n’était pas un modèle pour la Catalogne du fait de son passé violent.

Le séparatisme nationaliste au sein de l’Espagne ne se limite pas aux deux régions les plus en vue. Les régionalistes de Galicie ont eux aussi bien accueilli l’indépendance du Kosovo. Francisco Rodriguez du Parti national galicien (BNG) a dit que « tout processus d’autodétermination est légitime partout en Europe. »

La réponse du PSOE a consisté à proposer davantage d’autonomie régionale. Dans un récent article d’opinion intitulé « Un Kosovo pour Euskadi ? », le journaliste chevronné de El Pais, Miguel Angel Aguilar a fait remarquer la différence entre le « panorama sombre » du Kosovo et le « système exemplaire d’autonomie régionale » des Basques. Il a averti que si les propositions d’Ibarretxe comportaient « quelque ressemblance avec l’abîme du Kosovo, alors les Basques feraient bien de garder leurs distances par rapport à tout cela. »

Malgré de telles mises en garde, les événements politiques ont leur propre logique. La déclaration d’indépendance du Kosovo marque une nouvelle étape dans le démantèlement des structures politiques et des Etats existants. Cela intensifie le danger de guerre, et les lignes de faille s’étendent bien au-delà des Balkans.

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