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WSWS : Nouvelles et analyses : Moyen-Orient

Avancée des forces turques au nord de l’Irak kurde

Par James Cogan
27 février 2008

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Défiant les demandes du gouvernement irakien et du gouvernement régional kurde pour que la Turquie cesse son invasion, Ankara poursuit son déploiement de soldats et d’équipement au nord de l’Irak kurde. Les troupes turques ont avancé d’au moins 30 kilomètres à l’intérieur du territoire irakien depuis le déclenchement de l’invasion dans la nuit de jeudi sous le prétexte de détruire les bases du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) situées dans les montagnes.

Des centaines de commandos des forces spéciales opéreraient dans les montagnes du Qandil au nord-est, où la frontière irakienne rencontre à la fois la Turquie et l’Iran. Depuis la mi-décembre, la Turquie a mené de multiples frappes aériennes dans la région, bombardant les villages et les points d’observation où elle soutenait qu’il y avait présence du PKK. Le maire irakien kurde de Deralouk a déclaré au Washington Post que plus de 100 villages avaient été abandonnés en raison de la guerre aérienne. L’agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) évalue à 1255 le nombre de réfugiés causés par les bombardements turcs. 

Les troupes turques auraient traversé la frontière dans la région du Zap, du côté ouest du massif, et auraient engagé de violents combats avec les combattants du PKK. Des frappes aériennes turques et des assauts avec hélicoptères de combat ont été menés samedi près de la ville d’Amadiyah. Un hélicoptère turc a été abattu.

Le nombre exact de soldats turcs déployés n’est pas le même selon les différents rapports. Le gouvernement irakien à Bagdad a minimisé l’incursion, affirmant qu’elle était « très, très limitée » et n’était formée que de 1000 soldats tout au plus. Cependant, l’agence de presse Firat, qui est liée au PKK, a déclaré dimanche que 5000 soldats et au moins 60 chars d’assaut convergeaient vers la ville de Haftanin. Un grand nombre de soldats turcs auraient aussi été aperçus, quittant la ville turque de Cizre et se dirigeant vers l’Irak à l’est. Au total, on croit que l’armée turque aurait mobilisé plus de 50 000 soldats à la frontière irakienne. La presse turque a rapporté vendredi que 10 000 soldats avaient pris part à l’invasion. L’agence Reuters, citant une source militaire turque, a affirmé que 8000 soldats avaient traversé en Irak.

L’information disponible laisse croire que l’armée turque compte occuper de façon permanente la région du massif du Qandil. Au cours du week-end, des avions de guerre turcs ont détruit cinq ponts qui enjambaient une rivière importante, isolant ainsi la région montagneuse du reste de l’Irak et empêchant des milliers de villageois de retourner chez eux.

Des commandants turcs affirment que leurs forces auraient déjà tué 112 guérilleros kurdes alors que 15 de leurs soldats auraient perdu la vie. Bien que les chemins les plus connus permettant la fuite aient été rendus impraticables par la destruction des ponts, l’armée turque a rapporté dimanche que le PKK « tente de fuir vers le sud, complètement affolé ».

Le gouvernement turc a offert l’assurance que l’invasion a pour objectif limité de détruire le PKK et qu’il « attache de l’importance à l’intégrité territoriale de l’Irak et défend énergiquement son intégrité territoriale et son unité politique ». Des déclarations non confirmées et attribuées aux commandants militaires dans les médias turcs ont suggéré que les forces d’invasion allaient être retirées après 15 jours.

Ces affirmations ne sont pas crédibles. Bien que les militaires turcs vont certainement utiliser l’occasion que leur offre l’invasion pour tuer le plus possible de combattants du PKK, l’objectif clair de l’invasion est de réduire les ambitions du gouvernement régional kurde pour une plus grande indépendance économique et politique envers l’Irak.

Pour la classe dirigeante turque, l’existence d’un État autonome kurde à sa frontière sud est déjà considérée comme un énorme danger. Tout au long de son histoire moderne, l’État bourgeois turc a étouffé les demandes venant des larges groupes minoritaires kurdes. Sous certaines conditions, un État autonome kurde économiquement énergique a le potentiel politique de fonctionner comme base pour un mouvement qui s’étende à travers les régions à population kurde de l’Irak, de la Turquie, de la Syrie et de l’Iran et fasse éclater ces états par la création d’un grand « Kurdistan ».

Les préoccupations de la Turquie sont allées en croissant au cours de la dernière année alors que le le gouvernement régional kurde sollicite sur l’arène internationale plus d’investissements pour le pétrole et pour d’autres projets économiques sur son territoire. Ces craintes auraient  dramatiquement augmentées par la déclaration d’indépendance du Kosovo et la décision des États-Unis et des autres puissances de le reconnaître.

Ce n’est pas par hasard que l’invasion a été lancée juste quelques jours après la déclaration d’indépendance du Kosovo et les annonces par le gouvernement régional kurde d’ententes avec la National Oil Corporation de la Corée du Sud pour le développement des champs pétrolifères au nord de l’Irak et du contrat de 10,5 milliards de dollars américains avec la Ssangyong Engineering and Construction de Corée pour la modernisation rapide des infrastructures de la région. Des milliers de troupes coréennes sont toujours stationnées autour de la capitale kurde d’Erbil. La Turquie fait face à la possibilité de voir plusieurs gros joueurs internationaux supporter une déclaration d’indépendance du gouvernement régional kurde, invoquant le Kosovo comme précédent.

L’invasion est également une réponse à la demande renouvelée du dirigeant Kurde, Massoud Barzani, pour la tenue d’un référendum dans la région riche en pétrole de la province irakienne de Kirkouk sur la question de savoir si la majorité kurde de la population souhaite se joindre au gouvernement régional kurde. Le 18 février, Barzani, le président du gouvernement régional kurde, a rencontré des représentants des Nations unies et de l’Union européenne afin d’obtenir leur aide pour la tenue d’un référendum dans les six prochains mois.

L’incorporation de Kirkouk à la région kurde donnerait à celle-ci le contrôle sur près de 30 à 40 pour cent des champs pétrolifères de l’Irak, incluant sur ce que les experts croient être de grandes réserves non encore exploitées. La Turquie s’est constamment objectée au contrôle de Kirkouk par les Kurdes sous prétexte que cela pourrait mener à des violations des droits de l’Homme contre l’importante minorité turkmène de langue turque de la province.

C’est trop tôt pour déterminer quel sera l’impact d’une invasion turque sur le flux d’investissements dans le Kurdistan et sur le statut de Kirkouk. Cependant, cela aggravera les tensions ethniques dans la ville entre les Kurdes et les Turkmènes. Toute action par le gouverenement régional kurde en vue d'un référendum sera possiblement accompagnée de provocations violentes ayant pour but d’exacerber les divisions et de justifier l’intervention de la Turquie.

Les actions de la Turquie ont été appuyées par l’administration Bush et l’armée américaine fournit présentement des renseignements sur les emplacements et les déplacements du PKK. La Turquie est considérée comme un allié crucial au Moyen-Orient, particulièrement pour une action militaire américaine contre l’Iran ainsi que pour la lutte géopolitique américaine à long terme contre la Russie et les autres grandes puissances pour le contrôle des ressources des républiques de l’Asie centrale. En dernière analyse, les ambitions de ses anciens collaborateurs kurdes en Irak peuvent être sacrifiées.

Cependant, la nervosité est palpable dans le camp de Washington quant aux implications de l’invasion et du potentiel pour l’éruption de combats ouverts entre les forces turques et le gouvernement régional kurde. Robert Gates, le Secrétaire à la Défense, a dit aux journalistes samedi qu’il voyait l’opération turque comme ceci : « moins ce sera long, mieux ce sera » .

Dimanche, le gouvernement turc a déclaré que « des groupes irakiens locaux sont supposés empêcher les membres du groupe terroriste [le PKK]… d’entrer dans leur région et de leur donner refuge ». S’ils se servent d’allégations selon lesquelles le gouvernement régional kurde fournit une protection aux combattants du PKK pour justifier une avancée plus profonde dans la région kurde, ils seront bloqués par la milice des peshmerga, forte de 80 000 hommes. Les dirigeants kurdes savent parfaitement que l’opération a des motifs plus larges que de simplement s’occuper du PKK.

Barzani a déclaré dimanche : « Nous doutons des véritables intentions derrière les attaques turques et nous croyons que leur cible est la région du Kurdistan et non le PKK. Autrement, quelle est la raison derrière la destruction de ponts essentiels utilisés par les citoyens dans leur vie de tous les jours, des ponts qui se situent à l’intérieur des zones peuplées ? Où est le lien avec le PKK ? »

Pendant que la situation se prolonge, les forces turques consolident des positions qui les placent à l’intérieur d’une courte distance de centres kurdes clés comme Dohouk et la capitale Erbil. Si elles ne se retirent pas, des conflits sont probables. Le ministre des Affaires étrangères irakien, Hoshyar Zebani, a dit à la BBC dimanche que l’invasion « pourrait déstabiliser la région parce qu'un seul faux pas pourrait mener à une escalade. »

Le chaos et l’instabilité créés par l’invasion américaine sont en train d’engloutir la seule partie de l’Irak qui a été quelque peu épargnée de la destruction infligée au reste du pays.

Pour l’occupation américaine, les conséquences seront considérables. En particulier, l’appui des Etats-Unis pour la Turquie est en train d’ébranler ce qui restait de soutien parmi les Irakiens kurdes pour la présence américaine dans le pays. Serhat Erkmen, un expert du Moyen-Orient qui travaille pour le Centre eurasiatique de recherches stratégiques, a dit au journal turc Zaman : « Les Kurdes commenceront à se poser des questions, "chaque fois que nous coopérons avec eux, les Etats-Unis nous abandonnent." »

(Article original anglais paru le 25 février 2008)

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