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  WSWS : Nouvelles et analyses : Asie

Vingt ans depuis la mort de Keerthi Balasuriya

Par David North
7 janvier 2008

Première partie | Deuxième partie

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La réponse impressionniste de la Ligue ouvrière socialiste à l’intervention militaire du gouvernement indien dans l’est du Pakistan et sa réaction vindicative aux critiques de la Ligue communiste révolutionnaire renvoyaient l’image d’une crise politique qui s’approfondissait au sein de l’organisation britannique. Ce n’est pas un accident si Michael Banda émergea au sein de la SLL en tant que défenseur de la politique du gouvernement indien. Il exprimait depuis plusieurs années des doutes quant à la pertinence de la théorie de la révolution permanente de Trotsky, laquelle insistait sur le rôle central et décisif de la classe ouvrière dans la lutte contre l’impérialisme.

La victoire d’Ho Chi Ming au Vietnam, de Mao Tsé-Toung en Chine et même de Tito en Yougoslavie n’avaient-elles pas prouvé la possibilité d’une autre voie vers le socialisme, basée sur la lutte armée de la paysannerie ? Pour Banda, l’intervention du Premier ministre Indira Gandhi dans l’est du Pakistan, une action qui indisposa l’administration Nixon, n’était qu’une autre forme de la lutte anti-impérialiste. Cela démontrait, selon le point de vue de Banda, que la bourgeoisie nationale en Asie était capable d’initiatives révolutionnaires, ce qui contredisait la perspective de Trotsky.

Craignant les perturbations organisationnelles qui pourraient résulter d’un conflit ouvert au sein de la direction de la SLL sur des questions programmatiques de base, Gerry Healy, le principal dirigeant de la section britannique, chercha à éviter toute discussion sur les divergences politiques. De plus, Banda était loin d’être le seul à douter de la viabilité de la perspective de Trotsky. Dans les années soixante, la radicalisation d’une couche significative de la petite bourgeoisie avait entraîné une augmentation substantielle de la base sociale pour le type de politique révisionniste introduite par Pablo et Mandel. La SLL avait elle-même bénéficié d’un point de vue organisationnel de la radicalisation de la jeunesse étudiante. Dans la mesure où la SLL abandonnait l’intransigeance qui la caractérisait sur les questions essentielles de la perspective et du programme révolutionnaires, les nouvelles forces de la jeunesse radicalisée et des autres éléments de la petite-bourgeoisie, entraient dans le mouvement britannique sans recevoir l’éducation nécessaire sur l’histoire et les principes de la quatrième internationale. Ce danger était combiné au fait que la couche d’universitaires professionnels dont l’influence politique jouait un rôle majeur dans le travail d’éducation théorique de la SLL était particulièrement susceptible à l’attrait des divers formes de révisions petites-bourgeoises du marxisme.

C’est dans cet environnement politique de plus en plus confus que la direction de la SLL justifia son abandon pour la lutte de clarification programmatique en arguant qu’un accord sur la méthode philosophique était beaucoup plus important. En effet, redéfinissant de manière étonnante l’approche prise par le mouvement trotskyste tout au long de son histoire, Healy et son conseiller en matière théorique, Cliff Slaughter, avancèrent l’argument que la discussion même sur le programme constituait le véritable obstacle au développement de la pensée dialectique ! Et ainsi, commença à apparaître dans les documents du comité international l’affirmation, formulée par Slaughter, que « l’expérience de la construction d’un parti révolutionnaire en Grande Bretagne » a démontré «  que la lutte profonde et difficile contre la pensée idéaliste était nécessaire et de loin plus importante que la question des accords sur les questions de programme et de politique » [Traduit par nous, Trotskyism Versus Revisionism, Vol. 6, London, 1975, p. 83.]

Healy ne comprenait peut-être pas clairement (alors que le professeur Cliff Slaughter le comprenait certainement) que ce type de séparation entre la « lutte pour la théorie marxiste » et le développement de la perspective révolutionnaire de la classe ouvrière présenté ici, ainsi que dans divers formulations similaires, représentait une capitulation théorique dangereuse aux conceptions largement répandues dans les milieux petits-bourgeois de la nouvelle gauche anti-marxiste. Mais quelle que soit la manière dont Healy justifia sa position dans son propre esprit, le nouvel argument théorique reflétait et encourageait le scepticisme quant au rôle historique de la Quatrième internationale.

Comme l’écrivit Slaughter en 1972 : « Est-ce que les partis révolutionnaires, capables de diriger la classe ouvrière et de construire le socialisme, vont être construits simplement en amenant le programme et les forces trotskystes existantes sur la scène des développements politiques créés par la crise ? Ou ne sera-t-il pas nécessaire de mener une lutte théorique, pour la négation de toute l’expérience et théorie passée du mouvement dans la réalité transformée de la lutte de classe. » [Ibid, p. 226]

Il suffit d’épurer ce passage de sa forme rhétorique et de déconstruire sa syntaxe pseudo philosophique prétentieuse, tant appréciée par les universitaires petits bourgeois, pour mettre à nu deux positions révisionnistes et politiquement liquidationnistes distinctes avancées par Slaughter: 1) Le mouvement trotskyste, basé sur le programme développé au cours de son histoire par la Quatrième Internationale, ne serait pas capable de diriger la classe ouvrière vers le pouvoir; et 2) La « la réalité transformée de la lutte de classe » [une phrase favorite des pablistes] requiert une « lutte théorique consciente » qui consiste en la « négation » [c’est-à-dire le rejet] de « toute l’expérience et théorie passée du mouvement. »

Pour Healy, Banda et Slaughter, ces formulations n’étaient pas simplement l’objet d’un débat abstrait. Ils ont cherché tout au long des années 1970 à les mettre en application avec une ardeur redoublée. De plus en plus dédaigneux à l’égard de l’héritage du trotskysme, la SLL devint hostile aux sections du Comité international de la quatrième internationale [les « forces trotskystes existantes »] et commença à chercher d’autres forces politiques avec lesquelles de nouvelles alliances pouvaient être construites. Elles allaient éventuellement être trouvées dans les mouvements nationaux et les régimes du Moyen-Orient.

Ce tournant à droite dans la politique de la SLL ( qui devint le Workers Revolutionary Party [Parti ouvrier révolutionnaire] en novembre 1973) a été à la base de l’isolement accru de Keerthi Balasuriya et de la Ligue communiste révolutionnaire au sein du Comité international. Les critiques mises de l’avant par la LCR contre l’attitude de la SLL à la guerre indo pakistanaise de 1971 ont été vues par Healy, Banda et Slaughter, non sans raison, comme un indice que la section ceylonaise/sri-lankaise n’allait pas suivre leur abandon de la politique trotskyste.

Malgré les conditions extrêmement difficiles dans lesquelles les camarades sri-lankais ont mené leur travail, qui furent empirées par l’absence de tout appui fraternel, même fictif, et de toute collaboration au sein du CIQI, la LCR à continué à défendre les principes du trotskysme. Particulièrement remarquable à cet égard a été la réponse du parti au pogrome anti-tamoul instigué par le gouvernement qui éclata à Colombo en juillet 1983. Confrontée à des mesures répressives brutales, la LCR s’éleva sans peur en opposition à la campagne anti-tamoule.

Même dans ces conditions dangereuses, la LCR ne reçut aucun appui du mouvement international, qui demeurait sous le contrôle du Workers Revolutionary Party. En fait, le WRP publia une déclaration dans son journal, écrite par Michael Banda, qui nota en passant qu’il est « possible, même probable, que la police et l’armée [sri-lankaises] ait utilisée les pouvoirs arbitraires et incontrôlables qui leur ont été accordés en vertu des mesures d’urgence pour tuer nos camarades et détruire leur presse. » La déclaration, cependant, ne contenait ni de condamnation de ces persécutions ni d’appel à une campagne internationale en défense de la Ligue communiste révolutionnaire.

* * *

Le Workers Revolutionary Party prit soin de ne pas informer la Ligue communiste révolutionnaire des sérieuses critiques théoriques et politiques soulevées par la Workers League entre octobre 1982 et février 1984. En janvier 1984, le Comité politique de la Workers League a spécifiquement exigé que camarade Keerthi soit invité à Londres pour assister à une réunion du CIQI lors de laquelle les nouvelles critiques de la ligne politique du Workers Revolutionary Party allaient être discutées.

Cependant, lorsque j’arrivai à Londres, Michael Banda me dit qu’il avait été impossible d’entrer en contact avec les camarades sri-lankais et que Keerthi ne serait donc pas présent à la réunion. Le grossier mensonge de Banda démontrait jusqu’où la direction du WRP était prête à aller pour empêcher une discussion de principe sur les différends politiques à l’intérieur du Comité international. En réalité, Healy, Banda et Slaughter avaient tout simplement décidé entre eux de ne pas informer la LCR de la réunion.

Toutefois, l’éruption d’un scandale sexuel et d’une intense crise organisationnelle à l’intérieur du WRP, le point culminant de plus d’une décennie d’opportunisme, fit que les dirigeants du WRP ne pouvaient plus continuer à bloquer toute discussion politique dans le Comité international. À la fin d’octobre 1985, Keerthi, avec l’aide de la section australienne, se rendit à Londres. À son arrivée, il fut presque immédiatement convoqué dans le bureau de Michael Banda, qui entreprit aussitôt de le régaler avec les détails salaces du scandale sexuel impliquant Healy. Lorsque Banda eut finalement terminé, Keerthi lui demanda : « Quels sont précisément, camarade Mike, tes différends politiques avec Gerry Healy ? » La question sembla prendre Banda par surprise. Incapable de formuler lui-même une réponse, Banda remit à Keerthi une copie du rapport que j’avais présenté à la réunion du CIQI en février 1984 qui consistait en une critique détaillée de la ligne politique du Workers Revolutionary Party.

Dimanche matin, le 20 octobre 1985, je reçus un appel de Banda qui m’informa qu’une déclaration allait être publiée dans le Newsline, le journal du WRP, annonçant l’expulsion de Healy. Cette décision avait été prise sans aucune discussion dans le Comité international. Et comme il semblait s’en être tout juste rappelé, Banda me dit que Keerthi et Nick Beams, le secrétaire de la section australienne, étaient à Londres. Étaient-ils en mesure de me parler, demandai-je ? La réponse évasive de Banda me convainquit rapidement qu’il était vain de continuer à discuter avec lui sur ce point.

Après avoir raccroché, j’appelai les bureaux du WRP sur une autre ligne et demandai à parler à Nick et Keerthi. Lorsque Keerthi prit la parole, il dit aussitôt : « J’ai lu tes critiques politiques, et je suis en accord avec elles. » Nick, Keerthi et moi étions d’accord qu’il était nécessaire de soumettre à la discussion les questions politiques qui avaient été soulevées par la crise qui avait surgi dans le WRP et de développer une réponse unifiée à l’intérieur du Comité international. Ce soir-là je me rendis à Londres. Même si je connaissais Keerthi depuis le début des années 1970, ce n’est qu’avec l’éruption de la lutte à l’intérieur du CIQI que ma collaboration politique avec cet homme extraordinaire débuta réellement.

La lutte politique qui prit place dans les semaines et les mois suivants marqua un point tournant dans l’histoire de la Quatrième Internationale. La source de la force politique dont a fait preuve le Comité international durant les deux dernières décennies de bouleversements tumultueux se trouve dans le haut niveau de clarté théorique et d’accord programmatique atteint sur la base d’une analyse détaillée de la crise et de la rupture du Workers Revolutionary Party. Il n’est pas exagéré d’affirmer qu’il n’existe aucune autre lutte dans l’histoire du mouvement trotskyste dont les questions politiques et théoriques à la base de la scission n’aient été analysées avec autant de profondeur et de détail.

Le rôle joué par Keerthi durant cette période fut absolument crucial. Sa profonde connaissance de l’histoire du mouvement socialiste révolutionnaire s’ajoutait à une capacité exceptionnelle d’analyse politique. En étudiant attentivement les déclarations politiques produites par le WRP entre 1973 et 1985, Keerthi allait découvrir ces passages cruciaux dans lesquels il détecta un abandon du marxisme. L’importance de l’extrait ciblé par Keerthi n’était pas toujours immédiatement apparente. Il allait ensuite le reformuler, en commençant à expliquer ses implications pratiques.

Ces explications allaient ensuite être accompagnées de références à l’histoire du mouvement marxiste. Dans le déroulement de la discussion, il devint évident que ce qu’il y avait en jeu dépassait l’affirmation d’un argument polémique de plus. Keerthi était engagé dans l’élaboration d’une critique détaillée de la théorie et de la pratique de l’opportunisme politique associé aux conceptions de Pablo et Mandel qui avaient causé des ravages à l’intérieur de la Quatrième Internationale.

La conclusion essentielle de cette critique fut résumée dans un éditorial publié dans la Quatrième Internationale, le journal théorique du CIQI, en mars 1987 :

« Donc le révisionnisme qui attaqua la Quatrième Internationale à la suite de la Deuxième Guerre mondiale était un phénomène de classe qui reflétait les besoins politiques changeants de l’impérialisme lui-même. Confronté à l’émergence de la révolution prolétarienne, l’impérialisme a dû créer des possibilités pour permettre à de nouvelles couches des classes moyennes d’assumer le rôle de tampon entre ses intérêts et ceux du prolétariat. Le révisionnisme pabliste traduisit ces besoins fondamentaux de l’impérialisme et les intérêts de classe de la petite bourgeoisie en ces formules théoriques essentielles qui justifièrent l’adaptation du mouvement trotskyste à ces forces. Cela entretint l’illusion futile que la petite bourgeoisie, par son contrôle de l’appareil d’Etat, pouvait créer le socialisme sans même que ne soit détruit le vieil Etat bourgeois par la révolution prolétarienne dans laquelle la classe ouvrière, et non divers substituts de la classe moyenne, est le principal acteur historique.

« Dès 1951, les importantes généralisations politiques faites par Pablo sur la base des circonstances particulières du renversement du capitalisme en Europe de l’Est furent transformées en innovations programmatiques dont le contenu révisionniste allait beaucoup plus loin que le lien entre le socialisme et l’Armageddon nucléaire (la théorie de "guerre-révolution"). La conception qu’il existait une voie vers le socialisme qui ne dépendait pas de l’initiative révolutionnaire d’un mouvement prolétarien de masse ou de la construction de partis prolétariens indépendants dirigés par des marxistes devint l’idée fixe du pablisme. Ainsi, l’axe central de ses révisions ne consistait pas seulement en son évaluation du stalinisme et des possibilités de son "auto réforme". Cela n’était qu’une des nombreuses et horribles facettes du révisionnisme pabliste.

« La révision fondamentale du pablisme, et celle qui a rendu ce dernier si utile pour l’impérialisme, est son attaque contre les prémisses les plus fondamentales du socialisme scientifique. La conviction scientifique que la libération du prolétariat est la tâche du prolétariat lui-même et que la tâche du socialisme commence par la dictature du prolétariat — comme l’avait indiqué Marx dès 1851 — est directement attaquée par le pablisme dont la théorie du socialisme assigne le principal rôle à la petite-bourgeoisie. Et bien que, de temps à autres, le pablisme rende cérémonieusement hommage à la classe ouvrière, il n’ira jamais jusqu’à soutenir que le renversement du capitalisme ou la construction du socialisme sont impossibles sans l’existence d’un très haut niveau de conscience théorique, produit à travers les nombreuses années de lutte requises pour la construction d’un parti marxiste, dans une section considérable du prolétariat.

« L’opportunisme sans bornes qui a toujours caractérisé les tactiques employées par les pablistes découle inexorablement de leur rejet des fondements prolétariens du socialisme. Le marxiste comprend que l’éducation du prolétariat dans la connaissance scientifique de ses tâches historiques à long terme nécessite une ligne politique de principe. Il préfère ainsi l’isolement temporaire à des gains à court terme obtenus aux dépens de la clarification politique de la classe ouvrière. Mais le pabliste n’est pas "contraint" par de telles considérations. Ses tactiques sont dirigées vers la subordination de l’indépendance du prolétariat à toute force non prolétaire qui domine temporairement le mouvement de masse. » [Volume 14, No. 1, mars 1987, p. iii-iv]

Le travail mené dans la foulée de la scission avec le Workers Revolutionary Party fut extraordinairement intense. J’eus le privilège de travailler aux côtés de Keerthi sur de nombreux documents produits durant cette période. Je me rappelle les nombreuses heures de discussion desquelles ont émergé ces documents. Mais je ne me rappelle pas que des discussions politiques. Les intérêts de Keerthi étaient très variés.

Avant de se tourner vers la politique, Keerthi, alors qu’il était encore étudiant, avait démontré de considérables talents pour la poésie. Il avait de vastes connaissances en littérature, en musique et dans les arts. En plus de toute sa rigueur intellectuelle, Keerthi était exceptionnellement aimable et plein d’humanité dans ses relations avec ses camarades et amis. Ses convictions socialistes découlaient d’une profonde sympathie pour les conditions de vie des opprimés et d’une préoccupation face au destin de l’humanité.

Vingt ans après sa mort, camarade Keerthi demeure toujours une puissante présence politique et morale dans notre mouvement international. Dans les deux décennies après sa mort, les forces politiques contre lesquelles il a lutté sans relâche — les nationalistes bourgeois, les staliniens, les maoïstes, les renégats anti-trotskystes du LSSP, le WRP et les autres tendances révisionnistes — ont été discrédités par les événements. L’offensive révolutionnaire de la classe ouvrière entraînera inévitablement un intérêt renouvelé et passionné pour le véritable marxisme. D’énormes opportunités pour développer l’influence politique du Comité international se présenteront bientôt. Mais ces opportunités doivent être saisies dans le but de réaliser des objectifs historiques, et non pour obtenir que des avantages tactiques. C’est par la lutte acharnée visant à défendre la perspective de la révolution socialiste mondiale que nous honorons la mémoire et poursuivons le travail de camarade Keerthi Balasuriya.

Fin

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