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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

Décès à Cuba de Philip Agee, ex-agent de la CIA qui en a dénoncé les crimes

Par Patrick Martin
17 janvier 2008

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Philip Agee, ancien agent de la CIA qui avait quitté l’agence et consacré sa vie à en dénoncer le rôle en matière de subversion politique, d’assassinat, de torture et de soutien à des dictatures militaires, est mort à Cuba le 7 janvier. Selon des sources cubaines, il est mort d’une péritonite suite à une opération pour un ulcère. Il avait 72 ans.

Agee était entré à la CIA en 1957 à l’âge de 22 ans après avoir obtenu son diplôme de l’Université Notre-Dame. Il avait travaillé pour cette agence du renseignement pendant 12 ans, et avait été en poste trois fois en Amérique latine, en Equateur, Uruguay et au Mexique. Il avait donné sa démission en 1969, après avoir été témoin du bain de sang, soutenu par les Etats-Unis, contre des étudiants protestataires, à la veille des jeux olympiques de 1968 à Mexico.

Après six années passées à écrire un compte-rendu de ses expériences, à trouver un éditeur qui veuille bien le publier, à échapper aux tentatives de la CIA pour supprimer ses révélations, Agee a vu son livre Inside the Company : CIA diary (Journal d’un agent secret) publié par Penguin Books à Londres. Le livre rend compte, de façon méticuleuse, des activités de la CIA dans les trois pays d’Amérique latine mentionnés, ainsi que du recrutement, dans chaque pays, d’agents comme informateurs de la CIA, de la promotion de médias et de partis politiques de droite, et de la collaboration étroite avec les forces répressives, de la police comme de l’armée, dans l’arrestation, la torture et l’assassinat d’étudiants, de travailleurs et de militants politiques de gauche.

L’ouvrage fourmille de détails sur les méthodes de la CIA, comporte le nom de code et la description de nombreuses opérations et fournit en conclusion la liste de près de 250 agents de la CIA, agents locaux et informateurs, qu’Agee désignait sous leur nom véritable ainsi que sous leur pseudonyme.

Inside the company fit l’effet d’une bombe, car il fut publié au moment où de nombreuses révélations étaient faites sur la responsabilité de la CIA dans des complots d’assassinats, son implication dans des coups d’Etat militaires tel le bain de sang de 1973 au Chili et la surveillance illégale de la population américaine, notamment des personnes qui s’opposaient à la guerre du Vietnam. Le livre devint un best-seller malgré les efforts du gouvernement américain d’en bloquer la publication et la distribution, et il suscita un redoublement d’efforts de la part de militants politiques de gauche pour révéler au grand jour les opérations de la CIA.

Agee participa à ces efforts en co-sponsorisant Covert Action Information Bulletin (Bulletin d’information d’actions secrètes), magazine consacré à révéler au grand jour les activités de la CIA, et en participant à la rédaction de plusieurs ouvrages qui révélaient le nom de milliers d’agents de la CIA en Afrique et en Europe de l’ouest. Il se basa sur sa connaissance des pratiques de la CIA et éplucha des listes de diplomates et de militaires américains postés à l’étranger pour identifier ceux qui étaient susceptibles d’être des agents secrets.

Agee avait à cœur d’afficher la motivation politique qui l’avait fait se retourner ainsi contre l’agence. Il a toujours soutenu qu’il n’était pas un mercenaire qui était passé de l’autre côté, chez les staliniens, durant la Guerre froide et il a publiquement refusé de collaborer avec le KGB soviétique et le DGI cubain. Son objectif était d’aider à sauver la vie de ceux qui étaient pris pour cibles pour être tués en masse par l’impérialisme américain et de contribuer à la victoire de mouvements révolutionnaires populaires. En 1974, il dit au New York Times à la veille de la publication de Inside the Company, « J’ai écrit ce livre pour les organisations révolutionnaires aux Etats-Unis, en Amérique latine et ailleurs. Je l’ai écrit comme une contribution à la révolution socialiste. »

Avant même la publication de Inside the Company, Agee avait fait l’objet de menaces de mort de la part de l’appareil des services secrets américains. Après la publication du livre, il était un homme marqué, cible à la fois de la CIA et du gouvernement américain. Sous la pression de Washington, tous les pays, les uns après les autres, l’expulsèrent ou lui refusèrent le droit d’entrée.

En 1978, le gouvernement travailliste du premier ministre James Callaghan le déporta suite à ses tentatives de révéler au grand jour le soutien apporté par la CIA à un parti politique de droite pro-américain en Jamaïque.

En 1979, le gouvernement Carter avait révoqué son passeport invoquant des raisons de sécurité nationale. En 1982 le Congrès à majorité démocrate avait fait voter l’Intelligence Identities Protection Act (loi de protection de l’identité des agents des services secrets,) rendant illégal le fait de révéler délibérément l’identité des agents de la CIA, même si les informations étaient recueillies à partir de sources disponibles au public.

En 1987, Agee publia une étude, On the Run, qui donnait de plus amples détails sur sa rupture avec la CIA et les efforts de cette dernière pour se venger. Il avait alors une relation avec une Brésilienne de gauche qui avait été torturée sous la junte militaire ayant pris le pouvoir en 1964. Même après avoir quitté l’agence, c’est avec difficulté qu’il prit la décision de révéler au grand jour les opérations de la CIA.

Dans ce livre il écrit: « Les années 70 étaient une époque où les pires horreurs imaginables se produisaient en Amérique latine, en Argentine, au Brésil, au Chili, en Uruguay, au Paraguay, au Guatemala et au Salvador. C’était des dictatures militaires disposant d’escadrons de la mort, et jouissant du soutien de la CIA et du gouvernement américain. C’est ce qui m’a motivé à donner tous les noms et à travailler avec des journalistes qui voulaient tout simplement savoir qui étaient ces agents de la CIA dans leur pays. »

Dans sa critique de On the Run, publiée dans le New York Times, Thomas Power écrivit : « Le les activités de M.Agee ont-elles nui à la CIA ? Cela ne fait aucun doute. La meilleure preuve se trouve dans son rapport méticuleux des efforts de la CIA pour le convaincre qu’il n’avait été ni pardonné ni oublié. Ils l’ont suivi dans ses voyages, ont répandu des rumeurs sur ses soi-disant liens avec le KGB et le DGI, l’ont encerclé d’agents, ont procédé à des écoutes téléphoniques et sont même allés jusqu’à lui fournir une machine à écrire ingénieusement reliée à leur service pour surveiller tout ce qu’il couchait sur le papier. Le plus difficile fut une période de deux ans, au milieu des années 70, où la CIA avec l’aide de gens haut placés réussit à lui interdire le droit de séjour en Grande-Bretagne, en France, en Italie et en Hollande, espérant apparemment le pousser dans ses derniers retranchements jusqu’à ce qu’il soit forcé de s’installer dans le bloc soviétique, où sa véritable allégeance (du point de vue de la CIA) ne ferait plus de doute. »

Agee survécut à cette campagne et s’installa finalement à Hambourg en Allemagne, où il vécut avec sa seconde épouse, la danseuse classique américaine Giselle Roberge Agee. Il maintint aussi un appartement à la Havane et s’occupa d’une petite agence de voyages promouvant le tourisme américain à Cuba.

Agee demeura pour le gouvernement américain une cible continuelle de harcèlement et de diffamation. Une des calomnies les plus notoires fut celle disant que les révélations d’Agee avaient provoqué l’assassinat de Richard Welch, chef de la CIA à Athènes, qui avait été tué par balle par une organisation terroriste grecque en 1975. Le nom de Welch ne figurait pas dans Inside the Company qui traitait de l’Amérique latine, et on sait aujourd’hui que son identité avait été révélée par des journalistes locaux d’Athènes.

Cela n’empêcha pas le président George H.W.Bush qui était directeur de la CIA en 1976 et 1977 d’accuser Agee d’être responsable de la mort de Welch dans un discours fait en1989 dans les locaux de la CIA à Langley, en Virginie (dans le bâtiment qui porte à présent son nom.) Cette calomnie fut reprise par Barbara Bush, ancienne première dame, dans sa biographie publiée en 1994. Agee avait alors intenté un procès en diffamation qui avait abouti à un règlement judiciaire dans lequel Mme Bush avait accepté de retirer son accusation des éditions ultérieures de son livre.

Agee resta jusqu’au bout engagé à dénoncer la CIA, et au moment de sa mort aurait été en train de travailler à un livre sur les activités subversives de la CIA au Venezuela. Sa trajectoire fut singulière : il est l’unique agent secret de la CIA à avoir rompu avec l’agence par révulsion contre les crimes qu’elle perpétrait et il eut le courage moral de rendre publique cette rupture au risque d’être réprimé ou assassiné.

Bien qu’ayant avoué être socialiste, un socialisme qu’il identifiait à tort à l’Etat cubain, la voix d’Agee était celle d’une conscience morale indignée plutôt qu’elle n’exprimait une compréhension de la situation, basée sur des connaissances politiques. Comme il l’écrivit dans Inside the Company, « Quand je suis entré à la CIA, je croyais à la nécessité de son existence… Après 12 années à l’agence, j’ai finalement compris combien de souffrances elle causait, que des millions de gens de par le monde avaient été tués ou avaient eu leur vie détruite par la CIA et les institutions qu’elle soutient. »

Agee écrivit à propos d’un interrogatoire en Uruguay, qu’il entendit d’une pièce adjacente : « Les gémissements s’intensifièrent pour se transformer en cris. Je compris alors que nous écoutions quelqu’un qui était en train d’être torturé… Je vais entendre cette voix résonner encore longtemps. »

Les crimes révélés au grand jour par Agee et d’autres, sont tout à fait d’actualité aujourd’hui, où le rôle de la CIA dans la torture, les prisons secrètes et les détentions illégales, est une fois de plus sur le devant de la scène. 

(Article original paru le 14 janvier 2008)

Lire aussi :

Le castrisme et la politique nationaliste petite-bourgeoise [12 novembre 2007]

Déclassification de documents des années 70 sur les crimes de la CIA [27 juin 2007]


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