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France : Décès du révisionniste Pierre Lambert à l’âge de 87 ans

Par Peter Schwarz
23 janvier 2008

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Pierre Lambert, dirigeant de longue date de l’Organisation communiste internationaliste (OCI) puis du Parti des travailleurs (PT) s’est éteint à l’âge de 87 ans le 16 janvier à Paris des suites d’une longue maladie.

Lambert était l’un des derniers représentants d’une génération qui avait rejoint la Quatrième Internationale du temps où Trotsky était encore en vie, et avait joué un rôle de premier plan dans cette organisation durant la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale.

Né à Paris le 9 juin 1920, dans une famille d’immigrés juifs d’origine russe, Pierre Boussel (son vrai nom) avait adhéré au mouvement des Jeunesses communistes lorsqu’il avait tout juste 14 ans. Un an plus tard, il en était expulsé pour avoir critiqué l’alliance entre Staline et le gouvernement français de Pierre Laval. Il rejoignit alors le mouvement des Jeunesses socialistes au sein duquel les trotskystes gagnaient rapidement de l’influence et il milita dans le mouvement trotskyste pendant la guerre.

Au début des années 1950, la Quatrième Internationale subit des pressions de plus en plus fortes de la part d’une tendance révisionniste qui attribuait au stalinisme un rôle progressiste du fait des nationalisations mises en place en Europe de l’Est. Cette tendance, dirigée par Michel Pablo et Ernest Mandel, appelait à faire de l’entrisme dans les Partis communistes. Si elle avait réussi à dominer, cette tendance aurait conduit à la liquidation de la Quatrième Internationale.

C’est tout à l’honneur de la majorité de la section française de s’être énergiquement opposée à ce révisionnisme pabliste. Des membres de premier plan, tels Marcel Bleibtreu et Daniel Renard, écrivirent des articles de qualité contre la trajectoire liquidatrice des pablistes. Pierre Lambert soutint la majorité dans le parti, mais il ne reste aucun article contre le pablisme écrit de sa main.

En 1953, la majorité du PCI français (qui n’allait prendre que plus tard le nom d’OCI) se rangea aux côtés du Comité international de la Quatrième Internationale qui avait été créé à l’initiative du Socialist Workers Party (SWP) xEtats-Unis afin de défendre le programme de la Quatrième Internationale contre le révisionnisme pabliste. C’est à cette époque que Lambert prit un rôle dirigeant dans la section française.

Cependant dès la fin des années 1950, le PCI de Lambert donnait déjà des signes de désorientation et de démoralisation. Il interpréta le retour au pouvoir du général de Gaulle et la mise en place de la Cinquième République en 1958 comme un coup d’Etat bonapartiste et se montra énormément pessimiste quant à la capacité de la classe ouvrière à lutter. Dans les années qui suivirent, le PCI mena par moment une existence semi-clandestine.

Au début des années 1960, l’OCI s’opposa bien à une réunification avec les pablistes, réunification que le Socialist Workers Party prônait alors et qu’il finit par effectuer, mais elle ne joua dans cette lutte qu’un rôle subalterne. La lutte politique et théorique contre la réunification a été principalement menée par la Socialist Labour League (SLL) en Angleterre, conduite par Gerry Healy.

Au cours des années 1960, les signes d’une crise grandissante se multiplièrent firent dans l’OCI de Lambert, le parti mettant en doute le combat contre le pablisme mené par le Comité international. Initialement, cela se manifesta par une déclaration de l’OCI selon laquelle la Quatrième Internationale était devenue moribonde, qu’elle avait été détruite par le pablisme et qu’il fallait la reconstruire.

La SLL britannique s’opposa vigoureusement à cet argument. En 1967 elle écrivit : « L'avenir de la Quatrième Internationale est représenté par la haine et l'expérience accumulées par des millions d'ouvriers à l'encontre des staliniens et des réformistes qui trahissent leurs luttes. La Quatrième Internationale doit consciemment lutter pour la direction pour satisfaire ce besoin… Seule la lutte contre le révisionnisme peut préparer les cadres à prendre la direction de millions de travailleurs attirés dans la lutte contre le capitalisme et contre la bureaucratie… La lutte vivante contre le pablisme et l'entraînement des cadres et des partis sur la base de cette lutte avaient été des années durant, depuis 1952, la vie de la Quatrième Internationale.» (Trotskysme contre révisionnisme, vol 5)

A la veille des grandes luttes de classes de 1968, la SLL avait aussi mis en garde contre les conséquences du scepticisme de l’OCI: « La radicalisation des travailleurs en Europe de l'Ouest progresse rapidement, tout particulièrement en France… Il y a toujours un danger, à un tel stade du développement, qu'un parti révolutionnaire ne réponde pas à la situation au sein de la classe ouvrière d'une manière révolutionnaire, mais qu'il s'adapte au niveau auquel les travailleurs sont assujettis de par leur propre expérience avec l'ancienne direction, c'est-à-dire à l'inévitable confusion initiale. De telles révisions de la lutte pour un parti indépendant et pour le Programme de transition arrivent habituellement sous couvert de "rapprochement de la classe ouvrière", "d'unité avec tous ceux qui sont en lutte", de " pas d'ultimatum", " pas de dogmatisme, etc. » (ibid.)

Cet avertissement ne fut pas entendu. Les révoltes de 1968 projetèrent des milliers de nouveaux membres inexpérimentés dans les rangs de l’OCI et de son organisation de jeunes (l’AJS) et la direction de l’OCI s’adapta à leur état de confusion. La revendication d’un « front de classe uni », critiquée elle aussi par la SLL en 1967, devint alors la formule avec laquelle l’OCI s’adapta à la bureaucratie sociale-démocrate et conduisit les forces nouvellement conquises dans le giron des vieux appareils bureaucratiques.

Il n’y avait plus de différence fondamentale entre les conceptions de l’OCI et celles des pablistes. L’unique différence était que l’OCI s’orientait vers la social-démocratie, son inimitié à l’égard du stalinisme s’adaptant un peu plus chaque jour à l’anticommunisme social-démocrate, tandis que les pablistes conservaient leur orientation en direction des staliniens.

En 1971, l’OCI rompit d’avec le Comité international, sans clarifier les questions qui étaient à la base de la scission. Pour sa part, la SLL se concentrait toujours plus sur son travail au niveau national en Grande-Bretagne et ne voyait pas l’intérêt de clarifier les questions internationales, bien que l’OCI eût pris un virage à droite bien plus prononcé qu’elle ne s’y était attendu dans les années 1960. L’OCI commença alors à développer une forme d’opportunisme politique spécifique, que l’on identifie depuis lors avec le nom de Lambert.

La caractéristique du « lambertisme » est le rejet de la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière sous la bannière du marxisme révolutionnaire. Il s’efforce au contraire d’influencer les représentants en vue des appareils des partis réformistes et des syndicats. L’organisation de Lambert ne faisait pas appel à la classe ouvrière, mais cherchait à donner des conseils à certaines personnalités influentes.

Le journaliste Jamal Berraoui, membre à une époque de l’organisation de Lambert au Maroc, est allé droit au but dans sa nécrologie pour le journal Aujourd’hui le Maroc. Il écrit : « Lambert, les soirs de grands combats ouvriers, assénait avec insistance "Nous ne sommes pas la direction des masses", il reconnaissait aux appareils traditionnels ce rôle. Scruter le mouvement des masses, lui ouvrir une perspective unitaire à chaque fois en lui donnant les mots d'ordre adéquats. Sans se substituer aux directions traditionnelles, aux appareils, telle était la ligne. »

Cette ligne était créée pour fournir une couverture de gauche aux appareils bureaucratiques réactionnaires en temps de crise, pour paralyser la classe ouvrière et stabiliser le régime bourgeois. A cet égard, Lambert avait, sans aucun doute, très bien « réussi » comme en témoignent les nombreuses nécrologies de la presse française. 

 « Manoeuvrier habile, Pierre Lambert a su fédérer autour de lui des énergies et trouver les moyens de faire vivre une structure modeste, mais, dans ses limites, efficace », écrit Le Monde. Ce journal indique les liens de Lambert avec la loge maçonnique du Grand Orient, à la tête de laquelle on trouvait en 1970 Fred Zeller qui avait été à une époque secrétaire de Trotsky ; l’OCI exerçait une influence dans la fédération syndicale Force ouvrière (FO) dont le secrétaire de longue date, Marc Blondel, était un ami proche de Lambert, et contrôlait aussi le syndicat étudiant UNEF qui gérait la mutuelle nationale des étudiants de France (MNEF).

D’après le journal Libération, Lambert aurait eu des discussions régulières avec le magnat de la presse, Robert Hersant et en 1995, à la veille des protestations de masse sur les réformes des retraites, il aurait même assisté à un dîner privé au palais présidentiel en compagnie d’autres permanents de FO.

Mais la conséquence la plus importante des efforts de Lambert à entrer dans les bonnes grâces de la bureaucratie réformiste est clairement le fait que de nombreuses personnalités en vue du Parti socialiste sont passées par son école. Le plus connu d’entre eux est Lionel Jospin qui de 1997 à 2002 a dirigé le gouvernement et qui, en 2002, s’est présenté aux élections présidentielles. Mais il est loin d’être le seul.

Jospin était devenu membre de l’OCI lorsqu’il était étudiant dans les années 1960, et on lui avait demandé d’adhérer au Parti socialiste en 1971. Là, il gravit rapidement les échelons pour parvenir aux cercles proches du dirigeant du parti, François Mitterrand, qui suite à son élection à la présidence en 1981 garantit à Jospin le poste de premier secrétaire du parti. Mitterrand qui surveillait de près ses plus proches collaborateurs, était assurément au courant de l’adhésion secrète de Jospin à l’OCI et de sa relation étroite avec Lambert, comme l’ont confirmé par la suite des sources indépendantes.

Le soutien de l’OCI, qui au début des années 1970 avait plusieurs milliers de membres et dont l’organisation de la jeunesse, l’Alliance des jeunes pour le socialisme (AJS), était capable de mobiliser quelques dizaines de milliers de personnes, était d’une très grande importance pour Mitterrand. Ce politicien bourgeois discrédité — il avait servi un court moment dans le régime de Vichy puis fut ministre de l’Intérieur et de la Justice au plus fort de la guerre d’Algérie — avait pris la tête du Parti socialiste en 1971 et cherchait à lui donner une crédibilité de gauche.

L’objectif de Mitterrand était de fournir une nouvelle base stable au régime bourgeois en France (qui avait été sérieusement ébranlé par la grève générale et les protestations étudiantes de 1968) en formant une alliance qu’il pouvait dominer avec le Parti communiste, ce qu’il réussit finalement à faire. L’OCI glorifia cette « alliance de la gauche » qu’elle qualifia de « front uni des travailleurs » et attaqua quiconque la critiquait par la gauche.  

Lorsque finalement les relations entre l’OCI et Mitterrand se refroidirent, Jospin et d’autres membres de l’OCI qui avaient rejoint le Parti socialiste en 1971 s’y maintinrent, mais, comme si cela ne suffisait pas, en 1986 toute une aile de l’organisation de Lambert, conduite par Jean-Christophe Cambadélis, dirigeant du travail du parti auprès des étudiants, rejoignit le camp de Mitterrand. Cambadélis siège à l’Assemblée nationale depuis 10 ans et il est aujourd’hui une des personnalités les plus influentes dans la hiérarchie du Parti socialiste.

Durant l’hiver 1995-1996, lorsqu’une grève des cheminots et des travailleurs du service public, durant plusieurs semaines, ébranla le régime gaulliste de Jacques Chirac, l’élite dirigeante se tourna vers ces gens pour reprendre le contrôle de la situation. En 1997, lorsque Lionel Jospin devint premier ministre, le gouvernement fut dirigé par un homme qui, pendant près de 20 ans, avait travaillé sous la discipline d’un mouvement soi-disant trotskyste.

Le rôle de Jospin était d’exploiter son image d’homme de gauche afin de garder le contrôle sur la classe ouvrière, tout en poursuivant une politique de privatisations et d’attaques sur les acquis sociaux, dans l’intérêt du capital financier. Le résultat en fut dévastateur. Le désenchantement massif qui s’ensuivit ne profita qu’au Front national, parti d’extrême-droite de Jean-Marie Le Pen, qui battit Jospin au premier tour des élections présidentielles de 2002 et se retrouva au second tour contre Jacques Chirac.

Dans l’intervalle, Lambert s’était lancé dans un nouveau projet et avait fondé le Parti des travailleurs (PT) en 1991. Bien qu’il soit contrôlé par l’ancienne OCI, ce parti insiste pour dire qu’il n’est pas une organisation trotskyste. L’ancienne OCI s’y présente comme le Courant communiste internationaliste, qui ne serait qu’une tendance au sein du PT aux côtés des autres tendances, les sociaux-démocrates et les staliniens. Avec la création du PT, l’OCI a dans une certaine mesure, créé son propre appareil bureaucratique, qu’il peut influencer.

Le groupe cible du PT ne sont pas les travailleurs ordinaires, mais les fonctionnaires qui, pour une raison ou une autre, ont été déçus par la hiérarchie du Parti socialiste ou du Parti communiste, la plupart du temps parce que leurs espérances de carrière ne se sont pas réalisées. Lors de la dernière élection présidentielle, le PT s’est présenté comme le représentant des intérêts des quelque 36 000 maires, un milieu qui fourmille d’intrigues et de corruption. Au cœur de son programme de campagne, il avait placé une campagne à forts relents chauvins contre l’Union européenne qu’il tient pour responsable de tous les maux de la société française.

Les partisans de Lambert exercent encore une forte influence dans le syndicat FO, même si ce n’est plus de la même façon que sous Blondel.

L’influence de Lambert ne se limite pas à la France. En Afrique du Nord, en Amérique latine, en Turquie et dans d’autres pays, ses partisans suivent le modèle de leur mentor : ils travaillent dans les appareils des partis réformistes et des syndicats, et sont souvent à la droite de ces derniers. Ce n’est pas par hasard que le nom de Parti des travailleurs est identique à celui du parti de Lula au Brésil. Les partisans de Lambert au Brésil ont joué un rôle important dans la création du parti de l’actuel président brésilien et ont fait preuve de loyauté en son sein, défendant la machine du parti contre toute critique venant de la gauche.

La vie et l’héritage de Lambert contiennent des leçons importantes pour la classe ouvrière internationale. Ils illustrent le prix de l’opportunisme politique. Ce n’est pas juste une question de différences d’opinions ou d’erreurs. En temps de crise, l’opportunisme devient la dernière ligne de défense du régime bourgeois.

Le World Socialist Web Site affichera prochainement une évaluation critique plus approfondie de la vie de Lambert et de ce qu’il représente.

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