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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

Un commentaire : Quel sera l’impact de la grève des scénaristes sur les scénaristes eux-mêmes ?

Par David Walsh
22 janvier 2008

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Les scénaristes de cinéma et de télévision sont en grève depuis le 5 novembre. Leur lutte contre les studios et réseaux de télé gigantesques sur la question d’une rémunération convenable pour le matériel diffusé sur Internet et autres médias est acerbe.

Les scénaristes ont droit à ce qu’ils demandent — en fait, ils ont droit à beaucoup plus. L’industrie cinématographique et télévisuelle est contrôlée par une couche parasitaire corporatiste dont le rôle est de décider ce que la population des Etats-Unis et du monde devrait voir et écouter afin de s’assurer que d’immenses profits continuent d’affluer vers une poignée de conglomérats. Pour remplir cette fonction rétrograde de philistin, ils reçoivent d’énormes montants et vivent royalement.

Comme l’a un jour noté Brecht en parlant des couches dirigeantes, « Peut-être ont-elles besoin d’être ainsi, mais elles n’ont pas besoin d’être. »

Un programme rationnel et socialement progressiste pour la grève des scénaristes doit débuter par la prémisse que les moyens de production et de distribution de cinéma, de télévision et d’autres médias doivent être arrachés de l’étau de GE, Time Warner, Disney, News Corp., Viacom et les autres et devenir propriété du public et sous son contrôle. Atteindre un tel objectif n’est pas chose facile. Une rupture politique avec le Parti démocrate, une identification consciente avec les luttes de la classe ouvrière internationale et la construction d’un mouvement socialiste sont nécessaires.

Pour leur part, les studios et réseaux de télé espèrent écraser les scénaristes et, après avoir réprimé de manière décisive ce qu’ils perçoivent comme une menace à leur toute-puissance, assister à un retour à la normale. Mais comment pourrait-il en être ainsi ? Les choses ne reviendront jamais à la « normale ». On ne peut pas réparer les pots cassés.

Les scénaristes traversent une expérience importante et révélatrice. Ceux qui ont le plus de succès sont sans aucun doute protégés des difficultés économiques, mais de nombreux scénaristes ne le sont pas. Ils sacrifient des chèques de paie et arpentent les piquets de grève. Les factures et les dettes s’accumulent, et cela peut bien sûr faire pression sur les relations personnelles. Pendant ce temps, leurs employeurs mènent une campagne très bien financée de désinformation contre eux et refusent obstinément de négocier. Essentiellement, on leur dit d’aller se faire voir.

Les assertions de la direction selon lesquelles les scénaristes sont surpayés et n’ont pas droit de se plaindre si les méga compagnies s’approprient pratiquement toute la richesse générée par Internet sont malveillantes et égoïstes. D’un autre côté, nul besoin de masquer le fait que, comparativement à de nombreuses autres sections de la classe ouvrière, les scénaristes engagés au cinéma et à la télévision sont relativement privilégiés. Dans une certaine mesure, cela a pu les « libérer » pour mener la présente lutte.

Des millions de travailleurs aux Etats-Unis, coincés dans des emplois à 8, 10 ou 15 dollars l’heure, abandonnés à leur sort par le soi-disant mouvement ouvrier, ont peine à relâcher assez le travail pour émettre une opposition. Cette situation va changer, bientôt, mais pour le moment ces travailleurs sont tout simplement rongés par la colère.

L’hostilité de la population face au pouvoir patronal s’est exprimée lors des premiers sondages sur l’attitude du public envers la grève des scénaristes. Dans deux de ces sondages, un pourcentage incroyablement petit des répondants appuyait les compagnies de spectacle (dans un cas, 4 pour cent !). On peut juger d’après ces statistiques le véritable état de l’opinion publique, par opposition à celle créée de toutes pièces dans les médias.

Engagés dans leur lutte difficile, les scénaristes en grève devraient porter davantage attention à ce que le reste de la classe ouvrière doit endurer chaque jour. Cela serait important pour le développement de films et d’émissions de télévisions plus critiques et pénétrants.

À quoi ressemble la vie quotidienne aux Etats-Unis?

S’il est employé, un travailleur se retrouve devant un patron qui possède un pouvoir pratiquement illimité pour abuser, réprimander et congédier. Il fait aussi face à une poussée continuelle pour la productivité, à une compétition féroce pour obtenir des avancements et, par-dessus tout, à une atmosphère épuisante et démoralisante où tout le monde est contre tout le monde.

Des millions de salariés des services, à temps partiel, temporaires ou immigrants (avec ou sans-papier) travaillent dur, aux Etats-Unis, dans des conditions vraiment misérables. Ils ne sont plus représentés socialement et politiquement. Ils ne comptent pas. Ils ne sont pas la cible des attraits publiés dans le New York Times pour « avoir un morceau de paradis » à Park City en Utah (« Plus de 1 000 000 $ en meubles et arts spécialisés créés par un designer ») ou d’un « cottage anglais » à Captiva en Floride « réduit à 3 995 000 $ ». Trop souvent, ils n’existent pas dans les films ou à la télévision.

Les sans-emplois, les sans-abris, les jeunes dans les banlieues pauvres, dans les petites localités et dans les villes : pour la culture dominante, ils disparaissent tout simplement de la carte.

En grande partie, la vie présentée dans les productions de cinéma et les émissions de télévision américaines n'a qu'un lien très vague avec l’existence comme elle est vécue par la majorité des gens aux Etats-Unis. Ces productions et émissions induisent en erreur, embrouillent les choses et sèment la confusion. Elles ne réussisent pas du tout à éclairer, à élever ou à amuser. Cela compte pour beaucoup. Le niveau de culture généralement bas de la population, y compris parmi ses couches professionnelles, est un des facteurs qui expliquent l’actuel climat politique déshumanisant et la capacité de la classe dirigeante à commettre les pires crimes avec impunité.

Des clichés, des images fausses ou des images superficielles de la vie ont des conséquences. Ils empêchent la population de se regarder dans le miroir, de voir ses défauts et ses erreurs. Ils empêchent les gens de comprendre la psychologie humaine d’une manière riche et nuancée. Ils les aident à tomber dans les différents pièges idéologiques et politiques tendus par les pouvoirs établis.

Les artistes sont appelés à pénétrer de la manière la plus large possible dans la vie et à ne pas la répugner. C’est ce qu'ont réalisé la littérature russe au 19e siècle, le théâtre allemand dans les années 1920 et, jusqu’à un certain point, le cinéma américain des années 1930 et 1940.

Est-ce que la grève a amené les scénaristes, ou du moins les éléments les plus sérieux parmi eux, plus près de la réalité ?

Il y a tellement d’histoires à raconter, tellement de drames humains. On a qu’à aller dans la rue ou s’arrêter dans un magasin ou engager une conversation dans un restaurant. Un artiste n’a pas nécessairement à écrire un scénario ouvertement politique ou social, même si ce genre de scénarios doit quand même être produit; tous les drames humains importants (ou les comédies) sont liés à la vie sociale. Si les scénaristes disent la vérité sur la réalité et ne cherchent pas simplement à épater avec leur habileté ou leur froideur, ils contribuent à quelque chose.

Dire la vérité requiert d’avoir des connaissances de la société, de l’histoire, de la psychologie humaine. La plupart des aspects qui sont présentés dans le cinéma et à la télévision actuellement — la carrière, le revenu, la célébrité, l’image — sont une perte de temps, ou pire.

Nous entendons des objections : « Vous en demandez beaucoup trop à ce moyen de divertissement populaire. Les gens veulent simplement s’évader et ne pas avoir à réfléchir. » Cet argument est faux à plusieurs niveaux.

En premier lieu, une de nos critiques du « divertissement » actuel est que ce n’est pas terriblement divertissant. L’effritement constant du nombre de téléspectateurs pour les réseaux de télévision et les chiffres irréguliers du nombre de personnes qui se présentent au guichet pour le cinéma le montrent. Enlever le tapage médiatique et combien de spectateurs se présenteraient pour voir les produits hollywoodiens ? L’art associé au cinéma américain à son meilleur a été complètement perdu.

De toute façon, il est complètement malhonnête et cynique pour ceux jouissant d'un quasi-monopole sur ce que la vaste majorité de la population reçoit de prétendre qu’ils ne font que donner à la population « ce qu’elle veut ».

Le divertissement populaire et la pensée ne s’excluent pas mutuellement, comme l’atteste l’histoire mondiale de la culture. La population pense, a des émotions, et de l’introspection. Les événements et les développements sociaux laissent des empreintes profondes dans la pensée de masse, même si ce n’est que dans une forme semi-consciente et semi-articulée. Encore une fois, l’industrie du divertissement souffre profondément aujourd’hui à cause de sa distance — à de rares exceptions près — avec la réalité de la vie populaire.

Est-ce que les gens cherchent simplement la fuite ? Si oui, ce serait en d'abort et avan tout une critique de la réalité si sombre et douloureuse qu’il faut la fuir. En tout cas, le divertissement et la relaxation sont des composantes nécessaires dans la vie. Mais lorsqu’il y a un engouement général à ne pas réfléchir aux choses importantes, c’est un aveu de culpabilité pour une société qui a abruti plusieurs de ces membres et les a rendu insensibles. Ces difficultés doivent être résolues par les artistes — sinon quelle est leur tâche ?

Est-ce qu’une culture populaire sophistiquée, intelligente est hors de question ? Nous n’avons qu’à examiner l’histoire de l’industrie du film américain. Les spectateurs se ruaient sur les films de Charlie Chaplin, un comique de génie, et un critique sociale de premier plan. Cette seconde qualité n’était pas étrangère à son succès phénoménal. Orson Welles, John Ford, Alfred Hitchcook, Howard Hawks ont tous produits des divertissements populaires, dans les limites de leurs propres talents et points de vue, et n’ont pas sacrifié le coté artistique pour le soi-disant goût populaire.

La faute ne se trouve pas du côté de la population, mais dans une culture décadente, malhonnête et vide.

On se fera dire aussi — par des « radicaux » — qu’étant donné les contraintes imposées par le contrôle des grandes compagnies et le pouvoir de l’argent, ou même que (de manière  particulièrement profonde)  les idées dominantes de chaque époque étant les idées de la classe dirigeante, on ne peut rien faire à propos de l’état actuel de l’industrie du film et de la télévision.

Les relations qui prévalent dans le monde actuel du film et de la télévision sont intolérables, incompatibles avec des conditions décentes pour ceux qui y sont employés et avec tout travail artistique sincère, et elles doivent être transformées. C’est la tâche de la classe ouvrière et du mouvement socialiste. Mais ce n’est pas une raison de se croiser les bras en attendant.

Là où la censure ou l’autocensure existe, elle doit être dénoncée et combattue. Nous ne constatons pas beaucoup de résistance aux limites actuelles. Nous voyons beaucoup plus d’accommodements avec celles-ci.

Il y a des ressources et des opportunités disponibles pour ceux qui ont quelque chose à dire. Les artistes qui sont sensibles aux questions importantes de la réalité de la vie contemporaine, qui pensent avec profondeur et sensibilité, qui abordent les problèmes brûlants d’un grand nombre de personnes pour qui personne ne parle présentement – de tels artistes trouveront un auditoire. Et s’ils ont des problèmes avec les autorités et doivent mener une lutte, leur cause deviendra populaire en elle-même. Combien d’artistes de l’industrie du film ou de la télévision en Amérique aujourd’hui peuvent prétendre avoir défié l’opinion publique officielle, à n’importe quel prix, au nom de la vérité ? Pas assez.

La première chose, selon nous, c’est d’avoir des choses importantes à dire, les questions tactiques et stratégiques vont suivre.

La grève actuelle, espérons-le, va mener certains des écrivains les plus sérieux, et d’autres, dans la direction de ces questions.

(Article original paru en anglais le 16 janvier 2008)


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