Malgré les dénis des deux côtés, une discussion au plus
haut niveau a clairement débuté aux Etats-Unis et en Israël pesant le pour et
le contre d’une attaque contre les installations nucléaires iraniennes.
Mercredi, lors de deux conférences de presse séparées, le président américain
George Bush et le chef d’état-major interarmes, l’amiral Mike Mullen, ont
réitéré que l’emploi de la force militaire contre l’Iran, soit directement par
les Etats-Unis ou dans la foulée de frappes aériennes israéliennes, demeurait
une option.
Ces commentaires coïncident avec un flot de menaces à peine
voilées de politiciens et de responsables israéliens que des actions seront
prises pour empêcher l’Iran de développer des armes nucléaires. Les forces
aériennes israéliennes ont effectué un exercice provocateur le mois dernier en
envoyant 100 chasseurs soutenus par un avion de ravitaillement et des
hélicoptères de sauvetage à 1500 kilomètres au-dessus de la Méditerranée, geste
qui ne peut être vu autrement que comme la répétition générale d’une frappe contre
les installations nucléaires iraniennes.
En réaction, le chef des Gardiens de la révolution
iraniens, le général Mohammad Ali Jafari, a lancé l’avertissement
suivant : « Toute action contre l’Iran sera interprétée comme le
déclenchement d’une guerre. » Dans un commentaire publié la semaine
dernière, Jafari a déclaré que si l’Iran était attaqué, il répliquerait en
frappant Israël avec un missile à longue portée et tenterait de bloquer le
détroit stratégique d’Hormuz, à travers lequel transitent quarante pour cent
des échanges pétroliers mondiaux. Le commandant des forces navales américaines
dans le Golfe persique, le vice-amiral Kevin Cosgriff, a déclaré cette
semaine : « Nous ne permettrons pas à l’Iran de le fermer. »
Lorsqu’on lui demanda mercredi ce qu’il pensait de la
menace contre le détroit d’Hormuz, Bush a répondu énergiquement :
« J’ai toujours dit que toutes les options sont sur la table. » Il a
ajouté que « la première option pour les Etats-Unis est de régler ce
problème diplomatiquement... C’est pourquoi nous sommes engagés dans une
diplomatie multilatérale. » A la question de savoir s’il avait déconseillé
à Israël d’attaquer l’Iran, le président a répondu qu’il avait
« clairement expliqué à toutes les parties que la première option »
devait être une solution diplomatique.
Les commentaires du président ont été interprétés comme un
« non » à Israël et un engagement à une solution diplomatique dans le
conflit avec l’Iran, du moins à court terme. À plus long terme cependant, Bush
a affirmé hors de tout doute qu’il est prêt à déclencher des attaques
militaires si l’Iran refuse de se plier aux exigences américaines.
Quant à la diplomatie, la Maison-Blanche a refusé à maintes
reprises d’engager des pourparlers avec Téhéran. L’objectif de la
« solution diplomatique » de Bush a été de pressurer et d’intimider
les grandes puissances européennes et asiatiques pour qu’elles imposent des
sanctions punitives contre l’Iran, que ce soit de manière unilatérale ou en
passant par les Nations Unies. Avant la tenue de toute négociation, Washington
exige que Téhéran cesse toute activité à ses principales installations
nucléaires, y compris son usine d’enrichissement d’uranium à Natanz, ce qu’a
refusé l’Iran.
L’Iran insiste que son programme d’enrichissement d’uranium
a pour but de fournir du carburant à ses réacteurs nucléaires, comme c’est son
droit sous le Traité de non prolifération nucléaire. L’administration Bush n’a pas
pu démontrer que l’Iran développe un programme d’armement. En fait, en décembre
dernier, un rapport produit par les seize agences d’espionnage américaines et
connu sous le nom de NIE (National Intelligence Estimate) a conclu que Téhéran
avait mis un terme à tout programme d’armement en 2003. Malgré cette
conclusion, Bush maintient toujours que l’Iran développe activement des armes
nucléaires.
La question nucléaire n’est qu’un des prétextes préparés
par l’administration Bush comme possible casus belli pour attaquer l’Iran.
Washington accuse aussi l’Iran d’armer et d’entraîner des insurgés
antiaméricains qui attaquent les troupes américaines en Irak et de soutenir des
« groupes terroristes » comme le parti chiite Hezbollah basé au
Liban. La véritable raison de la poursuite du conflit est que Washington voit
l’Iran comme un obstacle aux ambitions des Etats-Unis d’établir leur domination
stratégique et économique sur le Moyen-Orient riche en pétrole.
Les médias internationaux ont rapporté
favorablement les récents efforts de l’Union européenne (UE) visant à relancer
les négociations avec l’Iran quoique rien de concret n’en soit sorti. Hier,
Téhéran a donné sa réponse officielle aux offres internationales pour pousser
l’Iran à abandonner son programme nucléaire. Téhéran aurait offert
d’entreprendre de vastes négociations sans toutefois accepter de mettre fin à
son programme d’enrichissement de l’uranium.
Bien qu’elle soutienne publiquement les
efforts de l’UE, l’administration Bush discute avec Israël de la question de
l’Iran. La semaine dernière, trois hauts responsables de l’armée américaine, y
compris le chef d'état-major interarmées, l'amiral Michael
Mullen, se sont rendus en Israël pour discuter avec leurs homologues
israéliens. Lors d’une conférence de presse tenue le mercredi 2 juillet, Mullen
a refusé à plusieurs reprises de répondre à des questions sur la nature des
discussions, la possibilité d’une frappe israélienne sur l’Iran et si les
Etats-Unis s’impliqueraient dans un tel conflit. Remarquons qu’il n’a pas nié
que des discussions avaient pris place concernant une frappe israélienne sur
l’Iran.
Préoccupé par la possibilité d’une guerre,
Mullen a affirmé : « J’ai déjà dit clairement que du point de vue des
Etats-Unis, de l’armée des Etats-Unis en particulier, l’ouverture d’un
troisième front à ce moment-ci serait extrêmement stressant pour l’armée. »
Néanmoins, Mullen a tenu à rajouter, « Cela ne signifie pas que nous
n’avons pas la capacité militaire ou des forces en réserve, mais que ce serait
un grand défi. »
Les commentaires de Mullen sont un signe de
grandes divergences entre le Pentagone et la Maison-Blanche sur les
conséquences potentiellement catastrophiques d’une guerre avec l’Iran. Dans son
long article publié récemment dans le New Yorker, le journaliste vétéran
Seymour Hersh a noté que, selon une de ses sources, « l’état major
interarmées, présidé par l’amiral Mike Mullen, "exerçait une grande
pression" pour contrer la poussée de la Maison-Blanche pour entreprendre
des actions militaires contre l’Iran. »
L’ambassadeur américain en Israël, Richard
Jones, a voulu minimiser les suggestions qu’il y aura une attaque sur l’Iran de
la part d’Israël ou des Etats-Unis dans un proche avenir. « L’usage de la
force militaire, a-t-il dit, est une option de dernier recours, et Israël et
les Etats-Unis coopèrent sur cette question. » En Israël, toutefois, il
est indéniable que la pression monte pour le lancement d’une telle attaque.
Le dimanche 30 juin, l’ancien dirigeant du
Mossad, Shabtai Shavit, a dit au Telegraph, un quotidien britannique,
que le temps commençait à manquer pour empêcher l’Iran de construire sa bombe
nucléaire. Shavit, qui est jusqu’à ce jour conseiller du puissant comité
parlementaire israélien de la défense et des affaires étrangères, a déclaré,
sans offrir la moindre preuve, que le « pire des scénarios » se
réaliserait dans « environ une année ».
L’article notait que « les responsables
israéliens croient que le processus diplomatique est inutile et ont fait
pression sur le président Bush pour une attaque par la voie des airs avant la
fin de son mandat, le 20 janvier prochain. » Shavit a dit que bien qu’il
soit préférable d’avoir le soutien des Etats-Unis pour attaquer l’Iran, Israël
ne craindra pas de faire cavalier seul. « Il n’est pas obligatoire
d’obtenir l’accord des Etats-Unis », a-t-il dit.
Un article du Financial Times paru le
mercredi 2 juillet sous le titre « On craint qu’Israël lance une attaque
sur l’Iran » citait ainsi un responsable israélien : « Si c’est
ce qu’on veut [attaquer l’Iran], on n’en parle pas. » Il a ensuite ajouté,
ce qui est plutôt menaçant, que le premier ministre Ehoud Olmert avait
« insisté que nous nous la fermions ».
Le jeudi 3 juillet, des personnalités
importantes de l’armée ont nié des suggestions largement répandues qu’Israël
n’avait pas la force nécessaire pour mener à bien une attaque contre les
installations militaires iraniennes. Isaac Ben-Israel, major-général retraité
de l’armée israélienne et actuel député du parti Kadima au pouvoir, a dit au Financial
Times qu’une frappe aérienne « ne présentait pas de difficultés
techniques ». Le brigadier-général retraité Shlomo Brom, un ancien
directeur de la planification stratégique, a dit : « Je lis souvent
qu’Israël ne peut pas le faire à cause du grand nombre de cibles. C’est une
erreur… Vous n’avez qu’à trouver les points essentiels de ce système [nucléaire
iranien] et les toucher. »
Dans un commentaire paru dans le quotidien Yedioth
Ahronoth, l’expert israélien Alex Fishmn a spéculé que l’administration
Bush exploitait les menaces de guerre par Israël pour intimider l’Iran et le
forcer à agréer aux demandes américaines. « La force stratégique militaire
d’Israël est un pion aux mains de l’administration [américaine] pour amener la
crise au point de l’explosion pour que quelqu’un cède. »
Même si c’était vrai, le danger d’une autre
guerre explosive dans le golfe Persique n’en est pas diminué pour autant. Comme
Fishman a lui-même commenté : « Le problème est que les menaces
de ce type ont une dynamique qui leur est propre et elles peuvent bien se
réaliser. Que se passera-t-il si les Iraniens ne cèdent pas ? »
(Article original en anglais paru le 5 juillet
2008)