Dans une attaque remarquable portée contre le peu de
crédibilité politique qui reste à l’administration Bush, l’ancien porte-parole
de la presse pour le président, Scott McClellan, a publié un livre accusant la
Maison-Blanche d’avoir déclenché une guerre « inutile » en Irak basée
sur une « propagande » mensongère.
Ce qui est encore plus significatif, particulièrement dans
le cas d’un responsable qui était chargé du travail avec la presse, est la
sévère accusation de McClellan portée contre les médias américains qui sont
décrits comme des complices serviles et volontaires dans le processus.
« Les médias nationaux ont probablement été trop
respectueux envers la Maison-Blanche et l’administration concernant la plus
importante décision de la nation durant les années où j’étais à
Washington : la décision d’aller à la guerre en Irak », écrit-il.
L’effondrement des justifications fournies par l’administration pour la guerre,
qui est devenu évident quelques mois après notre invasion, n’aurait jamais dû
nous surprendre de la sorte... Dans cette situation les “médias libéraux” n’ont
pas été à la hauteur de leur réputation. S’ils l’avaient été, le pays aurait
été mieux servi. »
Il est significatif que dans leurs principaux articles sur
le livre de McClellan, ni le New York Times, ni le Washington Post,
qui ensemble ont exercé énormément d’influence pour vendre la guerre, n’aient
choisi de citer cet extrait.
Plus loin, McClellan décrit la presse comme un
« facilitateur complice » dans la « campagne soigneusement
orchestrée pour manipuler les sources d’appui public » dans le projet de
guerre de la Maison-Blanche. Elle fut coupable, affirme-t-il, d’avoir
« propagé des distorsions, des demi-vérités, et, à l’occasion, de purs
mensonges. »
Rien ne laisse croire dans ce qui a paru du livre jusqu’à
maintenant dans les médias qu’il aborde d’une quelconque manière le rôle de
l’autre « facilitateur complice » de l’administration dans le
lancement de la guerre en Irak — le Parti démocrate.
La présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi
s’est déclarée en complet accord avec les critiques de McClellan sur la
Maison-Blanche de Bush et la guerre en Irak, mais cela ne fait que montrer le
caractère bipartite de la conspiration qui a amené le peuple américain dans un
bain sanglant impérialiste.
Pelosi a donné le ton pour les démocrates après leur victoire
aux élections de mi-mandat de 2006 en mettant immédiatement de côté toutes
audiences sur une destitution ou d’autres actions destinées à tenir Bush,
Cheney et leurs confédérés responsables d’une guerre d’agression criminelle qui
a coûté la vie à plus d’un million d’Irakiens et à plus de 4000 soldats
américains.
Même après que le moindre criminel McClellan ait fournit un
compte rendu de l’intérieur sur la préparation délibérée de la guerre par ses
patrons, il n’y aura pas le moindre effort de la part des démocrates pour
prendre des mesures pour destituer Bush ou Cheney et mettre fin à la guerre. Au
contraire, le livre de McClellan a été dévoilé dans les jours qui ont suivi le
vote du Sénat démocrate pour financer la guerre en Irak et en Afghanistan et
pas seulement jusqu’à la fin de la présidence de Bush, mais pendant les neuf
premiers mois de la prochaine administration.
Même si le livre, intitulé « Ce qui s'est
passé : au coeur de la Maison-Blanche de Bush et la culture de la
tromperie à Washington », sera publié la semaine prochaine, des extraits
importants furent rapportés dans la presse mercredi.
McClellan qualifie la guerre en Irak de
« sérieuse bourde stratégique » et insiste pour dire que si Bush
avait eu une « boule de cristal » et avait pu prévoir les coûts en
termes de nombre de morts et de blessés ainsi que l’étendue de la destruction,
il ne l’aurait pas lancée.
Dressant ce qu’il présente comme étant la
principale leçon de cette expérience, il écrit : « Ce que je sais,
c’est qu’une guerre doit être lancée seulement lorsque c’est nécessaire, et la
guerre en Irak n’était pas nécessaire. »
Il a fait le même point déjà mieux fait par
plusieurs autres personnes à l’époque : que l’administration Bush avait
agi en 2002-2003 de manière à empêcher toute autre issue que l’invasion
américaine de l’Irak.
Il « organisa la crise d’une manière qui
garantissait presque que l’utilisation de la force deviendrait la seule option
possible », a-t-il écrit.
McClellan continue : « Pendant l’été
2002, de hauts conseillers de Bush avaient mis sur pied une stratégie pour
orchestrer soigneusement l’éventuelle campagne pour vendre agressivement la
guerre… Dans la période permanente de la campagne, les sources de l’opinion
publique étaient manipulées à l’avantage du président. »
Tout en fournissant d’autres preuves que l’administration
est coupable du crime grave d’avoir lancé une guerre d’agression basée sur des
mensonges, l’ancien porte-parole de la Maison-Blanche bat en retraite,
prétendant que lui et les autres qui ont lancé cette campagne de propagande
n’employaient pas « la tromperie totale ».
Il revient en affirmant que l’administration
était coupable d’avoir « minimisé la raison majeure pour aller en
guerre », tout en faisant la promotion des faux prétextes d’armes de
destruction massive et de liens avec des terroristes. « À ce jour, le
président ne semble pas mal à l’aise avec le fait que la justification première
pour la guerre et la motivation agissante derrière elle soient
déconnectées. »
Mais quelle était cette « raison
majeure », cette « motivation agissante » du point de vue de
McClellan ? Il insiste pour dire que Bush avait l’intention de
« réaliser son rêve d’un Moyen-Orient libre. » Cela, cependant, est
simplement une justification frauduleuse de plus pour une guerre dont le but
était d’utiliser la force militaire américaine pour réaliser des objectifs
stratégiques, c’est-à-dire la domination du capitalisme américain sur les
ressources pétrolières du Golfe persique.
McClellan est aussi très critique de la
manière avec laquelle l’administration a géré l’ouragan Katrina. Il avait
loyalement défendu l’administration en 2005 contre les journalistes, qu’il
accusait de jouer à trouver le coupable.
« Un des pires désastres de l’histoire de
notre nation est devenu un des plus gros désastres de l’administration Bush.
Katrina et la réponse fédérale bâclée à cette dernière sont venues définir le
deuxième mandat de Bush », a-t-il écrit dans son livre. « Plusieurs
personnes à la Maison-Blanche niaient la responsabilité de l’administration
pour Katrina… nous ignorons grandement le fait que le gouvernement fédéral
était le soutien vital, le mécanisme de sauvegarde supposé compenser les échecs
aux niveaux plus bas. Lorsque que vous êtes président, la responsabilité finit
à votre porte, une leçon que Georges W. Bush n’a toujours pas pleinement
assimilée. »
McClellan débute son livre en rappelant
qu’il avait déclaré aux journalistes de la Maison-Blanche en 2003 que Lewis
« Scooter » Libby, alors adjoint à la Maison-Blanche et Karl Rove,
alors le principal conseiller de Bush insistaient pour dire qu’« ils
n’étaient pas impliqués » dans la révélation à la presse du nom de l’agent
de la CIA Valerie Plame. Cette révélation était une vengeance politique contre
le fait que son mari, l’ancien ambassadeur américain Joseph Wilson, avait publiquement
mis à nu les mensonges de la Maison-Blanche sur la guerre en Irak.
Ce n’était là qu’un des nombreux mensonges
qu’il a dû dire en tant que secrétaire de presse pour la Maison-Blanche (il
affirme qu’il a été trompé par Rove, Libby, Cheney et aussi par Bush,
prétendument sans que ce dernier le sache), mais ce mensonge-là est revenu le
hanter. Libby a été condamné pour parjure et entrave à la justice en octobre
2005 en rapport avec le cas de Plame pour être finalement condamné en mars
2007. Au cours des procédures judiciaires sur cette affaire, il a été prouvé
que Rove et Libby étaient en fait impliqués dans le dévoilement de l’identité
de l’agent de la CIA à la presse.
« Je sentis qu’une partie de moi
tombait dans un abîme alors que les journalistes m’attaquaient chacun leur
tour » a écrit McClellan au sujet des communiqués de presse qu’il a faits
après que ces révélations furent publiques. Il a affirmé que ce qui était en
jeu était sa « réputation », même s’il semble qu’à ce moment, il ne
lui restait plus grand-chose à perdre. Sa mauvaise performance, toutefois, a
contribué à ce que le nouveau chef de bureau de Bush, Joshua Bolten, le
remplace en 2006.
Le problème de McClellan était que
l’affaire Plame était une question pour laquelle les médias pouvaient trouver
suffisamment de courage pour passer à l’offensive, principalement parce qu’elle
était nourrie par des éléments de l’appareil de sécurité nationale, en
particulier par la CIA, qui étaient en colère à l’endroit des tactiques
politiques de la Maison-Blanche.
La plupart de ce qu’écrit McClellan ne
vient que confirmer ce que la grande majorité du peuple américain a déjà
compris au sujet de la guerre et de la nature du gouvernement qui l’a
commencée. Néanmoins, c’est l’identité de celui qui a écrit le livre qui en dit
long.
McClellan est loin d’être la première
personne avec une connaissance intime de la Maison-Blanche qui écrit un livre
dénonçant l’administration Bush pour avoir jeteé le peuple américain dans une
guerre sur la base de faux prétextes ou encore pour d’autres crimes. L’ancien
secrétaire au Trésor, Paul O’Neill, a fait de même en 2004 à peine une année
après avoir été congédié. Il a été suivi par Richard Clarke, l’ancien
conseiller de l’administration sur les questions de contreterrorisme ; le
directeur de la CIA, George Telnet ; Matthew Dowd, le principal stratège
de la campagne électorale de Bush en 2004 ; et bien d’autres.
Toutefois, avec McClellan, nous parlons
d’un proche de Bush de longue date, le fils d’une famille républicaine du Texas
bien connectée qui a été avec Bush depuis l’époque où il était gouverneur du
Texas, ayant à cette époque été aussi porte-parole de Bush, un rôle qu’il a
continué à jouer en tant que secrétaire de presse sur la route lors de la
campagne électorale de Bush et Cheney en 2000. Avec ce livre, on éprouve
beaucoup plus le sentiment de voir les derniers rats quitter un navire qui
coule et d’en profiter pour se faire un petit magot.
Toutefois, le moment choisi pour la
publication du livre vient saboter les tentatives du Parti républicain de
quelque peu redorer le blason de l’administration Bush, dont le taux de
popularité est plus bas que celui de Nixon en plein scandale du Watergate, afin
de ne pas détruire les chances d’élire McCain et d’autres républicains lors des
prochaines élections en novembre 2008.
Les réactions du camp Bush ont été cinglantes
comme il fallait s’y attendre. Plusieurs ont laissé entendre qu’après avoir quitté
la Maison-Blanche, McClellan avait subi une dépression ou un lavage de cerveau par
les opposants de l’administration ou un éditeur de gauche.
L’ancien chef de bureau de la
Maison-Blanche et conseiller principal de Bush, Karl Rove, à qui le livre
réserve certaines de ses plus dures critiques, a suggéré que McClellan ne
l’avait même pas écrit lui-même.
« Premièrement, ça ne ressemble pas du
tout à Scott. Vraiment, ce n’est pas lui », a dit Rove sur Fox News.
« Ce n’est pas le Scott McClellan que je connais depuis longtemps.
Deuxièment, on dirait quelqu’un d’autre. On dirait un blogueur de
gauche. »
L’actuel secrétaire de presse de la
Maison-Blanche, Dana Perino, a publié un communiqué de presse sur la question
des reportages portant sur ce livre. « Scott, nous le savons aujourd’hui,
a été dégoûté de son expérience à la Maison-Blanche. Parmi ceux qui lui ont
donné leur soutien entier, avant, pendant et après qu’il fut secrétaire de
presse, c’est la consternation. Mais si cela est triste, il faut le dire :
ce n’est pas le Scott que nous avons connu. »
Pendant ce temps, le prédécesseur de McClellan
au poste de secrétaire de presse, Ari Fleischer, l’a décrit comme un
« adjoint toujours fiable et solide » lorsqu’il était à la
Maison-Blanche. Il a ajouté que « Scott n’a pas une fois tenté de me
contacter, ni en privé ni publiquement, pour discuter de ses doutes sur la
guerre en Irak ou sur l’argumentation de la Maison-Blanche pour la
faire. »
En fait, McLellan est monté pendant trois
ans sur la tribune de la salle de presse de la Maison-Blanche, mentant au
public américain non seulement sur la guerre en Irak, mais aussi sur la
torture, les restitutions extraordinaires, l’espionnage de la population et
d’autres crimes de l’administration qu’il servait.
Il a été un défenseur loyal, quoique peu
convainquant, de la Maison-Blanche qui cherchait à contrecarrer ses limitations
intellectuelles et rhétoriques dans ses rencontres avec la presse en répétant
obstinément les mêmes mensonges. Contrairement à son prédécesseur, le mielleux
Fleischer, et à son successeur, l’animateur de radio de droite Tony Snow, McClellan
a souvent donné l’impression du chevreuil ahuri par les phares d’une automobile
la nuit.
Comme l’a écrit Michael Wolff, décrivant
McClellan pour Vanity Fair, la nomination de McClellan signifiait un
« certain mépris pour la presse de la part de la Maison-Blanche… C’était
une comédie, une farce, en fait. Il ne pouvait pas faire ce travail, un point
c’est tout. Tous les jours, il venait et il ne pouvait pas faire une phrase
complète. »
Plusieurs des supporteurs de droite de
l’administration, qui avaient précédemment défendu McClellan lorsqu’il avait
été critiqué, soulignent aujourd’hui la question de sa compétence dans une
tentative de le discréditer ainsi que son livre.
A partir des extraits qui ont été publiés à
ce jour, le livre de McClellan est un compte rendu banal et intéressé de son
passage à la Maison-Blanche, et non une critique cohérente de l’administration
Bush. En fait, il affirme que Bush lui-même est une victime de conseillers peu
scrupuleux.
Néanmoins, dans la mesure où il vient
confirmer la façon dont l’administration a menti au peuple américain dans le
but de faire une guerre non provoquée qui a coûté la vie à plus d’un million de
personnes, ce livre offre une preuve de plus de la nécessité que les
responsables de ce crime en répondent.