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Les origines et les implications de la crise financière : une analyse marxiste

Deuxième partie

Par Bill Van Auken
4 novembre 2008

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Le texte qui suit est la deuxième partie du discours qu’a prononcé mercredi dernier Bill Van Auken, le candidat vice-présidentiel du PES aux élections américaines, devant un auditoire de travailleurs et de jeunes à Montréal au Canada. La première partie a été publiée le 3 novembre et la troisième sera publiée demain.

La formule d’Obama selon laquelle nous sommes tous également coupables, tant Wall Street que Main Street, sert simplement de justification idéologique pour placer le fardeau de la crise sur les épaules de la classe ouvrière.

Celui qui supervise tout le processus de sauvetage est le secrétaire américain au Trésor, Henry Paulson, l’ancien PDG de Goldman Sachs, dont la fortune nette a été estimée à 700 millions de dollars et qui est impliqué dans les pratiques financières ayant mené à la crise actuelle.

Sa fortune n’est aucunement unique. Selon une récente enquête menée par le Financial Times de Londres, les plus hauts dirigeants des sept plus grandes banques américaines ont décroché une compensation totale combinée de 95 milliards de dollars lors des cinq dernières années, même si les banques ont enregistré des pertes totalisant 500 milliards de dollars.

Pour les PDG des fonds spéculatifs, qui ont fait de l’argent à partir des instruments d’investissements parmi les plus exotiques qui sont au centre de la crise financière, les jours de paye ont été encore plus joyeux : les 50 plus grands dirigeants des fonds spéculatifs ont décroché une somme combinée de 29 milliards de dollars l’année dernière.

Dans un contexte où d’immenses sacrifices sont imposés aux Américains ordinaires afin de payer pour la débâcle de Wall Street, Paulson a défendu un principe central de son approche à la crise financière : le gouvernement ne peut pas demander aux banquiers et à leurs plus grands actionnaires de renoncer à une part même infime de leurs gigantesques compensations et dividendes.

« Si nous le voyons comme une punition », a dit Paulson de son plan initial de sauvetage, « les institutions ne participeront pas, cela ne marchera pas comme il le faudrait. »

Paulson et d’autres personnes soutiennent que tout le monde doit faire des sacrifices pour le sauvetage parce que la contraction du marché du crédit affectera toutes les couches de la société. « Le contribuable est déjà dans une situation difficile », affirme régulièrement Paulson. « Nous sommes tous dans le même bateau », répètent sans cesse les responsables du gouvernement et les médias de la grande entreprise.

Mais, pas tout à fait tout le monde. Même s’il fallait prendre au sérieux l’avertissement de Paulson, il y a une section de la société qui n’était pas prête à sacrifier un sou. Les parasites de Wall Street allaient laisser l’économie s’effondrer et le pays basculer dans la dépression avant de permettre au gouvernement de placer la moindre restriction sur leur compensation à 7 et 8 chiffres.

La même scène fut jouée le 13 octobre lors d’une réunion entre Paulson et les dirigeants des plus grandes banques du pays, où fut élaborée la décision de remettre 250 milliards à leurs institutions et à d’autres banques régionales. Les banquiers eurent la garantie qu’il n’y aurait aucune restriction contraignante placée sur leur paye et que le gouvernement n’exercerait pas de droit de vote sur les actions qu’il achetait, laissant aux propriétaires privés et aux actionnaires la liberté complète de faire ce qu’ils veulent avec l’argent du public.

Que feront-ils avec l’argent ? Ils en utiliseront une partie pour acheter d’autres banques. Mais, une grosse partie de cet argent des contribuables venant de la porte avant du département du Trésor s’envolera par la porte arrière sous la forme de dividendes aux actionnaires les plus riches des banques.

Cela fut décrit dans une chronique rédigée pour le New York Times la semaine dernière par deux importants économistes de l’Université d’Harvard, David Scharfstein et Jeremy Stein. Ils mirent en garde que les dividendes, s’ils sont payés au niveau actuel, « redirigeront plus de 25 milliards de dollars des 125 milliards [allant aux neuf plus grandes banques] aux actionnaires dans la prochaine année seulement. Les contribuables se sont fait dire que leur argent est requis en raison d’un urgent besoin de reconstruire le capital des banques, mais une fraction significative de cet argent ira dans les poches des actionnaires – et ainsi ne sera pas disponible pour remplir le gros trou dans les bilans financiers des banques. »

Les économistes d’Harvard sont allés plus loin, montrant que les responsables et dirigeants des neuf banques, en raison de leur propre considérable part d’actions dans les institutions, empocheraient 250 millions de dollars dans la première année.

Certains ont hystériquement tourné en dérision le dernier plan de Paulson comme étant la « nationalisation des banques » et même le « socialisme ». Dans le milieu de droite de Wall Street, le secrétaire au Trésor est communément désigné comme le « camarade Paulson ».

En réalité, le plan Paulson représente la privatisation du trésor public : de grands actifs sociaux sont donnés aux banques qui pourraient autrement être employés pour améliorer les conditions de plus en plus terribles auxquelles font face des millions et des millions de travailleurs.

La crise actuelle n’est pas une aberration, un pépin dans un système autrement en santé, mais la dernière d’une série de bulles spéculatives créées dans la dernière décennie, chacune étant plus dévastatrice que la précédente. Il y a eu la bulle des marchés boursiers dans le milieu des années 1980 ; la crise est-asiatique des années 1990 ;  la crise des « point com » dans les années 2000 ; et finalement la crise des prêts hypothécaires aujourd’hui.

La source de cette vague de bulles spéculatives, cependant, remonte encore plus loin et est liée au déclin historique du capitalisme américain.

Comme nous l’avons dit plus tôt, la solution capitaliste à la dernière grande crise économique a nécessité le fascisme et une guerre mondiale. Les tentatives de la classe dirigeante américaine de trouver une issue à la dépression au moyen de réformes, le New Deal de Franklin Delano Roosevelt, se sont avérées un échec, et l’économie dégringolait de nouveau vers 1937-1938.

Washington détermina qu’il devait entrer en guerre, sensiblement poussé par les mêmes considérations qui sous-tendaient l’explosion agressive de l’Allemagne nazie. Comme Trotsky l’avait noté à l’époque, alors que l’impérialisme allemand trouvait nécessaire de réorganiser l’Europe pour obtenir des marchés pour son industrie, l’impérialisme américain se trouvait contraint de réorganiser le monde.

A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le capitalisme américain a fait justement cela. Il avait établi une suprématie claire dans les affaires du capitalisme mondial sur la base de sa puissance, non pas tant militaire qu’industrielle. GM sortait la moitié des voitures de la planète dans les années 1950, alors que GM et Chrysler comblaient une autre tranche de 30 pour cent. Des entreprises comme GE et US Steel étaient des icônes internationales de la production industrielle et de l’efficacité.

Dans l’après-guerre, les Etats-Unis ont délibérément cherché à reconstruire les économies ruinées de l’Europe et du Japon et à créer un système de commerce international et de régulation des devises qui facilita l’expansion de la production ainsi qu’une libre circulation des investissements.

Cette tentative – qui a produit une croissance économique mondiale sans précédent – ne pouvait pas résoudre les contradictions essentielles de l’économie capitaliste. En fait, le succès de la politique américaine a fait resurgir ces contradictions et a déclenché la chute de l’ordre règlementé de l’après-guerre que l’Amérique avait créé.

Dans les premières décennies du boum d’après-guerre, la relative supériorité du capitalisme américain a commencé à pâlir dans un contexte où les industries allemande et japonaise prenaient de l’expansion.

Pendant ce temps, le dollar américain, qui faisait virtuellement office de monnaie mondiale (ce qui donnait un immense avantage au capitalisme américain) a commencé à circuler en quantités de plus en plus importantes. Ceci reflétait tant l’expansion du commerce mondial que l’accroissement des investissements étrangers et des dépenses militaires des Etats-Unis, surtout avec le déclenchement de la guerre au Vietnam.

Alors que théoriquement chaque dollar imprimé devait avoir en contrepartie de l’or stocké à Fort Knox, au taux de 35 dollars l’once, la quantité de dollars en circulation à l’étranger dépassait de beaucoup toutes les réserves en lingots d’or.

En 1971, la relation des Etats-Unis avec l’économie mondiale a atteint le point du changement qualitatif. Pour la première fois, la balance commerciale des Etats-Unis enregistrait un déficit, au contraire des décennies précédentes où elle était toujours en surplus. La réponse de l’administration Nixon a été d’annoncer de façon unilatérale la fin de la conversion du dollar en or. Le but était clairement de faire porter le poids de la crise américaine sur ses concurrents étrangers.

A la fin des années 70, Washington faisait face à une montée de la concurrence et au déclin à long terme de la rentabilité de l’industrie américaine. Cette période, avec Jimmy Carter comme président, est connue comme la « stagflation », une période où le gouvernement semblait incapable d’empêcher l’augmentation des prix ou d’induire la croissance économique.

En réponse à cette condition, l’élite dirigeante des Etats-Unis a adopté une politique délibérée de désindustrialisation. Cette politique avait pour objectif, d’un côté, la réduction du poids de la classe ouvrière au moyen du chômage de masse, la réduction de son niveau de vie, et de l’autre, la libération du capital pour des opérations plus rentables, la spéculation financière avant tout.

Ce processus a commencé avec le soi-disant choc de Volcker, du nom de l’ancien président de la Réserve fédérale Paul Volcker, qui a été nommé à ce poste par le président démocrate Jimmy Carter et qui y demeura ensuite sous le président républicain Ronald Reagan.

Volcker, il faut le noter, a été un des deux hommes que Barack Obama a cités lors du débat de la semaine passée comme principaux conseillers économiques. L’autre est le milliardaire Warren Buffett, l’homme le plus riche des Etats-Unis.

Le plan de Volcker consistait à augmenter les taux d’intérêt à des niveaux records, ce qui a entraîné la disparition des sections les moins rentables de l’industrie américaine. De concert avec cette politique économique, l’administration Reagan a lancé un assaut frontal sur les syndicats, qui a commencé avec le congédiement des contrôleurs aériens. La grève de PATCO en 1980 a été brisée.

Entre 1979 et 2005, cinq millions d’emplois industriels ont été éliminés aux Etats-Unis. Des centres industriels comme Détroit ont été ravagés.

Avec la décimation de la base manufacturière américaine, le capital a commencé à aller vers les formes parasitaires de la spéculation financière. Le résultat a été de séparer encore plus l’accumulation des richesses de la production industrielle.

En 1990, le secteur financier a pour la première fois éclipsé l’industrie quant à sa contribution au produit intérieur brut des Etats-Unis. En 2005, les services financiers comptaient pour 20,4 pour cent du PIB, comparé aux 12 pour cent de la production manufacturière.

Ces résultats peuvent être clairement expliqués par la croissance étourdissante des actifs financiers par rapport à la production réelle.

En 1980, la valeur des actifs financiers était environ, dollar pour dollar, égale à celle du PIB. En 1993, elle en valait le double et en 2005, elle avait augmenté de 316 pour cent, c’est-à-dire qu’elle valait trois fois le PIB. Sans doute, les trois dernières années de spéculation financière ont connu un taux d’augmentation encore plus grand.

En parallèle avec la croissance étourdissante des actifs financiers, et la croissance encore plus étourdissante des fortunes personnelles, il s’est développé une idéologie officielle selon laquelle les Etats-Unis étaient maintenant une société post-industrielle, transcendant le besoin de produire la richesse.

L’auto-intoxication de l’élite dirigeante a trouvé son expression achevée dans les déclarations de l’ancien président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan, qui a été élevé dans les médias au statut de demi-dieu de l’économie.

Lors d’une comparution devant un comité de la Chambre des représentants en 2003, il a demandé : « Est-il important pour une économie d’avoir une industrie manufacturière ?  Il y a un grand débat sur cette question. Ce qui est important est que les économies créent de la valeur. La question de savoir si la valeur est créée en prenant des matières premières et en les transformant en quelque chose que les consommateurs veulent ou si elle est créée par différents services que les consommateurs veulent, ne devraient a priori faire aucune différence. »

Un Greenspan à l’air vieux et à la mine défaite a comparu jeudi dernier devant un comité du Congrès pour faire savoir qu’il était dans un « grand désarroi ».  

En fin de compte, que l’on produise des biens servant à satisfaire les besoins humains ou que l’on spécule sur des bouts de papier ou dans le commerce électronique a fini par devenir une question importante. Tous ces actifs financiers, qui ont alimenté l’escroquerie au niveau mondial et créé les immenses fortunes de l’élite dirigeante américaine, représentent, au bout du compte, des droits sur la plus-value extraite de la classe ouvrière sur les lieux de production. Un effondrement financier signifie la disparition de cette montagne de papier et l’élimination de dizaines de billions de dollars en richesse financière.

Quant à la véritable production de biens, en opposition à la spéculation financière, elle n’a intéressé l’élite dirigeante que là où l’on trouvait de la main-d'œuvre à bon marché, comme en Chine. Cela offrait la possibilité de réaliser un taux de profit suffisamment élevé pour soutenir le niveau sans précédent d’enrichissement personnel au haut de l’échelle économique.

Ce processus, en vertu duquel la Chine et d’autres pays ont connu une croissance économique sans précédent, et les Etats-Unis une croissance encore plus grande de leur endettement, tire maintenant à sa fin.

Finalement, sortir de cette crise sur la base de moyens capitalistes signifie la diminution des salaires aux Etats-Unis à un niveau comparable à celui existant en Chine aujourd’hui, un processus qui ne peut que produire des luttes sociales de masse d’un caractère révolutionnaire.

A suivre

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