Le premier ministre du Québec Jean Charest,
qui est à la tête d’un gouvernement libéral minoritaire depuis mars 2007, a
déclenché une élection provinciale qui se conclura le lundi 8 décembre.
En déclenchant la campagne libérale
mercredi, Charest a affirmé que seul un gouvernement libéral majoritaire
pouvait fournir le leadership assez solide dont la province, la seule à
majorité francophone et la deuxième plus populeuse du Canada, a besoin pour
faire face à la crise économique mondiale. « Les Québécois, a déclaré
Charest, savent qu’un gouvernement minoritaire est un gouvernement instable.
Ils savent aussi que durant une tempête, on ne peut pas avoir trois paires de
mains sur le gouvernail. »
Les « trois paires de mains » de
Charest se veulent une référence au fait que jusqu’à maintenant son
gouvernement a eu besoin du soutien parlementaire de l’un ou l’autre des partis
de l’opposition, soit le Parti québécois (PQ) indépendantiste ou le parti
populiste de droite et « autonomiste », l’Action démocratique du
Québec (ADQ).
Deux raisons interdépendantes expliquent
l’impatience des libéraux à aller aux urnes. Tout d’abord, ils craignent que
leur soutien populaire soit sérieusement affecté par le développement de la
crise financière mondiale en une récession mondiale. De plus, ils savent que la
récession portera un dur coup aux finances de la province et forcera le
gouvernement à implémenter des politiques impopulaires, y compris des coupes
supplémentaires dans les services publics et programmes sociaux ainsi que des
hausses de tarifs pour les garderies, pour l’électricité, et l’augmentation des
frais universitaires.
Charest « croit fondamentalement que
nous entrons dans une période très différente », a confié un « proche
associé du premier ministre », dont le nom n’a pas été dévoilé, au
chroniqueur de la Gazette de Montréal et du National Post L. Ian
MacDonald. « Nos propres économistes nous disent que nous nous trouvons en
terrain tout à fait nouveau et inconnu », a ajouté l’associé de Charest.
Le quotidien le plus influent du Québec, La
Presse, a réagi au déclenchement des élections de Charest en appuyant son
appel à un gouvernement majoritaire. « Nous sommes d’accord avec M.
Charest sur ce point : en période d'inquiétude économique, un gouvernement
majoritaire est nettement préférable… [C]e sont les majorités qui ont fait
preuve dans le passé d'audace et de courage… [U]n gouvernement en minorité au
Parlement est incapable de prendre les mesures difficiles qu'impose parfois la
réalité et de mettre en place les politiques essentielles qui ont le défaut de
ne pas faire l'unanimité… Le [prochain] gouvernement provincial ne pourra
satisfaire tous les groupes qui vont demander son aide. Il devra sans doute
comprimer ses dépenses, peut-être trouver des moyens d'augmenter ses
revenus. »
La seule condition exigée par La Presse
est que Charest et ses libéraux doivent encore prouver qu’ils sont à la hauteur
des défis auxquels fait face le Québec. La grande entreprise dénonce depuis
longtemps le soi-disant « immobilisme » du Québec ou autrement dit,
l’opposition populaire à la privatisation totale ou partielle du système de
santé et d’autres services de la province, en argumentant que le Québec est
moins « compétitif » ou est « déphasé » par rapport au
reste de l’Amérique du Nord.
Il y a une ressemblance frappante, et même
les médias de la grande entreprise ont dû l’admettre, entre la tactique
électorale de Charest et celle du premier ministre canadien Stephen Harper. Au
début septembre, Harper, qui était à la tête d’un gouvernement conservateur
minoritaire depuis 30 mois, a déclenché une élection fédérale. Il avait défendu
que le gouvernement avait besoin d’un nouveau mandat en raison de
l’intensification des troubles économiques mondiaux tout en insistant que
l’économie canadienne était fondamentalement solide.
Un point central de la stratégie de Harper était le calcul
que la grande entreprise allait se rallier derrière la tentative des
conservateurs d’obtenir un gouvernement majoritaire, les percevant comme le
meilleur instrument pour faire porter tout le fardeau de la crise
économique aux travailleurs. L’élite entrepreneuriale canadienne a entièrement
donné son appui aux conservateurs, mais ils n’ont pas réussi à obtenir un gouvernement
majoritaire.
Charest défend aussi l’idée que le Québec a besoin d’un
gouvernement majoritaire pour faire face à la crise économique, tout en
prétendant publiquement que la crise ne sera pas sévère.
Mardi, les libéraux ont présenté leur « mise à jour
économique » à l’Assemblée nationale dans laquelle ils déclarent que le
Québec échappera à une récession d’envergure et manœuvrera pour ne pas
contracter de déficit budgétaire. Ces projections ont été rejetées comme étant trop
« roses », pour ne pas dire de la désinformation délibérée, par
plusieurs analystes économiques et opposants politiques. Le Vérificateur
général du Québec a rapidement jeté une douche froide sur les projections du
gouvernement en disant que le supposé fond de réserve du gouvernement est une manœuvre
comptable et que les libéraux n’ont pas respecté « l’esprit » de la
loi du « déficit zéro » du gouvernement du Parti québécois de Lucien
Bouchard adoptée en 1996.
Les libéraux ont résisté à maintes reprises aux demandes de
l’opposition pour qu’ils révèlent les pertes que la Caisse du dépôt du Québec,
un acteur majeur sur les marchés financiers nord-américains gérant les caisses
de retraite des employés de l’Etat, a encaissé en raison de la crise des prêts
hypothécaires et des faillites subséquentes de banques et des liquidations
d’actions.
Autant le PQ que l’ADQ ont dénoncé les libéraux pour leur
« opportunisme électoral ». Ils argumentent qu’une élection
n’est pas nécessaire puisque les deux partis ont offert loyalement leur
collaboration aux libéraux pour entreprendre des actions visant à protéger la
province de la crise économique.
La volonté de l’opposition d’appuyer les libéraux, le parti
politique du Québec le plus ouvertement associé à la grande entreprise, ne
sert qu’à montrer l’accord fondamental entre les trois partis sur les questions
clés de classes, malgré leurs différences concernant le statut du Québec dans
l’Etat fédéral canadien.
La vérité est que les motifs des partis s’opposant à la
tenue d’une élection ne sont pas moins cyniques et opportunistes que les
raisons du premier ministre pour les déclencher. Les libéraux ont une avance
dans les sondages — une avance très liée aux crises respectives des partis de
l’opposition.
La crise des
partis de l’opposition
L’ADQ, l’opposition officielle à l’Assemblée nationale,
craint de se diriger tout droit vers un fiasco électoral le 8 décembre. Les
sondages montrent qu’ils ont l’appui d’aussi peu que 14 pour cent des électeurs
québécois, moins de la moitié de la part du vote populaire qu’ils avaient
obtenue en 2007. Le mois dernier, deux députés de l’ADQ à l’Assemblée
nationale sont passés aux libéraux.
L’ADQ fut pendant plusieurs années un joueur mineur en
politique québécoise. Mais, en 2007, il fut en mesure d’exploiter le
désabusement populaire de masse envers les deux partis traditionnels de
l’establishment, soit les libéraux et le PQ, qui avaient implanté des
politiques néolibérales similaires lorsqu’au pouvoir, coupant dans les services
publics et sociaux et prodiguant des baisses d’impôts à la grande entreprise et
aux mieux nantis.
Aidé en cela par la majorité des grands
médias, le dirigeant de l’ADQ Mario Dumont a fait d’une attaque xénophobe
contre les minorités religieuses et les immigrants le centre de sa campagne
électorale de 2007. Ces deniers, affirmait-il, étaient chouchoutés par l’Etat
et représentaient une menace pour les « valeurs québécoises ».
Tant le PQ que les libéraux se sont adaptés
à cette campagne de droite. La dirigeante du PQ Pauline Marois a dit que son
parti retirerait certains droits politiques aux nouveaux arrivants, y compris
le droit d’être candidat lors d’une élection municipale ou provinciale ou de
présenter une pétition devant l’Assemblée nationale, s’ils n’avaient pas une
maîtrise suffisante du français. A la fin du mois passé, juste avant d’appeler
pour les élections, les libéraux ont annoncé que les nouveaux immigrants au
Québec devront s’engager par écrit à respecter les « valeurs
québécoises », renforçant la notion réactionnaire que les immigrants
constituent une menace.
L’effondrement de l’appui pour l’ADQ
souligne que les voix qu’il a obtenues en 2007 étaient principalement un vote
de protestation contre les deux partis de l’establishment. En fait, à mesure
que les Québécois ont mieux appris à connaître l’ADQ et ses politiques, comme
la promotion d’un système de santé à deux vitesses et ses liens étroits avec
les conservateurs de Harper, l’appui au parti de Mario Dumont a décru.
Un deuxième facteur de la crise de l’ADQ
est le fait qu’il est considéré par les grands médias comme trop instable et trop
peu testé pour gouverner. C’est une chose que d’utiliser l’ADQ pour pousser le
spectre de la politique québécoise à droite, mais c’en est une autre que de lui
donner les rênes du pouvoir et de risquer une opposition de masse à ses
politiques effrénées de réaction sociale.
Le PQ a formé le gouvernement québécois
pour 17 des 32 dernières années, mais depuis qu’il a perdu le pouvoir en 2003,
il est dominé par la crise et divisé sur l’importance qu’il doit donner à
l’indépendance et sur la façon de « moderniser » son programme
soi-disant « étatiste ».
Marois n’a fait aucune mention de l’appel
du PQ pour un Québec indépendant dans sa déclaration lançant la campagne
électorale de son parti. Après avoir été nommée à la tête du PQ, peu après que
ce parti eut obtenu dans l’élection de 2007 la plus faible part du vote depuis
1970, Marois a imposé un changement du programme du parti, reniant l’engagement
d’organiser un référendum sur la souveraineté du Québec dans le premier mandat
d’un gouvernement péquiste.
C’est à l’instigation d’une fraction
indépendantiste du Parti libéral du Québec dirigée par René Lévesque que le
Parti québécois a été fondé en 1968. Parti bourgeois, le PQ a néanmoins tenté
de se présenter, et il a bénéficié en cela du soutien de la bureaucratie
syndicale, comme un parti du peuple, affirmant même à certain moment d’avoir
« un préjugé favorable envers les travailleurs ».
Dans les élections de 2003 et 2007, de
larges contingents de travailleurs et de jeunes ont déserté le PQ, ayant
correctement tiré la conclusion de son bilan de gouvernement de droite qu’il
était autant un parti de l’establishment que le Parti libéral. La bureaucratie
syndicale, au contraire, a intensifié sa collaboration avec le PQ, créant un
nouveau véhicule, Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre, dans le
but d’institutionnaliser son soutien au PQ.
Les syndicats vont sans aucun doute
chercher à rallier un appui pour le PQ le 8 décembre en soutenant que le PQ est
celui qui protégera le mieux les travailleurs de l’impact du ralentissement
économique. En fait, le PQ, bénéficiant du soutien complet des syndicats, a
imposé impitoyablement le programme de la grande entreprise face à la
soi-disant « crise du déficit » des années 1990, en effectuant des
coupes massives dans les services sociaux, en éliminant des dizaines de
milliers d’emplois dans le secteur public et en durcissant les conditions sous
le régime d’assurance-emploi. Et le PQ poursuit sa poussée vers la droite. Dans
les semaines qui ont précédé le déclenchement des élections, il tentait, au
même titre que les libéraux, de soutirer des législateurs au parti populiste de
droite de l’ADQ.
Deux autres partis se présentent dans ces
élections : le Parti vert et Québec solidaire. Ils ont obtenu
respectivement 3,85 pour cent et 3,26 pour cent du vote lors de la dernière
élection.
Québec solidaire est un parti souverainiste
québécois qui se dit de gauche. Il fut créé par le regroupement d’une petite
section de la bureaucratie syndicale, de divers groupes communautaires et de la
gauche radicale petite-bourgeoise. Sa perspective consiste essentiellement à
faire pression sur la bureaucratie syndicale et sur le parti de la grande
entreprise qu’est le PQ. Dans la récente élection fédérale, il a appuyé la
campagne « tout sauf Harper » des syndicats québécois, et nombre de
ses membres dirigeants ont appelé ouvertement à un vote pour le parti frère du
PQ au niveau fédéral, le Bloc québécois.
(Article original anglais paru le 7
novembre 2008)