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France: Mobilisation de cheminots de toute l’Europe contre la privatisation

Par Antoine Lerougetel
20 novembre 2008

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Des dizaines de milliers de travailleurs de 15 pays européens ont défilé à Paris jeudi dernier contre la privatisation des chemins de fer. La manifestation, à l’appel de la Fédération européenne des travailleurs des transports (FET), avait pour but de faire pression sur le président actuel de l’Union européenne, le président français Nicolas Sarkozy, pour qu’il fasse marche arrière sur les mesures de privatisation.

Le syndicat britannique RMT (British Rail Maritime and Transport) a affrété un train Eurostar au départ de Londres pour acheminer les travailleurs à la manifestation. Il y avait aussi, bien en vue, des drapeaux et des banderoles de délégations venues d’Allemagne (le syndicat TFB), de Belgique et du Portugal. Etaient aussi présents les syndicats ORSA, CUB et SdL d’Italie, le Comité officine de Suisse, le LAB du Pays basque et les syndicats SFF et CGT d’Espagne.

L’écrasante majorité des 10 000 à 20 000 manifestants faisaient partie de délégations françaises organisées par la CGT dont les drapeaux et banderoles dominaient la manifestation. Il y avait de plus petites délégations de SUD et d’autres syndicats français de cheminots. Le nombre important de manifestants témoigne de l’inquiétude croissante chez les travailleurs devant l’envergure des attaques perpétrées contre leurs emploi et conditions de travail.

Les syndicats des conducteurs de train ont appelé à une grève illimitée à partir de la semaine prochaine, en opposition aux projets de la SNCF, la compagnie française des chemins de fer, de déréglementer l’organisation et les conditions de travail des conducteurs du fret. Cet appel à la grève fait suite au refus de la SNCF de trouver un accord avec les syndicats lors des négociations qui se sont tenues le 12 novembre, et ce, malgré la grève fortement suivie des conducteurs de train du 6 novembre dernier.

La FGAAC (Fédération générale autonome des agents de conduite, syndicat de conducteurs exclusivement, ne représentant qu’à peine 30 pour cent d’entre eux) en alliance avec la CFDT (Confédération française démocratique du travail, proche du Parti socialiste et représentant une petite minorité) ont provisoirement reporté à vendredi leur grève qui devait commencer mardi 18 à 20h.

La CGT (Confédération générale du travail, proche du Parti communiste, PCF), SUD (Solidarité-Unité-Démocratie) et la CFE-CGC (petit syndicat des travailleurs de l’administration), constitués en intersyndicale représentant plus de 60 pour cent des conducteurs commenceront leur grève reconductible le dimanche 23 novembre au soir.

Les pilotes d’Air France ont fait une grève de quatre jours débutant vendredi dernier contre le projet de faire passer l’âge de la retraite de 60 à 65 ans. Jeudi 20, enseignants et étudiants, à l’appel de quasiment tous les syndicats du personnel et des étudiants, de la maternelle à l’université, seront en grève contre les suppressions draconiennes de postes et la réduction des heures d’enseignement. Samedi, les travailleurs de la Poste vont manifester dans toute la France contre la privatisation et les fermetures.

Le quotidien conservateur Le Figaro dans un article sur le mouvement de grève à la SNCF a écrit, « Malgré cette "grève d'avertissement" [le 6 novembre] il semble que la direction de la SNCF ait décidé de passer en force. Il est vrai que cette évolution semble indispensable pour que le fret reste compétitif face aux opérateurs privés. La branche devrait dégager plus de 300 millions d'euros de pertes cette année. »

Le Figaro a fait part d’un rapport publié jeudi et indiquant que « Les régions et les concurrents de la SNCF sont prêts. Le 3 décembre 2009, le trafic des trains express régionaux (TER), actuellement chasse gardée de la SNCF, sera ouvert à la concurrence… Aujourd'hui, les conseils régionaux sont tous liés à la SNCF par des contrats d'exploitation qui, quand ils arriveront à échéance, pourront ne pas être renouvelés…Toutes les régions devront avoir ouvert leur marché au plus tard en 2019 pour se conformer à la directive européenne sur le sujet… Les voyageurs circuleront à bord de TER exploités par Transdev…, Deutsche Bahn ou Veolia. »

Transdev est une compagnie lancée en 1990 par la Caisse des dépôts. Elle fonctionne comme une entreprise privée, rivalisant dans le monde entier pour obtenir des marchés. Il en est de même de la RATP, la compagnie de transports urbains parisiens. Elles sont toutes deux rivales de la SNCF. Veolia, fondée en 1853, comme compagnie d’approvisionnement d’eau à la ville de Lyon, est aujourd’hui un conglomérat mondial qui opère dans le domaine de l’approvisionnement en eau, de l’environnement, de l’énergie et des transports. Ce fut la première entreprise privée à faire rouler des trains sur le réseau ferré français.

François-Xavier Perrin, PDG de Transdev a dit au Figaro, « Le transport régional est libéralisé depuis cinq ans en Allemagne. Cela s'est traduit par une baisse des coûts d'exploitation de 20 pour cent et par l'arrivée de matériel flambant neuf pour les voyageurs. Les régions françaises en attendent les mêmes effets, donc une grosse économie pour elles… et le contribuable. » Les futurs concurrents de la SNCF « fourbissent leurs armes à l'étranger avant d'attaquer le marché français. Transdev et la RATP ont ainsi créé une coentreprise, EurailCo, qui ouvre en décembre une ligne entre Cologne, Coblence et Mayence en Allemagne. De son côté, Veolia exploite plus de 6 000 kilomètres de lignes outre-Rhin. »

La législation française et européenne a pour dessein de briser les entreprises nationales publiques en différents secteurs qui pourront alors être transformées en compagnies privées où le montant des salaires, les allocations et les droits obtenus par des décennies de luttes pourront être supprimés. Les effets désastreux sur la sécurité provoqués par l’atomisation du service ont déjà été démontrés de façon tragique par les accidents mortels qui se sont produits en Grande-Bretagne où des compagnies privées séparées sont responsables de la maintenance des voies et du fonctionnement des trains.

En 1996, la Commission de l’Union européenne avait décrété le principe fondamental suivant : « Les chemins de fer doivent être exploités sur une base commerciale. » En 2001, la commission avait adopté un « paquet ferroviaire » en trois étapes : la séparation de la gestion des infrastructures et de la fourniture de services (c’est déjà le cas en France, où le Réseau ferré français (RFF), entreprise publique, loue ses voies à la fois à la SNCF et aux compagnies privées), l’ouverture en 2007 du marché du fret à toute l’Union européenne et l’ouverture du secteur passager en 2010. Les mots d’ordre sont : « Flexibilité, multi-compétence et mobilité. »

En Allemagne, avec la complicité des principaux syndicats de cheminots, le service ferroviaire a été divisé en 346 compagnies, dont une trentaine refusent de payer des salaires nationalement convenus, selon le syndicat Transnet. Un porte-parole du syndicat allemand des conducteurs de trains, GDL, a dit à la presse, « La DB [Deutsche Bahn, la plus grande compagnie de chemins de fer d’Allemagne] a sa propre agence intérim et casse les accords de branche. Un conducteur en intérim touche ainsi 22 000 euros brut par an contre 31 000 euros pour un employé de la DB.»

Un tract distribué par le syndicat britannique RMT lors de la manifestation explique que les compagnies publiques telles la SNCF sont déjà fortement impliquées dans des entreprises privées: « Les plus grandes compagnies de chemins de fer publiques d’Europe, en France et en Allemagne, sont engagés dans une lutte acharnée de par l’Europe. Ainsi en Allemagne la Deutsche Bahn a racheté la plus grande société du fret ferroviaire de Grande-Bretagne EWS et la SNCF, géant du rail français, vient juste de prendre 20 pour cent de participation à NTV, le premier exploitant privé de trains à grande vitesse d’Europe qui envisage une ligne entre Rome et Milan. »

Les syndicats ne proposent aucune perspective pour gagner la lutte à laquelle sont confrontés les cheminots français et européens. La stratégie de la FET, consistant à faire pression sur le président Sarkozy pour qu’il convainque l’Union européenne de restreindre son programme capitaliste en faveur du marché, a pour but d’empêcher les travailleurs de développer une perspective politique indépendante pour défendre leurs intérêts.

Au moment où ils partent en guerre contre le gouvernement et l’Union européenne, les cheminots français devraient garder à l’esprit les leçons de leurs luttes de ces 12 dernières années et de la traîtrise des syndicats. La grève de 1995 contre le Plan Juppé (du nom du premier ministre de 1995 à 1997, Alain Juppé) avait été étouffée par les syndicats, notamment la CGT. La partie la plus contestée du plan Juppé avait été retirée, mais toutes les autres mesures étaient restées en place et avaient constitué la base des attaques sur les retraites des fonctionnaires en 2003.

Dans la lutte pour la défense des régimes spéciaux de retraite des cheminots et des travailleurs d’EDF et GDF (électricité et gaz de France) en 2007, la CGT et les autres syndicats, rejoints par SUD-rail à la table ronde de fin 2007, avaient brisé le mouvement de grève et finalement négocié le démantèlement de leurs régimes spéciaux. La CGT et la CFDT ont encore collaboré avec le gouvernement et les patrons cette année pour déréglementer la durée hebdomadaire du travail avec la « Position commune. »

Un tract distribué lors de la manifestation de jeudi par la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) en passe de devenir le NPA (Nouveau Parti anticapitaliste) ne cherche aucunement à rappeler ces expériences aux travailleurs. Il se limite à une perspective nationale, appelant non pas à développer un mouvement unitaire de la classe ouvrière européenne, mais se contente de déclarer « La manifestation européenne doit servir à donner confiance pour la préparation d’une contre-offensive contre ce gouvernement. »  

Ce qui est nécessaire c’est un programme de lutte politique unie de la classe ouvrière européenne et qui soit indépendant de la bureaucratie syndicale et des partis de « gauche », pour remplacer l’Union européenne capitaliste par une réorganisation de l’économie européenne sur une base socialiste.

(Article original anglais paru le 18 novembre 2008)

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