L’élite dirigeante européenne est sous le choc
et considère avec incrédulité ce qu’elle craint être la plus sérieuse crise du capitalisme
mondial depuis le krach de Wall Street en 1929.
La Banque centrale européenne (BCE) a réagi à
la faillite de la banque d’affaires américaine, Lehman Brothers, en injectant des
liquidités massives afin de soutenir les marchés boursiers européens. Lundi, la
BCE avait procédé à des appels d’offre rapides pour injecter 30 milliards
d’euros dans les marchés monétaires en déclarant dans un communiqué qu’elle était
« prête à contribuer à des conditions ordonnées sur le marché monétaire en
euros. »
La démarche de la BCE fut suivie de celle de
la Banque nationale suisse (BNS) qui a également fourni des liquidités
supplémentaires alors que les marchés boursiers d’Europe et d’Asie
poursuivaient leur plongée.
Anticipant une baisse brutale des cours de la Bourse
anglaise, la Banque d’Angleterre est intervenue lundi à hauteur de 5 milliards
de livres (6,3 milliards d’euros) pour apaiser les marchés.
Le ministère allemand des Finances, la
Bundesbank (banque centrale allemande) et la Bafin (autorité allemande des
marchés financiers) ont tous tenté de restaurer le calme sur les marchés
allemands en publiant un communiqué conjoint disant que l’exposition des
banques allemandes à Lehman serait gérable.
Ni les efforts entrepris par les banquiers des
banques centrales européennes pour rassurer les esprits ni les injections
massives de liquidités n’ont réussi à apaiser les craintes des marchés. Lundi,
l’indice des valeurs européennes FTSE Eurofirst 300 britannique a chuté de 5
pour cent alors que le Dax allemand est tombé de 4,7 pour cent, pour atteindre
son plus bas niveau depuis deux ans. Les valeurs bancaires ont été le plus
durement touchées.
Lundi, après les pertes considérables sur les
marchés boursiers et la crainte de l’effondrement du plus grand assureur
américain, l’American International Group (AIG), les banques européennes
intervenaient une fois de plus mardi, la BCE injectant 70 milliards d’euros
supplémentaires et la Banque d’Angleterre 20 milliards de livres (25,1
milliards d’euros) de plus.
Une fois de plus, les injections massives de liquidités ne sont
pas parvenues à stabiliser les marchés. Mardi, le FTSE 100 de Londres a plongé en
dessous de 5.000 points pour la première fois depuis sept ans. Les valeurs
allemandes ont poursuivi leur chute. L’indice Dax 30 [indice de référence des
valeurs des trente blue chips allemandes] a baissé de 98,99 points à 5965,17, soit
un recul de 1,63 pour cent. Le principal indice français, le CAC a enregistré
lundi une forte baisse de 3,78 pour cent et mardi de 1,96 pour cent.
Contrairement aux déclarations officielles faites en
Allemagne, l’ampleur totale de l’implication des principales banques
européennes dans Lehman Brothers est énorme.
Mardi, par exemple, il a été rapporté que la banque publique
allemande Kreditanstalt für Wiederaufbau (Banque pour la reconstruction, KfW)
avait transféré par erreur 300 millions d’euros à Lehman Brothers le jour même
où la banque américaine déposait son bilan, tandis que l’établissement bancaire
helvétique UBS annonçait qu’il s’attendait à des pertes identiques d’au moins
300 millions d’euros en raison de son implication avec Lehman Brothers. UBS, le
numéro 1 de la gestion de fortune, avait déjà été dû rayer 37 milliards de
dollars d’actifs liés à la crise du crédit hypothécaire des subprimes
américains.
Selon le journal économique allemande Handelsblatt il
est possible que la totalité du fonds d’urgence mis sur pied par un consortium
de banques allemandes pour s’assurer contre les crises soit absorbée par
l’effondrement de Lehman. Le Fonds de garantie de dépôt de la fédération des
banques allemandes (BdB) est évalué à 4,6 milliards de dollars, une somme qui
sera entièrement engloutie pour éponger 6 milliards d’euros de dettes des filiales
de Lehman en Allemagne. Les pertes de 6 milliards d’euros provenant de
l’effondrement de Lehman représentent la plus grosse perte de l’histoire de la
finance allemande.
La Grande-Bretagne est encore plus exposée à la crise
financière américaine. Après l’effondrement de la banque Northern Rock en début
d’année, le premier établissement de crédit immobilier de Grande-Bretagne, la
Halifax Bank of Scotland (HBOS) se trouve également au bord de la faillite. Ses
actions en bourse ont dégringolé mardi de 40 pour cent et il semblerait qu’elle
puisse être rachetée par Lloyds TSB.
D’autres importantes banques européennes pourraient être
entraînées dans le tourbillon financier dans des conditions où entre avril et
juin l’ensemble des économies de l’Union européenne avait déjà rétréci de 0,2
pour cent. La Grande-Bretagne et l’Espagne qui avaient aussi été durement
touchées par une grave crise immobilière connaîtraient déjà la récession. Selon
l’Institut économique de Kiel, la première économie d’Europe, l’Allemagne, sera
également affectée par la récession cette année.
Face à la montée de l’inflation de par l’Europe, et dont les
taux dépassent 4 pour cent dans de nombreux pays, les analystes économiques redoutent
déjà la stagflation au sein de l’Union européenne.
Les politiciens français et allemands ont lancé des platitudes
euphorisantes à la ronde en déclarant que les données fondamentales des
économies et du système bancaire européens étaient saines et en meilleur état
que les données américaines. Mais les analystes ont émis des avertissements
sombres indiquant tout le contraire en soulignant qu’il n’est pas possible que
l’Europe ne soit pas touchée par l’effondrement continu des institutions
financières américaines.
En signalant les implications d’une menace de faillite
imminente de l’assureur AIG, le New York Times a relevé que les banques
européennes possédaient trois quarts des 441 milliards de dollars d’actifs de
l’AIG liés aux crédits immobiliers à risque assurés et détenus par un
consortium de banques. Ces titres exposent les institutions financières
européennes à d’énormes risques en cas de défaillance de l’AIG.
Dans son article, paru lundi dans le quotidien Frankfurter
Rundschau, Jan Pieter Krahnen parlait du « grand danger d’une onde de
choc » qui pourrait ensevelir les banques allemandes et européennes au cas
où en Allemagne la confiance placée dans le genre de contrat assurant le risque
de crédit (credit default swaps, CDS) préconisé par Lehman Brothers et AIG serait
ébranlé. Mercredi, le journal Süddeutsche Zeitung intitulait son
interview avec un expert financier, « Le pire est à venir. »
Un certain nombre de commentaires quasi apocalyptiques sont
parus dans la presse britannique, disant que la crise actuelle est au moins
comparable à l’effondrement financier de 1929.
Larry Elliot, le rédacteur en chef des pages économie du Guardian
a intitulé son papier « Cette semaine, le krach est nucléaire et la
Grande-Bretagne va ressentir les pires retombées. » Il a écrit : « Il
est clair que les événements du week-end rendent bien plus probable une
récession prolongée et profonde. Oublions tout ce qui a été dit d’un atterrissage
en douceur ou d’une récession si forte et courte qu’on la remarquerait à peine.
Comme les choses se présentent actuellement, la question est de savoir à
présent s’il s’agit d’un effondrement total du système financier avec les
institutions s’écroulant comme un jeu de quilles ou si un resserrement
rigoureux du crédit sur une période prolongée entraînera une baisse des prix
immobiliers, une chute des dépenses à la consommation, de plus faibles
investissements et une hausse du chômage. »
« Il ne fait aucun doute qu’il s’agit du choc financier
le plus grave depuis 1929, » poursuivit-il.
Dans un article paru dans le journal de droite Daily Mail,
Alex Brummer rappelle que les premiers signes de gonflement de la crise
internationale remontaient aux problèmes qu’a connus une banque européenne.
« La crise du crédit a débuté », écrit-il, « le
9 août de l’année dernière après que l’une des premières banques privées
françaises, BNP Paribas, ait annoncé la suspension du calcul des valeurs
liquidatives de deux de ses fonds d’investissement parce qu’ils contenaient des
titres toxiques. »
Il poursuit en se référant à « des dizaines sinon des
centaines de milliards de pertes sur des titres basés sur des produits dérivés
liés aux subprimes » pour conclure, « Ce n’est que maintenant que la
taille véritable du trou noir est reconnue chez Lehman, Merrill Lynch, AIG et
ailleurs. Chez Lehmann par exemple, le chiffre des dépréciations a plus que
doublé en passant de 17 milliards de livres sterling à 44 milliards de livres
sterling en l’espace de la seule semaine passée. »
L’éditorial du journal Mail précise, « Des décennies
durant, nous avons adoré l’idole or. Les premiers ministres et les présidents
se sont agenouillés devant ses gardiens. Les monarques de l’argent, les
courtiers de la richesse, les prétendues sources de la sagesse ont tenu en
bride l’Europe et les Etats-Unis, rabaissant tous ceux qu’ils croisaient sur
leur chemin… Aujourd’hui, nous nous réveillons pour découvrir que pareils à de
nombreux magiciens d’Oz, ces personnalités pleines d’assurance sont en réalité
de vieux hommes insensés, parfois aussi des jeunes, marmonnant en coulisse des
incantations vides de sens, »
« Une façon de voir le capitalisme est à présent
discréditée », conclut-il.
Willem Buiter, professeur d’économie politique européenne à la
London School of Economics a fait la déclaration la plus claire sur les
implications de l’effondrement financier aux Etats-Unis.
Dans le Financial Times, Buiter a dit en parlant des 85
milliards de dollars de renflouement de l’AIG par le gouvernement américain,
« Le plus grand supermarché d’assurance du monde, dont le bilan dépasse mille
milliards de dollars, a été nationalisé parce qu’on le suspectait d’être trop
gros et trop interconnecté mondialement pour faire faillite ! »
Il a poursuivi en précisant, « Derrière cette décision
extraordinaire se cachait le fait que l’échec de l’AIG aurait accru les
risques, réels et supposés, des contreparties de par le système financier des
Etats-Unis et du reste du monde, au point qu’aucun établissement financier
n’aurait voulu accorder un crédit à un quelconque autre établissement
financier. Les crédits aux ménages et aux entreprises non financières auraient
été le domino suivant à tomber, et voilà ! Un Armageddon financier
parfait. »