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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

Les raisons de la faillite intellectuelle du libéralisme américain : une leçon d’histoire pour Bob Herbert, chroniqueur au New York Times

Par Tom Eley
29 septembre 2008

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La chronique du 9 septembre de Bob Herbert dans le New York Times, intitulée « Hold your heads up [relevez la tête] » est une lamentation sur la lâcheté du libéralisme politique américain.

Herbert, lui-même un libéral, est loin d’être le seul à remarquer la servilité du libéralisme devant la droite du Parti républicain. La campagne présidentielle actuelle de Barack Obama est un cas d’école pour ce qui est du manque de principes et de la duplicité.

Herbert écrit, « Les libéraux ont été tellement abattus par les coups de la droite qu’ils ont tenté de se débarrasser de leur propre identité, se décrivant eux-mêmes comme tout sauf des libéraux et espérant obtenir l’approbation des conservateurs en se présentant comme des ultra-religieux et des amateurs de fusils, pistolets et autres, depuis toujours.

« Ainsi, nous avons eu Hillary Clinton, ce qui est tout de même inattendu, qui a fait campagne pour qu’une loi interdise de brûler des drapeaux ; et Barack Obama, qui s’opposait un temps à la peine de mort puis qui s’est transformé en quelqu’un qui ne se contente pas de la défendre, mais qui voudrait l’appliquer dans des cas où il n’y a pas même eu d’homicide. »

Une question se pose avec évidence après la description donnée par Herbert d’un libéralisme prostré et d’un Parti démocrate apathique (et une question que se posent des dizaines de millions de personnes dans le monde qui détestent l’administration Bush) : pourquoi ? Pourquoi le libéralisme américain est-il incapable de mener une lutte contre la droite ? Ou, pour employer les mots d’Herbert, « Pourquoi les libéraux ne montent-ils pas au créneau contre ces absurdités, je ne le sais pas. » 

Mais Herbert ne s’embarrasse pas plus de cette question. Il la laisse de côté en levant les bras au ciel et change de sujet, passant à l’histoire. S’adressant à ses compagnons libéraux, il présente une version de l’histoire dans laquelle le libéralisme a été l’unique moteur du réformisme social.

Il révèle ainsi une sérieuse méconnaissance de l’histoire des États-Unis. Herbert omet les éléments les plus importants du développement historique : l’influence des changements économiques et sociaux et le rôle central des luttes indépendantes de la classe ouvrière.

Selon Herbert, les libéraux « depuis les présidents les plus puissants jusqu’aux plus humbles manifestants et organisateurs » ont été à l'origine de, entre autres choses, la sécurité sociale, l’assurance maladie, l’assistance publique, le mouvement des droits civiques et la fin de la ségrégation, se battant toujours bec et ongles contre les conservateurs. Qu’est-il advenu de cet âge d’or ? semble demander Herbert.

En fait, cet âge d’or n’a jamais existé. Les réalisations réformistes limitées dont parle Herbert n’étaient pas dues au libéralisme, mais aux grandes luttes sociales de la classe ouvrière auxquelles le libéralisme, dans des conditions historiques précises, s’est adapté et a fait des concessions en renâclant.

De ses origines jusqu'à la fin du 18e siècle et au début du 19e, en Europe et aux États-Unis, le libéralisme a été l’idéologie de la bourgeoisie. Sa légitimité politique initiale reposait sur son engagement à parler au nom des éléments productifs de toute la nation – ce que l’on appelait en France le « Tiers-état » constitué de la bourgeoisie, des paysans et des ouvriers – unis dans la révolution sociale contre les éléments féodaux de la société : la royauté, le clergé et la noblesse. Cependant, en dépit de ses prétentions, le libéralisme a, dès le début, exprimé en politique et en économie les objectifs de la bourgeoisie. En pratique, cela a entraîné la domination de l’Etat par le capitalisme, la fin des obstacles féodaux au marché capitaliste, et la subordination de la classe ouvrière.

Contrairement à ce qui s’est produit dans les nations européennes, le libéralisme aux États-Unis durant le 19e siècle et la première moitié du 20e a progressivement adopté un ton social-réformiste. Après la défaite du Sud dans la guerre civile, la vision libérale du marché national a triomphé.

Ce n’était pas exactement un « marché libre », mais la protection et la domination du marché intérieur par le capitalisme américain. Pourtant l’influence politique du libéralisme sur les classes moyennes– petits paysans, commerçants, travailleurs indépendants – lui a permis de se présenter comme le défenseur de la démocratie face à la tyrannie du marché, une tendance qui s’est manifestée dans le mouvement populiste des paysans en 1890 et dans le mouvement progressiste du début du vingtième siècle, dont les rangs étaient majoritairement composés d’artisans, de travailleurs indépendants des classes moyennes et d’experts techniques.

En même temps, le libéralisme réagissait avec hostilité au développement de la classe ouvrière, à ses grèves de grande envergure, au mouvement syndical et aux luttes socialistes qui se sont développées des années 1870 aux années 1930, et ont constitué un sérieux défi adressé à la bourgeoisie en remettant en question son contrôle politique. La réponse privilégiée par l’état libéral à ce défi de la part de la classe ouvrière a été la force : l’utilisation des gardes privés, des briseurs de grève, de la police, des milices et des tribunaux pour écraser les grèves et emprisonner, terroriser et tuer les dirigeants de la classe ouvrière. La lutte des classes aux États-Unis à cette période a été parmi les plus sanglantes du monde.

Il ne faut pas oublier que c’est l’icône libérale Woodrow Wilson qui a fait emprisonner le meneur du socialisme américain, Eugene Debs, alors un homme âgé, parce qu’il s’était opposé à l’entrée des États-Unis dans la première guerre mondiale. L’administration Wilson a lancé la première campagne de calomnies contre les « rouges » dans la foulée de la guerre, elle a emprisonné et expulsé des milliers d’immigrés de gauche.

Cependant, en s’appuyant sur ses éléments démocratiques, le libéralisme a utilisé la carotte autant que le bâton, présentant un programme réformiste limité – de plus en plus par l'intermédiaire du Parti démocrate – et en s’appuyant sur les éléments de la classe moyenne pour établir sa base sociale.

Durant la grande dépression des années 1930, le capitalisme américain devait faire face à une crise mortelle. Les travailleurs ont mené de grandes luttes pour le droit de se syndiquer et de grandes grèves, très souvent organisées par des socialistes et des communistes. En tant qu'idéologie, le socialisme avait une influence importante sur les idées des travailleurs, des intellectuels et des artistes. Dans ces conditions, – la force de plus en plus organisée de la classe ouvrière, la menace que constituaient le socialisme et le désastre économique de la Grande Dépression – Franklin Delano Roosevelt traîna la classe dirigeante, qui freinait des quatre fers, sur la voie d'un réformisme très limité.

À l'apogée de cette crise, la faillite du libéralisme a été exposée par son meilleur philosophe et intellectuel, John Dewey, qui a écrit une série d'exposés décrivant sa contradiction indépassable – entre la « liberté » économique des capitalistes monopolistes d'exploiter et la liberté des masses de vivre une vie pleine et entière. Ce que Dewey décrivait était en essence la polarisation du Tiers-état, c'est-à-dire la fin de la prétention de la bourgeoisie à parler au nom de toute la nation.

Dewey admettait que « l'effondrement tragique de la démocratie est dû au fait que l'assimilation de la liberté avec le maximum d'actions individuelles sans entraves dans la sphère économique, dans le cadre des institutions de la finance capitaliste, est aussi néfaste pour la réalisation de la liberté pour tous qu'elle l'est pour la réalisation de l'égalité. » Dewey arrivait à envisager un libéralisme sorti de ce dilemme, il proposait un système de propriété publique, mais il n'admettait pas l'existence d'une lutte des classes et était opposé au mouvement indépendant de la classe ouvrière. Ses plans n'ont jamais quitté la planche à dessins.

Il y a une ironie monumentale dans la chronique d'Herbert. Il se lamente sur le climat politique réactionnaire devant lequel les politiciens démocrates comme Obama et Clinton courbent l'échine. Mais ce climat de réaction et d'ignorance est la conséquence finale d'un processus que le libéralisme à lui-même mis en marche par l'hystérie anticommuniste de la fin des années 1940 et des débuts des années 1950.

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le libéralisme américain s'est retourné contre ses alliés du Parti communiste stalinien et a commencé une purge des éléments de gauche dans le gouvernement, les organisations ouvrières, la culture et à l'université.

Ce n'était pas parce que le libéralisme était soudainement pris de dégoût envers les crimes de Staline. Au contraire, durant les purges sanglantes de la fin des années 1930, lors desquelles Staline avait exterminé toute la génération révolutionnaire de l'Union soviétique, le libéralisme américain – y compris ses porte-étendards journalistiques, le Nation et le New Republic – avaient défendu Staline et ses procès truqués.

Ce sont les intérêts impérialistes des États-Unis qui avaient changé. Le libéralisme et le Parti démocrate ont rompu leur alliance avec le Parti communiste et ses compagnons de route parce que l'Union Soviétique était devenue le principal obstacle à la libre projection de l'impérialisme américain sur tous les continents. Ce changement a pris Staline et le Parti communiste des États-Unis au dépourvu. Comme preuve de leur bonne foi, ils ont mené à bien une subordination de la classe ouvrière à la bourgeoisie à la manière de ce qu'avait été le Front populaire sous Roosevelt, alors même que les alliances politiques antérieures étaient en train de s'effondrer tout autour d'eux.

Le président Harry Truman, une autre icône du libéralisme, a lancé une nouvelle campagne de calomnies contre les « rouges » en 1948, pour pouvoir écraser l'opposition intérieure au programme de l'impérialisme mondial américain et pour mater la classe ouvrière américaine, laquelle émergeait de la période de l'immédiat après-guerre plus combative que jamais. Une section substantielle de l'intelligentsia libérale s'adapta à la « terreur rouge » et apporta sa contribution idéologique au projet de l'impérialisme américain, beaucoup d'entre eux ont rejoint le Comité américain pour la liberté culturelle, qui était associé au Congrès de la liberté culturelle financé par la CIA. Le rôle de ces organisations était de fournir une légitimité intellectuelle à l'anticommunisme, qui avait jusque-là été considéré comme un point de vue marginal et réactionnaire.

L'enrôlement des intellectuels libéraux n'était pas un hasard. Il reflétait leur position de classe et la richesse extraordinaire du capitalisme américain, qui s'activait à acheter des intellectuels dans les bureaucraties étatiques, à saturer d'argent les universités, et à fonder des « think tanks » (groupes de réflexion) et des fondations anticommunistes.

La campagne anticommuniste créa une atmosphère culturelle et intellectuelle délétère. Elle faisait appel aux plus bas instincts de la population – l’arriération culturelle, l'ignorance, les superstitions religieuses, la haine et la peur. L'anticommunisme devint rapidement la religion séculaire des États-Unis.

Ces caractéristiques réactionnaires de la vie politique officielle n'ont fait que se renforcer tout au long des 60 dernières années. Le résultat peut en être observé dans l'élection présidentielle actuelle, Barack Obama et les éléments libéraux des médias d'information ne peuvent s'en prendre ouvertement aux conceptions politiques théo-fascistes de Sarah Palin, la candidate républicaine à la vice-présidence, de peur d'entraîner une tempête de condamnations publiques à leur égard.

Quant aux lois sur les droits civiques des années 1950 et 1960, qui ont été adoptées dans le contexte de la Guerre froide et donc d'une compétition avec l'Union soviétique pour gagner de l'influence dans le tiers monde, l'histoire a démontré que les présidents libéraux de l'époque – Truman (démocrate), Dwight Eisenhower (républicain), John Kennedy (démocrate) et Lyndon Johnson (démocrate) – n'ont accédé à certaines des demandes de ce mouvement largement composé de noirs pauvres du Sud qu'à contrecœur. Les réformes des droits civiques n'ont principalement concerné que l'oppression légale ou quasi-légale de la population noire du Sud et n'ont pas touché les questions d'égalité sociale et économique qui animaient le mouvement pour la liberté.

La tentative du libéralisme de trouver un équilibre entre un réformisme limité, aux États-Unis, et l'impérialisme, à l'étranger, se termina lors de la guerre du Vietnam et des émeutes urbaines de la fin des années 1960 sous l'administration Johnson. Elle était tombée sous les coups des contradictions que Dewey avait étudié dans les années 1930. Elle ne pouvait pas réduire la fracture entre les conceptions monopolistiques des nantis – le projet impérialiste – et les besoins sociaux de la classe ouvrière – le projet de réformisme social.

Ensuite, et avant même que les flammes de 1968 ne soient éteintes, le déclin économique des États-Unis au cours des années 1970, dû à la guerre du Vietnam et à la réapparition de leurs rivaux capitalistes, a fragilisé les fondements des réformes économiques. Ces réformes n'avaient été rendues possibles que par l'expansion des forces productives entre les années 1940 et 1960.

L'effondrement du réformisme libéral et sa faillite intellectuelle exhibée dans la chronique d'Herbert, est la conséquence de longs processus historiques. Le libéralisme n'a jamais été une tendance qui mettait en avant les besoins de la classe ouvrière. Au vingtième siècle, il a plutôt cherché à repousser les changements fondamentaux à travers un timide agenda réformiste afin de mieux atteindre les objectifs impérialistes du capitalisme américain. Ce numéro d’équilibriste s'est révélé irréalisable.

(Article original paru en anglais le 19 septembre 2008)


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