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WSWS : Nouvelles et analyses : Economie mondiale

Cinquième conférence :

La Première Guerre mondiale : L'écroulement du capitalisme

Première partie

Par Nick Beams
11 février 2009

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Cette conférence fut donnée par Nick Beams, secrétaire national du Parti de l'égalité socialiste (Australie) et membre du comité éditorial du WSWS, lors de l'école d'été du Parti de l'égalité socialiste (USA) qui s'est tenue du 14 août au 20  août 2005 à Ann Arbor, Michigan. C'est la cinquième conférence donnée à cette école. La première « La Révolution russe et les problèmes historiques non résolus du XXe siècle » (David North),  la seconde « Le Marxisme versus le révisionnisme à l’aube du Vingtième Siècle » (David North), la troisième « Les origines du bolchévisme et Que faire ? » (David North), la  quatrième, intitulée « Le marxisme, l'histoire et la science de la perspective » (David North)  et la sixième  « Le socialisme dans un seul pays ou la révolution permanente » (Bill Van Auken) sont disponibles sur le site en langue française du WSWS. Nous publions ici la première partie de cette cinquième conférence.

La Guerre et l'Internationale de Trotsky

Dans son livre La Guerre et l'Internationale, d'abord publié sous forme périodique dans le journal Golos en novembre 1914, Léon Trotsky fournit une analyse tout à fait remarquable et pénétrante de la guerre qui avait éclatée juste trois mois auparavant. Comme tous les autres dirigeants marxistes de cette époque dont, parmi les figures principales, Lénine et Rosa Luxembourg, Trotsky était préoccupé par deux questions liées entre elles : 1) les origines de la guerre et la relation de celle-ci au développement historique du capitalisme et 2) l’élaboration d'une stratégie pour la classe ouvrière confrontée à la trahison des dirigeants de la Deuxième Internationale — par-dessus tout celle des dirigeants de la social-démocratie allemande — qui avaient reniés les décisions de leurs propres congrès et fournis un soutien à leur « propres » classes dirigeantes sur les bases de la défense nationale.

Pour Trotsky, la tâche théorique la plus pressante, dont dépendaient toutes les considérations stratégiques et tactiques, était de situer l'éruption de la guerre dans le développement historique de l'économie capitaliste mondiale.

Marx avait expliqué que l'ère de la révolution sociale survient lorsque « les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants. » A ce point, ces relations sont transformées de formes du développement des forces productives en entraves de celles-ci.

C'est en cela que réside la signification de la guerre. Elle annonçait le fait que la totalité du système de l'Etat nation, qui avait été responsable de la croissance économique sans précédent des quatre décennies précédentes — un véritable trampoline pour le bond des forces productives, ainsi que Trotsky l'avait une fois appelé — était devenu une entrave à la poursuite de leur développement rationnel. L'humanité était entrée dans l'âge de la révolution sociale.

« Les forces productives que le capitalisme a fait se développer ont dépassé les limites de la nation et de l'Etat », écrivit Trotsky dans la toute première phrase de son analyse. « L'Etat national, la forme politique actuelle, est trop étroite pour l'exploitation de ces forces productives. La tendance naturelle de notre système économique, est par conséquent de chercher à percer les limites de l'Etat. La totalité du globe, la terre et la mer, la surface tout comme l'intérieur sont devenus un seul atelier économique, dont les différentes parties sont inséparablement liées entre elles. » [1]

Pour Trotsky, ce processus, maintenant appelé mondialisation, avait une grande signification. Si l'avancée de l'humanité peut être ramené à une seule mesure, alors il s'agit sûrement de la productivité du travail, dont la croissance fournit la base matérielle pour l'avancement de la civilisation humaine. Et une productivité accrue du travail est inséparablement liée à une expansion des forces productives sur une base locale, régionale et mondiale. Le développement des forces productives sur une échelle mondiale avait progressé à un rythme rapide dans les dernières décennies du dix-neuvième siècle sous l'égide des puissances capitalistes en expansion.

Mais le processus était de plus en plus contradictoire, car, comme l'expliquait Trotsky « les Etats capitalistes en vinrent à s’affronter pour le contrôle d’un système économique s’étendant au monde entier, pour le profit de la bourgeoisie de chaque pays. Ce que la politique de l’impérialisme a démontré plus que toute autre chose, c’est que le vieil Etat national qui avait été créé lors des guerres de 1789-1815, 1848-1859, 1864-66, et 1870 a survécu à lui-même et constitue maintenant un insupportable obstacle au développement économique. La guerre actuelle est dans son fondement une révolte des forces productives contre la forme politique de la nation et de l’Etat. Elle signifie l’effondrement de l’Etat national en tant qu’unité économique indépendante. » [2]

La tâche à laquelle était confrontée l'humanité était d'assurer le développement harmonieux des forces productives qui avaient complètement débordé le cadre de l'Etat-nation. Toutefois, les divers gouvernements bourgeois proposaient de résoudre ce problème « non grâce à la coopération organisée et intelligente de tous les producteurs de l’humanité, mais par l’exploitation du système économique mondial par la classe capitaliste du pays victorieux, pays qui sera transformé par cette guerre d’un pays puissant en puissance mondiale. » [3]

La guerre, insistait Trotsky, signifiait non seulement la ruine de l'Etat national, comme unité économique indépendante, mais la fin du rôle historiquement progressiste de l'économie capitaliste. Le système de la propriété privée et la lutte consécutive pour les marchés et les profits menaçait le futur même de la civilisation.

« Le développement futur de l’économie mondiale sur une base capitaliste signifie une lutte sans fin pour des terrains d’exploitation nouveaux et sans cesse renouvelés qui doivent être obtenus d’une seule et même source, la terre. La rivalité économique sous la bannière du militarisme s’accompagne de prédation et de destruction qui violent les principes élémentaires de l’économie humaine. La production mondiale se révolte non seulement contre la confusion produite par les divisions nationales et étatiques, mais aussi contre l’organisation économique capitaliste, qui est devenue une désorganisation barbare et chaotique. La guerre de 1914 est l’effondrement le plus colossal dans l’histoire d’un système économique détruit par ses propres contradictions internes. » [4]

L'utilisation du terme « effondrement » n'était pas accidentelle. Elle constituait une référence directe aux révisions de Bernstein, qui avait cherché à retirer le cœur révolutionnaire du programme marxiste avec son insistance que « la théorie de l'effondrement » de Marx avait été réfutée par les évènements. Maintenant l'histoire avait rendu son verdict sur la controverse révisionniste. Les tendances économiques dont Bernstein soutenait qu'elles atténuaient et surmontaient les contradictions du mode de production capitaliste, avaient en fait porté celles-ci à de nouveaux et terrifiants apogées.

Cette analyse de la signification historique objective de la guerre avait des implications immédiates pour le développement d'une perspective pour la classe ouvrière. Il fallait une rupture complète avec les politiques nationalistes et gradualistes de la Seconde Internationale. Contre ceux qui maintenaient que la première tâche de la classe ouvrière était la défense nationale, après laquelle la lutte pour le socialisme pourrait reprendre, Trotsky expliquait que « Pour le prolétariat européen, il ne s'agit pas de défendre la "Patrie" nationaliste qui est le principal frein au progrès économique ».  

Le thème central parcourant toute l’analyse de Trotsky était son insistance que le développement de l’impérialisme et l’éruption de la guerre signifiaient la naissance d’une nouvelle époque dans le développement de la civilisation humaine.

« L’impérialisme » écrivait-il, « représente l’expression prédatrice d’une tendance progressiste du développement économique — la construction d’une économie humaine à l’échelle mondiale, libérée des entraves de la nation et de l’Etat. L’idée nationale, sous sa forme nue, quand on l’oppose à l’impérialisme, n’est pas seulement impotente mais aussi réactionnaire : elle fait refluer la vie économique de l’humanité dans les vêtements étriqués de la limitation nationale. » [5]

Le développement de l’impérialisme et l’éruption de la guerre étaient l’expression contradictoire du fait qu’une nouvelle forme d’organisation sociale était en gestation, luttant pour naître. En conséquence, il ne pouvait y avoir de retour au statu quo ante bellum [signifiant « comme les choses étaient avant la guerre », ndt], parce que cette époque avait vécue.

La seule façon de répondre à la « confusion impérialiste » du capitalisme consistait à « opposer à celui-ci, comme le programme pratique du jour, l’organisation socialiste de l’économie mondiale. La guerre est la méthode par laquelle le capitalisme, au point culminant de son développement, cherche à résoudre des contradictions insolubles. A cette méthode, le prolétariat doit opposer sa propre méthode, la méthode de la révolution socialiste. » [6]

On peut dire, sans avoir peur d’exagérer, que dès le tout début de la guerre toutes les ressources idéologiques et politiques des classes dirigeantes capitalistes se concentrèrent sur un point essentiel : réfuter l’analyse marxiste selon laquelle l’éruption de la Première Guerre mondiale signifiait la banqueroute historique du système capitaliste et la nécessité de son remplacement par le socialisme international de façon à mener plus avant le développement rationnel des forces productives de l’humanité.

Dans l’ardeur du conflit, les politiciens bourgeois de tous les camps cherchèrent à en faire porter la responsabilité à leurs adversaires : pour les politiciens anglais, la guerre était le résultat de l’agression allemande, qui conduisit à la violation de la neutralité belge ; pour la classe dirigeante allemande, le problème était la barbarie russe et la tentative des autres puissances de refuser à l’Allemagne sa place légitime dans l’ordre économique mondial ; pour la bourgeoisie française, la guerre était menée contre l’oppression allemande, malgré l’alliance avec l’autocratie tsariste. A la fin de la guerre, les vainqueurs tentèrent de s’absoudre eux-mêmes de la responsabilité de la conflagration en écrivant dans le Traité de Versailles la clause de la « responsabilité de la guerre » faisant porter la faute à l’Allemagne.

Pour l’historien américain devenu président, Woodrow Wilson, c’étaient les méthodes politiques du dix-neuvième siècle qui étaient responsables de la guerre, fondées sur ce qu’on appelait l’équilibre du pouvoir, la diplomatie secrète et les alliances. L’analyse de Wilson était motivée, au moins en partie, par sa compréhension que si le capitalisme résistait au choc de la guerre, il faudrait promouvoir une nouvelle perspective faisant appel à la démocratie et à la liberté. De façon significative, alors qu’il préparait les fameux Quatorze Points sur lesquels il allait fonder les efforts américains pour réorganiser l’ordre d’après-guerre et pour donner au monde la sécurité nécessaire à la démocratie, Wilson étudia le livret de Trotsky La Guerre et l'Internationale.

Après la fin de la guerre, le premier ministre pendant la guerre, Lloyd George, tenta d’absoudre tous les politiciens bourgeois du blâme de la conflagration. Elle était survenue presque par inadvertance, une sorte de confusion. Personne « à la tête des affaires ne voulait vraiment la guerre » en juin 1914, expliqua-t-il. Ce fut quelque chose où « ils glissèrent ou plutôt chancelèrent et trébuchèrent. » Il devait répéter cet argument dans ses mémoires de la guerre. « Les nations glissèrent par-dessus le bord et tombèrent dans le chaudron bouillonnant de la guerre sans aucune trace d’appréhension ou de désarroi. » Personne ne voulait la guerre. [7]

Plus de neuf décennies plus tard, la question des origines de la Première Guerre mondiale a toujours une grande importance et une grande signification. La raison n’est pas difficile à trouver. Elle tient dans le fait, comme le formule l’historien américain et analyste de politique étrangère, George F. Kennan, que la guerre fut « la grande catastrophe séminale de ce siècle ». Les massacres routiniers dans les tranchées, dans lesquels vague après vague de jeunes gens — certains à peine plus que des enfants — étaient envoyés à maintes reprises « monter à l’assaut », inaugura une nouvelle époque de barbarie et entraîna la mort de millions de personnes.

Quelles sont les origines de cette catastrophe ? Sont-elles enracinées dans le mode de production capitaliste lui-même ? S’il en est ainsi, ceci n’établit-elle pas la nécessité de l’abolition du capitalisme ? Ces questions n’ont rien perdu de leur importance. La raison en tient au fait que, selon les mots de l’éminent historien français Elie Halevy, « La crise mondiale de 1914-18 ne fut pas seulement une guerre — la guerre de 1914 — mais une révolution — la révolution de 1917. » La révolution ne fut pas simplement un produit de la guerre. Elle fut conçue par sa direction comme ouvrant le chemin vers l’avant pour le développement de l’humanité, loin de la barbarie dans laquelle elle avait été plongée par les classes dirigeantes capitalistes.

 

Notes:
[1] War and the International (Colombo: Young Socialist Publications, 1971), p vii.
Traduit de l’anglais [N.D.T. : La traduction française disponible sur : http://www.marxists.org/francais/index.htm étant approximative, nous avons préféré retraduire depuis l’anglais, plus proche de l’original allemand]
[2] Traduit de l’anglais  Ibid, p. vii.
[3]
Traduit de l’anglais  Ibid, p. vii.
[4]
Traduit de l’anglais  Ibid, p. viii.
[5] Traduit de l’anglais  “Imperialism and the National Idea,” in Lenin’s Struggle for a Revolutionary International (New York: Pathfinder Press), pp. 369-370.
[6]
Traduit de l’anglais  War and the International, pp. vii-x.
[7]
Traduit de l’anglais  Cited in Hamilton and Herwig, Decisions for War, 1914-17 (Cambridge, 2004), p. 19.

(Conférence originale anglaise parue le 21 septembre 2005)

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