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France : Entretien avec Alain Krivine du NPA

Par Alex Lantier
18 février 2009

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Des reporters du World Socialist Web Site ont interviewé Alain Krivine lors du congrès fondateur du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA.) Les réponses données par Krivine, dirigeant historique de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) clarifient la signification politique de la décision de la LCR de se dissoudre dans le NPA et de répudier toute association avec le trotskysme.

Après avoir exprimé sa satisfaction sur le déroulement du congrès du NPA jusque-là, Krivine a répondu aux questions des reporters du WSWS sur son analyse de la crise économique en adoptant une position équivoque : « je ne suis pas économiste ; je pense que personne n’est capable dire combien de temps elle va durer et les ravages qu'elle va faire, mais c'est des ravages considérables. »

Quand on lui a demandé quelles seraient selon lui les conséquences politiques de la crise économique, il a répondu : « Quand vous avez une situation de détresse dans la vie des gens, il y a deux réponses possibles : soit les gens résistent, ripostent, c'est l'explosion, soit les gens se replient sur eux, ne croient plus à la lutte, c'est le sauve-qui-peut individuel. On peut avoir les deux, donc, moi, je suis prudent. »

Faisant référence, comme étant un signe encourageant, aux 2,5 millions de grévistes qui ont participé à la journée d’action du 29 janvier organisée par les syndicats, il a ajouté, « Donc j'ai dit qu’il y a une situation potentiellement explosive, est-ce qu'elle explosera... ? » Et il a haussé les épaules.

Sur l’élection d’Obama, Krivine a dit, « Obama, nous on n'a pas d'illusions, il a le soutien des gros banquiers, il est pro-capitaliste. » Mais il s’est empressé d’ajouter, « Maintenant, on n'est pas neutre non plus, c'est vrai qu'élire un Noir, avec tout ce que cela représente aux Etats-Unis, c'est un pas en avant considérable. »

Détaillant ses remarques, Krivine a contredit sa déclaration selon laquelle il ne se faisait aucune illusion sur Obama. « L'aspect positif, c'est qu’aux Etats-Unis, ça change tout », a-t-il dit. « Le deuxième aspect politique, c'est qu'il a remobilisé le peuple américain et ça c'est un aspect positif, les gens sortent dans la rue pour l'aider… On y fera des réformes mieux que Bush, faut pas être pire que Bush, donc ça peut être un mot sur le chômage, piquer un peu de fric aux patrons. »

Quand on lui a demandé comment il voyait les relations entre les Etats-Unis et l’Europe dans une situation politique dominée par les guerres et les interventions étrangères, Krivine a répondu, « l'Europe maintenant c'est de la rigolade, c'est les Américains qui dominent, donc l'Europe telle qu'elle est, alors par rapport aux Etats-Unis avec des nuances ça changera pas tant que c'est une Europe capitaliste. » Et il a ajouté, « Je pense qu'avec Obama l'Europe va s'entendre un peu mieux, il sera un peu moins repoussoir que Bush. »

A la question de savoir quelle perspective le NPA apporterait aux luttes des travailleurs, il a dit que le but du NPA est d’« aider dans les luttes — on n'est pas des syndicalistes, on essaie d'amener de la politique, d’essayer d’arriver a une coordination des luttes, de faire en sorte qu'on soit pas chacun dans son coin. » Ne se laissant pas arrêter par l’hostilité publique des syndicats à une telle perspective dans tous les mouvements de grèves importants de ces dernières années, il a poursuivi : « L'idée globale c'est d’arriver à un “tous ensemble”, à la grève générale, c'est clair. »

S’exprimant dans des phrases soigneusement choisies et elliptiques, Krivine a tracé les grandes lignes d’une perspective consistant à ne pas appeler à une lutte révolutionnaire, mais au cas où une telle situation se produirait, à l’utiliser pour former un gouvernement de coalition avec les partis bien établis de la gauche bourgeoise française, c’est à dire avec le Parti socialiste (PS) et le Parti communiste (PC). Il a dit que le NPA oeuvrerait de façon à ce que « si demain il y a une grève générale, ça dépend pas de nous, comme en 68 ça se termine mieux, c'est-à-dire que cela pose vraiment le problème du pouvoir, quel type de société on construit, y compris comment, on peut changer de pouvoir. »

Interrogé sur la manière dont le NPA essaierait d’agir différemment par rapport à 1968, Krivine a dit, « [En 1968] il aurait fallu que les gens apprennent à élire des collectifs de grève, élire des délégués et les faire monter sur Paris, c'est a dire construire un pouvoir peut-être pas légal, mais légitime, un contre-pouvoir légitime qui aurait pu être candidat au pouvoir. »

Mais Krivine s’est montré hostile à la prise du pouvoir par les travailleurs et insisté sur le rôle des coalitions de partis existants de l’establishment politique français : « Il y a eu des manifestations fin 68 où des centaines de milliers de gens appelaient le pouvoir aux travailleurs, ça ne voulait rien dire, à qui, pour quoi, donner à qui le pouvoir, et les partis politiques à l'époque n'en voulaient pas, c'était le PC. Le PS était absent. Nous on était tout petits, étudiants, donc il n'y avait personne qui était candidat au pouvoir.

Quand on lui a demandé si le NPA aujourd’hui essaierait de prendre le pouvoir, Krivine a répondu : « Pas forcément, non, mais je dirais que j'espère d'abord par exemple une association nationale des grévistes, un mouvement de grève dans lequel des partis politiques comme nous joueraient un rôle. »

L’orientation principale du NPA se tourne vers la construction d’une nouvelle coalition de « gauche. » Quand les reporters du WSWS lui ont demandé avec quels autres partis le NPA pourrait construire une telle coalition, Krivine a répondu : « J'en sais rien, je sais pas dans quel état sera le Parti communiste. A cette époque, il est en pleine crise, il y aura peut-être des scissions plus importantes que Mélenchon [qui vient de fonder le Parti de Gauche et qui appelle à une alliance électorale avec le NPA] dans le Parti socialiste. Il y a d'autres groupes de l'extrême-gauche qui ne sont pas au NPA : Lutte ouvrière, les Alternatifs, ils ne sont pas très nombreux, mais il y a des petits mouvements qui ne viennent pas au NPA, bon pour leurs raisons, mais qui ne sont pas négligeables non plus. »

Le but de Krivine, dans une situation de regain révolutionnaire de la classe ouvrière contre le capitalisme français, est donc de travailler avec les partis de gauche de l’establishment pour partager le pouvoir d’Etat.

Une telle perspective est totalement incompatible avec le trotskysme, c'est-à-dire le marxisme révolutionnaire. Des alliances comprenant le PS et le PC, deux défenseurs chevronnés du capitalisme français, ont présidé à la reprise du travail et à la trahison de deux situations révolutionnaires extrêmement prometteuses : la grève générale de 1936 sous le gouvernement de Front populaire comprenant le Parti socialiste et le Parti radical bourgeois et la grève générale de 1968 qui avait été lancée contre le gouvernement du général Charles de Gaulle.

Dans ses écrits après la trahison de la grève générale de 1936, Trotsky insista sur le fait que les luttes révolutionnaires ne pouvaient réussir en France que sur la base d’une rupture politique et organisationnelle d’avec ces partis : « Ce qui peut sauver la situation c’est la création d’une véritable avant-garde révolutionnaire de plusieurs milliers d’hommes, ayant une compréhension claire de la situation, complètement émancipée de l’influence de l’opinion publique bourgeoise et petite-bourgeoise (socialiste, communiste, anarcho-syndicaliste, etc.) et prête à aller jusqu’au bout. Une telle avant-garde saura comment se frayer un chemin vers les masses. » [Retraduit de l’anglais.]

A l’opposé, Krivine propose de construire des alliances avec ces partis. Ce n’est pas une coïncidence si malgré des références occasionnelles favorables, Krivine considère le trotskysme et l’histoire de la Quatrième Internationale, fondée par Trotsky, avec hostilité et mépris. Interrogé sur la signification de l’héritage de Trotsky aujourd’hui, Krivine a répondu : « Le mérite de Trotsky, qui a fait des conneries, c'est d'avoir organisé la lutte contre le stalinisme. »

Une telle position cache une contradiction énorme : Krivine prétend que son intérêt pour le trotskysme vient de la lutte contre le stalinisme et pourtant aujourd’hui il envisage le PC stalinien comme partenaire possible d’une coalition.

Quand on lui a demandé quelles étaient selon lui les erreurs de Trotsky, Krivine a répondu : « Je crois qu'il s'est trompé sur le stalinisme. Il a écrit qu'après le stalinisme, un socialisme démocratique allait exploser. Mais, c'est pas le socialisme démocratique qui est revenu, c'est l'horreur, c'est le capitalisme sauvage avec Poutine et tout. Donc ce pronostic, il avait bien prévu que ça allait se casser la gueule, le stalinisme, mais il s'est trompé sur ce qui allait le suivre. »

Ici Krivine est tout bonnement en train de falsifier la position de Trotsky qui a exprimé, le plus notoirement peut-être dans La Révolution trahie son jugement sur l’avenir de l’URSS : « l'évolution des contradictions accumulées peut aboutir au socialisme ou rejeter la société vers le capitalisme; la contre-révolution en marche vers le capitalisme devra briser la résistance des ouvriers; les ouvriers marchant vers le socialisme devront renverser la bureaucratie. La question sera tranchée en définitive par la lutte de deux forces vives sur les terrains national et international. »

Le sens de la falsification de Krivine est de faire porter la responsabilité pour cette trahison de la révolution socialiste au sein de l’URSS, non sur les intéressés, c'est-à-dire la bureaucratie soviétique et ses complices internationaux tels le PC vers lequel Krivine oriente le NPA, mais sur le cours des événements dont Krivine voir l’issue comme essentiellement inévitable.

Les reporters du WSWS ont demandé à Krivine son opinion sur la scission de 1953 dans la Quatrième Internationale, au cours de laquelle le Comité international de la Quatrième Internationale avait été fondé par ceux qui étaient hostiles à une orientation vers les partis staliniens, tandis que les prédécesseurs de la LCR soutenaient une tactique consistant à faire un travail politique à l’intérieur des partis staliniens et à essayer d’influencer leur ligne politique. Krivine a répliqué, « Moi je crois que c'est un débat complètement dépassé maintenant. »

S’il y a quelque chose de positif à tirer de ce congrès du NPA, c’est précisément qu’il clarifie la position adoptée par Krivine, la LCR et le NPA sur l’héritage politique de Trotsky. L’opinion de Krivine sur l’héritage de Trotsky et l’histoire de la Quatrième Internationale est liée à une orientation politique bien définie : le rejet manifeste du socialisme et la formation d’un « parti anticapitaliste » fourre-tout de la gauche petite-bourgeoise, qui pose les fondations d’une participation à des gouvernements de coalition bourgeois.

(Article original anglais paru le 12 février 2009)

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