World Socialist Web Site www.wsws.org

WSWS : Nouvelles et analyses : Asie

L’agitation au Xinjiang révèle la fragilité de l’Etat chinois

Par John Chan
16 juillet 2009

Retour | Ecrivez à l'auteur

Les protestations du 5 juillet des travailleurs et des étudiants ouïgours au Xinjiang et la brutale réaction militaire du gouvernement chinois ont révélé qu’à l’approche des célébrations du 60e anniversaire de la révolution de 1949, les fondations même d’une Chine unifiée comptant 1,3 milliard de personnes, 56 nationalités ethniques et de nombreuses différentes langues sont remises en question.

Les promesses de la révolution chinoise de construire un pays socialiste fondé sur l’égalité de la propriété commune des moyens de production unifiant ainsi les masses de travailleurs et de paysans de tous horizons ethniques se sont depuis longtemps évanouies.

La violence de la police militaire ainsi que la violence communautaire qui ont coûté la semaine dernière des centaines de vies à Urumqi ont souligné les divisions évidentes causées par la distribution inégale de la richesse sociale et qui existent entre les classes, les groupes ethniques et les régions géopolitiques de par la Chine. Dans le même temps, le déploiement à Urumqi et dans d’autres villes du Xinjiang de troupes lourdement armées a une fois de plus montré comment on impose l’exploitation capitaliste.

Aucun dirigeant mondial n’a ouvertement dénoncé la répression militaire commise au Xinjiang par la direction du Parti communiste chinois (CCP), à part le premier ministre turc, Tayyip Erdogan, qui a déclaré, dans le but d’en appeler au nationalisme pan-turquiste de la scène domestique que c’était « une sorte de génocide » des Ouïgours qui parlent la langue ouïgoure.

En effet, les gouvernements de l’impérialisme mondial ne savent que trop bien que des violents conflits sociaux et ethniques sont inévitables dans un Etat où les travailleurs gagent en moyenne des salaires horaires ne dépassant pas 20 centimes de dollars américains de l’heure alors que dans le même temps, le pays dispose du deuxième groupe de milliardaires (101 en 2008) le plus important du monde après les Etats-Unis.

Dru Gladney, un spécialiste des questions ethniques de Chine, avait mis en garde dans le Wall Street Journal le 12 juillet qu’« Une Chine affaiblie par un conflit interne, par l’inflation, par une croissance économique inégale ou la lutte pour la succession politique pourrait être en proie à davantage de divisions selon des lignes culturelles et linguistiques. Les menaces auxquelles la Chine est confrontée auront probablement pour origine des troubles civils et peut-être d’une agitation ethnique interne venant de la soi-disant majorité Han. Nous devons rappeler que c’était quelqu’un du Sud [Sun Yat-sen], né et éduqué à l’étranger, qui avait dirigé la révolution qui a mis fin à la dernière dynastie chinoise. Quand cet empire est tombé, les seigneurs de guerre rivaux, souvent soutenus par des puissances étrangères, se livrèrent des luttes d’influence. »

La source des conflits avait été l’incapacité de la bourgeoisie chinoise, menée par Sun, de créer un Etat national unifié à cause de ses liens avec les seigneurs de guerre et les puissances impérialistes et sa crainte de mobiliser les masses opprimées. Cette tâche fut laissée à la jeune classe ouvrière chinoise, inspirée par la Révolution russe de 1917. Toutefois, l’étouffement de la révolution chinoise de 1927 en raison de la politique opportuniste de la bureaucratie stalinienne obligeant le CCP à se subordonner au régime bourgeois du Kuomintang (KMT), laissa la Chine vingt ans de plus dans un état de démembrement et le régime KMT à peine en mesure de contrôler les régions lointaines telles le Xinjiang.

La crise politique actuelle au Xinjiang est le résultat de l’évolution historique de l’Etat chinois établi en 1949. La révolution organisée par les maoïstes n’était ni socialiste ni communiste. En 1949, le CCP avait depuis longtemps coupé les liens avec la classe ouvrière urbaine en faveur de la paysannerie. L’unification de la Chine sous Mao, dans les conditions exceptionnellement favorables créées par la Guerre froide et l’effondrement de tous les anciens empires coloniaux, faisait partie de la théorie stalinienne des « deux étapes » : le Parti communiste devant d’abord accomplir les tâches bourgeoises nationales démocratiques avant d’engager la lutte pour le socialisme. Dans les centres urbains de la Chine, la classe ouvrière fut impitoyablement réprimée par l’armée paysanne de Mao.

Xinjiang qui avait été dirigé par des nationalistes ouïgours et des seigneurs de guerre chinois, souvent en tant que vassaux de Staline, dans les années 1930 et 1940, fut incorporé de force et par des manœuvres politiques dans le régime de Mao, et non par l’implication démocratique et consciente des masses opprimées. La politique ethnique maladroite de Beijing d’imposer des restrictions religieuses et son indifférence à l’égard des coutumes régionales était enracinée dans la consolidation par Mao d’un Etat national et d’une industrie nationale non seulement à l’encontre des puissances occidentales mais aussi du régime de Staline en URSS. Du fait de son enclavement, Xinjiang devint l’« arrière-cour » de la Chine, un site pour les essais nucléaires et les installations d’armes nucléaires.

Le tournant opéré par Mao en 1971 vers l’impérialisme américain et qui fut marqué par la visite du président américain Nixon et la politique qui s’ensuivit, ont déchaîné les forces qui à présent une fois de plus menacent de faire éclater la Chine. Dans les années 1980, le soutien apporté par la Chine aux opérations américaines à l’intérieur de l’Afghanistan sous occupation soviétique, notamment la guérilla moudjahidin, a créé la base pour l’islam au Xinjiang même.

Dans les années 1990, l’effondrement de l’URSS et la séparation des républiques soviétiques d’Asie centrale ont offert l’opportunité à l’impérialisme américain de pénétrer dans la région, y compris Xinjiang. Cherchant à contrer cette pression, Beijing, dans le but de consolider son contrôle, décida d’accroître massivement la migration des Han vers le Xinjiang.

Ceci fut suivi par l’ouverture de régions entières de la Chine à la pénétration de capitaux étrangers résultant ainsi dans l’aggravation des tensions sociales et nationales. Depuis la mise en œuvre du programme « Go west » par Beijing en 2000 pour exploiter les vastes ressources minérales de la région, Urumqi a enduré l’arrivée de centres commerciaux, de tours de bureaux, de grands magasins et de banques étrangères. Avec 30 milliards de tonnes de pétrole, Xinjiang détient un tiers des réserves de pétrole de la Chine, 40 pour cent de son charbon et représente une base majeure des récoltes industrielles telles que le coton. De plus, Xinjiang est à présent la nouvelle frontière par où le capital chinois part sillonner l’Asie centrale en quête de pétrole et de gaz, dans une semi-alliance avec la Russie.

Alors qu’une section de l’élite ouïgoure liée au CCP est devenue une partie de la nouvelle élite chinoise riche, la majorité des masses ouïgoures sont les laissés pour compte, faisant l’objet de  discrimination linguistique relative à l’emploi, ayant un niveau d’éducation inférieur mais avant tout faisant partie des nombreux travailleurs pauvres de la Chine. Selon certaines évaluations, Xinjiang figure à présent parmi les provinces économiquement les plus inégales de Chine, quand bien même il dispose du revenu par habitant le plus élevé du pays, hormis les provinces les plus développées du Sud-Ouest.

Une section de l’élite ouïgoure qui veut une part plus grande des profits provenant de l’ouverture de Xinjiang cherche à établir des relations indépendantes avec les principales puissances occidentales. Cette tendance est menée par la dirigeante ouïgoure exilée Rebiya Kadeer qui était l’une des femmes les plus riches de Chine et une personnalité de haut rang de la Chambre de commerce de Xinjiang et de la Conférence consultative politique du peuple chinois (un comité de multimillionnaires censés conseiller le CCP). Tout en manipulant les injustices ressenties par les masses ouïgoures, cette couche de la bourgeoisie partage l’hostilité de classe qu’éprouve Beijing envers la population laborieuse ordinaire.

L’image inversée du séparatisme est la montée du chauvinisme Han après le massacre de la place Tiananmen en 1989 quand le régime stalinien a brutalement écrasé la résistance de la classe ouvrière contre sa politique pro-capitaliste. Avec la diminution de sa base de soutien traditionnelle parmi la paysannerie, le CCP a promu sciemment le nationalisme chinois afin de créer une base parmi les classes moyennes, un processus qui ne peut qu’exacerber la fracture de l’unité nationale.

Alors que le régime du CCP tient à présent le pays en recourant à la répression par la police militaire, il ne peut arrêter les puissantes tendances centrifuges sociales, ethniques et géographiques. A moins que et jusqu’à ce que la classe ouvrière chinoise intervienne avec un programme internationaliste révolutionnaire et socialiste pour unifier la population laborieuse de toutes appartenances ethniques confondues contre toutes les formes de nationalisme et de chauvinisme, l’issue inévitable sera une intensification de la violence communautaire accompagnée d’un danger grandissant de guerre civile.

(Article original paru le 13 juillet 2009)

Untitled Document


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés