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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

Washington en conflit avec le président afghan au sujet des élections anticipées

Par James Cogan
9 mars 2009

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Le président afghan Hamid Karzaï a signé un décret ce week-end pour demander que les élections présidentielles aient lieu 30 à 60 jours avant l’expiration de son mandat le 21 mai. Face à une situation sécuritaire qui se dégrade et à une aggravation de la guerre, cette décision s’est heurtée à l’opposition non dissimulée du gouvernement Obama. Elle révèle davantage encore la fracture entre la Maison-Blanche et son Etat client à Kaboul.

La secrétaire d’Etat Hillary Clinton aurait immédiatement appelé Karzaï pour condamner son initiative. Le décret signé par ce dernier a passé outre la commission électorale du pays qui, sur le conseil des Etats-Unis, avait reporté les élections jusqu’au 20 août. Le report avait été justifié au motif que l’envoi par Obama de milliers de soldats supplémentaires dans les prochains mois permettrait la tenue d’élections dans des régions qui, pour le moment, sont contrôlées par les talibans ou d’autres insurgés anti-occupation.

La décision de la commission électorale était cependant en violation de la constitution afghane et mettait en cause le statut de Karzaï durant la période du 21 mai au 20 août. Ses principaux adversaires au parlement afghan avaient soutenu ces dernières semaines qu’il devrait se désister et permettre à un gouvernement intérimaire d’être formé. L’un des noms proposés comme président Afghan par intérim fut celui de l’ancien ambassadeur du gouvernement Bush en Afghanistan, puis en Irak et aux Nations unies, Zalmay Khalilzad.

Karzaï a devancé toute tentative de l’écarter en appelant à des élections anticipées. En tant que participant de plus de trente ans aux intrigues machiavéliques de l’impérialisme américain dans la région, Karzaï sait qu’une telle manœuvre pourrait être utilisée comme une excuse pour l’écarter de façon permanente. En conservant la présidence durant les élections, il compte disposer des ressources de l’Etat pour promouvoir sa réélection.

Karzaï se trouve sans aucun doute sous pression américaine pour révoquer son décret. Qu’il le fasse ou non, ses jours politiques sont comptés. Non seulement il a provoqué la colère des responsables et des commandants américains en condamnant les frappes aériennes américaines et autres opérations ayant causé la mort de civils afghans, mais son gouvernement est dysfonctionnel.

Le gouvernement Obama n’a pas caché sa volonté de se passer de la prétention du gouvernement Bush d’instaurer la « démocratie » en Afghanistan. Le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, avait récemment ridiculisé ces anciennes prétentions, déclarant devant le Congrès que « si nous nous donnons pour objectif la création là-bas d’une sorte de Valhöll d’Asie centrale, nous perdrons ».

L’attitude de l’actuelle Maison-Blanche est motivée par une évaluation pragmatique des intérêts stratégiques américains en Afghanistan et dans la région en général. En dépit de plus de sept ans d’occupation américaine, des millions d’Afghans n’acceptent pas la légitimité du gouvernement Karzaï qui a seulement pu être maintenu grâce à la présence d’armées étrangères. Les talibans et les autres groupes insurgés contrôlent de vastes portions du territoire, notamment dans les provinces pachtounes du Sud, et y mènent une guerre de guérilla continue.

Le nombre des victimes américaines et de l’OTAN est en nette augmentation. En janvier et en février, 48 soldats étrangers ont perdu la vie, plus du double de ceux tués durant les deux premiers mois de 2008. Les forces de sécurité afghanes ont subi des pertes plus grandes encore. Quelque 1200 policiers furent tués l’an dernier.

Le gouvernement Karzaï et les forces de sécurité afghanes créées par les Etats-Unis sont démoralisés et profondément corrompus. Le versement de pots de vin, le chantage et le vol tout court sont monnaie courante. De hauts fonctionnaires, y compris le frère de Karzaï, sont accusés de prendre part au trafic de drogue. La principale priorité des actuels responsables afghans semble être d’accumuler autant de richesse que possible avant d’être obligé de fuir un retour des talibans.

Cherchant à tout prix à éviter en Afghanistan une défaite qui irait à l’encontre des intérêts américains en Asie centrale, Obama et son personnel parlent à présent d’objectifs « possibles à atteindre » plutôt que de démocratie. Tout en déployant 17.000 soldats supplémentaires pour intensifier la guerre, le gouvernement envisage aussi la possibilité d’incorporer dans le gouvernement afghan des éléments de l’insurrection anti-américaine.

Le général David Petraeus, qui a dirigé une série de négociations avec des éléments de l’insurrection irakienne en 2007 et qui a à présent pris le commandement des forces américaines en Asie centrale, a dit que les Etats-Unis chercheront à négocier avec certaines factions talibanes et qu’ils étaient disposés à conclure un accord.

Al Jazeera a rapporté la semaine passée que des responsables américains et britanniques ont déjà engagé des pourparlers avec le mouvement Hezb-é islami dirigé par le seigneur de guerre pachtoune, Gulbuddin Hekmatyar. Hekmatyar avait obtenu un financement des Etats-Unis pour combattre l’occupation soviétique en Afghanistan dans les années 1980. Après le retrait soviétique, il mena une guerre civile meurtrière contre d’autres factions, prit le contrôle de Kaboul et s’érigea lui-même en premier ministre du pays. Les talibans le chassèrent du pouvoir en 1996. En 2002, toutefois, après avoir été privé d’un poste dans le gouvernement fantoche américain, il fit appel à ses partisans pour prendre les armes contre l’occupation aux côtés des talibans.

Si Hekmatyar et des éléments talibans pouvaient être achetés cela aurait un impact considérable sur l’intensité de la résistance armée anti-américaine, notamment dans les provinces de l’Est du pays et dans certaines agences tribales au Pakistan. Un tel marché nécessiterait toutefois un réalignement du dispositif factionnel à Kaboul et se ferait presque inévitablement aux dépens de Karzaï, qui ne dispose d’aucune base de pouvoir propre et qui avait tout simplement été le dirigeant du régime fantoche américain.

Si Karzaï ne part pas de son plein gré alors d’autres méthodes pourraient être employées. Il y eut une indication de la discussion de la Maison-Blanche sur le sujet dans l’éditorial du 17 février du Wall Street Journal. Après avoir signalé les tensions intenses qui existent entre Washington et Karzaï, le journal déclare prudemment : « M. Obama et le vice-président Joe Biden qui avait quitté furieux une réunion avec M. Karzaï l’année dernière, devraient éviter l’erreur faite par JFK de renverser l’allié du Vietnam du Sud, Ngo Dinh Diem. »

Le sens de cela est clair. Le gouvernement Kennedy n’avait eu aucun scrupule à autoriser le renversement du loyal fantoche américain Diem en 1963 lorsqu’il devint un obstacle politique aux projets américains au Vietnam. Le Wall Street Journal n’a aucune objection à l’emploi de telles méthodes et offre quelques conseils selon lesquels une telle démarche, si elle était envisagée, pourrait facilement se retourner contre les Etats-Unis et le gouvernement Obama.

(Article original paru le 2 mars 2009)

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