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La chute du Mur de Berlin

Par Peter Schwarz
20 novembre 2009

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Le 9 novembre marque le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin. Depuis 1989, les images de gens en liesse, s’enlaçant et dansant sur le Mur après l’ouverture du poste-frontière, ont été utilisées pour symboliser l’effondrement de la RDA (République démocratique allemande) et des autres régimes staliniens qui étaient venus au pouvoir en Europe de l’Est après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

De nombreuses célébrations ont lieu en Allemagne pour marquer l’événement. Des milliers de visiteurs sont attendus des quatre coins du pays et de l’étranger pour participer à la « Fête de la liberté » (Fest der Freiheit) à la Porte de Brandebourg à Berlin. Participeront à la cérémonie entre autres, le président français, Nicolas Sarkozy, le président russe Dmitri Medvedev, le premier ministre britannique Gordon Brown et la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton.

L’enthousiasme populaire réservé à l’événement est toutefois limité. Selon un récent sondage d’opinion, quelque 23 pour cent des Allemands de l’Est s’estiment être les perdants de la réunification allemande. 30 pour cent croient en une amélioration des voyages, du logement et de la liberté mais voient de façon négative les développements survenus dans le domaine des revenus, de la santé, de la sécurité sociale et de la justice sociale. Seuls 32 pour cent évaluent leur situation économique comme « bonne », contre 47 pour cent en 1999.

La contradiction entre l’enthousiasme officiel et le mécontentement populaire en dit long sur la signification réelle des événements de novembre 1989. Les efforts entrepris par les médias pour glorifier ces événements comme étant le commencement d’une nouvelle ère de la démocratie, de la liberté et de la paix sont d’autant plus grands qu’il s’avère que ce n’était absolument pas le cas. Il existe peu d’événements de l’histoire contemporaine qui furent autant mystifiés que la fin de la RDA.

La chute du Mur a initié la fin d’un régime dictatorial qui avait opprimé tout signe d’opposition, notamment des travailleurs, en employant une armée d’agents secrets. Toutefois, il a été remplacé non pas par la démocratie, mais par une autre dictature, la dictature du capital. Suie à la chute du Mur, la vie des Allemands de l’Est a changé de façon spectaculaire, et ce sans consultation ou participation démocratique de la population.

En tout, 14.000 entreprises étatisées ont été vendues, transformées ou liquidées par la Treuhandanstalt (institution chargée de privatiser l’économie) dont les personnalités en vue étaient des représentants de grands groupes ouest-allemands, quelque 95 pour cent des entreprises privatisées ont été acquis par des propriétaires venus hors de l’Allemagne l’Est. En l’espace de trois ans, 71 pour cent de l’ensemble des salariés avaient soit perdu soit changé de travail. Jusqu'en 1991, 1,3 million d’emplois avaient été détruits et un autre million durant les années qui ont suivi. Le nombre des travailleurs employés aujourd’hui dans les industries productives correspond à un quart de ce qu’il était en 1989.

De vastes couches de la population est-allemande ont rapidement perdu espoir dans l’avenir. La baisse du taux de natalité est un indice évident de ce processus. Elle a baissé de 199.000 nouveau-nés en 1989 à 79.000 en 1994.

Les conséquences de cette dévastation industrielle et sociale persistent à ce jour. La population totale des nouveaux Länder fédéraux s’élève à 13 millions, nettement moins que les 14,5 millions en RDA. Vingt ans après la chute du Mur, en moyenne 140 Allemands de l’Est émigrent encore quotidiennement vers l’Ouest.

Des années durant, le taux de chômage a plafonné à 20 pour cent. Il n’est tombé au taux actuel de 12 pour cent qu’au cours de ces cinq dernières années. Toutefois, cette réduction n’est pas due à la création de nouveaux emplois stables, mais à l’extension d’emplois à bas salaires et d’emplois intérimaires. Un salarié sur deux travaille en Allemagne de l’Est pour un salaire horaire inférieur à 9,20 euros. La moyenne du salaire brut se situe, à 13,50 euros l’heure, bien en dessous du niveau des 17,20 euros de l’Allemagne de l’Ouest.

La revendication pour des « élections libres », qui avait été en automne 1989 au cœur des manifestations contre le régime en RDA, a cédé la place à la déception quant à la démocratie bourgeoise. Au cours des dernières élections législatives fédérales, seuls 60 pour cent de l’électorat de l’Allemagne de l’Est a voté. Lors des élections municipales et des élections au niveau des Länder, le taux de participation avait encore été plus bas.

Un autre mythe concernant l’automne 1989 est que c’était le peuple qui, dans une « révolution pacifique, avait renversé le régime du SED (le parti stalinien de l’ancienne RDA, Parti socialiste unifié d’Allemagne). »

Les manifestations de masse qui s’étaient propagées sur l’ensemble du pays durant les deux mois qui avaient précédé la chute du Mur ont certes contribué au rapide effondrement de la RDA, mais l’impulsion était venue d’ailleurs. Les manifestants enfonçaient une porte ouverte. Au moment où la première « manifestation du Lundi » se déroulait à Leipzig le 4 septembre, la fin de la RDA avait déjà été scellée.

La décision avait été prise à Moscou où Mikhaïl Gorbatchev était arrivé à la tête de l’Union soviétique en 1985. Dans le cadre de la « Perestroïka », il avait fixé le cap de la restauration du capitalisme. En quête du soutien des puissances occidentales il coupa les liens avec les nations « frères » est européennes en accordant une priorité absolue aux intérêts économiques soviétiques et en réclamant les prix en vigueur sur le marché mondial pour les exportations soviétiques.

Ceci poussa la RDA, qui était fortement tributaire de l’Union soviétique pour son approvisionnement énergétique, au bord de la faillite. Sous la pression des problèmes financiers d’une part et du mécontentement de la population d’autre part, le SED se tourna vers le gouvernement ouest-allemand des crédits duquel il dépendait depuis longtemps.

Günter Mittag, le responsable des questions économiques durant de nombreuses années, devait admettre plus tard au magazine Der Spiegel qu’il avait su dès 1987 que « tout était perdu ». Et Hans Modrow, le dernier premier ministre de la RDA de novembre 1989 à mars 1990, écrira plus tard dans ses mémoires qu’il avait considéré que « la voie vers l’unification de l’Allemagne était incontournable » et qu’il « avait résolument emprunté cette voie. »

Contrairement aux mythes entretenus, l’initiative d’instaurer le capitalisme en Union soviétique, en Europe de l’Est et en RDA était venue de la bureaucratie dirigeante soviétique elle-même. Cette caste privilégiée avait usurpé le pouvoir en Union soviétique durant les années 1920 en évinçant, en réprimant et finalement en exterminant physiquement l’opposition marxiste.

Après la Seconde Guerre mondiale, cette bureaucratie avait étendu son pouvoir en Europe de l’Est avec l’accord des alliés occidentaux de Moscou. Elle supprima tout mouvement indépendant de la classe ouvrière, comme au 17 juin 1953, lorsqu’elle écrasa la révolte des travailleurs en RDA.

La bureaucratie stalinienne fonda son pouvoir sur les rapports de propriété établis par la Révolution d’Octobre de 1917. Elle le fit pourtant tel un parasite qui se nourrit du sang de son hôte pour en fin de compte le détruire. En suppriment toute forme de démocratie ouvrière, elle  étrangla le potentiel créatif de la propriété sociale. A un niveau international, elle étouffa, tout comme les partis communistes se trouvant sous sa tutelle, le moindre mouvement révolutionnaire. Après la Seconde Guerre mondiale, elle devint un pilier crucial du statu quo en stabilisant le régime capitaliste à l’échelle mondiale.

Cette situation ne pouvait pas durer indéfiniment. Léon Trotsky, le dirigeant de l’Opposition de Gauche contre le stalinisme, avait dès 1938 présenté l’alternative de l’avenir de l’Union soviétique. Dans le programme de fondation de la Quatrième Internationale, il avait écrit : « ou bien la bureaucratie, devenant de plus en plus l’organe de la bourgeoisie mondiale dans l’Etat ouvrier, renversera les nouvelles formes de propriété et rejettera le pays dans le capitalisme, ou la classe ouvrière écrasera la bureaucratie et ouvrira la voie vers le socialisme. »

Les changements fondamentaux dans l’économie mondiale, survenus au début des années 1980, aiguisèrent jusqu’au point de rupture les contradictions dans les pays staliniens. La mondialisation de la production ainsi que l’introduction des ordinateurs et des nouvelles technologies de communication laissèrent loin derrière les économies fondées sur l’Etat-nation de ces pays.

Les signes d’une rébellion sociale imminente se multiplièrent, notamment avec la montée du mouvement Solidarnosc en Pologne. Comme Trotsky l’avait prédit, la bureaucratie réagit en renversant les nouvelles formes des rapports de propriété et en rejetant le pays vers le capitalisme. Telle est la signification de l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev. Du même coup était aussi scellé le sort des régimes staliniens en Europe de l’Est qui devaient leur pouvoir exclusivement à Moscou.

Les manifestants qui défilaient dans les villes de la RDA à la fin de 1989 n’étaient pas conscients de ce contexte. Ils donnaient libre cours à la colère qu’ils avaient accumulée envers la bureaucratie dirigeante et au sentiment d’impuissance économique et politique. Le mouvement avait initialement débuté par une fuite vers l’Ouest. Il était socialement hétérogène et politiquement confus et n’avait ni but clairement défini ni l’entendement des forces sociales auquel il était confronté. Il se prêtait donc facilement à la manipulation et à l’exploitation.

Les porte-parole des manifestations étaient issus des mouvements de droits civils. Il s’agissait de curés, d’avocats et d’artistes dont les revendications se limitaient à une réforme du régime existant et à un dialogue avec celui-ci. Dès que le régime fit les premières concessions, le remplacement d’Erich Honecker par Egon Krenz et Hans Modrow, ils travaillèrent en étroite collaboration avec le SED dans le but de contrôler le mouvement de protestation et de remettre l’initiative entre les mains du gouvernement ouest-allemand de Helmut Kohl. Ils participèrent d’abord aux négociations de la « Table ronde » avec le gouvernement Modrow puis en tant que membres de ce gouvernement.

S'accordant pour une union monétaire avec l’Allemagne de l’Ouest au printemps de 1990, le gouvernement Modrow scella la fin de la RDA. L’introduction du deutschmark fut un cadeau empoisonné. Elle permit d’accéder à des denrées de l’Ouest très convoitées mais dans le même temps, elle occasionna l’effondrement de la base industrielle de l’Allemagne de l’Est. Les produits est-allemands affichés en deutschmark étaient devenus inabordables en Europe de l’Est et en Union soviétique, pays avec lesquels l’économie est-allemande était étroitement liée et, en raison de la faible productivité du travail, les produits de l’Est n’étaient pas compétitifs à l’Ouest.

De nombreux travailleurs participèrent aux manifestations de l’automne 1989, mais ils ne disposaient d’aucune perspective propre pour défendre leurs acquis sociaux qui étaient indissociablement liés à la propriété socialisée en RDA. Ils avaient été totalement coupés de la tradition marxiste dont ils ne connaissaient que sa perversion stalinienne qu’ils méprisaient.

Leur manque de perspective était en soi un produit de la domination, des décennies durant, du stalinisme dont le plus grand crime fut l’extermination des traditions socialistes de la classe ouvrière. Dans le but de sauvegarder son régime, Staline avait organisé, bien avant la fondation de la RDA, la liquidation d’une génération entière de marxistes révolutionnaires.

Non seulement les dirigeants de la Révolution d’Octobre furent les victimes de la « Grande Terreur » des années 1937/38, mais aussi la plupart des communistes allemands qui avaient fui l’Union soviétique pour échapper aux nazis. Ceux qui survécurent étaient des lèche-bottes serviles qui dénoncèrent leurs propres camarades aux hommes de main de Staline et qui devaient constituer plus tard la direction du SED.

Seul le mouvement trotskyste lutta d’un point de vue marxiste contre le stalinisme. Alors que les médias et les politiciens occidentaux avaient accès à la population de la RDA, les trotskystes y étaient interdits et étaient considérés jusqu’à la fin du régime comme l’ennemi numéro un.

Le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) a non seulement lutté contre le stalinisme mais aussi contre tous ceux qui s’y adaptèrent, tel le Secrétariat unifié dirigé par Ernest Mandel et qui considérait l’émergence des régimes staliniens en Europe de l’Est comme la preuve que le stalinisme pouvait jouer un rôle progressiste. Sous les conditions les plus extrêmes, le CIQI a défendu pendant des décennies le point de vue de Trotsky, à savoir que le stalinisme ne pouvait pas être réformé et devait être renversé par une révolution politique.

A l’automne 1989, la section allemande du CIQI intervint en RDA afin de conférer au mouvement de masse une orientation révolutionnaire contre le régime SED. La Ligue des Travailleurs socialistes (Bund Sozialistischer Arbeiter, BSA), le prédécesseur du Parti de l’Egalité sociale (Partei für Soziale Gleichheit), fut la seule organisation à mettre en garde contre les conséquences désastreuses de la restauration capitaliste et ce sans faire la moindre concession au SED.

Dans un appel diffusé le 4 novembre lors d’une manifestation de masse à Berlin, le BSA expliquait, « la liberté politique et les droits démocratiques ne peuvent être conquis que par une révolution politique dans laquelle la classe ouvrière renverse la bureaucratie dirigeante, l’évince de tous les postes qu’elle occupe et met en place des organes indépendants de pouvoir ouvrier et démocratiques, des conseils ouvriers, élus par les travailleurs dans les usines et les quartiers et n’étant responsables que devant eux en se basant uniquement sur leur force et leur mobilisation. »

A l’époque, Ernest Mandel s’était rendu personnellement à Berlin Est pour défendre le SED contre les critiques émises par les Trotskystes du BSA. Ses condisciples allemands participèrent à la Table ronde et plus tard au gouvernement dirigé par Hans Modrow. De cette manière, ils jouèrent un rôle crucial pour couper la classe ouvrière de la tradition marxiste et préparer le terrain pour la restauration du capitalisme.

La fin de la RDA, des régimes d’Europe de l’Est et de l’Union soviétique déclenchèrent une vague de triomphalisme au sein de la classe capitaliste et qu’elle essaie de réactiver avec les festivités actuelles. De tels efforts, toutefois, ne peuvent cacher le fait que dans le monde entier le capitalisme lui-même se trouve dans une crise profonde.

Les contradictions entre l’économie mondiale et l’Etat-nation, entre le caractère mondial de la production qui a uni des millions de travailleurs de par le globe dans un processus de production socialement unifié et la division du monde en Etats-nations rivaux, ont gravement affaibli, il y a vingt ans, les régimes staliniens. Ces contradictions se retrouvent aussi dans conflits grandissants qui se développent entre puissances impérialistes, dans l'escalade des guerres en Irak et en Afghanistan, dans les attaques incessantes contre les acquis sociaux de la classe ouvrière et l’arrogance et la cupidité de l’élite financière.

Ces contradictions mèneront inévitablement à l’éruption de conflits sociaux et de luttes révolutionnaires féroces. Les travailleurs doivent se préparer politiquement en tirant les leçons de 1989 et en adoptant le programme socialiste international défendu par le CIQI contre le stalinisme.

(Article original paru le 9 novembre 2009)

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