Avec le budget de la semaine dernière, le gouvernement libéral du Québec vient d'entamer une compression massive des programmes sociaux et des services publics qui aura des répercussions négatives pour les travailleurs, non seulement au Québec, mais à travers le Canada.
En réduisant considérablement les dépenses pour les années à venir, le budget pave la voie à des réductions de services et à des mises à pied à travers le secteur public. Il augmente aussi de nombreux frais divers et d'utilisation ainsi que des taxes à la consommation, tout en maintenant la totalité des baisses d'impôts aux entreprises, sur les gains en capital et sur les particuliers qu’ont instaurées à tour de rôle les gouvernements québécois successifs du Parti libéral et du Parti québécois au cours des quinze dernières années. Ces baisses d'impôt, tout comme celles au niveau fédéral, ont profité aux sections les plus privilégiées de la société.
Particulièrement inquiétante a été l'annonce du ministre des Finances Raymond Bachand, confirmée ensuite par le premier ministre Jean Charest, que le gouvernement prévoyait faire payer les Québécois pour les visites chez le médecin et à l'hôpital. Le budget suggère qu'un tarif de 25 $ pourrait être imposé pour chacune des dix premières consultations au cours d'une même année.
D'après la Loi canadienne sur la santé, la loi fédérale qui gouverne le système d'assurance-maladie du Canada, les tickets modérateurs sont illégaux et Ottawa est habilité à pénaliser financièrement toute province qui les imposerait. Pour cette raison, le gouvernement du Québec affirme que les frais suggérés ne constitueraient pas un ticket modérateur, mais plutôt une « franchise », et n'a, pour l'instant, qu'annoncé son intention d'imposer de tels frais.
Mais personne ne devrait se bercer d'illusions : l'élite patronale du Canada a déclaré que l'assurance-maladie n'était pas viable. L'annonce du gouvernement du Québec vise à forcer Ottawa à enclencher un débat sur la « modernisation » de la Loi canadienne sur la santé. « Ce n'est pas un ballon d'essai », a insisté Bachand lors d'une conférence de presse suivant l'annonce du budget, « c'est une décision. »
Michael Ignatieff, le chef du Parti libéral fédéral, a rapidement donné son aval aux nouveaux frais de santé proposés par le gouvernement du Québec. « Nous croyons, a dit Ignatieff, et c’est une question de détail, que les propositions du Québec sont conformes à la loi nationale sur la santé. »
Le Québec est déjà allé plus loin que toute autre province dans le démantèlement de l'assurance-maladie. Avec la loi 33 des libéraux, une nouvelle industrie d'assureurs et de cliniques privés a été créée. Lorsque cette loi a été adoptée en 2006, elle ouvrait la pratique privée à trois types d'interventions médicales. Aujourd'hui, plus de 50 sont couvertes par des assureurs privés et offertes dans des cliniques privées.
Les prévisions clés du budget comprennent :
Défendant son budget, Bachand s’est vanté de ce que le gouvernement avait prouvé qu’il n’y avait pas pour lui « de vaches sacrées ». Il voulait dire que le gouvernement libéral de Jean Charest est prêt à remettre en cause l’universalité du système de santé, à augmenter de façon draconienne les frais de scolarité universitaires, à augmenter les tarifs d’électricité et, de façon générale, à mettre en place des politiques de droite dont le but est d’enrichir la grande entreprise et les biens nantis.
Pendant des années, l’élite du monde des affaires au Québec et de nombreux politiciens libéraux et péquistes à la retraite se sont élevés contre « l’immobilisme » de la société québécoise, le nom qu’ils donnent au consensus largement répandu dans la population en faveur des services publics et d’autres politiques bénéficiant aux travailleurs et aux pauvres et favorisant une plus grande égalité sociale.
Alors que le quotidien The Montreal Gazette et d’autres représentants de la droite ont critiqué le gouvernement pour ne pas imposer des compressions budgétaires plus draconiennes et pour augmenter les taxes et les frais de façon incrémentale, la grande entreprise a, en très large partie, applaudi le budget. Le Conseil du patronat, le plus puissant lobby de la grande entreprise de la province, et la Chambre de commerce de Montréal ont donné un appui très enthousiaste au budget Charest.
Le quotidien le plus influent du Québec, La Presse, était extatique. André Pratte, l’éditorialiste en chef du journal a intitulé « Un budget historique » son premier éditorial après le budget. « Les Québécois de classe moyenne seront furieux d’avoir à verser quelques centaines de dollars de plus par année au gouvernement… Québec doit tenir bon, de sorte que la province prenne enfin ce virage historique en matière des finances publiques. »
Alain Dubuc, l’ancien éditeur du Soleil de Québec et le plus important chroniqueur de la chaîne des journaux de Power Corporation, a fait écho à l’évaluation de Pratte. « Le budget déposé hier… est un budget très austère, mais aussi audacieux, qui propose des virages majeurs et qui est probablement allé le plus loin qu’il était politiquement possible de le faire. (…) Le Québec élimine son déficit plus rapidement qu’ailleurs, et son plan pour y parvenir est autrement plus crédible. (…) Au-delà des objectifs immédiats de la lutte au déficit, ce budget annonce un changement important de philosophie. »
Le principal parti d’opposition, le Parti québécois, a attaqué le budget de la droite. Sylvain Simard, le critique du Conseil du Trésor, a dit que le gouvernement avait failli à sa promesse de « révolution culturelle » : « Où est la révolution culturelle que le ministre nous avait promise ? Ce n’est qu’un plan pour remplir les trous avec l’argent de la population. »
Les augmentations de taxes et des frais prévus dans le budget sont régressives. Mais la « révolution culturelle » dont le PQ se fait l’avocat n’est rien d’autre que le principe du libre marché de « l’utilisateur payeur » en vertu duquel les soins de santé, l’éducation et les autres services vitaux ne sont pas des droits de base, mais doivent être rationnés au profit des biens nantis en instaurant des frais et en privatisant les services de santé.
Les syndicats, qui ont une longue histoire de collaboration avec la grande entreprise du Québec et avec les gouvernements du Parti libéral, ayant même contribué au démantèlement de l’État-providence, ont répondu comme il fallait le prévoir au budget Bachand-Charest en affirmant qu’ils étaient prêts à continuer à travailler étroitement avec le gouvernement.
Les dirigeants de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) et de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) ont insisté que le budget n’avait pas d’impact sur les négociations pour le renouvellement du contrat d’un demi-million de travailleurs du secteur public y compris les enseignants, les infirmières et les fonctionnaires.
« Je ne suis pas effrayé par ce que j'ai vu aujourd'hui, a affirmé le président de la FTQ Michel Arseneault. Les ministres que j'ai rencontrés hier soir [dans une rencontre pour relancer les négociations ayant eu lieu le soir avant le jour de la présentation du budget] m'ont semblé de bonne foi (...). Je suis un éternel optimiste. J'aime mieux dire que le verre est à moitié plein et pas à moitié vide. »
Claudette Carbonneau, présidente de la CSN, a, quant à elle, insisté que son syndicat était prêt à accepter le cadre d’austérité établi par le budget libéral : « Mais je ne dis pas que ce budget ferme la perspective de négociation. Ce serait faux. Tout l'espace est là ».
(Article original anglais paru le 6 avril 2010)
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