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France : la mission parlementaire prône l'interdiction de la burqa

Par Kumaran Ira
8 février 2010

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Après avoir délibéré pendant six mois, la mission parlementaire sur la burqa chargée d'enquêter sur une interdiction de la burqa, ou du niqab, a rendu le 26 janvier son rapport qui prône le vote d'une loi interdisant dans tous les lieux publics le vêtement porté par certaines femmes islamiques et qui recouvre le corps de la tête aux pieds.

La rapport recommande que soit votée une résolution parlementaire, suivie d'une loi, qui rendrait illégal le port de la burqa dans les hôpitaux, les établissements scolaires, les transports en commun et autres bâtiments publics. Il déclare que la burqa est « contraire aux valeurs de la République » et qu'une interdiction assurerait «la protection des femmes victimes de contrainte. » Il recommande aussi que toute personne portant la burqa se voie refuser le permis de travail, l'asile politique, le permis de séjour et la nationalité française.

Cette mission parlementaire avait été mise en place après l'allocution au château de Versailles du président Nicolas Sarkozy au Congrès (l'Assemblée nationale et le Sénat) en juin dernier. Sarkozy avait dit que la burqa « n'est pas la bienvenue en France » et s'était déclaré en faveur d'une interdiction. La mission, conduite par André Gerin, député PCF (Parti communiste) et maire de Vénissieux, banlieue défavorisée de Lyon, comprenait des députés de gauche comme de droite. 

La commission n'a pas proposé une interdiction totale dans tous les lieux publics, du fait de spéculations parmi les cercles politiques et médiatiques que le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'Homme pourraient bien rejeter une telle loi.

Le 29 janvier, le premier ministre François Fillon a demandé au Conseil constitutionnel d'examiner les différentes possibilités légales concernant une interdiction de la burqa. Il a écrit, « Vous étudierez donc les solutions juridiques permettant de parvenir à une interdiction du port du voile intégral que je souhaite la plus large et la plus effective possible. »

Une grande majorité de députés de l'Union pour un mouvement populaire (UMP) à l'Assemblée nationale, le parti droitier au pouvoir, serait en faveur d'une loi interdisant la burqa dans tous les lieux publics, y compris dans la rue, les centres commerciaux et autres espaces publics. En décembre dernier, François Copé, président du groupe UMP majoritaire à l'Assemblée nationale, a annoncé qu'il initiait une législation qui rendrait illégal le port du vêtement dans la rue. Les contrevenants se verraient infliger une amende de 750 euros.

Copé a rejeté l'idée qu'une interdiction totale serait inconstitutionnelle. Dans une interview accordée le 29 janvier au quotidien de droite Le Figaro, Copé a dit, « C'est d'interdire seulement la burqa dans quelques lieux ouverts au public, ce qui, à mon sens, poserait d'énormes problèmes d'application. Comment expliquer qu'on interdirait la burqa à la poste ou à l'hôpital mais pas à la boulangerie du quartier ? Tout le monde s'accorde pour dire qu'il faut une résolution pour expliquer les enjeux, mais cela ne suffit pas. »

Toute interdiction quelle qu'elle soit de la burqa est antidémocratique et réactionnaire. Cela foule aux pieds le principe constitutionnel de laïcité, selon lequel l'Etat ne peut soutenir ou discriminer une religion. L'interdiction légale du vêtement des femmes islamiques serait un dangereux précédent par lequel l'Etat peut légalement exiger des citoyens qu'ils modifient leurs croyances religieuses ou sociales.

Bien que la loi cible une minorité de la population, moins de 2 000 personnes sur les cinq millions d'immigrés musulmans que compte la France, il s'agit d'une attaque contre les droits démocratiques de la classe ouvrière toute entière. Cela posera les fondations d'une discrimination contre toutes les opinions ou comportements, politiques autant que religieux, considérés comme contraires aux intérêts du gouvernement.

Cette interdiction est raciste et fait partie des efforts délibérés et de longue date d'attiser des sentiments anti-musulmans en mettant en avant l'idée que les problèmes économiques et sociaux confrontant les masses en France ne sont pas causés par le système capitaliste mais par les musulmans. En 2003-2004, le prédécesseur de Sarkozy, Jacques Chirac avait organisé et fait voter une interdiction du port du voile islamique dans les établissements scolaires publics, mesure qui avait recueilli un large soutien de la « la gauche » bourgeoise. L'objectif était d'attiser une atmosphère droitière, notamment parmi les enseignants, dans la foulée des grèves massives d'opposition aux attaques contre les retraites de 2003.

Le fait qu'une interdiction de la burqa, que Jean-Marie Le Pen du Front national néofasciste soutient en appelant à renforcer la législation existante, trouve à présent un soutien de la part de tout le spectre politique, indique combien la politique bourgeoise française prend un virage à droite.

La détermination de la classe dirigeante à faire avancer à grands pas cette loi réactionnaire, en dépit de doutes largement reconnus quant à sa constitutionnalité, souligne son rapprochement avec des formes de gouvernance autoritaires. Il faut rappeler que, en réponse aux émeutes des jeunes des banlieues défavorisées en 2005, le gouvernement avait décrété l'état d'urgence, initialement suggéré par Le Pen, suspendant les droits légaux fondamentaux pendant trois mois.

Reconnaissant de façon hypocrite et déloyale l'inconstitutionnalité de la loi, l'establishment politique se concentre sur le débat entre une interdiction totale et une interdiction uniquement dans les établissements gérés par l'Etat. Une telle distinction n'a pas de sens: toute personne à qui l'on refuse l'accès à l'éducation, aux soins médicaux et aux transports en commun, est de fait bannie de la vie publique. Cette spécification a pour but de donner une couverture pseudo-légale à une loi qui viole l'article premier de la constitution: « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. »

Si elle est votée, cette loi fera de la France une version moderne du sud de l'Amérique durant la période des lois Jim Crow, où les Afro-américains étaient persécutés par l'Etat et se voyaient interdire l'accès à toute une série d'endroits et de services publics.

L'interdiction de la burqa est largement soutenue par l'establishment de « gauche » dont le PS et des sections du PCF plus ouvertement favorables à Gerin. Le PS a participé à la mission parlementaire de Gerin. Mais juste avant la remise du rapport, le PS s'était retiré de la mission disant qu'elle était « polluée par le débat sur l'identité nationale et l'initiative de Jean-François Coppé. »

Le PS a beau être embarrassé d'avoir participé à une initiative néofasciste, il a néanmoins démontré un peu plus son soutien au principe de l'interdiction de la burqa. Le 31 janvier, la première secrétaire du PS Martine Aubry a publiquement félicité Fillon pour avoir demandé conseil au Conseil constitutionnel sur la manière de faire voter l'interdiction de la burqa. Aubry a dit qu'il « ramen[ait] un peu de sagesse » au débat. Plusieurs personnalités du PS, notamment le député Manuel Valls, sont en faveur d'une interdiction totale.

L'attaque contre les femmes qui portent la burqa se propage dans toute l'Europe sous couvert entièrement malhonnête de la « défense » des femmes contre l'oppression. Le 30 janvier, la ministre italienne pour l'égalité des chances, Mara Carfagna a annoncé que le gouvernement Berlusconi chercherait à rendre la burqa illégale. Le même jour, le gouvernement danois annonçait que la burqa était « diamétralement opposée » aux valeurs du pays. Il a proposé d'interdire le vêtement dans les établissements scolaires et sur les lieux de travail.

La campagne anti-burqa, tout comme d'autres mesures provocatrices et répressives contre les musulmans et les immigrés dans toute l'Europe, est une politique consciente de l'élite dirigeante européenne visant à diviser la classe ouvrière.

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