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Allemagne : Qu’y a-t-il derrière la lutte pour le pouvoir au sein de La Gauche ?

Par Lucas Adler
22 janvier 2010

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Une lutte ouverte pour le pouvoir s’est déclenchée au sein du parti allemand La Gauche (Die Linke) entre son président, Oskar Lafontaine, et son secrétaire national, Dietmar Bartsch. Sous les pressions grandissantes exercées dans le parti par la faction Lafontaine, Bartsch a démissionné de son poste vendredi dernier.

Le 5 janvier, le magazine Spiegel Online avait rendu compte d’une lettre adressée au président du groupe parlementaire (Bundestag) de La Gauche, Gregor Gysi, dans laquelle les présidents des fédérations des Länder de Rhénanie-du-Nord/Westphalie et de Bade-Wurtemberg auraient exprimé de sévères critiques à l’encontre de Bartsch en réclamant sa démission. Le principal reproche levé contre Bartsch était d’avoir répandu des bruits sur la vie privée de Lafontaine en ouvrant un débat sur un successeur éventuel du président du parti après que ce dernier eut annoncé qu’il se retirerait momentanément de toute activité politique en raison d’un cancer.

Depuis, la dispute s’est intensifiée. L’entourage de Lafontaine a rapporté qu’il considérait ses relations avec Bartsch comme ayant subi un dommage irréparable et qu’il ne se présenterait comme candidat au poste de président du parti en mai que si Bartsch quittait son poste. A présent Bartsch est parti.

Pour sa part, Bartsch a nié l'existence d'une quelconque lutte pour le pouvoir ou rivalité entre lui et Lafontaine.

Le 11 janvier, Gysi a pris position contre Bartsch. Lors d’une réunion rassemblant quelque 700 membres du parti issus de divers organes législatifs et organisations régionales, le président du groupe parlementaire de La Gauche a déploré l’« intolérable climat de dénonciation » qui prévalait dans le parti et accusé Bartsch de manquer de loyauté. Une semaine plus tôt, Gysi avait rencontré Lafontaine dans sa circonscription électorale du Land de Sarre et les deux hommes avaient dû se concerter sur le contenu des commentaires faits par Gysi le 11 janvier.

A partir de là, les protestations ont commencé à fuser en provenance des organisations régionales en Allemagne de l’Est. Le vice président régional du Land de Saxe-Anhalt, Birke Bull, a dit à Spiegel Online que Gysi avait asséné à Bartsch un « KO coup par coup ». Il avait ajouté, « Manifestement, de vastes sections du parti qui soutiennent Bartsch et sa politique pragmatique ne sont pas prises au sérieux. Je trouve cela extrêmement regrettable. »

Le président de la fédération du Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale de La Gauche, Steffen Bockhahn, a exprimé son soutien à une nouvelle candidature de Bartsch. « Je veux faire tout mon possible pour qu’il se représente à nouveau, » a-t-il dit.

Son collègue du Land de Thuringe, Bodo Ramelow, a regretté que la critique à l’encontre de Bartsch n’ait pas eu lieu à huis clos et déclaré qu’il était inacceptable de donner publiquement l’impression que « quelqu’un a été poignardé dans le dos. »

La vice présidente du parti, Halina Wawzyniak, a dit que l’accusation de déloyauté émise par Gysi était « imaginaire » et a réclamé une réunion immédiate de la direction du parti.

Les conflits qui se sont développés dans le parti ont leurs racines dans la fondation de cette organisation.

La politique de la coalition gouvernementale Parti social-démocrate (SPD)-Verts (1998-2004), y compris le plus important démantèlement social de l’histoire de la République fédérale, la création d’un vaste secteur à bas salaire et la remilitarisation de la politique étrangère allemande, a considérablement creusé le gouffre entre la social-démocratie et ses partisans traditionnels au sein de la classe ouvrière. Depuis qu’il a perdu le vote, le SPD a perdu plus de 10 millions de voix de par le pays lors de ces dernières élections, c’est-à-dire plus de la moitié de son soutien électoral. Dans la même période, environ 250.000 adhérents ont quitté le SPD.

Ceci a privé l’élite dirigeante de son plus important instrument politique pour contenir la lutte de classe. C’était précisément en raison de ses liens de longue date avec la classe ouvrière que le SPD avait été un important pilier de l’ordre bourgeois durant la période d’après-guerre.

La création du parti La Gauche a été une réponse de la part des couches plus clairvoyantes de l’élite dirigeante à ce développement. Dans la mesure où le SPD perdait le contrôle de la classe ouvrière, un nouveau parti devenait nécessaire pour reprendre cette fonction.

Le rôle clé dans la fondation du parti La Gauche incombait à Lafontaine qui, en tant que président, avait organisé la victoire électorale du SPD en 1998. Lafontaine avait rompu avec son ancien parti en basant son nouveau projet sur les vestiges des bureaucraties stalinienne et social-démocrate : à l’Est, le Parti du Socialisme démocratique (PDS), l’héritier de l’ancien parti stalinien, et à l’Ouest, les syndicalistes et les anciens responsables sociaux-démocrates désabusés qui avaient formé un groupe appelé Alternative électorale-travail et justice sociale (WASG).

La Gauche a promu l’illusion qu’il était possible de revenir au type de politique de réformes sociales qui avait prévalu durant les années 1960 et 1970, sans examiner les raisons pour lesquelles cette forme de politique avait si dramatiquement échoué, en se traduisant avant tout dans un déclin de l’influence du SPD. Tous ceux qui avaient été impliqués dans la fondation de La Gauche étaient d’accord pour négliger ce point. Dans le même temps, il y avait des fissures sous-jacentes dans le parti dès le départ.

A l’Ouest du pays, le parti fut obligé d’adopter une certaine rhétorique gauchiste afin de se distinguer, du moins verbalement, du SPD. A l’Est, La Gauche, avait déjà pendant des années joué un rôle actif à différents niveaux gouvernementaux en collaborant avec le SPD pour imposer des attaques sociales contre la classe ouvrière et en prouvant qu’on pouvait compter sur lui en tant qu’appui fiable à l’ordre bourgeois.

L’aggravation des tensions sociales en Allemagne a exacerbé les fissures et les frictions au sein de La Gauche. En réaction à la radicalisation croissante de couches de travailleurs, Lafontaine a été obligé d’adopter des poses plus radicales afin de se positionner comme une alternative de gauche au SPD. Son attitude s'est heurtée à un refus de la part des organisations régionales du parti à l’Est parce qu’elle menaçait leurs alliances de longue date avec les partis bourgeois plus anciens et plus traditionnels.

Bartsch incarnait cette opposition dans le parti La Gauche. Depuis des années, il préconisait et encourageait des alliances entre La Gauche et le SPD au niveau régional en était prêt à former immédiatement une coalition avec le SPD au niveau fédéral.

Bartsch était en très bons termes avec le président du SPD, Sigmar Gabriel, qu’il rencontrait de temps à autre au café Einstein à Berlin. Bartsch avait aussi laissé tomber les prétentions pacifistes de son parti et réclamait depuis un certain temps que le parti reconnaisse la nécessité de « déploiements de maintien de la paix » internationaux de l’armée allemande.

Le conflit entre les deux camps a été particulièrement visible lors des négociations pour une nouvelle coalition gouvernementale dans le Land de Brandebourg. Lafontaine a publiquement refusé une coalition entre La Gauche et le SPD du Land qui impliquait un accord sur la suppression d’un emploi sur cinq dans le secteur public. Quant à Bartsch, il a lui défendu l’accord de Brandebourg et les deux partis ont conclu un pacte de coalition à la fin de l’année dernière.

Les différentes réactions face au désaccord entre Lafontaine et Bartsch révèlent le caractère amer des dissensions au sein du parti.

Alors qu’à l’Ouest les organisations ont réclamé la démission de Bartsch, les présidents des cinq organisations régionales en Allemagne de l’Est se sont alignés derrière le secrétaire national. Ils ont publié un communiqué conjoint qui a depuis gagné le soutien du soi-disant Forum pour le socialisme démocratique (Forum Demokratischer Sozialismus). Ce forum est un courant droitier au sein du parti La Gauche et qui a émergé dans le but de défendre contre les critiques de gauche la politique antisociale pratiquée par la coalition SPD-La Gauche au Sénat de Berlin.

Dans une déclaration brève et laconique, le co-président de La Gauche, Lothar Bisky (et ancien président du PDS) a rejeté les accusations contre Bartsch et Bodo Ramelow, le chef de file du groupe parlementaire de La Gauche en Thuringe, a dit au Berliner Zeitung, « Exiger à présent la démission de Bartsch équivaut à démonter intentionnellement la roue d’une voiture. »

L’aspect le plus frappant de cette affaire est la manière dont le conflit est géré au sein du parti La Gauche. Personne ne veut discuter des questions qui sont vraiment en jeu. Au lieu de cela, des détails de soi-disant lettres privées sont relayés aux médias afin d’influencer des tendances au sein du parti. Lafontaine n’est officiellement pas impliqué dans le débat et Bartsch nie tout conflit. Ceci montre qu’il n’y a pas de vrais différends politiques fondamentaux entre les deux camps qui s’affrontent.

Le conflit entre Lafontaine et Bartsch déterminera probablement la manière spécifique avec laquelle La Gauche cherche à appuyer dans un avenir proche le système bourgeois. Au moment où les conflits sociaux s’intensifient, Lafontaine est convaincu que toute démarche prématurée de La Gauche en faveur d’une participation au gouvernement fédéral discréditerait rapidement le parti qui ne serait alors pas en mesure de remplir sa fonction d’instrument de la bourgeoisie. Le groupe derrière Bartsch craint toutefois que la rhétorique gauchiste de Lafontaine n’attise le mécontentement populaire, notamment contre la politique antisociale de La Gauche même, en minant son rôle comme élément de stabilité politique dans l’Est du pays. Ce qui sous-tend ces différences tactiques est que les deux camps sont unis dans leur défense inconditionnelle de l’ordre bourgeois à l’encontre de tout mouvement indépendant de la classe ouvrière.

(Article original paru le 18 janvier 2010)

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